But.. Where is Charlie ?

C'était dimanche, supposé être mon jour de congés, j'avais une gueule de bois et pourtant, j'avais l'impression d'être en plein boulot. Je n'étais pas spécialiste en sauvetage de noyade mais j'aurais visiblement pu l'être. J'étais un très bon nageur, en fait, tous les Australiens qui vivaient sur la côte étaient de très bons nageurs. Les touristes en revanche... La mer d'Irlande devait être trop forte à cause du vent et personne ne devait aller s'y aventurer.
Ok.
Lorsque j'arrivais au niveau de Shioban et qu'elle était paniquée, je tentais de la calmer. En vain. Sa panique ne fit qu'augmenter et du moment où la jeune femme trouva une prise sur laquelle s'agripper, elle ne lâcha pas. Malheureusement. Elle ne rendait pas le retour facile pour moi, ni pour elle d'ailleurs. J'avançais lentement dans l'océan en direction du sable. C'était étrange. J'étais habitué aux mamies qui avaient l'impression de se noyer parce qu'elles avaient trop reculées dans la piscine pour l'aquagym et n'avaient plus pieds. Ce n'était jamais réellement de vraie noyade. Aussi, j'avais beaucoup de chance de m'en sortir si bien. Quand l'Irlandaise resserrait sa prise autour de mon cou, m'empêchant de respirer, je nous faisais couler pour lui faire comprendre qu'il fallait qu'elle lâche un peu. J'avais probablement dû voir ça dans Alerte à Malibu ou autre show télé qui a lieu à la plage.
Nous touchâmes la terre ferme quelques minutes plus tard. « C'est bon... tu peux lâcher » déclarais-je tranquillement. Fier toutefois de l'acte héroïque que je venais d'accomplir face à un défi aussi stupide, semblable à des gamins qui se défient de manger des fourmis. Beaucoup plus de gens que l'on pense font ce genre de défis idiots. Elle ne lâchait pas. Je continuais à avancer, remarquant que Shiv était encore paniquée, après réflexion, on aurait plutôt dit un mollusque. « Shiv ? » Nous étions à présent sur le sable et Charlie ne tarda pas à débarquer avec sa nouvelle baby sitter. « Papaaa! Qu'est-ce qu'elle a ? » demanda-t-il en regardant notre voisine. Je lui dis que ce n'était rien, que ça allait passer; Je ne voulais pas me lancer dans des explications que même moi je ne comprenais pas. Quelques secondes plus tard, Shioban reprit forme humaine. Elle me lâcha et se redressa.
Je reçus les félicitations de celle qui avait été pendant 5 minutes la pseudo baby sitter de mon fils avec comme prévu son nom et son numéro. Elle donna le bout de papier à Charlie étant donné que j'étais trempé. Elle s'en alla.
Je me retournais vers Shioban. « Ça va aller ? Tu veux rester ici ou tu veux rentrer peut être? »

« Shiv ? » . L'emploi du diminutif qu'on lui donnait depuis sa plus tendre enfance, réveilla légèrement Shioban. Elle cligna des yeux. Elle vit alors le sol se dérouler sous ses pieds sans qu'elle ne fasse aucun effort. Était-elle morte ? Flottait-elle au dessus du sol ? Non, les sensations confuses qu'elles ressentaient étaient trop réelles pour s'apparenter à une telle expérience. Elle avait fait des renseignements sur les expériences de mort imminente pour un de ces bouquins et ça ne collait pas. Elle releva la tête et se rappela qu'elle était dans les bras d'Austin. Texas. Qui l'avait sauvée... « Papaaa! Qu'est-ce qu'elle a ? » . La voix de Charlie, curieusement angoissée pour un gamin de cet âge (sensé être égoïste et indifférent) fut un second retour à la réalité. Elle lâcha Austin, espérant qu'elle ne l'avait pas blessé en plantant ses ongles dans sa chair. Puis elle simula un sourire serein, un de ceux dont elle ne se départissait pas depuis qu'elle était devenue une écrivaine réputée. « ça va bonhomme, ne t'en fais pas. Je n'arrivais plus à nager mais ton papa m'a ramenée... » . Gênée, elle releva les yeux en direction du principal intéressé, ce disant