I'll be there and you'll be near and that's the deal my dear ı Aloy

I'll be there and you'll be near and that's the deal my dear

☾☾ Musique au creux des oreilles et mirettes rivées sur l'écran d'ordinateur, tu parcours le dossier de la patiente que tu as eu en consultation quelques heures plus tôt en prenant soin d'intégrer toutes les notions spécifiques au sein de ton hippocampe afin que tu n'omettes aucun détail important ayant été évoqué lors de la séance. Certains cas sont plus difficiles à traiter que d'autres, surtout quand ceux-ci te rappellent que tu as été un jour à leur place sans pouvoir recevoir l'aide dont tu avais tant besoin. C'est pour cela que ce travail te prend aux tripes ; tu veux être là pour ces enfants comme tu aurais aimé que l'on soit là pour toi. Mais parfois obtenir la confiance des enfants est d'une difficulté sans nom. Certains ne parlent pas pendant plusieurs séances, tu n'as que la possibilité d'observer leurs gestes ; les doigts qui s'entremêlent, les jambes qui tremblent, le regard fuyant. Tu te revois plus jeune, aussi perdue. Aucun enfant ne devrait subir d'actes visant à effacer leur innocence pourtant si précieuse. Ton passé est ta principale force dans ces combats car tu sais ce qui les rongent et tu sais comment s'en sortir car tu as été un jour dans la même situation...
Un appel t'extirpe soudainement de tes préoccupations ; Gabriella. Tu as eu l'occasion de pouvoir aider sa fille, touchée par l'amnésie soudaine de sa mère et qui avait besoin d'un repère, besoin d'une aide extérieure.  Tu n'as pas pour habitude de nouer une amitié avec tes patients ou avec leur famille. Mais Gabriella, c’était différent. Un point commun vous liait mais tu étais la seule à connaître son existence. Elle avait besoin d'une compagnie, d'une amie avec qui discuter en cette soirée monotone et tu n’avais pas grand-chose à faire. D’ailleurs, parler avec une amie allait très certainement te faire du bien au lieu de passer la soirée seule aux côtés de ton chien.
Ne perdant pas une minute, tu te prépares afin de te rendre chez elle dans les plus brefs délais. Clefs et sac en main, tu te hâtes pour rejoindre ton véhicule et partir en direction de la demeure. Le trajet n'est pas long et en quelques minutes tu te retrouves sur son palier et frappe avec douceur à la porte d'entrée, sachant pertinemment que les enfants dorment à cette heure-ci. Elle t'ouvre directement en te remerciant d'être venue aussi vite... Tu ne sais pas vraiment pourquoi mais tu sens comme un soulagement dans sa voix.

— Je vais bien merci... Du moins mieux que si je devais passer la soirée toute seule après avoir travaillé sur un dossier un peu compliqué... Krypto n'est pas vraiment de bonne compagnie puisque son passe-temps favori c'est de dormir... Et toi ? Ça fait quelques jours que je n'ai pas eu de tes nouvelles...


         

I'll be there and you'll be near and that's the deal my dear

☾☾

— Ce n'est pas un métier facile c'est certain... Mais je ne changerai de voie pour rien au monde...

Tu as choisi ce métier en sachant pertinemment ce qui t'attendait. Tu t'es battue durant des années, plongée entre les dettes et ton métier de serveuse pour arriver un jour à atteindre cet ultime but que tu t'étais fixé lors de ta seizième année de vie. Tu es revenue de loin ; à deux doigts d’être expulsée de ton appartement miteux car tu n’arrivais plus à joindre les deux bouts. Ta détermination n'a jamais connu de failles, tu as toujours su rebondir, persévérer et aujourd’hui loin des galères d'antan, tu as la vie dont tu as toujours rêvé malgré les aspects négatifs d'une errance solitaire.
Les paroles de ton amie te serrent quelque peu le cœur. Si tu pouvais faire en sorte que le monde aille bien, tu le ferais même si cela devait te condamner à une vie faite de malheurs à répétition. Voir la tristesse dans les yeux de ceux que tu aimes est une torture tout autant pénible qu'un couteau qui transpercerait ta chair pour t'éteindre dans la douleur. Tu sais ce qu'elle a traversé, tu as vu la douleur dans ses yeux, les larmes qui ont envahies ses joues et tu sens dans sa voix que ce soir tout cela risque de se reproduire...

— Je sens que ça ne va pas...

