broken soul in g minor (billie)

C’était une période fort occupée chez Head Ahead, le mois de mai, parce qu’on présentait à la fin du mois de juin le spectacle de danse qui était également une soirée de levées de fonds, un spectacle-bénéfice en quelque sorte. En plus d’inviter la population générale de Bowen, nous invitions tous les bailleurs de fonds et les donateurs, ainsi que de potentiels donateurs, afin qu’ils puissent voir les résultats de l’année financière qui s’achevait. Les numéros de danse étaient entrecoupés de témoignages de jeunes, pour ceux qui souhaitaient prendre la parole – ils se faisaient rares, mais il me faisait toujours plaisir de laisser la place à ceux et celles qui la voulaient. Qui dit période fort occupée, dit une équipe de travail surchargée aussi. Même les personnes qui n’étaient là qu’à temps partiel, comme les bénévoles ou les autres professionnels avec qui j’avais des ententes de service, redoublaient souvent d’efforts et de présence, parce que c’était aussi une période parfois plus anxiogène pour les jeunes, même s’ils avaient toujours très hâte à l’événement. Bref, tout cela pour dire que j’avais organisé, ce soir, un cinq à sept pour l’équipe de travail élargie. J’avais réservé au Goyangi Ba, le bar à chats, en précisant que nous serions probablement une dizaine de personnes à venir. Le propriétaire avait même prévu quelques rafraîchissements pour la soirée, même si à la base il s’agissait d’un café. Il y aurait donc du vin ou de la bière, selon les préférences. J’étais plutôt content de pouvoir offrir ça à l’équipe et aux personnes qui oeuvraient de près ou de loin au sein de l’organisme. Ça nous changerait d’air, d’ambiance, et ça nous permettrait de nous connaître autrement.

Seulement, en arrivant sur place, je constatai qu’il n’y avait que Billie qui était là. Pourtant, c’était pas mal l’heure que j’avais donnée à tout le monde pour s’y retrouver. Je m’avançai vers elle, avec un sourire, puis une grimace. « Salut Billie ! Me dis pas que tout le monde a décidé de nous faire faux-bond … » Constatais-je avec tristesse. « C’était peut-être pas ma meilleure idée d’organiser ça alors que c’est la Fête de la mangue … » Je participais moi-même à la fête et je savais que Billie aussi, et bien qu’il n’y avait aucune épreuve prévue à l’horaire ce soir, justement les gens avaient peut-être préféré prendre la soirée relaxe, pour se reposer et se préparer aux prochaines épreuves. « Ou alors c’est le fait que ce soit dans un bar à chats, j’avoue que ce n’était pas très inclusif pour les personnes allergiques … » Voilà que je me blâmais pour cette idée que je trouvais bonne, à la base, et qui finalement n’était pas si géniale. C'était un échec, au fond. Un p'tit peu comme ma vie actuellement, quoi.

Cela faisait quelques mois maintenant que tu offrais de ton temps à l’organisme Head Ahead. Tu avais accroché au niveau des valeurs de cet endroit et puis aider les jeunes grâce à la danse, c’était une excellente idée. Bien que tu ne sois pas une bonne danseuse, tu suivais parfois les cours avec les jeunes et ils se moquaient de toi. C’est de cette manière que tu as appris à te lâcher un peu plus. Même si tu ne sais pas danser, ce n’est pas la fin du monde. Tu as réussi, grâce à ces jeunes à avoir confiance en toi. On appelle ça de l’autodérision. Apprendre à ce moquer de soi même avec les autres. Autant, ils ont appris de toi, autant toi tu apprends d’eux. Si tu pouvais tu travaillerais tout les jours pour cet organisme. Quoique, ça pourrait le faire si tu te décidais enfant à parler à Concho, le fondateur de l’organisme.

Justement, il avait organisé une rencontre au Goyangi ba, un bar à chat. Peut-être pas le meilleur endroit, mais tu n’y avais jamais mis les pieds. Arrivée sur les lieux, tu étais la première. Tu indiquas que tu faisais partie d’une réservation et on te conduisit à une table. Une fois installé, tu retournas voir le mail que tu avais reçu pour l’événement. Tu voulais t’assurer d’être au bon endroit, mais surtout à la bonne heure. Oui, tu étais à l’heure. Étrange, pourquoi il n’y avait personne d’autre. Alors, que tu regardais ton téléphone, tu entendis une voix familière. « Salut Billie ! Me dis pas que tout le monde a décidé de nous faire faux bond … » Tu relevas la tête pour apercevoir Concho. « Pour l’instant, je suis la première, peut-être qu’ils arriveront bientôt. » Tu lui fis un petit sourire. Tu continuas à l’écouter. Avait-il lu dans tes pensées ? « C’est surement du à la fête à la mangue. Certains sont très compétitifs... Mais le bar à chat, c’est mignon comme endroit, mais oui, peut-être que certains en sont allergiques. » Tu savais que Joyce et Madeline l’était, deux bénévoles avec qui tu avais discuté.
@Conchobáhr Rosenbach

