only food matter (joan)

Vendredi soir, la fenêtre de mon appartement était ouverte et laissait entrer les lueurs du soleil couchant et avec la chaleur douce de cette belle soirée de juin. N’étant pas prise avec les enfants, puisque c’était la semaine de garde de Livio, j’avais décidé d’inviter mon amie Joan à manger. J’aimais cuisiner pour ceux que j’aimais, mes frères étant les premiers à profiter de mes talents, transmis par ma mère et la sienne, et je trouvais que cela constituait un parfait remède à la déprime passagère. J’étais sujette à ce sentiment désagréable assez souvent depuis mon divorce, en particulier quand la nuit commençait à tomber et que je me retrouvais seule, sans mes enfants, dans mon appartement. Alors, je tâchais d’y remédier à ma manière. Des effluves d’aubergine rît, de sauce tomate et de béchamel commençait à embaumer la pièce quand la sonnette retentit. Joan était là. J’essuyai mes mains sur mon tablier puis me dirigeai aussitôt vers la porte d’entrée. Mon appartement n’étant pas vraiment grand, j’y fus rendu en quelques secondes. « Hé salut » dis-je, en l’accueillant avec un sourire.

@joan duquesne

Depuis mon retour à Bowen, j'avais forcément revue des têtes connues. A commencé par Milo, évidemment, pis Archie avec qui j'étais en coloc et Aura, forcément. On se connaissait depuis des années. Notre amitié avait débuté en France et malgré les années de distance, on demeurait plus proche que jamais. Surtout que là, quand j'étais revenue m'installée à Bowen, Aura, elle vivait une mauvaise passe. Son divorce d'avec Livio, ça lui avait mis un coup et elle peinait à se relever. Elle avait pris un p'tit appartement en ville, et lorsqu'elle y était, c'est qu'elle avait sa semaine sans les enfants. C'était généralement là qu'on se voyait. Elle m'avait invité ce soir. J'avais laissé Archie, qui prévoyait de sortir aussi, tandis que j'prenais le chemin de son appartement. On s'était mis d'accord, elle faisait le plat principal et j'apportais le dessert. J'avais cuisiné un Saint Honoré, une pâtisserie bien française qu'on avait l'habitude de manger sur les terrasses parisienne à l'époque. Je frappais à la porte et Aura m'ouvrit, presque instantanément, j'lui souris lorsqu'elle me saluait, et j'ouvrais mes bras pour lui donner une étreinte courte mais intense. "Héé, salut toi, ça sent divinement par ici!" que j'dis, déjà alléchée à la simple idée de manger italien. J'arrivais les bras chargé de mon gâteau et d'un p'tit bouquet de fleur que j'avais acheté sur le chemin. J'lui tendais les fleurs tandis que j'me dirigeais naturellement vers le frigo pour mettre mon gâteau au frais. "Alooors, j'ai essayé de faire un Saint Honoré, fais preuve d'indulgence s'il te plait, je n'ai pas tes talents culinaires!" J'ricanais à mes mots, parce que ouais, Aura, elle cuisinait comme personne, et moi, mon Saint Honoré, il ressemblait pas à grand chose. Mais j'y avais mis du coeur, c'était ça l'essentiel non?

@Aura Luciano

Je n’avais jamais été très douée pour l’amitié. Ma grande timidité m’avait souvent isolée, mais Joan faisait parti des rares qui avait su me comprendre et notre amitié avait évolué au cours des années, et cela malgré les kilomètres qui nous séparaient. Nous avions vécu l’une loin de l’autre la quasi-totalité de notre relation, et quand Joan était venu vivre à Bowen, nous avions naturellement repris l’habitude de passer du temps ensemble. Son amitié m’était précieuse, et la jeune femme était d’un immense soutien pour moi. J’en avais cruellement besoin ces derniers temps, aussi avions-vous pris le pli de nous offrir, régulièrement, des soirées entre filles. Ayant grandi avec des frères, et une grande majorité de cousins, c’était une chose à laquelle je n’avais jamais vraiment été habitué mais, avec Joan, c’était naturel. Ce soir, j’avais donc convié mon amie pour un repas simple. Sitôt entrée, elle émit des réserves sur le dessert qu’elle avait préparé, ce qui me fit aussitôt sourire. « Je suis sûre que c’est très bon » la rassura-je, tandis qu’elle investissait mon appartement. Après avoir mis le Saint-Honoré au frais, je revins vers mon amie. « Tu veux boire quelque chose ? »