Tu poses ta main sur la sienne et caresse délicatement sa peau d'une extrême douceur. Les mots valent mieux que des actes mais sentir l'affection d'une personne au travers de gestes sincères réchauffe toujours le palpitant.

— Je suis là pour t'écouter... Tu sais bien que je serai toujours une épaule sur laquelle tu pourras te reposer quand ça ne va pas.

Etre là pour les autres avant de penser à toi. C'était ton mode de fonctionnement, ta doctrine, le fil qui conduisait ta vie. Un léger sourire se dessine au creux de tes lèvres. Tu te veux rassurante, bienveillante et optimiste même si tu sais au fond de toi que le sujet de conversation qui risque d'être posé sur la table ne va pas t'aider à garder cette positivité qui te caractérise.

         

I'll be there and you'll be near and that's the deal my dear

☾☾ Tu es certainement d'un grande aide pour tes patients... Tu essayes tant bien que mal de satisfaire cette obligation que tu t'es octroyé en commençant ce métier. Après tout, tu ne peux pas envoyer paître un patient sous prétexte que tu ne vas pas bien. Tu laisses toujours tes émotions et tes états d'âme de côté quand tu commences une journée de travail et ce soir bien que tu ne sois pas dans la peau d'Aloy, la psychothérapeute,  tu as envie que la conversation ne tourne qu'autour de Gabriella. Tu plonges ton regard dans le sien quand elle évoque ses tentatives tristement vaines pour concevoir un nouvel enfant.
Tu n'as jamais pensé devenir mère un jour. Après tout, tu n'as jamais pensé pouvoir aimer quelqu'un alors encore moins pouvoir concevoir. Tu ne sais même pas si tu aimerais au cours de ta vie avoir la chance de pouvoir sentir un petit être grandir en toi pour enfin ressentir l'amour suprême qu'une mère porte à son enfant. La question ne s'est jamais posée et puis tu es entourée d'enfants sans même en avoir ; tu es la marraine de l'aînée de Jordane, Gracelyn est enceinte depuis peu de temps et tu viens soudainement d'apprendre que Gabriella désire en avoir un nouveau.

— Je n'étais pas au courant que vous étiez en plein essai... Tu sais, tu as subi tout un tas de choses ces dernières années... Il faut que tu laisses le temps à ton esprit et à ton corps pour que cet enfant s'installe... Tu y arriveras, je n'en doute pas une seule seconde...

Tu ne sais pas si tes paroles arriveront à l'aider. Des fois tu doutes fortement sur le fait que tes élocutions servent à quelque chose. Tu te sens inutile, dépassée par certains évènements, prise dans une situation que tu n'arrives pas à gérer. Mais tu fais toujours de ton mieux pour être auprès de ceux qui en ont besoin.

— J'ai l'impression qu'il n'y a pas que ça qui te tracasse. Tu sais que tu peux tout me dire... Tout ce qu'on évoque ensemble, reste entre nous... Et je ne peux vraiment t'aider que si je sais vraiment tout ce qu'il ne va pas...


         

I'll be there and you'll be near and that's the deal my dear

☾☾

— Le garder pour vous c'est le meilleur moyen d'éloigner les personnes qui auraient de mauvaises intentions vis-à-vis de vous. C'est votre projet, pas celui des autres... Je ne maîtrise pas le sujet mais je peux demander à mes collègues de m'aiguiller sur certains points pour que je puisse t'aider au mieux dans ton parcours...  Comme je l'ai toujours fait par le passé

Tu te revois quelque temps en arrière en train de passer la porte de ton bureau pour accueillir cette mère et cette enfant totalement dépassées par la situation. C'est sûrement l'un des dossiers les plus difficiles sur lequel tu as travaillé ; au début tu pensais devoir simplement aider l'enfant à extérioriser ses émotions vis à vis de l'amnésie soudaine de sa mère... Mais tu t'es très vite rendu compte que Gabriella avait tout autant besoin de toi et qu'elle partageait dans son corps la même souffrance que tu avais ressenti jadis ; la trahison d'un être cher. Toutes les victimes ne parlent pas... Que ce soit par honte ou par peur... Tu en es d'ailleurs le parfait exemple ; tu n'as jamais trouvé le courage d'en parler à qui que ce soit, gardant pour toi même cette douleur, voulant emporter ce secret dans ta tombe... Mais elle, un jour, elle l'avait trouvé... Et tu t'étais juré à partir de ce moment d'être toujours là pour elle même si tu étais la seule au courant de votre terrible passé commun...

