Better Late Than Never (Ainhoa)

Aïnhoa avait attaché ses longues tresses en un chignon haut et imposant, la chaleur de l'été australien ayant raison de ses mèches ébène balayant son dos. Elle était venue à pied jusqu'à l'école pour récupérer Laël, depuis le Delirium, profitant des rayons de soleil réchauffant son visage tacheté et remplissant son âme d'énergie. Parfois, elle venait en moto, mais il commençait à faire trop chaud que pour qu'elle ne décide d'enfiler ses couches et son blouson en cuir, juste pour des petits trajets en ville. Certes, ça prenait plus de temps à pied, il fallait passer d'un quartier à l'autre, mais c'était totalement faisable, et flâner dans les rues de Bowen avec son fils était toujours un bon moment. Même quand c'était Judas qui venait le récupérer de temps en temps, Aino faisait parfois la route avec eux, juste pour le plaisir. Ou même avec April, quand elle avait envie de voir son neveu préféré. Arrivée aux portes de l'école primaire, la jeune maman repéra son rejeton plus loin dans la cour de récré, occupé à jouer avec les rares gamins qui étaient encore là. L'heure de pointe était passée, la plupart des parents étaient arrivés pile à la sonnerie de fin d'école et avaient embarqué leur progéniture en deux temps trois mouvements, sans doute pressés dans leur timing, avec un programme serré, courses, cuisiner, aider aux devoir, manger, laver, mettre au lit. Aïnhoa avait tendance à être plus relax quand elle n'avait rien de prévu, pas un petit concert à donner au bar du coin, ou une manifestation à préparer, ou si elle ne devait pas retourner aider au Delirium. Elle fit un signe de la main à Laël, attendant patiemment qu'il la remarque au bout de quelques secondes. Quelques minutes plus tard, il rejoignait sa mère, accompagné d'une petite fille, qui semblait un poil plus jeune. « Salut mon grand. » salua-t-elle l'amour de sa vie en embrassant ses boucles brunes. Elle se tourna ensuite vers son amie. « Bonjour, je suis Aïnhoa, la maman de Laël ! C'est quoi ton petit nom ? » demanda-t-elle avec ce ton enjoué et à l'aise qu'elle savait prendre, témoignant de son jeune âge aussi, comparé à la plupart des autres parents d'un gamin de 10 ans, presque 11. La gamine se présenta, Shivani, c'était joli comme prénom. Laël se lança dans des explications de comment ils jouaient ensemble dans la cour de récré ou mangeaient parfois ensemble à la cantine, et tous deux s'enthousiasmèrent à raconter leurs petits moments espiègles. Quand la couturière jeta un regard autour d'elle, et à l'heure sur son téléphone, elle s'aperçut qu'il n'y avait quasiment plus de parents présents et qu'il commençait à se faire tard. Les parents de la petite n'allaient sûrement pas tarder, mais elle préférait rester là, et puis, les deux enfants semblaient bien contents de prolonger leur séance de jeux. Ce fut quelques minutes plus tard encore, qu'une voix masculine l'interpella, et qu'elle se retourna avec un grand sourire jovial. « Le boulot n'est jamais clément avec les jeunes parents, hein ? » commenta-t-elle avec un air complice. Ça arrivait à chaque parent, d'être en retard pour récupérer son gamin. Elle avait des anecdotes bien pires. Heureusement, en cas d'urgence, elle pouvait toujours compter sur Judas ou April pour l'aider avec Laël. « Enchantée, Karthik, je suis Aïnhoa, la maman de Laël. Je crois qu'ils ne sont pas dans la même classe, mais ils ont l'air d'avoir bien sympathisé ! » lança la brunette en reposant son regard sur les deux canailles de service.

Pour être honnête, la jeune Belgo-Sénégalaise n’avait aucune idée de l’âge qu’avait le géniteur de la petite Shivani, il était plus vieux qu’elle pour sûr, comme la grande majorité des autres parents. Tout le monde n’avait pas eu un bébé à dix-neuf ans. En tous les cas, les traits de son interlocuteur ne lui donnaient pas plus de quarante ans, selon Aïnhoa. Après qu’elle ait lancé un commentaire déculpabilisant, quelque chose au sujet des horaires de travail et du rythme des parents qui n’allaient pas souvent de pair, bien malgré eux, le nouveau venu l’informa qu’ils venaient d’arriver en Australie. C’était donc pour ça, que la brune n’avait pas le souvenir d’avoir déjà vu Shivani, et que son fils ne l’avait pas encore mentionnée. « Je vois. Bienvenue à Bowen, dans ce cas. J’espère qu’à part les horaires de travail, la ville vous traite bien. » poursuivit-elle avec un sourire compatissant. Elle comprenait bien que déménager toute sa famille – alors qu’il mentionnait un deuxième enfant – et les inscrire dans une nouvelle école, et commencer un nouveau boulot, c’était forcément compliqué dans les premières semaines, voir mois, pour que chacun y trouve son rythme et que ce dernier soit compatible avec celui des autres. « Il a dix ans, oui. Je vois pourquoi ils ont bien accroché, alors ! Enfin, en espérant que Laël ne vienne pas réclamer une petite sœur par la suite ! » plaisanta Aino alors que Karthik précisait l’âge de sa petite fille. Les deux enfants semblaient déjà avoir complètement oublié la présence d’adultes. Son fils avait toujours été doué avec les autres enfants, liant assez facilement des amitiés et n’hésitant pas à se lier avec des enfants d’âge différents, voir à protéger les plus jeunes. Comme sa mère, il supportait très mal l’injustice. Et n’hésitait pas à prendre position face à elle. Aïnhoa espérait que ça lui donne suffisamment l’impression d’être entouré, des amis pouvant aisément faire office de fratrie, car elle n’avait pas la moindre intention de pondre un autre bébé. Si Laël était la prunelle de ses yeux, il n’avait malheureusement pas été le résultat d’un choix. « Quel âge a votre plus grand ? » s’intéressa la jeune mère avec un sourire. Elle n’était jamais contre rencontrer les autres parents de l’école et faire un brin de conversation. Karthik expliqua ensuite la situation de Shivani, ce à quoi la couturière répondit par une expression indiquant qu’elle n'avait elle non plus, aucune idée de comment cela se passait pour les arrivées en cours d’année. « Je ne peux pas vous aider… Mais ça me paraît important à savoir, ils n’ont proposé aucune heure de rendez-vous qui vous irait ? » Il n’y avait absolument aucun jugement dans le ton d’Aïnhoa. Elle n’avait encore aucun réel indice sur le type de parentalité exercée par le père, mais elle entendait en tout cas que les choses devaient être désordonnées avec une arrivée si récente sur le territoire, et il ne savait certainement pas où donner de la tête avec tous les ajustements à faire.