que c'était le moment de le remercier. Mais celui ci était en grande conversation avec une inconnue. Sans doute une spectatrice de la noyade ratée. Elle n'insista pas, s'enroulant dans sa serviette, plutôt bouleversée. Elle avait failli perdre la vie à cause de son sale caractère, ça faisait réfléchir... « Ça va aller ? Tu veux rester ici ou tu veux rentrer peut être? » . Une fois de plus, ce fut la voix de Mitch Buchannon qui la tira de ses pensées philosophiques. Elle hocha la tête en réponse à la première question. Il n'y avait rien d'autre à faire. « Oui, j'aimerai bien rentrer si ça ne te gêne pas... Tu peux conduire ma voiture ? Je ne me sens pas vraiment en condition pour le faire ? » . Finalement, Austin n'allait pas à rentrer à pieds. Signe que la situation n'était pas vraiment normale, il ne la contraria pas et ils remballèrent leurs affaires promptement. Elle passa sa robe par dessus son maillot trempée, frissonnante. Elle avait l'impression que la température avait chuté de plusieurs degrés. Elle fit le trajet retour dans le silence, tandis que Charlie babillait à propos de la gentille dame qui l'avait surveillé. Austin l'attacha à l'arrière de la voiture tandis que Shiv prenait place sur le siège passager. Quand à son tour, il prit la place du conducteur, elle était décidée à sortir de son mutisme. « Pourquoi es tu venu m'aider ? » . Ce n'était pas accusateur, elle était vraiment perplexe. Elle avait toujours imaginé Austin comme le genre de mec qui doublait les petits vieux dans les salles d'attentes ou qui pouvait empoisonner toute sa famille en cuisinant avec des œufs pourris... Pas ce mec qui avait volé à son secours sans réfléchir et qui se montrait particulièrement attentionné maintenant. « Je veux dire... Je n'ai jamais été gentille avec toi. C'est même tout le contraire. Je te hurlais encore dessus quelques secondes avant... » . Elle évitait soigneusement de croiser son regard, espérant qu'il faisait de même. C'était plus facile de faire un peu amende honorable quand elle avait l'impression qu'il se concentrait sur la route. « Je ne comprends pas. » . Une phrase anodine mais c'est celle qui résumait le mieux à quel point, elle se sentait démunie par les évènements récents. Les choses ne marchaient pas comme ça dans le monde de Shioban O'brien.

Blanche neige retrouva l'usage de la parole. Ce qui était une bonne chose du moment qu'elle ne s'en prenait pas à moi. Elle n'avait pas l'air d'être en état de s'attaquer à moi de toute façon. Verbalement ou physiquement. Après m'être essuyé rapidement avec la serviette de la nanny de Charlie, je repris le chemin qui m'était destiné. Vers l'Irlandaise. « Ok, oui, pas de soucis, je peux conduire ». Je tentais de ne pas montrer ma joie face à la jeune femme. Je n'allais pas rentrer à pieds ; Bien que ce n'était pas dans mes projets, je ne pensais tout de même pas rentrer avec Shioban. Elle avait eut l'air catégorique tout à l'heure sur le fait qu'elle ne voulait plus avoir à faire à moi avant un long moment. Malheureusement – pour elle – les évènements prirent une tournure différente Je ne pouvais même pas me dire que j'en étais fier, j'avoue avoir eu une pointe de peur quand Shioban m'empêchait de respirer alors que j'essayais de la ramener sur le rivage.
Soit. C'était terminé. Nous prîmes le chemin de sa voiture après avoir récupéré les affaires sur le sable. Charlie ne semblait pas trop bouleversé par ce qu'il s'était passé. Il était simplement content d'avoir passé une après midi à la plage. Tant mieux.
Une fois tous installé dans la voiture, je réglais le siège à ma taille ainsi que les rétroviseurs. La voiture démarra et je pris la route pour arriver à nos appartements respectifs. Shioban brisa le silence. Je fronçais, ne comprenant pas vraiment là où elle voulait en venir.
