well then I'm offended, let's jog your memories, here we go (manny)

Tu as bien l’impression qu’Elmo déforme ce que tu lui dis, mais de ton côté tu fais sans doute un peu pareil. Tu ne sais pas trop à quel moment ça a déconné, juste qu’il n’y a aucun moment où ça l’a vraiment fait vous deux. Les moments que vous avez passé tous les deux sont rares, seulement pendant quelques répet’ où il n’y avait besoin que de vous deux mais dans ces moments-là, vous ne parliez pas beaucoup. Toi tu venais pour jouer et de toute façon, tu n’as jamais été trop à l’aise en face à face avec quelqu’un, à part tes amis proches. Tu aimes le fait d’être dans un groupe parce que tu peux rester effacer mais quand même avoir l’impression de faire partie de quelque chose. A une époque tu n’avais que le squad et les groupes d’étudiants en soirée avec qui tu traînais mais sans vraiment avoir l’impression que tu étais intégré. Aujourd’hui tu as réussi à vaincre en partie ta timidité, à t’ouvrir à d’autres personnes, à d’autres choses, notamment au drag, le squad n’est plus la seule chose pour toi. « Nan pas forcément tout l’monde, mais ouais j’pense que j’aurais fait partie de ceux que t’aurais jugé. » Parce que tu as jamais eu l’impression d’être un gars cool même si tu en avais vraiment envie et que te balancer des vacheries c’est facile vu que tu ne réponds pas grand-chose à part de temps en temps des petites piques quand tu t’y autorises, ou plutôt quand tu te l’autorisais parce que maintenant tu n’hésites plus à répondre et à te faire entendre, un peu. Au moins Elmo admet que faire des blagues pourries sur les gens, c’est un truc qu’il fait, mais visiblement il ne voit pas que si c’est drôle pour lui, ça ne l’est peut-être pas pour ceux qui font l’objet de la blague. « Peut-être que pour toi ça veut rien dire, que c’est de l’humour mais tout le monde le vit p’t’être pas comme ça en fait. » tentes-tu de lui expliquer.

Il avait envie d’abandonner cette conversation, Elmo. De se lever, et de s’en aller. Il ne comprenait pas que ni l’un ni l’autre ne l’ait encore fait, en fait. Ils allaient continuer jusqu’à avoir reviré les sept dernières années dans tous les sens ? Jusqu’à en avoir étudié chaque couture, de cette pseudo-amitié ? Ils en avaient visiblement beaucoup sur le coeur, tous les deux, mais ça ne valait peut-être pas la peine de se faire du mal jusqu’au bout. Ce n’était pas le genre de situation où le duo se dit “on met toutes nos cartes sur la table et après on passe à autre chose, on en ressort plus fort”. Manny et Elmo n’en ressortiraient pas plus forts. Manny et Elmo en ressortiraient blessés, piqués à vif, insultés, déçus. Et surtout, séparés. Bon, peut-être qu’il n’y avait même pas quoi que ce soit à séparer, à proprement parler, mais quand même. Ils ne feraient même plus semblant de bien s’entendre. Pour le groupe, ce n’était pas de bonne augure, tout ça. « Et pourquoi tu dis ça ? » Demanda simplement Elmo quand Manny affirma qu’il aurait sûrement fait partie de ceux que l’italien aurait jugé. Il n’avait pas envie de se mettre les pieds dans les plats en essayant de devenir, alors qu’il élabore, lui, puisqu’il semblait si bien connaître Elmo et le genre de personnes de qui il se “moquait”. Ouais, pour Elmo c’était entre guillemets, parce qu’il n’avait pas vraiment l’impression d’être un genre de bully ou d’quoi. Il faisait juste des remarques drôles de temps en temps et pis bien souvent, ce n’était même pas en face de la personne, c’était dans son dos, juste comme ça, bien après les faits. Ça ne faisait de mal à personne, à son sens. Manny n’était pas de cet avis. Elmo soupira, se reculant dans sa chaise, lâchant un : « Pppfffffffff. » exaspéré. « C’est bon, quoi, j’vais juste arrêter de respirer, alors. » Il disait ça dans le sens qu’en gros, il ne pouvait plus rien dire sans que ce soit considéré méchant, ou immature, ou inutile, bref. Il avait l’impression, entre ce que Vega dénonçait et ce que Manny lui reprochait, que tout ce qu’il avait toujours été était mal. Alors, ouais, il agissait en petite victime. Il n'avait rien de mieux à répliquer anyway.

