i feel small but so are stars from a distance. (ramsay)

i feel small but so are stars from a distance

Piqué, pas de boulé, première arabesque. La musique classique enrobant chacun de ses mouvements, elle les finissait avec précision et retenue, se laissant aller à la grâce du ballet, tout en laissant noter l'énergie qui pulsait de ses transitions. Elle avait le studio pour elle toute seule, puisqu'elle était restée après le dernier cours de la soirée, juste pour que ses muscles retrouvent leurs habitudes. Charlie venait seulement de revenir à Bowen et son corps avait eu le temps de mettre de côté les pas de danse, le temps de son stage en obstétrique à Brisbane. Ca n'avait été l'histoire que de quelques mois, qui avaient filés aussi vite que le vent, mais la jeune Australienne voulait tout de même remettre son corps et son esprit dans leurs habitudes maintenant qu'elle était rentrée. C'était passé si vite qu'on avait à peine dû remarquer son absence, mais elle, elle avait senti le besoin impérieux de retourner danser, et le manque qui courait dans ses jambes, ses pieds, ses bras, ses hanches. Elle était donc restée un peu plus tard, elle qui était une grande habituée de ces couloirs, depuis au moins plus de dix ans maintenant, c'était le genre de choses qu'on lui laissait passer, un peu comme une VIP des lieux. Il fallait dire que l'école de danse, c'était un de ses chez-soi, au même titre que l'hôpital, ou que Bowen en général. Elle connaissait quasiment tout le monde, les professeurs, les autres personnes avec qui elle dansait, mais aussi les élèves plus jeunes, les parents d'élèves - pour qui elle avait parfois fait du baby-sitting auparavant, ou qu'elle avait croisé à l'hôpital -, et même le directeur de l'école, qu'elle voyait plus comme un ami qu'un directeur. Charlie avait donc profité de ces petits bénéfices à être native de Bowen et presque du studio de danse, pour se faire une petite séance privée dans la salle, et même, se commander des sushis pour après la séance. Ça avait intérêt à la nourrir jusque dans les orteils, qui avaient bien souffert, enfermé dans les pointes. Il devait être près de huit heures et demie du soir quand le ventre de la danseuse se mit à gargouiller furieusement, et toujours pas de plateau de sushis XL en vue. Sortant de la salle, puis dans la cour avant à la recherche d'un Uber Eats perdu, c'est sûr Ramsay que tomba la jeune femme. « Oh, hey ! T'es encore là ? Je pensais que j'étais la dernière gardienne de la maison, ce soir. Anyway, t'as pas vu mes sushis ? »

@ramsay lockwood

Les yeux rivés sur l'écran de l'ordinateur de mon bureau, j'suis au maximum de ma concentration. J'dois boucler un dossier de demande de finances, le genre de truc qui me demande un effort colossal parce qu'autant j'aime organiser les cours, j'aime passer du temps avec les professeurs, voir tout ce p'tit monde fonctionner ensemble, autant le côté administratif, c'est un peu compliqué. Faut dire que l'ancien directeur avait tout laissé en foutoir. (Comment ça, quatre ans après, cette excuse n'est plus valable?) Ouais ok, j'aurais p'tete pu mettre de l'ordre dans les papiers, toujours est-il que pour boucler mon dossier et envoyer la demande, il me manque un papier. Un tout petit bout de putain de papier. Et j'le trouve pas. Et ça me met sur les nerfs. J'suis pas le mec le plus patient et quand ça roule pas comme je veux, ça m'agace profondément. Alors j'retourne mon bureau, j'ouvre des tiroirs randoms à la recherche de ce document, et j'mets pas la main dessus. Plus j'y pense et moins j'ai l'impression de l'avoir eu. C'est un document de la banque. Alors ouais, il est tard mais comme l'école c'est une structure publique, j'peux techniquement joindre quelqu'un. Alors j'me retrouve à faire les cents pas dans la cour de l'école, en train d'essayer d'avoir quelqu'un en ligne. Et ça marche pas. Bordel, toutes les planètes sont alignées là, pour me faire chier. J'finis par raccrocher au nez de la voix robotique du service client et je m'apprête à retourner dans mon bureau chercher un papier qui n'existe pas quand j'vois Charlie sortir de l'école. Charlie, elle pourrait faire partir des murs  que ça m'étonnerait même pas. Depuis aussi longtemps que j'étais là, elle était là aussi, très probablement avant moi d'ailleurs. Mais ouais, Charlie, c'était pas rare qu'elle traîne à l'école de danse avec un accès total. J'lui faisais une confiance aveugle, et ça m'étonnait pas tellement de la voir là ce soir. "Hé salut toi!" que j'dis avec un p'tit sourire un peu crispé. C'est pas elle qui me crispe, c'est la banque. Comment ça j'suis en boucle avec cette histoire? "Ouais, j'dois régler un truc administratif." que j'dis en soupirant tout en remettant ma casquette en place. Charlie, elle, elle cherche des sushis. J'plisse un peu des yeux avec le sourire et j'la regarde amusée. "Pas de sushis en vu. Toi t'aurais pas vu le bilan comptable de 2019 de l'école par hasard?" On cherchait vraiment pas la même chose et là clairement, j'aurais préféré être à sa place. Au loin, j'vois un gars qui a l'air un peu perdu arriver vers nous. J'le désigne d'un geste de la tête. "Il vient pour toi ou pour moi, tu crois?" Ca m'amuse un peu mais dans le fond, j'suis toujours en train de bien bouillir. Va falloir que j'arrive à me détendre, c'est pas un truc que j'sais faire facilement, mais l'idée c'est pas non plus de passer pour le directeur chiant et rageux. Cela dit, Charlie, elle me connait déjà pas mal, alors j'sais pas trop si ça sert à quelque chose d'lui cacher cette part de moi.