« Euh... On est deux à ne pas comprendre alors… Pourquoi est-ce que j'aurais dû te laisser te noyer ? C'est pas parce qu'on s'est un peu chamaillé tout à l'heure que je voulais que tu te noies hein. »
Continuant à regarder la route, je réfléchissais à cette relation que nous entretenions depuis que la brunette avait emménagé en Australie. Ok, nous ne pouvions pas nous considérer comme des amis, au contraire, mais ce n'était toutefois pas une ennemie. Elle était… ma voisine. « Je sais qu'on n'est pas ami mais bon, c'est pas une raison pour être un con. Et puis, si ça peut te rassurer, on a qu'à dire que je serais même aller chercher mon pire ennemi. » rigolais-je. « Au pire, si tu ne saisis vraiment pas, on a qu'à dire que c'était ma façon de te payer pour ton baby-sitting de la soirée. Et de la journée aussi. » Jetant des coups d'oeil dans le rétroviseur, je remarquais que Charlie commençait à s'assoupir, la journée avait été épuisante, sans oublié le fait que je l'avais réveillé en pleine nuit quand j'étais rentré avec la blonde. « Aussi, je savais que j'allais pouvoir te ramener, ce n'était pas une mission suicide… » Oui, mes chevilles vont bien. « Pis ça m'a permis de récupérer le numéro d'une bombasse alors tout le monde est gagnant » Je m'esclaffais encore un peu, me moquant du fait que ma réplique pouvait être déplacée.
Nous arrivions enfin devant chez nous, le trajet n'était pas long. Bowen n'était pas une grande ville, ce n'était pas pour autant que j'avais eu envie de rentrer à pieds.
Je sortis de l'auto, prenant ensuite Charlie doucement dans mes bras pour ne pas le réveiller. Je regardais Shioban sortir à son tour, elle semblait encore un peu étourdie. « Ca va aller, tu n'as pas besoin que je te porte toi aussi ? » plaisantais-je en me dirigeant vers la porte d'entrée.

Austin avait accepté de conduire pour le retour. Shiv' était donc désormais assise à côté de lui, reposant mollement sur l'appui tête du siège passager de sa voiture. Une partie de son cerveau tentait toujours de se remettre du choc tandis qu'une autre se demandait si son voisin avait déjà dit non à quoi que ce soit. Honnêtement, elle se serait laissée sur la plage. Elle essaya d'ailleurs d'avoir des explications sur ce comportement de bon samaritain mais elle n'avait obtenues que des explications frustrantes. Enfin, au moins il avait la décence de lui donner des réponses. Elle, par contre, n'eut pas la décence de ne pas insister. « Je ne me serai pas noyée... Quelqu'un serait venu me chercher, la plage était bondée... Je ne pensais juste pas que ça serait toi. » . Sa pensée n'était guère cohérente et elle pressentait qu'elle s'égarait. Elle eut donc un geste de la main pour lui signifier de laisser tomber. « Non mais ne m'écoute pas. C'est les conventions, je ne les connais pas. Mais au fond, c'est logique, on ne laisse pas quelqu'un se noyer... » . Elle ferma les yeux quelques instants, se laissant aller. Ça faisait du bien de ne pas tout contrôler parfois. Le silence se prolongea tandis qu'elle se faisait la réflexion que s'il ne la prenait pas pour une sociopathe auparavant, c'était sans doute le cas maintenant. Et brusquement, ce la dérangea. Les paroles pourtant pleines d'humour d'Austin la firent réfléchir. Oui, ils n'étaient pas amis. Et c'était de sa faute à elle, puisqu'elle s'en était pris à ce gars gentil dès leur première rencontre, juste pour le plaisir. Puis il lui avait sauvé la vie et maintenant essayait encore de lui remonter le moral... Elle fit donc quelque chose qu'elle n'avait jamais fait. Ou du moins pas depuis longtemps. Elle fut gentille. « On pourrait l'être. Amis... » . Bon d'accord le volume de sa voix était plutôt bas mais elle l'avait dit. Elle craignait bien sûr la réponse. Déjà parce qu'elle n'avait jamais fait une telle proposition mais aussi parce que Austin avait tous les droits de la jeter. Toutefois, même s'il disait non, elle ne s'arrêterait pas là. Elle avait pris la décision d'être gentille et aussi nouveau que cela puisse être, elle ferait en sorte de racheter ses mauvaises actions auprès de son voisin. Elle était étrangement résolue. Cela donna donc lieu à une deuxième proposition quand ils arrivèrent au pied de leur immeuble. Tout commença avec une proposition sans doute pas sérieuse de Texas. « Non pas besoin de me porter. Je vais sans doute aller me coucher, je suis épuisée... Même si c'est toi qui a fait tout le boulot... » . Le plus dur allait venir. Elle regarda partout sauf en direction d'Austin et finit par se lancer. « En tout cas... Merci... pour tout. » . Elle fit un geste évasif de la main avant de poser cette dernière sur les boucles blondes de Charlie qui reposait dans les bras de son père. « Ma vie a sûrement un peu plus de valeur que quelques heures de baby sitting donc si par hasard tu voulais revoir la ''bombasse'', je serai ravie de garder Charlie. Tu peux passer à n'importe quelle heure pour me le laisser. Je travaille à la maison, donc je serai là. » . Elle lui emboîta le pas, le suivant dans cette cage d'escalier où elle lui avait tant de fois hurlé dessus. Finalement, tout cela n'était peut être qu'un rêve particulièrement étrange.