Ca avait toujours été simple entre Aura et moi. Pourtant, on n'avait pas spécialement des énergies qui étaient faites pour matcher. Moi, j'étais comme une tornade, qui prend de la place, qui parle fort, qui aime se faire remarquer, tout l'inverse d'Aura, beaucoup plus réservée et plus dans la retenue que moi. Mais on avait, je crois, trouvé un équilibre l'une avec l'autre. J'essayais de lui secouer un peu les puces tandis qu'elle faisait agir sa douceur naturelle sur moi. C'était donnant-donnant. J'entrais dans son appartement, pour une soirée entre filles. J'avais pas tellement de secret pour Aura, et elle en avait très peu pour moi aussi. On s'parlait assez librement, et on aimait se faire des soirées up-date, juste pour savoir où on en était. J'étais assez curieuse de savoir si Aura avait réussi à passer la page de son ex-mari. Je hochais la tête vivement à sa question. "Qu'est ce que tu me proposes?" que j'demandais en battant des cils comme si j'attendais un truc. Elle le savait Aura, que lorsqu'elle débouchait une bouteille venue tout droit d'Italie, elle me cueillait. Cela dit, la petite frenchie que j'étais avait quand même un beau penchant pour le vin français. Mais avec Aura, c'était différent, parce que c'était offert avec le coeur. J'regardais un peu autour de moi, j'voyais qu'Aura avait un peu investi les lieux de son nouvel appartement. "Tu t'plais ici?" que j'lui demandais, comme pour voir dans quel mood elle se trouvait, ce soir.

@Aura Luciano

Je n’avais jamais été très riche en amitié. Du moins, pas en nombre. En revanche, le peu d’amitié que je créais était de qualité, solide et sincère. Au fond, c’était tout ce qui importait. Joan, donc, faisait parti des rares avec qui j’avais développé une relation durable. Cela me faisait du bien, ces soirées qu’on passait toutes les deux, à boire, à manger, à se raconter nos vies. Elles étaient devenue plus fréquente depuis mon divorce, puisque, une semaine sur deux, j’étais sans les enfants et donc parfaitement disponible. Joan me suivit dans la cuisine, ouverte sur la pièce principal de mon logement, tandis que je lui proposais à boire. « J’ai du vin rouge de Sicile, ou bien du Prosseco au frais, il est possible qu’il me reste un peu d’Aperol pour faire quelques Spritz » Je n’avais pas le talent de mon frère Fede pour confectionner les cocktails mais j’avais néanmoins quelques bases. Tandis que je sortais de verre à pied d’un placard, j’accueillai la question de mon amie. Je haussai nonchallament les épaules. « Ca va…j’ai à peu près tout ce qu’il me faut et, je ne suis pas loin de ma boutique. C’est pratique pour les trajets »

Aura, elle faisait partie des personnes que j'avais aimé retrouvé, à mon retour à Bowen. Mine de rien, pendant mon expérience de quelques années ici, la première, j'avais réussi à me créer un petit réseau, une base solide. Alors quand j'étais revenue ici, j'avais renoué avec les mêmes personnes. Milo, bien évidemment, Archie aussi qui était devenu mon colocataire depuis, et Léo que j'avais revu mais aussi Aura, avec qui j'avais construit une belle amitié les années passées. On avait accroché, elle et moi, durant sa courte présence à Paris. C'était une belle époque, quand j'y repense, même si honnêtement la capitale française ne me manquait plus du tout. Comme je l'espérais, Aura me proposa du vin de Sicile ou un spritz. J'hésitais, puis finalement, un grand sourire s'afficha sur mon visage. "Allé, va pour un spritz, c'est un peu plus festif!" que j'dis tandis qu'Aura se mettait déjà en marche pour nous préparer les délicieux cocktails. J'en profitais pour la sonder un peu, voir comment ça se passait ici, pour elle, dans ce nouvel appartement et plus globalement dans sa nouvelle vie de divorcée. J'le savais qu'Aura avait du mal avec ce nouveau statut alors je prenais sur moi pour ne pas être trop franche dans mes propos. "C'est vrai t'as trouvé une p'tite pépite, le principal c'est que t'arrive à t'y sentir chez toi, et qu'tu sois contente de rentrer le soir." C'était probablement pas évident pour elle. J'tentais de ramener du positif, de voir que le bon, pour pas l'emmener vers des pensées qui pourraient l'attrister. Après, j'étais parfaitement encline à parler de tout ça avec elle, si elle le voulait. J'la regardais faire, tandis que j'me mettais à penser à notre époque à Paris, c'était probablement les spritz qui m'avaient ravivé ce souvenirs. "Héé, tu te souviens la premières fois que tu m'as fais découvrir les sprtiz ? J'en ai bu combien ce soir là? Ton frère avait du me porter jusqu'au canapé, en rentrant tellement j'étais out! Promis, j'sais me tenir maintenant!" que j'disais en riant un peu. C'était plus dans notre mood ça, de boire à l'infini, même si ça avait toujours été plus mon mood à moi qu'à elle. A cette époque à Paris, j'faisais beaucoup la fête et j'avais pas mal traîné mon amie dans des soirées.

