Bienvenue à Bowen, petite ville côtière du Nord-Est de l'Australie, abritant moins de 7 000 habitants. Si vous recherchez le calme, la bonne humeur et la joie de vivre, vous serez au paradis. Tous les habitants vous le diront, Bowen est l'endroit idéal pour se ressourcer. Et puis ne vous inquiétez pas pour l'intégration, ici tout le monde se connaît et les habitants adorent accueillir les nouveaux. › suite.
Ces petits rendez-vous avaient pris progressivement l’allure de rituels. Deux commerçants que tout ou presque semblait opposer dans leur style, entre autres, et qui aimaient se retrouver le temps d’un café avant l’embauche du matin. Avant d’ouvrir leurs boutiques, de livres ou de jouets, et de se livrer à l’appétit de clients parfois féroces. Bien souvent, cela était devenu un moteur pour Kaz qui n’était pas vraiment du genre à bondir hors du lit dès l’appel du réveil. En général, il fallait tout un processus pour réussir à lui faire sortir ne serait-ce qu’un œil de dessous la couette. Ensuite, ses déplacements jusqu’au bord du lit puis le premier pas au sol donnaient l’impression d’assister à l’éveil d’un paresseux. Ensuite, cela se changeait en course contre la montre jusqu’à la boutique. Ça, c’était quand il ne s’endormait pas dans l’atelier sur l’une de ses créations ou réparations, bien sûr. Heureusement qu’il en était le propriétaire finalement. Sinon, il n’aurait pas fallu plus d’une semaine pour qu’il soit renvoyé. Enfin, heureusement… On ne peut pas dire que les affaires allaient pour le mieux. C’est pourquoi comme aujourd’hui, il n’y avait pas besoin de réveil. Tout simplement car il n’avait pas dormi. De temps en temps, il faisait des petits jobs de ci de là quand le magasin n’y suffisait pas et pour maintenir ce dernier à flots. Il avait abandonné un temps, mais il avait bien fallu s’y résigner à nouveau. Et cette fois, c’était spectaculaire ! Il courait, certes. Vers la rue commerçante, en effet. Mais vers son magasin, pas du tout.
Il était encore tôt et les rayons du soleil restaient doux. L’un de ces doux matins qui laisse poindre l’espoir, fait naître le courage et donne l’illusion de la paix. Il courait, difficilement, maladroitement, et s’attirant les regards. En même temps, ce n’était pas tous les jours que l’on voit un dinosaure bleu ciel et en peluche courir comme s’il avait une armée de rhinocéros à ses trousses. La chaleur, l’effort de la course, le poussèrent à tenter au moins de retirer la tête du machin (quelle idée de ne pas y avoir pensé plus tôt). Le problème était justement qu'il TENTAIT, mais la coiffe semblait coincée. Il courra donc tout en gesticulant avec sa grosse tête duveteuse à piques qui lui offrait un champ de vision restreint et son sac à dos sur l’épaule. Il dépassa même le café dans lequel il avait rendez-vous avec Simon sans le voir. Un charmant salon de thé. Il fit demi-tour, faillit finir par terre et passa finalement la porte en une bourrasque folle. Il se calma quelque peu pour ne pas être poussé vers la sortie et salua avec un sourire si rayonnant qu’il trahissait à peine son épuisement et suffisait à masquer sa lassitude. Malheureusement, le sourire en question était caché par la tête monstrueuse.
Simon n’était visiblement pas encore là comme il l'avait craint. Sa course avait eu vocation à ne pas le faire attendre, encore. Kaz s’installa donc à une table. Galéra à s’asseoir sur la délicate chaise et posa son sac sous la table. Il faisait chaud et il gesticula pour extirper au moins son buste de la peluche. Il avait un bras dehors, entre la tête et le corps, et l’autre coincé quand on vint chercher sa commande. « J’attends quelqu’un. » Un quelqu’un qui n’était peut-être pas très loin… « Un monsieur très classe. J'arrête pas de dire qu'il devrait passer le casting pour le prochain James Bond. Je sais pas s'il est déjà arrivé ? Peut-être est-il allé aux toilettes ? Vous savez, le thé, tout ça, à son âge la vessie tient pas toujours très bien. » Ouais, il parlait, il parlait, mais c'est qu'il avait une merveilleuse façon de combler les silences ou d'atterrir après une course folle. Et en général, ce qu'il disait était stupide, ou inapproprié. MAIS ! Toujours empreint de second degré. Surtout quand ses propos étaient étouffés sous une masse pelucheuse et opaque.