— Après tout ce que vous avez traversé, crois moi, ce n'est pas ce détail qui vous séparera... Vous avez surmonté beaucoup d'épreuves, vous savez que votre histoire peut résister à tout. On est dans une période où les couples se séparent pour un rien. Vous, vous savez passer outre les mauvaises choses. Vous vous aimez et vous ne pouvez pas vivre sans l'autre, c'est indéniable Gaby...

Tu aurais préféré que l'amour entre tes parents ne soit pas aussi fort et que les nombreuses absences de ta mère par rapport à son travail conduisent à un divorce. Cela t'aurais sûrement épargné ces années de souffrance... Tu aurais pu vivre avec ta mère, loin de cet homme que tu aimais pourtant quand tu n'étais qu'une gamine, loin d'imaginer les sévices qu'il allait te faire endurer. Tu attrapes la bouteille que Gabriella avait sagement posée sur la table et l'ouvre afin de verser le breuvage dans les deux verres mis à disposition juste à côté, avant de finalement en tendre un à ton amie, un énième sourire aux lèvres.

— Tiens, je pense que nous en avons besoin...
         

I'll be there and you'll be near and that's the deal my dear

☾☾

— Certains couples sont fait pour durer et le tiens en fait parti... D'autres pour se séparer même si parfois ça n'arrive... malheureusement pas toujours...

Tu secoues rapidement la tête en inspirant puis expirant dans le but pourtant vain de laisser s'échapper ces mauvais souvenirs qui ne cessent de te torturer l'esprit. Tu tapotes le verre du bout des doigts, signe de ton anxiété soudaine. Tu arrives la majeure partie de ton temps à intérioriser tout ça et à sourire sur commande pour que personne ne sache que toi, ça ne va pas. Mais mentir et garder un secret est un fardeau et tu n'arrives pas toujours à faussement être heureuse. Tu as envie de parler, c'est une certitude. La première chose à laquelle tu penses en te réveillant c'est « aujourd'hui, j'en parle... » et pourtant, quelques minutes plus tard, la réalité te rattrape et tu sais qu'il ne faut pas... Tu ne veux pas que le regard d'autrui change quand il se pose sur toi, tu ne veux pas être un martyr, une victime... Un nom ajouté dans cette liste bien trop longue de femmes salies que l’on dévisage dans la rue en chuchotant « c’est elle ». Tout le monde se connaît plus ou moins dans cette ville, les rumeurs circulent rapidement et tu ne veux pas devenir la psychologue qui sauve des enfants alors qu’elle-même dans son enfance aurait dû être sauvée.
Tu portes le verre au niveau de tes lèvres afin de boire le vin rouge soigneusement sélectionné par ton hôte avant de lui sourire comme pour l'avertir que tu vas bien malgré ton absence de quelques secondes.

— Ce doit être si spécial… De sentir un petit être qui grandit en toi et de voir ton corps changer… Spécial et fascinant à la fois.

C'est si troublant de savoir que notre corps est capable d'accueillir un enfant en son sein, en ajustant l'emplacement de ses organes et en en créant un transitoire afin de nourrir le fœtus... Et l'accouchement est d'autant plus subjuguant quand l'on sait que le corps s'adapte une fois de plus pour laisser passer cet être humain qui nous a habité pendant neuf mois...

— Sinon, comment vont les enfants ? La petite dernière ne doit pas te laisser beaucoup de répit... Et.. Hestia et toi, par rapport à ton amnésie.. Tout vas bien de ce côté-là, elle ne t'en reparle pas ?
         

I'll be there and you'll be near and that's the deal my dear

☾☾ «Aller bien» est une utopie. On peut dire aux autres que l'on va bien avec un sourire béat au creux des lèvres et pourtant il y aura toujours ce petit quelque chose qui fera que le bonheur n'est pas complètement là. C’est comme cela que la vie fonctionne… Elle vous donne une pointe de bonnes nouvelles pour ensuite vous enfoncer avec son lot de malheurs. Il n’est jamais possible de goûter à la félicité très longtemps… Notre existence est faite pour être baignée de ces ascenseurs émotionnels qui nous plongent tantôt au milieu des cieux et tantôt au fond d’un gouffre sans fin.

— C'est juste un peu compliqué en ce moment. J'ai beau aimer mon travail et être fière de ce que je suis capable de faire pour les autres, j'ai parfois l'impression de passer à côté de ma vie... De ne pas avoir une minute pour souffler, je pense qu'avec tes enfants tu dois savoir de quoi je parle...

