dirty dozen, meet my wrath (ivanwë)

La veille, au soir, Isaiah était resté estomaqué devant une nouvelle. L’une des compagnies de la Dirty Dozen, soit les douze compagnies les plus polluantes établies en Australie, cherchant à étendre ses activités, sur le territoire du Queensland et non loin de Bowen. Le pire là-dedans était que ce projet risquait d’être endossé et financé pour une partie par le gouvernement, qui y voyait d’l’argent, du potentiel, des jobs à créer, tout ça. Ça avait fait le buzz dans les médias, et si Isaiah avait eu un compte sur un quelconque réseau social, il aurait vu que c’était encore plus grand qu’il ne le pensait, comme mouvement. Ce n’est que le lendemain matin, à son réveil, qu’Aisling lui apprit qu’une grosse manifestation s’était préparée en quelques heures cette nuit, et qu’elle aurait lieu aujourd’hui même, à onze heures, sur la place de la ville à Bowen. Évidemment qu’il irait ! Les filles étaient à la garderie et Aisling avait déjà un engagement ailleurs, pour ses études, mais Isaiah n’était pas du genre à être rebuté par l’idée d’y aller seul. Puis, sur son chemin vers la manifestation, quelques heures plus tard, il était de toute façon passé tout près de chez Ivanwë, et l’idée d’aller le chercher pour la manifestation s’était rapidement frayée son chemin. Ils s’étaient rencontrés dans ce contexte de militantisme écologique là, de toute façon. Peut-être même qu’Ivanwë était déjà parti rejoindre le mouvement. Isaiah se présenta à son logement, toqua vivement à la porte, et quand le jeune homme lui ouvrit, il lança. « Salut ! T’es au courant pour la manif’ contre BHP ? Tu viens ? » Il reculait déjà de deux pas, prêt à filer, Isaiah, comme s’il lui laissait pas trop le choix de toute façon. Comme s’il était déjà convaincu qu’Ivanwë avait clearé tout son horaire de la journée pour l’accompagner.

Cette manifestation, bien sûr, qu’il en avait entendu parler le belge fraîchement débarqué à Bowen ! Il avait bien l’intention de s’y rendre ! Enfin, ça, c’était ce qu’il avait décrété la veille. Il avait passé plusieurs heures de la nuit sur les réseaux sociaux à débattre du sujet alors qu’il ne connaissait strictement rien de cette compagnie, mais il s’en fiche, ce sont les ennemis ! Finalement, tous les pollueurs se ressemblent, non ? Ivan avait dormi depuis, il s’était douché et avait pris un petit déjeuner copieux et tardif.  Puis le voilà rendu à déchiffrer quelques vieux plans qu’il avait lui même griffonnés il y a bien longtemps. Voila qui était bien inspirant, des notes de lui même ! Il faisait des petits bonds sur son siège tant il trouvait cela excellent !

Lorsque l’on frappa contre la porte de son hangar-loft, le brun se précipite vers cette dernière. “ Hé ! Salut ! “ C’est tellement étrange pour lui, d’avoir un visage familier et bienveillant à son égard. Ils se connaissent peu, mais assez pour qu’Ivan se donne l’impression de peut-être finalement, pouvoir réussir à se faire des amis. Qui sait. Tout peut arriver, un jour… Recommencer à zéro, une nouvelle vie, une seconde chance. Évidemment, il se demandait fréquemment combien de temps il mettrait pour tout gâcher, tôt ou tard.

“ BHP ? “ Qu’il repète sans vraiment capter, passant sa main dans sa tignasse redressée sur son crâne bien trop encombré d’idées. Manif, BHP… MAIS OUI  ! “ Nom d’un chien oui ! C’est déjà commencé ? “ Ivan laisse tout en plan pour sortir de chez lui, mais le contact d’un petit gravier sur sa plante de pied le fit grimacer. “ Chaussures. “ Pas le temps pour faire des phrases, hein ? Il laisse la porte grande ouverte, à part les secrets de son génie, il n’y a rien à voler ici ! Il n’y a pas à se tromper, le Belge ne dispose que de trois paires de chaussures. Une pour aller à la plage, une paire de sneakers confortables et tout terrain, et une paire de chaussures montantes et robustes pour ce genre de choses ! Il les enfile en sautant à cloche pieds, because flemme de refaire les lacets. “ Elles ont rétréci au lavage ou quoi ?! “ Pestait-il en français avant de parvenir à faufiler son pied jusqu’à la semelle. “ On a parti maintenant mon pote ! “ Reprit-il en anglais, se plantant lamentablement en conjugaison. “ Mais dis moi, votre maire est plutôt de quel bord politique ? Libéral ? Ecolo ? Euh... Communiste ? Ou il se la joue du centre, les pires politiciens sans doute ceux là, si tu veux mon avis ! Parce que justement eux, ils n'en ont aucun d'avis dans l'fond... “ Voila qu’il pourrait bien germer dans cette tête folle l’idée saugrenue d’un jour devenir… Maire.

De la surprise mêlée à de la joie se percevait sur le visage d’Ivanwë quand il ouvrit la porte et reconnut Isaiah. C’est que le duo ne se connaissait pas depuis bien longtemps, un mois tout au plus, étant donné que le belge était arrivé le mois dernier. Il s’était visiblement rapidement senti impliqué dans les luttes environnementales australiennes, puisqu’à peine débarqué en sol australien, il avait fait la rencontre d’Isaiah, dans ce contexte-là même. Après cette première manifestation, ils étaient rentrés à pieds ensemble, d’où le fait que l’ébéniste savait où le jeune homme habitait. C’était cependant la première fois qu’il débarquait ici, à l’improviste en plus, ce qui expliquait sans doute la surprise d’Ivanwë. « Mais oui, BHP, la compagnie minière ! T’as pas entendu la nouvelle ? » Mais là, son ami militant sembla capter de quoi il parlait. « J’pense que oui ! Aisling m’a dit que ça débutait à dix heures, il est dix heures et quart ! » En même temps, ce n’était pas si grave qu’ils soient en retard de si peu de temps. Si cela avait à avoir une couverture médiatique, il espérait que les discours et le scandage de slogans durerait un peu plus longtemps que ça. Un rire s’échappa des lèvres d’Isaiah alors que l’homme sortait pieds nus, avant de se rappeler qu’il n’avait pas de chaussures. Le côté parfois tête-en-l’air d’Ivanwë lui plaisait bien, à Isaiah. Pour ne pas laisser les mouches rentrer ou autre, Isaiah se faufila dans le logement pour attendre que son camarade enfile ses souliers. Il ne comprit absolument rien à ce qu’il sembla pester en français. Il avait laissé la porte légèrement entrouverte, comme ça, dès qu’Ivanwë mentionna être prêt à partir - dans un anglais approximatif -, il la rouvrit dans son élan et s’engouffra à l’extérieur. « Il se la joue centre, j’ai l’impression qu’il suit davantage l’opinion populaire, juste pour que la grande majorité l’aime, tout le temps, et s’assurer de rester en position. Tu savais que ça fera douze ans qu’il est le maire de la ville et que personne ne se présente contre lui ? » Souleva Isaiah, lui qui était à Bowen depuis treize ans, et qui n’avait donc connu que la fin du règne de l’ancien maire, qui avait pris sa retraite et qui était aujourd’hui décédé. « Bon, en même temps, ça peut jouer en notre faveur aujourd’hui, si on est suffisamment de monde à refuser ce projet d’implantation … » Releva-t-il ensuite, marchant sur le trottoir en direction de la place de la ville.