Deal with it, my mum play with another team | Nicky & Uncle Coo

«Ah putain !», grommelais je simplement en me retournant dans mon petit canapé miteux. On pouvait même plus roupiller tranquillement dans le coin le plus perdu de l'Australie sans se faire emmerder par des types qui viennent tambouriner à ta porte comme des brutes, on vivait à une triste époque. Je me grattais les fesses, portant encore les habits dans lesquels je m'étais trimballé toute la journée d'hier, à savoir un tee-shirt blanc et sale arborant un logo à demi-effacé d'ACDC, mon sempiternel jean ouvert au genou droit et mes timberlands, que je n'avais pas pris la peine de retirer. Le visage callé contre un horrible coussin moisi orné de motifs fleuris, j'espérais juste qu'on allait pouvoir me laisser finir ma nuit peinard... Jusqu'à ce qu'une voix féminine se fasse entendre et ne me tire d'un bond hors de mon canapé. Débraillé, les cheveux en pétard et des grosses cernes sous les yeux, j'ouvrai rapidement une fenêtre pour aérer un peu la caravane qui empestait la bière et la clope avant de ramasser, en panique, quelques canettes vides et autres déchets pour les balancer à l'arrache dans les chiottes, juste pour cacher la misère et rendre l'endroit plus "accueillant". Juste avant d'ouvrir, mon nez vint renifler mes aisselles, ce qui m'arracha une grimace horrifiée. Pouah. Tant pis. La clef tourna dans la serrure et la porte s'ouvrit d'elle même, à cause de l'inclinaison du sol... Oui, mes conditions de vie étaient idéales.

Je faisais donc face à Nicky, une nièce. Plus précisément une fille d'une de mes demie-soeurs, issue d'un des nombreux mariages de mon père. C'était compliqué. Je l'accueillais avec une autre grimace, celle du mec agressé par les rayons du soleil. Je n'avais aucune idée de l'heure qu'il était et je venais tout juste de me réveiller. Je ne connaissais pas vraiment la sensation de gêne et je me foutais de ce qu'on pensait de moi, mais je devais reconnaître qu'on pouvait proposer mieux en guise d'accueil. La voix usée par d'interminables vocalises d'ivrogne, je l'invitai à entrer.

«Hey, salut Nicky... Rentre, rentre.»

Je plante le décor. Au sol : une moquette grise sommairement posée par terre, tachée par endroits et vraiment cradingue. Sur les murs de la caravane, couleur écru, on pouvait voir des drapeaux américains sudistes, symboles de l'armée confédérée de la guerre de secession menée par le General Lee, Posters de groupes de musique comme ACDC ou encore Lynyrd Skynyrd. A un endroit : un trou, que j'ai fait avec le poing pour m'amuser quand j'étais torché. Sur les quelques meubles dont je disposais, à par le canapé que j'ai présenté avant : un bordel monstrueux, des papiers, des paquets de clopes vides, des cendriers pleins, des mégots, des cassettes audios que j'écoutais avec un petit poste qui trônait de manière instable sur un monticule de merdier. Un vrai 5 étoile. Il y avait aussi une toute petite table ronde avec deux chaises et j'invitais Nicky à s'asseoir, soit là, soit sur mon canapé moisi. Au choix. J'ouvrais mon frigo, mais celui ci était blindé de bières, qui constituaient une sorte de bloc de telle sorte qu'on ne pouvait plus rien y mettre de plus.

«Euh... J't'aurais bien proposé quelque chose à boire mais j'ai que d'la bière...»

J'en sortais quand même une et la brandis dans sa direction avec un sourire avant de reprendre la parole.

«Ça f'sait un bail, hein ? Quoi de neuf, p'tiote ?»

Je tirais la chaise vers moi et m'installais face à ma nièce, assis à l'envers, le ventre contre le dossier. J'ouvris ma bière, qui moussa et se déversa un peu sur la moquette, mais cela ne déclencha aucune réaction chez moi, comme si c'était normal de vivre à ce point comme un crado. La pauvre devait avoir une drôle d'image de son oncle à cet instant... En tout cas, je n'aimais pas la voir tristounette, je supposais que si elle prenait la peine de venir me voir, moi qui ne suis pas vraiment le type le plus fiable du monde, c'était soit parce qu'un type lui cherchait des crosses, soit pour une affaire de famille. Pour le premier cas, bien que je ne sois pas particulièrement violent, je l'aurais fait pour elle, parce que quand on nait pauvre, comme moi, la meute protège ses membres. Pour le second cas, justement, ça allait être un peu plus compliqué. La branche "Cooder", et notamment les individus mâles, était connue dans le sud du pays pour leur excentricité et les unes de journaux insolites qu'ils collectionnaient. "L'Idiot du village se coince la tête dans un conduit d'aération pendant 8 heures avant d'appeller les secours", disait l'article me concernant, où on me voyait, couché par terre, la tête dans un conduit avec les pouces levés. Cet article était à la fois une de mes plus grandes fiertés et mon plus grand accomplissement dans la vie, avec ma resplendissante moustache.