Tu ricanes légèrement et bois de nouveau. Le temps passe et défile à une vitesse folle. Tu as l'impression d'avoir accompli beaucoup de choses et en même temps, rien. Tu n'as que ton emploi et des ami(e)s… Ta maison te semble si vide… Tu n’as personne à qui raconter tes journées, personne contre qui te blottir le soir venu au fond du lit, personne pour être là en chaque instant, pour partager tes joies et tes peines, tes réussites et tes défaites et la vie en elle-même... Il y a bien une personne qui pourrait prendre cette place, mais cela semble pourtant impossible, ton cœur commençant seulement à essayer de comprendre les sentiments qui se bousculent à l’intérieur. Tu n'as jamais eu cette fascination pour quelqu'un, ce manque, cette sensation bizarre. Tu ne sais pas ce que c'est et tout ça, ça te fait tellement peur...

— En échange ?... Le temps passe si vite... J'exagère un peu mais je crois que j'ai autant de mal que toi à me dire qu'elle est grande maintenant…

Ton rire est maintenant sincère... Tu gardes cette part de nostalgie en voyant tes patients grandir, s'affirmer et bien trop souvent quitter la ville pour partir vivre leur vie. Tu n'as pas beaucoup de nouvelles de ceux que tu as aidé et ça te réchauffe d'autant plus le cœur de pouvoir continuer à suivre Hestia de loin au travers des dires de Gabriella.

— Comment se passent ses études ? Je suis contente de savoir que toutes ces mauvaises choses sont derrière elle... Et tu arrives malgré tout à souffler de temps en temps, à prendre du temps pour toi ? Tu sais, c'est important aussi de continuer à être une femme avant d'être une mère..
         

I'll be there and you'll be near and that's the deal my dear

☾☾

— J'aimerais te dire le contraire... Que je pense à moi, que je fais attention, que  j'arrive à souffler... Mais en réalité, c'est difficile quand la solitude est là...

Le masque tombe, vole, s'écrase violemment contre le sol. Tu n'as plus le courage de tout cacher, de faire comme si ta vie était parfaite. Depuis que tu l'as rencontré, ce n'est plus pareil. La solitude vous consume lentement, parfois même sans que vous vous en rendiez compte. C’est un fléau dont on ne parle pas assez, dont les gens ont honte. Et pourtant, le seul moyen d’en sortir vraiment, c’est d’oser dire que l’on se sent seul afin de trouver une main bienveillante à attraper pour sortir de ce cercle vicieux… Les yeux emplis de larmes, tu essayes tant bien que mal de les contenir. Montrer ses faiblesses est compliqué. Tu t’es toujours mis en tête qu’il était préférable pour toi de ne jamais les divulguer à autrui, pour te protéger comme tu n’as pas pu le faire jadis. Pourtant ce soir, tu n’y arrives pas, tu es fatiguée de devoir te cacher au fond de cette carapace qui se fissure un peu plus chaque jour… Tu ravales tes larmes et attrapes quelques apéritifs afin de créer une diversion, peut-être vaine, pour que Gabriella ne soupçonne pas que tu es à deux doigts d’exploser, de crier que rien ne va, que tu sens qu’il y a quelque chose dans ton palpitant qui ne demande qu’à sortir, à être exposé au grand jour et qu’il y a lui et tes sentiments qui t’effraient autant que ça te plait…Tu ne sais pas gérer tout ça, tu n’as jamais connu ce que c’est d’avoir besoin de voir quelqu’un parce qu’il te manque, parce qu’il ne quitte pas tes pensées, parce que tu as simplement envie d’être plongée dans ses bras pour sentir son odeur et oublier tout ce qu’il y a autour le temps d'une étreinte avec celui que tu aimes…

— Hestia est une superbe jeune femme… Elle aura une vie merveilleuse loin de tout ça, j’en suis certaine…

Ta main vient se poser sur celle de Gabriella quand elle évoque les cauchemars qui viennent encore la tourmenter par rapport à tout ce qu’elle a vécu, signe que tu es là et que tu seras toujours là pour la soutenir… Simplement parce qu’avant d’être la thérapeute de sa fille, tu es son amie et qu’elle a sa place au sein de ton palpitant…

— Si tu as besoin d’en parler, je t’écoute… Et si tu n'y arrives pas, je comprendrai...