Just want to say i'm better now and shout it loud + Simon

2022

Charlize avait entendu parler cette librairie poussiéreuse, celle où elle trainait ses chaussures vernies de petite fille les samedis après-midi, celle qui n'avait pas bougé depuis tout ce temps, toujours les mêmes livres, toujours la même vieille femme qui la tenait, indéboulonnable derrière son comptoir, sévère, froide. Elle avait appris qu'elle avait enfin pris sa retraite et que la librairie se refaisait une nouvelle jeunesse, un universitaire britannique aurait reprise le flambeau. Mais ce qui avait réellement éveillé sa curiosité, c'était le nom dudit britannique, Shrewsbury, Simon, un patronyme qui l'avait ramené quelques trois ans plus tôt, durant les quelques semaines qu'elle avait passé du côté de Londres. Des semaines auxquelles elle cherchait à ne pas trop penser, parce que le souvenir était douloureux et pourtant dans toute cette peine il y avait malgré tout eu un peu de douceur, comme une respiration, un semblant de vie dans toutes ses journées endeuillées où le temps se suspendait inlassablement. Cette rencontre incongrue, presque interdite parce qu'elle l'avait détourné, même quelques minutes, du réel but de son séjour en Angleterre. Cette porte poussée au hasard, pour s'offrir le loisir de laisser son esprit divaguer ailleurs que dans la noirceur qui l'envahissait petit à petit, entendre parler de littérature, d'auteurs de génie, de belles lettres. Elle s'en souvenait de cette conférence et de celui qui la présentait, un homme brillant et éloquent, un homme qui aimait ce qu'il faisait, c'était flagrant, il l'avait entrainé dans sa passion et elle l'en avait remercié. Jamais elle n'aurait cru entendre parler de lui à nouveau et surtout pas à Bowen, pourtant sur le journal local elle avait bien lu son nom et elle devait en avoir le cœur net. Alors, pour la première fois depuis plus de vingt ans, elle repoussait la lourde porte de la vieille librairie, qui ne ressemblait plus en rien à celle qu'elle avait connu. Elle parcouru les rayonnages, curieuse, presque fébrile à l'idée de recroiser l'homme de ses souvenirs, incapable de savoir quel sentiment l'envahirait au moment de la rencontre. Charlize gardait une sensation particulière de toute la période qui entourait la mort d'Axten, comme si tout cela n'avait jamais existé, comme si les quelques semaines avant et les mois qui avaient suivi, ceux passés en Europe avant son retour à Bowen, n'avaient rien eu à voir avec la réalité. Finalement son regard se posa sur une silhouette au fond du magasin, il déballait un carton. Alors c'est bien vous ! Son attitude enjouée la poussa à s'avancer vers le libraire. Bonjour Simon, c'est une surprise de taille que de vous trouver ici. Elle lui adressait un sourire chaleureux, bien loin de la Charlize dévasté qu'il avait rencontré quelques années plus tôt.

@Simon Shrewsbury

Elle avait vu de la lumière, alors elle était entrée, sans même remarquer le panneau « nous sommes fermé » sur la porte. C’était tout de même assez maladroit de sa part, surtout pour une commerçante, mais elle était toute à son excitation de, peut-être, revoir Simon qu’elle en était étourdie. Il fallait avouer que c’était quelque chose tout de même, ils s’étaient rencontrés à Londres, lui, pur produit britannique jusque dans ses manières et la couleur de son teint, elle, en Europe pour une triste raison, combien y avait-il de chances qu’il débarque, ici, dans la petite bourgade de Bowen, pour y racheter une vieille librairie poussiéreuse ? Très peu évidemment et pourtant la vie avait remis cet homme sur son chemin. Charlize était consciente qu’il pouvait exister d’autres Simon Shrewsbury, c’est pourquoi elle s’était déplacée. La pâtissière était dans une période étrange de sa vie, elle oscillait entre l’abattement et la joie, entre le trop plein d’énergie, l’envie d’entreprendre toujours plus et le manque qui la clouait parfois sur place. Elle allait mieux, grâce à sa psy, à sa famille, aux antidépresseurs, elle allait mieux, mais il suffisait d’un grain de sable pour que la machine s’enraille. Son entreprise retrouvait sa superbe, elle s’était relevée les manches, elle avait donné toute son énergie pour qu’aucune des boutiques ne ferment et ça avait payé, elle envisageait même d’en ouvrir une quatrième, tout en se disant que ce n’était pas raisonnable. Alors dans tout ça, retrouver un fantôme de son passé qui lui rappellerait inévitablement les jours tristes n’était peut-être pas une bonne idée, mais de toute façon, s’il venait vraiment d’arriver à Bowen, il faudrait peu de temps pour qu’ils se croisent même par hasard, alors autant provoquer la rencontrer. Elle tressaillit lorsqu’une voix à peine sortie d’un carton lui annonça que ce n’était pas ouvert. Pourtant cette voix elle la reconnu alors elle s’avança malgré tout, un peu maladroitement. Son expression la fit sourire, c’était donc bien lui. Ça pour un changement ! Aurait-elle pu tout laisser derrière elle pour s’installer à l’autre bout du monde ? Bien que l’idée l’ait traversé, elle n’en était pas certaine. Merci. Elle baissa les yeux, pommettes rougissantes légèrement, elle devait certainement avoir meilleure mine que la dernière fois, en effet. Je suis contente de vois voir aussi. Elle pouffa doucement à sa proposition. Avec plaisir oui ! Vous allez donc devenir le plus britannique des australiens ?! Ici on servait plus souvent du thé glacé, surtout à cette période de l’année, mais il était évident que pour lui ce devait être une hérésie.

@Simon Shrewsbury