- Je me sens mal... J’ai appris quelque chose, de… curieux. Non, bizarre… Voir dégeu. Genre… Genre… Genre, maman qui broute les minous. Tu vois ?

Et merde, c'était véritablement de famille dont il s'agissait. Inutile de préciser que je n'avais pas l'allure du conseiller familial, bien au contraire. J'étais plus apte à mettre la zone qu'à tout mettre en ordre, mon dépotoir en était la preuve. Je sifflais la moitié de ma canette en une traite avant de hausser les sourcils, un peu pris de court par cette annonce. Ma demi-soeur était lesbienne. Moi, perso, le peu de trucs que je savais des lesbiennes, je l'avais vu dans des magazines de fesses ou sur des chaines privées, mais j'imaginais que ça devait être un choc pour la fille qui apprenait ça de sa mère. Que dire dans ses moments là ? Lui parler du bon vieux temps et de la manière dont j'ai connu sa mère pour lui remonter le moral ? Je me frottais le menton de la main gauche, interloqué, lorsqu'une question me vint, une question dont je lui fit part immédiatement, au risque de passer pour une personne qui manque cruellement de tact (Donnie "fucking" Cooder ? Manquer de tact ? Bitch please).

«Mais... J'comprends pas. Tes parents sont séparés ? Comment tu l'as su ?»

Nicky en avait gros sur la patate, il suffisait d'écouter le ton de sa voix et de faire attention aux mots qu'elle choisissait pour parler de sa mère, une personne avec laquelle ma nièce semblait entretenir une relation plutôt instable. Personnellement, même si toute l'histoire que Nicky venait de me colporter restait de l'ordre de la nouveauté, je suppose que le fait d'avoir, pendant un temps, vécu sous le même toit que des Cooder a cramé les circuits de ma belle-soeur pour toute sa vie. Comme quoi j'étais bien heureux tout seul dans ma caravane. Je n'avais que pour révélations les moments où je décuitais assez pour me souvenir de ce que j'avais fait la nuit précédente, souvent, d'ailleurs, de grands exploits dont l'humanité devrait garder une trace quelque part, pour me décerner un Darwin Award et se prémunir de tout comportement stupide et nuisible. Bref, revenons en à nous moutons et à la bombe que lacha ma nièce : elle l'avait surprise à la maison. Dans l'acte, je suppose. J'affichais une grimace dégoutée, imaginant quelle mauvaise surprise cela devait être sur l'instant.

«Waaah ! J'aurais jamais pensé que... euh... Ton père sait ça ?»

Après tout, je ne savais rien des histoires de ma propre famille, j'avais besoin de plus d'informations pour comprendre la situation au mieux. J'aimais bien ma nièce, elle se prenait pas la tête et elle ME prenait pas la tête quant à mon mode de vie, alors si je pouvais l'aider à faire quoi que ce soit, je le ferai de bon coeur, peu importe ce qu'elle pourrait bien me demander. Je posais la question, mais d'un autre côté je me doutais un peu de la réponse à cause de sa phrase précédente, dans laquelle Nicky insinuait qu'ils jouaient un peu tous la comédie en donnant l'illusion de former une famille soudée de heureuse. De deux choses l'une : soit le père savait et acceptait la situation parce qu'il était aveuglé par ma belle-soeur, soit il n'en savait rien. Peu importe la situation, cela devait être difficile à intégrer pour la fille, qui ne devais pas avoir pour rôle de couvrir l'un ou l'autre. Je plongeais à nouveau ma moustache dans la bière et m'essuyais les lèvres d'un revers de la main avant d'envoyer un sourire de dépit à Nicky.

«'Faut croire qu'on connait jamais vraiment les gens, hein ?»

Dit il, le félon, avec 250.000 dollars planqués dans la caravane, avant de soupirer en secouant la tête, atterré. Chacun avait sa petite part de secrets, je ne dérogeais pas à la règle et, de toute évidence, ma belle-soeur non plus. Le tout, quand on dérape, c'est de contrôler assez la trajectoire pour éviter d'emmener les gens qu'on aime dans la chute. Ces pensées ne me ressemblent pas, n'est ce pas ? C'est parce que j'aime pas grand monde et mes dérapages n'impliquent que moi.