@Aura Luciano

Je me lance dans la confection des spritz, considérant, comme mon amie, qu’ils constituent une option plus festive qu’un simple verre de vin rouge. Tandis que je coupe des tranches d’orange, Joan évoque mon appartement, et je ne peux m’empêcher d’éprouver un petit pincement dans l’estomac. Oui…mon appartement est une pépite. Il est plutôt bien placé, ni grand, ni minuscule, et je devrais pouvoir m’y sentir chez moi mais ce n’est pas le cas. Ma maison n’est pas là, elle n’est plus nulle part. La maison où Livio et moi avions fondé notre petite famille était mon foyer et pourtant, aujourd’hui, elle ne m’apparaissait plus tout à fait comme tel. Je détestai ce sentiment, cette impression de ne pas avoir de chez-moi, mais c’était sans doute une impression passagère. Je l’espérais très fort. Je ne répondis rien d’autre qu’un vague « Hm, hm… » à Joan tout en continuant à préparer nos cocktails. Heureusement pour moi, la jeune femme m’offrit un sujet de conversation sur un plateau en évoquant l’un de nos souvenirs. Un sourire se hissa aussitôt sur mon visage. « Oui, je m’en souviens ! Et, en vrai…t’avais pas bu tant que ça non plus, faut croire que le Prosseco t’était rapidement monté à la tête ! Mais t’inquiète pas, le canapé est moins loin, ce soir, si besoin. »

J'savais bien qu'Aura, elle était sur un fil, vis à vis de sa nouvelle vie, de son statut de divorcée, de tout ce que ça englobait à présent de différent dans sa vie. Elle le savait que si elle voulait en parler, elle pourrait le faire très librement et que je serais là pour l'écouter et lui redonner de l'énergie, mais j'avais bien sentie qu'elle voulait pas tellement aller sur cette pente là. Aura, elle était plus fragile que moi, elle était plus sensible, j'le savais et j'voulais surtout pas la brusquer. C'était pas mon but. Mais elle savait aussi que si la conversation venait à dériver sur son ex mari, j'serais assez intransigeante, lui intimant qu'il fallait qu'elle se ressaisisse et passe à autre chose. C'était probablement très difficile à entendre pour elle. J'étais pas une grande sentimental en réalité, même si j'étais pas mal chamboulée par Concho en ce moment, j'arrivais pas à véritablement mettre des mots sur ces nouveaux ressentis. Alors que j'la voyais préparer les spritz, des souvenirs de Paris me revenait en mémoire. J'souris en écoutant Aura se remémorer aussi cette soirée. "J'étais plus jeune, j'tenais moins la marée! Cela dit, non, en fait, j'tiens toujours pas la marée, mais j'contrôle un peu plus, j'crois." C'était probablement ça qui différait d'avec l'époque de Paris. J'avais gagné un peu en sagesse, vis à vis de l'alcool bien évidemment, pour le reste, j'avais toujours un p'tit grain mal placé dans la tête. "J'suis venue à pied, donc normalement, j'pourrais rentrer. Sinon j'appellerais mon coloc s'il est en état de venir me chercher, j'voudrais pas te déranger." Mon coloc, Archie, en état, ça c'était moins sûr. Archie, il avait cette belle tendance à faire la fête, il aurait pu s'apparenter à un p'tit diable sur mon épaule, de temps en temps. Mais globalement, j'arrivais à rester en contrôle. Déjà que j'pouvais un peu partir dans tous les sens parfaitement sobre, alors avec un p'tit coup dans le nez, ça pouvait vite devenir n'importe quoi. J'hésitais à lui parler de Conho à Aura, ça m'trottait en tête hein, mais ça m'faisait un peu flipper de mettre des mots sur ça. Sur ce qu'on avait vécu. C'était pas clair. Et pis accessoirement, j'avais pas spécialement envie d'étaler mon idylle naissante en plein devant Aura qui vivait une tempête sentimentale.