@Charlie S. Meers

Elle était toujours contente de croiser Ramsay, malgré son air trop sérieux parfois. Et comme avec beaucoup de gens, elle prenait plaisir à tout mettre en œuvre pour les dérider, même si ça ne lui demandait jamais vraiment d’effort, à Charlie. Elle était comme du gaz hilarant en bouteille humaine. Ou c’était en tout cas comme ça qu’elle se voyait. C’était peut-être donner beaucoup de crédit à son humour douteux, mais bref, personne n’aurait pu nier qu’elle jouait le rôle de rayon de soleil à la perfection. Le directeur la salua, la voix faussement décontractée, les traits un peu tendus. Voilà une mission pour Charlie Meers. Le garçon s’expliqua, un truc d’admin. Sans blague, y avait rien de plus chiant. Même si dans le fond, l’Australienne elle aimait bien organiser les papiers, elle était plutôt efficace pour ce genre de choses, bien qu’elle puisse être bordélique sur bien d’autres points. Quand le garçon lui demanda si elle n’avait pas vu un bilan comptable quelque part, elle mit sa main en visière, faisant mine de le rechercher au loin. « Non, mais si je le croise, je lui dis de venir te faire un rapport immédiatement. » répondit-elle après son petit manège. En insistant sur le mot rapport. Bilan, rapport, vous voyez ? Oui, on en parlait, de l’humour à revoir. Gloussant à sa propre blague – oui, de mieux en mieux -, le visage de la brunette se tourna vers le gars désigné par Ramsay, qui semblait ne pas trop savoir où aller. Les traits de la jeune médecin s’illuminèrent alors qu’elle s’avançait vers lui. « J’te parie une bière c’est mes sushis. » souffla-t-elle juste avant de sautiller en direction du livreur. Bingo. Le pauvre, il comprenait pas trop pourquoi il se retrouvait à livrer de la nourriture dans un studio de danse. Charlie lui laissa un petit pourboire, avant de revenir vers le brun, son visage rayonnant comme un jour de Noël, chargée du plateau de sushis XL. Oui, elle n’était jamais mesurée quand il s’agissait de nourriture, et risquait l’indigestion une fois sur deux. « Allez, détends ton slip et viens partager des sushis, Ramy. » lança la brunette en lui adressant un clin d’œil. Petite tornade de bonne humeur inarrêtable, elle était aussi enthousiasmante qu’usante.

Charlie, elle faisait partie des murs de l'école. Elle était connue comme le loup blanc et il faut dire qu'elle n'était pas des plus discrète. C'était un p'tit condensé de bonne humeur. Comme si jamais rien ne l'atteignait. Comme si le bonheur ruisselait constamment dans ses veines. Wo. Epuisant et remarque à la fois. Moi, j'étais pour le coup beaucoup moins démonstratif. Beaucoup plus en mesure. Mais j'étais jamais contre le fait de l'avoir dans mon espace. Là, j'suis un peu chafouin, parce qu'un truc m'agace et que j'perds le contrôle. Et ça me tend. Cela dit, j'suis pas non plus un gars désagréable, alors j'lâche un p'tit rire en voyant Charlie faire tout son p'tit numéro en parlant du bilan comptable. "Ouais faisons comme ça, c'est une chic idée." que j'dis toujours le sourire aux lèvres. Et puis finalement, un livreur arrive, très probablement avec les sushis de Charlie. Moi j'ai fourré mes mains dans les poches de mon jogging et j'la regarde virevolter jusqu'au gars. "Pari tenu." que j'lui dis, bah ouais, une bière, c'est jamais de refus. D'autant plus que là, j'le mérite bien, pour redescendre en pression. L'alcool, généralement, c'est pas une habitude, j'suis plus du genre weed, elle le sait Charlie, ça nous ait déjà arrivé d'ailleurs de fumer ensemble. J'suis v'la un directeur cool en fait. Charlie revient avec un plateau de sushis plus grand que sa tête, et j'écarquille les yeux. Elle me prend de cours et je hausse les épaules. "Mais j'suis parfaitement détendu. Ca se voit non?" que j'dis avec un p'tit sourire et finalement on reprend le chemin du hall de l'école. "Si j'accepte, c'est juste que j'veux pas que tu finisses malade en mangeant cette centaine de sushis toute seule, tu vois." J'lui tiens la porte et on s'engouffre à l'intérieur. "On s'met où tu veux pour manger, mais j't'en supplie, pas mon bureau. J'en peux plus de cet endroit." J'étais sérieux, qu'à moitié, mais sérieux quand même. J'étais pas le gars le plus stable de l'univers, et encore moins quand un truc pouvait m'agacer. J'avais passé plusieurs heures dans mon bureau et je sentais que mon capital sérénité avait été pas mal endommagé. - si tant est que je possède ce genre de capital.