Boum, bam, pouf, Nicky me bombardait de révélations. Alors comme ça, non seulement ma belle-soeur était bisexuelle, mais ma nièce l'était également. Eh ben. C'est pas dans le Sud qu'on voit ce genre d'excentricités, j'vous l'dit. Malgré le fait que nous soyons au 21ème siècle, j'avais toujours du mal avec ce qui sortait de la norme sexuelle, bien que cela ne me dérangeait pas autant chez les femmes que chez les hommes. Quoi qu'il en soit, ça ne changeait rien, à priori, vis à vis de l'affection toute particulière dont bénéficiait ma nièce. Elle n'était de toute évidence pas venue ici dans l'optique d'être jugée et j'étais loin d'être le genre de mec à critiquer le mode de vie des autres. Le seul truc qui m'inquiétait, c'était l'espèce de marché de dupe qu'elle avait passé avec "la mère" dans le but de "protéger" le père, ce qui semblait être un vilain prétexte tout moche pour cacher le fait que les deux femmes de la maison se faisaient mutuellement chanter. La situation, je le comprenais maintenant, était délicate. Je ne réfléchissais pas souvent et j'essayais de mettre mon seul et unique neurone en action en le stimulant d'une dernière gorgée de bière avant de jeter la canette vide en direction de ma seule poubelle, cible que je manquais lamentablement. La canette rebondit sur la moquette et roula vers la porte, la faute à l'inclinaison du petit terrain que j'occupe, mais je n'y prête pas attention, comme si c'était normal de mettre les déchets par terre chez soi.

Je fis la moue, visiblement concentré sur la complexité de la situation que Nicky m'exposait. Les sourcils froncés, j'essayais de voir le problème sous tous les angles, mais une vie entière passée à se noyer le cerveau dans la bière et se mettre au tas toutes les trois minutes avaient irrémédiablement déglingué mon potentiel de réflexion et mes facultés cognitives. J'avais vraiment envie de la consoler ou de la rassurer, mais j'étais plutôt malhabile avec les sentiments et les états-d'âme : tout ça c'est un "truc de pédales" selon la philosophie ancestrale des Cooder.

« Ouais, j'imagine que c'est pas l'genre d'nouvelle qui t'met de bonne humeur l'matin.»

Je préférais m'abstenir de faire un commentaire sur son "coming-out", non pas parce que cela ne m'intéressait pas, mais parce que c'était son choix, tout comme Nicky se passait de commenter ma porcherie ou mon fonctionnement. Elle faisait maintenant partie des marginaux, j'aurai dû lui offrir une bricole, pour fêter ça. Fidèle à moi même, j'essayais de prendre les choses à la rigolade, décontracté au possible, même si au fond je m'inquiétais un peu pour elle.

«Sérieusement. Tu vas faire quoi ? C'est pas vraiment un plan qui va marcher longtemps et satisfaire tout l'monde, hein.»

Comment pouvais-je lui reprocher de faire l'autruche quand ma philosophie de vie était d'éviter toute forme de contrainte ? Me voiler la face, c'était ce que je faisais de mieux alors il n'y avait rien que je ne pouvais dire pour changer le point de vue de Nicky, malgré ma petite tentative infructueuse. Son père, je ne le connaissais pas, je n'essayais pas d'arranger des choses pour le protéger lui, mais bel et bien pour ma nièce, ce qui me restait de famille proche depuis que ma femme avait mit les bouts et que papa était en cabane. - Et toi, tonton, tu dis rien? Toujours pas décidé à me trouver une nouvelle tata?

Nicky changea de sujet et laissa échapper un petit rire. De mon côté, l'idée de lui dénicher une nouvelle tata me fit avaler la fumée de ma clope par le trou du dimanche et je pétaradais comme une vieille motocyclette, toussant ce qu'il me restait de poumons. C'est pas que la vie de couple ne me manquait pas, c'est plutôt que toutes les relations que j'ai eu avec des femmes ne pouvaient décemment pas s'inscrire dans la catégorie "relation amoureuses"... Relations désastreuses serait déjà plus valable. Je haussais un sourcil, une fois ma quinte de toux enrayée, histoire de repenser aux femmes qui ont partagé ma vie. Je pourrai les compter sur les doigts d'une main, vu que je n'étais pas très populaire, enfin, si on excluait les prostituées de l'équation. Il y avait eu Pam, quand j'avais 15 ans, qui m'avait giflé après que j'ai essayé de la regarder se changer par la lucarne des vestiaires des filles après une après midi passée ensemble. La seconde, c'était Jane, une fille qui aimait les bad-boys, mais qui est partie en courant après que j'ai montré mon cul à une voiture de police. La troisième, c'était pas vraiment une histoire durable, c'était la mère d'un pote qui appréciait mon style américain avec ma moustache duveteuse. La quatrième se nommait Sarah, elle s'est faite passée pour morte afin de me quitter sans trop se prendre la tête. La dernière, c'était bien entendu mon ex-femme, Sandy, qui m'avait mené la vie dure pendant presque 10 ans. Les anecdotes étaient si nombreuses que toute une journée ne suffirait pas. Disons simplement qu'elle aimait autant picoler que moi, et que si j'avais l'alcool stupide, elle l'avait violent et m'avait déjà poignardé deux fois, elle avait tenté de m'immoler, de me noyer dans la cuvette des toilettes et de me couper les cheveux avec une débroussailleuse. Elle était beaucoup plus forte que moi physiquement.