@Aura Luciano

J’avais du mal à cacher que ma nouvelle vie ne me satisfaisait pas. Je n’en avais pas envie non plus, mais je voulais éviter que mes proches se fassent du soucis pour moi. Alors, j’évitais, autant que possible, de le montrer. Par ailleurs, il fallait bien que je me fasse à tout ça, à ce nouvel appartement, au fait que je ne voyais plus mes enfants qu’une semaine sur deux, et à celui que l’homme de ma vie préférait vivre séparé de moi. Parfois, j’avais la sensation d’évoluer dans un mauvais rêve, parfois même il me prenait d’imaginer que j’allais me réveiller et que tout serait à nouveau comme avant. Hélas, la réalité était plus amère. Cela dit, les soirées que je passais avec Joan m’aidaient à adoucir un peu ce quotidien-là, et si je savais pertinemment que mon amie savait lire en moi comme dans un livre ouvert, nous convenions, l’une comme l’autre, qu’il était inutile de remuer le couteau dans la plaie. Et puisqu’il n’était pas question de se morfondre, autant prendre du bon temps. Je terminai de préparer les Spritz puis en servie un à Joan qui se remémora aussitôt une soirée, à Paris, des années plus tôt, où l’alcool lui était un peu trop montée à la tête. Je lui assurai qu’elle pourrait, ce soir aussi, compter sur mon canapé, si elle en avait besoin. « Tu ne me dérange pas, regarde j’ai un immeeeeense salon qui ne demande qu’à être occupé. » plaisantai-je à moitié. Mon salon était petit, correct, mais loin d’être immense. Cela dit, j’avais tendance à le trouver bien vide lorsque j’étais seule chez moi. Je savais qu’il me fallait prendre sur moi. Je n’avais jamais vécu complètement seule, avant de vivre avec Livio, je partageai un appartement avec Orso et avant ça nous vivions chez nos parents. Cette expérience était un vrai apprentissage pour moi, et si je tâchais de me persuadé que cela me serait bénéfique un jour, cela ne se faisait pas moins dans la douleur. « Bon et sinon, quoi de beau pour toi ? » lançai-je à Joan, histoire de me changer les idées.  

J'le savais à quel point c'était délicat pour Aura de s'acclimater à sa nouvelle vie. Elle ne l'avait pas choisi ce changement, c'était son ex mari qui avait voulu prendre le large, laissant l'italienne bien démunie. Ca m'arrachait le coeur de voir mon amie comme ça, j'aurais voulu pouvoir lui assurer que tout irait bien, j'aurais voulu être celle qui lui fait tout oublier, mais j'pouvais juste être là, pour elle, autant que possible, et lui rendre un instant, la vie moins morne. On se remémora ma première soirée à base de sprtiz, à Paris, lorsqu'on s'était rencontré. Elle et son frère avait été de vrais rayons de soleil dans ma vie à l'époque de mes études. On avait vécu des moments géniaux et même si je ne parlais plus tellement avec Orso, j'avais gardé ce contact intact avec Aura. Une vraie et belle amitié. Je riais doucement à la remarque concernant son supposé immense salon. J'prenais place sur le canapé et j'écartais les bras, comme pour le présenter, à un téléshopping. "Et regarde moi ce canapé fort confortable! Repliable à volonté! En vrai il me fait de l'oeil!" que j'dis en riant, pour tenter d'apporter un peu de chaleur dans l'espace et dans le coeur de mon amie. Aura me demande ce que j'avais de neuf dans ma vie. Clairement, j'aurais voulu lui parler de Concho. De ce qu'on avait vécu ensemble, parce que ça avait largement fait battre mon coeur, mais j'trouvais ça pas mal délicat de lui parler de gars, de relations sentimentales. J'hésitais. Généralement, je réfléchissais pas trop quand je parlais, mais là, les circonstances étaient un peu particulières. "Mmmmh, le boulot ça va, mon boss me donne de plus en plus de responsabilité, ça m'plait bien. Et pis, ça permet aussi d'me rapprocher d'un des membres d'une autre asso. Et c'est pas trop pour me déplaire." que j'dis en laissant un peu en suspens ma phrase. Ca avait été suffisamment subtile, j'lui donnais la possibilité de rebondir dessus ou préférer parler de mes opportunités de carrière. C'était au choix, parce que j'voulais surtout pas étaler mes p'tites histoires romantiques. Mais si Aura voulait en entendre plus, j'étais parfaitement encline à lui parler de Concho, pendant des heures. Ouais, il vampirisait mes pensées. Sans qu'il ne sache et sans que je ne puisse rien contrôler.

@Aura Luciano