La situation était vraiment... différente. Shioban qui la plupart du temps était aussi froide que le carrelage de mes WC était à présent : gentille. C'était une première en la matière. Nous ne nous étions pas souvent parlé et il est vrai que nos quelques rencontres avaient un très net arrière goût amer pour ne pas dire agressif. J'étais plus que ravi de ce changement de situation. Pourtant, lorsque l'irlandaise proposa que l'on devienne amis, je ne savais plus où me mettre. Ce sont de ces moments ou j'aurais aimé m'en aller sans rien dire. Malheureusement j'étais au volant. Et comme tout homme l'aurait fait (ou peut-être pas) j'ai répondu à sa proposition franchement. Ça ne devait être un secret pour personne de son entourage, j'en avais la certitude, Shioban ne devait pas voir énormément d'amis ; Ce n'était pas un reproche; Elle ressemblait plus à la bully du collège qui enfermait des pauvres jeunes filles innocentes (qui par exemple pouvait s'appeler Marine) dans les toilettes pour une raison plus ou moins compréhensible.
« Euh... Elle est cool ta proposition. Le truc, c'est que j'ai jamais eu d'amie avec un "E". En fait, je crois pas savoir comment faire. » Ça, c'était de la franchise. Je n'avais en effet jamais eu de relation amicale avec une femme. Excepté ma soeur, mais c'était totalement différent, j'avais toujours joué le rôle de son protecteur. Les femmes, je m'en servais toujours pour autre chose. Comment agir avec une amie ? Est-ce qu'il faut rigoler quand cette dernière perd sa chaussure dans un manège ou alors faut-il l'aider à aller la rechercher? C'était bien trop compliquer.  « Mais... On pourrait essayer ouais. »
A présent, nous étions sur le perron de l'immeuble. Avec Charlie endormi dans mes bras, j'écoutais les remerciements de la jeune femme. « Et bien, de rien. Je ne vais pas dire que tout le plaisir fut pour moi parce que c'est vrai que les courants d'air qu'il y avait dans l'eau n'était pas très agréable mais, en tout cas, malgré cet incident, j'ai passé une bonne après midi, alors merci aussi à toi pour tout ce que tu as fais pour Charlie. » Je riais, le soleil avait sûrement dû trop me taper sur le système mais peut importe. Shiv et moi avions visiblement les mêmes projets pour la fin de journée. J'allais vite retrouver mon lit après avoir coucher Charlie et m'être douché pour me remettre de cette après midi riche en émotions.
« Haha merci pour ça aussi alors, je n'y manquerais pas. » J'avoue que cette nouvelle proposition, tout aussi inattendu que la première était la bienvenue. Je me réjouissais déjà à cette idée d'avoir une soirée de célibataire sans mioche.
Nous montâmes les escaliers ensembles et vint l'heure de se séparer pour rentrer dans nos appartements respectifs « Eh bien bonne fin de journée alors... Et euh... à bientôt, je suppose. »