En même temps, si j’attendais que la Fête de la mangue soit passée pour organiser cet événement rassembleur, le spectacle de fin d’année serait passé. C’est que cette fameuse compétition, elle pouvait durer quand même pas mal longtemps. Bon, au pire, si c’était un flop aujourd’hui, rien ne m’empêchait d’éventuellement organiser quelque chose d’autre pour les remercier de leur implication, pour le spectacle et pour l’organisme en général, un peu plus tard à l’hiver. Un truc un peu plus simple, un cinq à sept dans les locaux pourquoi pas, un soir où c’était fermé pour les jeunes. Au moins, y’avait Billie qui avait su se dégager pour venir. Elle acquiesça également à mon hypothèse que le bar à chats, ce n’était sans doute pas le meilleur endroit pour rallier tout le monde. Les personnes allergiques, elles, passeraient nécessairement leur tour. J’avais bel et bien les fiches santé de toutes les personnes salariées et bénévoles, mais j’avoue que je n’avais pas pris le temps de regarder les allergies. « T’y participes, toi, non ? À la Fête de la mangue ? Je ne me souviens pas dans quelle équipe t’es … » Ce que je savais, c’est qu’elle n’était pas dans la mienne. Alors elle était l’ennemie !! Je souris à cette pensée. Elle disait que certains étaient très compétitifs et elle ne se doutait sans doute pas que c’était mon cas. Je m’avançai vers le comptoir. « Veux-tu quelque chose à boire ? » Demandais-je alors que, de mon côté, je me prenais une bière. Avant de l'ouvrir, je m'arrêtai. « À moins que ... t'sais, si t'avais mieux à faire que de traîner avec juste ton "patron" un mercredi soir, j'comprendrais. » Dis-je en toute sincérité, en mimant des guillemets pour le côté patron, parce que c'était toujours bien clair avec moi qu'une hiérarchie, chez Head Ahead, y'en avait pas trop. J'étais peut-être le directeur mais c'était juste par nécessité d'avoir quelqu'un qui portait ce titre et qui avait des responsabilités plus administratives.

C’était la première fois que tu assistais à ce genre de rencontre depuis que tu étais bénévole à l’association. Tu ne savais pas trop à quoi t’attendre, mais tu tenais à être présente. Tu aurais pu assister au festival de la mangue, mais Head Ahead occupait une place assez importante pour toi. Le fait d’aider les jeunes était plus important qu’un festival. En plus, c’était la première fois que tu mettais les pieds dans ce restaurant avec chat. Un peu étrange comme concept, mais intéressant pour les amateurs de félins. Voilà que tu étais la première arrivée. Tu savais que deux bénévoles ne viendraient pas, car elle était allergique au chat, mais voilà que Concho, le fondateur de l’association venait d’arriver. Vous aviez échangé les banalités comme la salutation. « T’y participes, toi, non ? À la Fête de la mangue ? Je ne me souviens pas dans quelle équipe t’es … » demanda-t-il. Tu participais aussi, malgré ton emploi du temps chargé. « Oui j’y participe, je suis dans les pamplemousses. » dis-tu. C’était vrai, bien que la fête de la mangue fût intéressante, le rencontre était plus importante. Il se dirigea vers le comptoir et te demande si tu voulais à boire. Pourquoi pas. « Je prendrais bien une limonade. » Tu aurais pu prendre une bière comme lui, mais ce n’était pas ton genre. Tu étais plus cocktail que bière. « T’inquiète, je tenais à venir à cette rencontre pour voir les autres et discuter un peu. En ce moment, c’est fou à quel point le temps passe vite. » Répliquas-tu à sa question. Comme s’il avait lu dans tes pensées.

J’acquiesçai de la tête alors que Billie me confirmait participer à la Fête de la mangue, dans l’équipe des Pamplemousses. « Je suis désolé pour toi … tu n’as pas intégré l’équipe qui sera gagnante ! » Dis-je pour vanter les ananas, sans me douter que dans quelques semaines, nous allions perdre face aux Figues. J’aimais bien mettre de l’avant que j’avais perdu bien peu d’éditions de la Fête de la mangue. L’édition 2024, je l’aurais en travers de la gorge, après avoir fanfaronné pendant les quatre-cinq premières semaines ! Bref, je me dirigeai vers le comptoir pour me prendre une bière, proposant à Billie de lui servir quelque chose. Je m’emparai de la limonade puisque c’était ce qu’elle voulait mais je m’arrêtai dans mon geste, pour lui assurer que si elle préférait être ailleurs que juste avec moi ce soir, je comprendrais. Je n’étais pas du genre à le prendre personnel. À sa place, à me retrouver tout seul avec le directeur ou la directe, j’aurais peut-être regretté ma décision de venir. « Ouais, j’te souhaite que tu pourras les voir, les autres, pour le moment c’est mal parti. » Dis-je avec un rire un peu embarrassé, tout en lui versant quand même sa limonade dans un verre avec des glaçons. « En tout cas, … » Commençais-je en lui tendant son verre. « … Sache que dès que t’en as marre, tu quittes et c’est tout. Faut pas avoir pitié de moi et m’tenir compagnie juste pour ça. » Dis-je avec humour. Je m’assis sur l’un des tabourets, prenant le temps de boire une gorgée de ma bière. « C’est vrai que le temps passe vite, vivement le mois de juillet, je pense que je prendrai un peu le temps de me poser, après la Fête de la mangue et après le spectacle. Ou alors peut-être qu’on aura l’impression d’avoir trop de temps libre tout d’un coup. » Est-ce que ça pourrait vraiment m’arriver ? Non, je trouverais toujours de quoi m’occuper.