Revenons à nos moutons. Je lâchais un soupir, finalement, j'étais pas malheureux en éternel divorcé. J'avais même pris soin d'encadrer les papiers de divorce, mais je n'avais jamais pensé à les mettre au mur. J'envoyais un petit sourire à ma nièce.

« Bah, si un jour j'arrive à en trouver une qui essaye pas constamment d'm'émasculer ou d'me rouler dessus avec sa voiture, j'te la présenterai, promis. Ou si tu connais quelqu'un qui rentre dans mes critères, fais moi signe... J'suis pas spécialement exigeant... J'ai pas trop de quoi l'être.» Lâchais je en passant la main dans ma chevelure désordonnée et grasse avant de hausser les épaules, comme si tout ça n'avait jamais rimé à rien pour moi. C'était sans importance. Je changeais également de sujet en retournant la question à Nicky, malgré ses révélations chocs sur sa sexualité.

« Et t'es toujours avec l'autre, là ? ...Arf, j'ai paumé son nom, aide moi.»

Me faire des omelettes et manger des oreos avec du beurre de cacahuète ? C'était un programme plutôt sympa, mis à part que je sais pas si j'arriverai à un jour avoir des rapports aussi simples avec une femme... Voir même avec n'importe qui. Ma propre mère préfèrerai ne pas s'occuper de moi ou de mon père, ce dernier, avec mes oncles, passait son temps au bar. Mon ex-femme semblait également plus avec moi par dépit qu'autre chose, j'ai même jamais vraiment compris ce qu'elle faisait là, mais bon, j'ai pas vraiment posé la question. Le problème avec mon mode de vie, c'est que très très peu de monde est capable d'intégrer que je suis pleinement satisfait de cette manière, loin d'un bureau merdique, d'un patron con et chiant et de l'hypocrisie générale. Oh, je n'avais pas forcément tout le confort que les gens de maintenant considèrent indispensable, mais je bénéficiais d'une liberté à laquelle ils ne peuvent pas prétendre dans leur petit esprit étriqué. Le vrai luxe dans l'existence, c'est pas l'argent : c'est le temps... Forcément, c'est vachement plus facile à dire avec 250 000 balles dans un coin, mais j'ai vécu la majeure partie de la vie totalement fauché, au point de m'être déjà lavé tôt le matin, à poil, dans la pelouse d'un mec pété de thunes, avec son système d'arrosage automatique. Aaaaah, le bon vieux temps. Quoi qu'il en soit, je n'avais pas honte de mon mode de vie, c'était au contraire ma seule fierté.

- Non, je ne suis plus avec Sam. Maintenant je suis avec Adriel. C’est un médecin.

A nouveau, mon visage afficha un air interrogateur. Difficile de suivre le mouvement avec Nicky, 'faut dire qu'elle avait de quoi faire tourner la tête de nombreux jeunes hommes, peu importe l'endroit où elle allait. Je préférai pas demander ce qu'il s'était passé avec Sam, je savais que si c'était une affaire pas claire, elle serait venue me voir pour m'en parler. Au moins, c'était une fille qui avait le choix, et elle ne se privait pas de mettre la main (au sens figuré, ou pas) sur des médecins. Tout homme cultivationné et diplômé qu'il était, il avait plutôt intérêt à se comporter en gentleman avec ma nièce, s'il ne souhaitait pas subitement rencontrer la branche criminelle de la famille. Je me demandais d'ailleurs si Nicky mentionnait mon existence à ces conquêtes, pour les faire flipper ou pour s'amuser... Probablement pas. Elle devait sûrement avoir mieux à faire. Je hochais lentement la tête en tirant une latte, les yeux clos, avant de reprendre la parole, amusé.

« Un médecin, hein ? C'est cool, t'pourras lui d'mander d'te soigner, comme ça.» lâchais-je en tapotant mon index sur ma tempe en faisant une grimace semblable aux têtes de ces gamins dégénérés qu'on pouvait voir, parfois, à la télé, insinuant que Nicky était complètement folle... Enfin, je l'insinuait pas, elle avait effectivement ce tempérament assez particulier qui faisait d'elle une personne très agréable quand on la connaissait. Blagues à part, même si j'aimais bien la charier de temps à autres, j'aimais aussi savoir que ma nièce était en sécurité et heureuse. « J'espère que cet "Adrimachin" te traite bien... Tu m'le dirais, hein, si c'était pas l'cas ?»