snow on the beach ⠂isaiah

snow on the beach ⠂isaiah

Elle ne savait plus trop quelle heure il était, ni même quel jour il pouvait bien être. Entre les longues heures de vol et le décalage horaire, c'est comme si les journées s'étaient envolées. Sur la plage, ses petits orteils recroquevillés dans le sable ne pouvaient l'empêcher de sourire. Le frigo du petit appartement ne contenait que quelques yogourts et un pomme, une boîte de craquelins au fromage sur le comptoir. Les petits poissons, ses préférés. Leurs valises encore pleines à craquer - comme son coeur, sur le point d'exploser de bonheur. Ezekielle avait eu si hâte de lui faire découvrir la plage de Bowen, elle s'en était fait mission d'y amener Billie dès leur arrivée. « Maman ! », lança-t-elle de sa petite voix aiguë en pointant un oiseau marchant tout près d'elle. Billie se laissait émerveillée par les plus petites choses, tout comme sa mère. Bien qu'elles aient vécu autant aux États-Unis qu'en Argentine au cours des dernières années, la jeune femme avait retrouvé ce sentiment d'être à la maison. Tant de souvenirs lui remontaient en tête : les fêtes de fin d'année, la fête de la mangue et ses défis, les feux d'artifices sur la plage. Billie grandirait dans le meilleur des mondes, elle se l'était promis, et ce monde, c'était peut-être ici.

Depuis qu’il était père, Isaiah raffolait des journées père-fille. Ces moments-là arrivaient quand même assez souvent, puisqu’Aisling avait souvent beaucoup de travail à faire en lien avec ses recherches en zoologie. Il laissait alors sa copine travailler dans le calme et le silence à la maison, et partait avec Harper à la découverte des petits bonheurs qui parsemaient la ville. Siobhan était à l’école et Isaiah avait pu terminer un contrat d’ébénisterie tard hier soir, lui dégageant sa journée. Aujourd’hui, c’est la plage qui figurait au plan de la journée. Bon, plan, c’était un bien grand mot. Isaiah ne faisait jamais vraiment de plan. C’est cependant là que ses coups de pédale les avaient emmenés, Harper et lui. Il sécurisa son vélo sur un poteau, sa remorque de vélo derrière, et prit sa fille dans ses bras pour la sortir de la remorque. Il l’emmena jusque dans le sable où il la laissa enfoncer ses pieds dans le sable, et lui aussi, après avoir mis leurs souliers dans son sac à dos. Main dans la main ils marchèrent lentement jusqu’aux premières vagues, où ils laissèrent l’eau leur chatouiller les orteils à chaque fois qu’elle arrivait et repartait vers la mer. Il adorait les éclats de rire de Harper à chaque fois qu’elle revivait ces sensations dont elle ne se lassait pas. En entendant une petite fille crier de sa petite voix tout aiguë, derrière eux, il se retourna avec un sourire. Et son sourire de bonheur contagieux se transforma en sourire de stupéfaction alors qu’il reconnaissait la maman. « Ezekielle Wakefield, as I live and breathe. » Avait-il murmuré pour lui-même. Harper avait relevé les paroles de son père d’un “quoi papa ?” alors qu’elle le regardait, la tête complètement penchée vers l’arrière pour le regarder. Isaiah lui sourit. « Papa vient de voir une amie. Une amie qu’il n’avait pas vue depuis très longtemps. » Au moins quatre ans, non ? Il retourna la tête vers Ezekielle, qui sembla croiser son regard à son tour. Il leva une main dans les airs, à distance, encore sous le choc de cette présence inopinée sur les plages de Bowen.

La plage était bien calme à cette heure-ci, ce qui était contraire à ses souvenirs. Quelques personnes s'étaient installés sous leur parasol, d'autres directement sous les rayons d'un soleil timide, mais présent. D'autres, plus loin, déambulaient du bar jusqu'aux vagues, pieds nus. C'est à l'horizon qu'elle l'aperçu. Il était là, bien sûr. Isaiah. À peine avait-elle mis le pied hors de l'avion que leurs destinées se croisaient, à nouveau. À ses côtés, une mini Aisling, elle pouvait y miser sa vie. Souriants, mais clairement tous deux sous le choc, leur main respective se balançait dans les airs.  « C'est qui, maman ? » demandait Billie, clairement plus intriguée par la petite fille que par le brun à ses côtés. « Quelqu'un que tu vas bientôt apprendre à connaître, mon amour », souffla-t-elle, un sourire écorchant le coin de ses lèvres. Ezekielle se leva, frottant ses mains contre son jeans afin d'y retirer le sable qui s'y était collé et tenda la main à sa fille, qui l'agrippa aussitôt. « Impossible de venir à Bowen sans que tu retrouves ma trace, Monsieur Gartshore » dit-elle, suivi d'un petit rire. Elle le taquinait, bien sûr. S'il y avait bien quelqu'un qu'elle avait envie de revoir ici, c'était lui. Billie se lova aussitôt contre la jambe de sa maman, qui posa une main dans sa chevelure d'ange. Quatre années s'étaient écoulées et leurs vies semblaient avoir tant changé.