Il y a un an cette conversation entre vous aurait été tout autre, Elmo n’aurait pas eu à te reprocher des absences aux répétitions dans un premier temps et toi tu n’aurais jamais osé répliquer quoi que ce soit, lui faire des reproches, à part peut-être une ou deux petites piques un peu subtiles sans rien élaborer derrière. Il fut un temps où tu n’osais même pas leur présenter les morceaux que tu composais, tu gardais juste ça pour toi, de peur qu’ils les trouvent trop nuls et qu’ils te jugent. Oui le jugement des autres ça t’a toujours fait peur, tu as toujours voulu être bien vu, que les gens t’apprécient même si tu n’as jamais été le gars qu’on apprécie. Au mieux tu étais le gars qui laissait indifférent, un peu effacé au fond de la salle. Il y avait bien qu’en concert où tu te lâchais complètement, où tu osais, tu as toujours mis le feu sur scène, ça Elmo pourra jamais te reprocher de ne pas t’être donné à 100 % pendant vos concerts. Tu loupes peut-être des répétitions parfois mais tu es toujours là quand il le faut vraiment, tu ne les as jamais lâché. « Parce que j’suis le genre de mecs dont on aime bien se foutre. » expliques-tu simplement, parce que par le passé tu les as entendu les trucs dit dans ton dos mais sans discrétion, les petites remarques pas très sympas, les blagues limites. Quand tu as fait ton coming-out, certains se sont un peu plus lâchés sur ça, mais eux tu ne les as plus revu, tu as des limites pour être intégrés dans le groupe. Mais toi, le gars timide prêt à tout pour s’intégrer et devenir cool, tu es bien la cible de ceux qui veulent faire l’animation en soirée en se servant d’une personne prête à beaucoup de choses pour être acceptée. Tu as toujours su dire stop quand ça allait trop loin, comme une force intérieure qui venait te réveiller, mais c’est pas pour autant que tu n’as pas fait des conneries que tu regrettes, poussé par la pression du groupe. Tu essaies d’expliquer à Elmo que ses blagues sont peut-être pas drôles pour tout le monde, mais il se braque, te sortant un truc à la : on peut plus rien dire. Voilà, tu essaies de lui expliquer un truc sans essayer de trop l’enfoncer mais il joue encore les victimes et ça t’agace. « Oh la la ! Tu peux pas comprendre que ton humour c’est d’la merde des fois au lieu de chouiner ? Merde Elmo, t’as pas six ans et demi, tu peux te remettre un peu en question non ? T’es pas parfait mec ! Tu viens m’dire que j’te trouve trop low et tout soi-disant mais là j’te fais un reproche sur un truc et c’est la fin du monde. » Tu en as marre là, clairement.

Incapable d’introspection, incapable d’admettre que si Manny n’avait pas été dans son band, peut-être qu’il aurait effectivement été le genre de personnes dont il se serait moqué, Elmo haussa les épaules. « Ça c’est toi qui le dis, pas moi. » D’entre les deux, jusqu’à maintenant dans cette conversation, c’était plus Manny qui se rabaissait dans sa manière de se voir à travers les yeux d’Elmo. Certes, l’italien lui reprochait pas mal de trucs depuis qu’il s’était assis en face de lui, mais pour lui il s’agissait de faits, pas de jugements à propos de sa personnalité ou de son physique ou de son orientation ou whatever. Ça ne comptait pas. Et toutes les pensées qu’il avait pu avoir dans les sept dernières années, ne comptaient pas non plus. Pourtant, Manny n’avait pas tort, c’est juste qu’Elmo n’avait pas envie de perdre la querelle. Donc, au lieu d’admettre ses fautes, il jouait à la victime, manipulant la conversation en sa faveur. Évidemment, ça ne passait pas auprès du bassiste, et avec raison. C’était des enfantillages, de l’immaturité pure et dure, de la part de l’universitaire supposément blanc comme neige. « Tu chouines autant que moi depuis tout à l’heure, Manny. J’te fais une remarque sur ton implication dans le groupe et ça y est c’est la catastrophe et c’est la faute du gros méchant Elmo qui n’a jamais été sympa avec toi, qui n’a jamais voulu d’toi comme pote, qui s’fout de ta gueule en secret. Tu te construis un monde dans ta tête et après tu viens me le reprocher, j’sais pas c’est qui le gamin de six ans et demi entre nous deux, sérieux. » C’était un dialogue de sourds, leur truc, et ils se renvoyaient constamment le blâme. Ça voulait sûrement juste dire que c’était la fin pour eux, qu’il n’y avait plus rien à dire de toute façon.