Isaiah vit, au loin, la petite fille poser une question à Ezekielle, et cette dernière lui répondre. Il ne voyait que les lèvres bouger mais il en devinait la teneur. Un peu comme l’échange qu’il avait lui-même eu avec Harper. Il n’en revenait pas, qu’Ezekielle soit devenue maman. Elle n’en était pas à ce point-là, il y a quatre ans. Oh, comme les années filaient et les choses changeaient. Cela faisait de plus en plus flipper Isaiah, de voir le temps passer aussi vite sans qu’il puisse en attraper correctement les heures, les minutes, les secondes. C’était encore pire en étant parent. De voir son enfant grandir, aussi vite, chaque journée étant différente de la veille … Il angoissait parfois à l’idée de vieillir, Isaiah, lui qui n’avait pourtant jamais eu peur de ce concept. Lui qui l’avait toujours accueilli sereinement. Quand il vit Ezekielle se lever, Isaiah fit signe à Harper de le suivre et lui aussi s’engagea à rétrécir la distance entre eux quatre. Eux quatre, oui. Alors qu’Ezekielle et Isaiah avaient si longuement été deux contre le monde. Il sourit à la réplique de son ancienne flamme. « C’est comme si après tant d’années, il y avait encore un fil invisible qui nous rattache. Mais plutôt de sentir qu’il s’étire quand on est loin, on le sent quand on est proches. » Lâcha-t-il sans réfléchir davantage à ses mots, c’était sorti comme ça. Il baissa la tête vers sa fille. « Je te présente Harper, ma fille. »  Son regard se dirigea vers la petite, que Harper fixait avec curiosité. « Et qui est-ce qu’on a là ? » Demanda-t-il doucement, tout de même ému de reconnaître Ezekielle dans ses traits.

Isaiah ne comptait plus le nombre de fois où ils avaient rêvassé, Ezekielle et lui, d’une petite famille nomade enchaînant les aventures les unes après les autres. Ils s’étaient convaincus que ce mode de vie fonctionnerait, qu’il le fallait de toute façon, puisqu’à une époque ils s’imaginaient bien poursuivre leurs années à vieillir ensemble. Leurs choix les avaient emmenés à des places totalement différentes, lui était resté ici et avait développé une relation avec sa meilleure amie, elle était repartie et avait fabriqué cette petite vie qui fixait Harper dans l’attente qu’elles soient présentées l’une à l’autre. Isaiah hocha la tête avec un sourire quant à ce fil magique indestructible, avant de finalement présenter sa mini-lui, pourtant bien blonde comme sa mère. La petite Billie s’avança vers la fille d’Isaiah et elles se firent un câlin. Un rire ému s’échappa d’entre les lèvres de l’ébéniste. « Elle est adorable, Billie. » Avait-il soufflé à Ezekielle. « Elle te ressemble beaucoup. » En voyant son ancienne flamme lui ouvrir ses bras, il n’hésita pas une seconde à les tendre aussi vers elle, l’enveloppant de ses longs bras, la gardant contre lui longuement. « Tu m’as manquée aussi, Ezekielle. C’est si bon de te revoir. Quelle surprise, ce matin … » Il regagna sa position initiale. « Quelles surprises, au pluriel, même ! » Rectifia-t-il en regardant Billie et Harper qui étaient déjà en train de jouer ensemble dans le sable. « De nomades indépendants à parents entremetteurs !? » Blague-t-il, pas du tout sérieux. « What a weird feeling, quand même, tu ne trouves pas ? Ça me ramène des années en arrière, de te revoir. Mais on n’est plus du tout à la même place qu’on était. » Ils en avaient parcouru, du chemin. D’abord ensemble, mais visiblement beaucoup plus séparément.

Avec grande surprise, Isaiah apprit que Billie n’était pas la fille biologique d’Ezekielle. Il aurait mis sa main au fond que c’était le cas. Il baissa les yeux vers la petite fille, assimilant l’information, regardant le sourire de la petite, l’étreinte qu’elle faisait à Harper, ses mouvements doux. Il sourit. « C’est sûrement, aussi, ce qu’elle dégage. » Il releva la tête vers la jeune femme. « Ça, ça ne peut venir que de toi. » Et peut-être un peu de la personne avec qui elle partageait sa vie, si c’était le cas, ça, Isaiah l’ignorait. L’artiste ne posa pas davantage de questions concernant l’arrivée de Billie dans la vie d’Ezekielle, cela viendrait naturellement plus tard, sans doute. Sur l’instant, il ne voyait pas la différence que cela faisait. Elle était sa fille. « Tu n’as jamais été le genre de personne à vivre au rythme d’une horloge ou d’un calendrier, de toute façon. » Qu’elle ignore quel jour on était ne faisait donc pas différent de leurs anciennes habitudes. Ils avaient souvent préféré le rythme de la nature, du lever au coucher du soleil, plutôt que de se prendre la tête avec les minutes qui passent. « Elle est comme dans tes souvenirs, cette plage ? » Isaiah vivait maintenant son quotidien ici, alors il ne percevait pas de la même manière l’impact du temps sur la ville. Suivant l’invitation silencieuse d’Ezekielle, l’ébéniste s’assit dans le sable, les fesses à moitié sur une serviette de plage parce qu’il n’avait pas trop regardé où il s’était assis. « Ma vie a tellement changé, depuis la première fois qu’on a posé les pieds ici. Le Isaiah d’avant n’avait pas du tout prévu ça. Mais je ne regrette rien. » Admit-il. Il tourna la tête vers Harper et Billie. « Merci. Deux ans et demi, oui. T’as l’oeil. C’est parce que la tienne est à peu près à ça aussi, non ? » Dans leur vocabulaire et leur stade de développement, elles semblaient assez rapprochées.

Billie Lou. Il sourit en découvrant le prénom complet de la petite. Il ne répondit rien de plus, laissant ce moment entre la maman et sa fille alors qu’elles se regardaient, brièvement. Il réagit cependant au décalage horaire d’Ezekielle, et à son sens du temps un peu chamboulé. Eux qui n’avaient jamais trop regardé le temps. « Une montre intelligente, jamais. Par contre, mon flip phone a rendu l’âme il y a deux ans. Et ils n’en vendent plus nulle part … » Il sortit de sa poche arrière son téléphone portable, un téléphone malheureusement intelligent, mais sur lequel à peu près aucune fonction n’était activée. Il n’avait pas de forfait Internet, pas d’applications installées, pas de réseaux sociaux connectés, juste le bon vieux téléphone et les sms. Certaines choses changeaient, donc, bien malgré leur volonté. La plage de Bowen cependant, n’avait pas changée, selon les dires d’Ezekielle. « C’est rassurant, aussi. » Dans un monde où le changement ne freinait jamais, il fallait qu’il reste des éléments auxquels s’accrocher. « Merci. » Ils avaient tous les deux suivi la vague de la vie, et ils pouvaient constater aujourd’hui qu’elle les avait emmenés à de belles places, l’un comme l’autre. « J’ai tellement de questions à te poser. » La blonde en avait aussi, la première concernant Aisling. « Elle va bien. Elle a finalement terminé sa thèse, elle est officiellement zoologue. » Lui dit-il avec douceur. Sa copine avait tout donné pendant ses études, et il était plus qu’heureux pour elle que sa carrière ait débutée. « Qu’est-ce qui t’emmène à Bowen, alors ? » Demanda-t-il. Il fallait bien qu’il commence à quelque part dans ses questions pour rattraper tout ce qu’il avait raté de la vie de son ancienne flamme, mais éternelle amie.