Si tu ne t’étais pas laissé faire pendant aussi longtemps, ça aurait pu péter avant entre vous, parce que tu n’aurais pas laissé passer les petites remarques ou toutes les choses qui t’agacent chez Elmo. Si aujourd’hui c’est l’heure des comptes, c’est parce que vous avez retenu des choses pendant trop longtemps au lieu d’en parler calmement avant. Mais question maturité et communication, vous n’êtes pas les plus doués. Tu lui reproches son immaturité mais tu sais qu’actuellement tu n’es pas mieux mais en même temps tu en as marre de prendre sur toi, d’être celui qui doit faire profil bas tout le temps. Ce rôle, tu l’as épuisé et aujourd’hui tu n’en veux plus alors tu te plains et tu fais des reproches à celui avec qui tu fais de la musique depuis des années. Tu sens que votre conversation tourne juste en rond et qu’il n’y aura rien de bon à en tirer. Elmo a raison, tu t’imagines toujours plein de choses dans ta tête, que les gens ne t’apprécient pas, qu’ils parlent de toi dans ton dos, que tu ne seras jamais suffisamment à la hauteur pour mériter tes amis. Cette petite voix qui te dit tout ça, tu as essayé de la faire taire pendant des années, dernièrement tu t’en es plutôt bien sorti, même si ta rupture avec Elias vient tout remettre en question et que cette petite voix en profite pour revenir dans les moments où tu doutes d’avoir pris la bonne décision, dans les moments où tu es le plus vulnérable. « En même temps tu veux que je fasse quoi ? Que j’te laisse avoir raison comme d’habitude ? Bah nan, parce que j’en ai marre. » Tu en as marre de tout actuellement, tu as envie de tout envoyer balader et tu ne sais même plus à quoi ressemble ta vie à présent. « Tu m’fais chier Elmo. » dis-tu avant d’attraper ton plateau et de te lever. Tu as à peine mangé la moitié de ton plat mais tu prendras ton dessert avec toi et tant pis pour le reste.

Elmo aussi il en avait marre, actuellement, qu’on lui reproche tout le temps tout. Il était encore plus sur la défensive, du coup. Sûrement que cette conversation-là n’aurait jamais vraiment bien passé, peu importe le mindset dans lequel il se serait trouvé, mais là c’était comme la goutte qui faisait déborder le vase. Il réagissait certainement plus violemment que ce qui aurait pu se passer dans d’autres circonstances. « J’en ai marre aussi, ça mène à rien tout ça. » Sauf à leur perte. Et qu’ils poursuivent ou qu’ils arrêtent, il était déjà trop tard. Ils venaient de se perdre, officiellement, même si en réalité c’était perdu depuis un bon bout de temps. Il regarda Manny attraper son plateau et se lever, d’un bond, sans prévenir. C’était un ou l’autre, à ce point-là. Il avait juste été plus rapide. « Ça tombe bien, tu m’fais chier aussi, Manny. » Cracha-t-il amèrement. Puisque Manny s’en allait, Elmo aurait pu rester là, mais il n’avait pas trop envie d’rester à poireauter devant la chaise vide que le bassiste avait occupée pendant cette dispute. Il se leva donc à son tour, laissant son plateau là parce que clairement il était moins poli que Manny et se laissait traîner jusqu’à l’université. Il attrapa quand même ce qu’il restait de son sandwich parce qu’il avait quand même pas payé pour en laisser la moitié dans l’assiette. Il s’en alla, dans la direction opposée de son ancien ami, si on pouvait dire qu’ils l’avaient déjà été, amis.

TERMINÉ.