Visiblement très sincère dans sa déception d’avoir dû se plier face à l’installation répandue des téléphones intelligents, Isaiah haussa les épaules. S’en était-il remis ? Oui, mais seulement parce qu’il n’avait pas encore complètement cave in. S’il s’était retrouvé à se perdre dans des applications diverses et même à s’inscrire sur les réseaux sociaux, en raison de cet instrument du mal, sans doute ne s’en serait-il jamais remis. Jamais en revenant à la personne qu’il était réellement, du moins. Heureusement, Isaiah s’était sauvé de cette addiction et pouvait très bien se passer de son téléphone. Il oubliait même très souvent qu’il l’avait et se retrouvait avec plusieurs appels manqués. « Ça va mieux, maintenant. » Dit-il avec un sourire. Ils exagéraient, tous les deux, évidemment. C’est juste qu’Isaiah y avait vraiment tenu, à ce flip phone, Ezekielle le savait bien. Elle savait aussi sans doute, au fond d’elle, qu’Isaiah et Aisling étaient encore ensemble, raison pour laquelle elle parla directement d’elle, demandant de ses nouvelles, sans hésiter. « Oui, elle est contente. Encore autant occupée que pendant ses études, je dirais, mais épanouie. Alors c’est bien. » Lança le jeune homme qui, de son côté, n’avait pas fait grossir sa petite business personnelle d’ébénisterie, mais avait élargi ses horizons en commençant à écrire des livres pour enfants, en plus de continuer à sculpter et à jouer de la guitare. Il s’accordait toujours du temps pour un peu tout ça, mais beaucoup pour sa famille, aussi. « Tu fais bien. J’aimerais aussi faire découvrir le monde à Harper. On en parle de plus en plus, Ais’ et moi. » Il marqua une courte pause avant de relancer Ezekielle : « Vous pensez rester ici un moment, ou bien tu as déjà ta prochaine destination en tête ? » Il désirait savoir s’il pourrait renouer avec elle pour quelques jours, quelques semaines seulement, ou bien s’ils avaient des mois devant eux pour rattraper le temps envolé. « Tu me manquais aussi, Ez’. T’as revu d’autres personnes déjà ? »

Le small talk était nécessaire pour mieux se resituer dans la vie de l’un et de l’autre. Ezekielle et Isaiah n’étaient pas du genre à maintenir un contact constant lorsqu’ils étaient séparés par des kilomètres, des océans ou des continents. Ils avaient un lien bien spécial qui faisait en sorte que même en se revoyant à des années d’intervalles, la douceur et la complicité était toujours au rendez-vous. Ils prenaient toujours le temps, alors, de se raconter ces années séparées. « Plusieurs affaires, oui. » Admit-il avec un sourire. « Ça roule juste assez. Je n’en prends pas trop parce que je veux pouvoir passer du temps avec les filles, j’veux dire, Aisling, Siobhan et Harper, mais ça roule assez pour qu’on vive bien. Je vis encore principalement de l’ébénisterie mais je vends quelques sculptures à côté, et j’ai aussi commencé à écrire et à dessiner des livres pour enfants … » Lui apprit-il avec un petit sourire. Ce n’est pas un projet qu’il avait eu avant, à l’époque où ils se connaissaient, mais l’arrivée de Harper dans sa vie avait réveillé cette petite flamme enfouie. « J’ai vu que Wanderlust Times se portait bien, aussi. S’il y a bien un site web que je consulte souvent c’est celui de ton journal. » Il esquissa un sourire. « Tu peux toujours tout faire à distance, du coup ? Peu importe où tu te trouves ?  » Ça, c’était quand même une belle possibilité. Une belle liberté. Cette liberté Isaiah l’avait un peu moins avec sa petite famille mais Aisling et lui parlaient de voyager, bientôt, avec les filles. « Probablement l’Europe, ou l’Asie … Mais l’Amérique latine nous tente aussi. » Il laissa aller un éclat de rire. « Non, on n’a pas de destination en tête, comme tu peux clairement le voir. » Il aurait voulu faire le tour du monde avec elles. Ezekielle, elle, n’avait que l’Australie en tête pour le moment. Cette affirmation lui apporta un grand bien. Elle était là pour rester, un bon moment, au moins. « Je suis content de l’apprendre. C’est toujours plaisant de t’avoir un peu dans les pattes. » La nargua-t-il en lui donnant un doux coup d’épaule. « Ça fera une nouvelle amie pour Harper, en plus. » Pas qu’elle en manquait, même à son âge, elle connaissait déjà pas mal tous les enfants des parcs de Bowen. C’est que son père restait rarement enfermé à la maison, on se doute bien. « Oh, hier ? Wow. Sacrée belle coïncidence, oui,  qu’on se croise déjà, alors. » Le hasard avait souvent bien fait les choses pour eux. « Et vous arrivez d’où, de l'Argentine, c'est ça ? » Ou peut-être avaient-elles fait d'autres courtes escales avant.