en retard, en retard, tu vas rester sur la touche si tu bouges trop lentement - alfie

17h. La journée avait bien démarré, honnêtement. J'étais arrivé tôt à l'école, on avait pas mal de truc à gérer avec la fin de la saison, c'était surtout le moment de prendre les inscriptions pour l'année prochaine, de préparer les plannings aussi des cours, et j'étais sur un gros dossier pour obtenir des financements en plus. J'avais une grosse et dure journée devant moi mais j'étais bien motivé. Ce qui m'avait moins enchanté, en revanche, c'était l'irruption d'une élève dans mon bureau à 10h15. Elle était un peu embêttée, parce que tout le groupe des 10-12 ans attendait dans l'un des studios mais leur professeur n'était pas arrivé. Je savais d'avance qui devait assuré ce cours. Alfie. Qui d'autre? Il était probablement le retard incarné. J'avais soupiré. J'm'étais levé et j'étais allé voir les élèves, qui attendait tous, les bras ballants, dans un coin du studio. J'avais tenté d'appeler Alfie, sans succès. J'avais fini par donner le cours moi même. Mais clairement, j'étais pas satisfait. Déjà parce que j'avais une grosse dose de travail à côté, et puis ce que je leur avais donné comme enseignement, c'était bancale. J'avais pris ça à la volée, ne connaissant rien de leur chorégraphie en cours et ça avait été un peu foireux. J'étais sorti de là, bien en colère. J'étais pas remonté contre les élèves, parce qu'ils s'étaient bien donné malgré tout. J'étais remonté contre Alfie et sa fâcheuse tendance à jamais être à l'heure. C'était pas la première fois. J'avais fini par lui envoyer un vocal, avec une voix bien froide. "J't'attends dans mon bureau à 17h Alfie. J'ai deux trois trucs à voir avec toi." J'me doutais bien qu'il savait que j'allais lui remonter les bretelles et je savais aussi que son p'tit côté impétueux allait probablement m'agacer, mais j'pouvais pas faire autrement. Fallait qu'on mette les choses au clair, lui et moi. 17h arrivait alors, j'terminais de bosser sur le dossier de financement, j'avais pas autant avancé que j'aurais voulu et j'étais probablement coincé ici jusqu'à 19h30 ou 20h mais j'avais pas le choix. Et Alfie qui n'arrivait pas. Il allait quand même pas être en retard à une convocation dont le motif principal était justement son manque de ponctualité. C'était presque risible à ce stade. Mais j'avais pas envie de rire, pas du tout, du tout.

@Alfie Holmes

Les gens normaux commencent leur journée à quoi, 8h, 9h, 10h peut-être pour les plus tardifs ? Mais toi, tu es clairement en train de dormir à cette heure-là. Ta journée elle ne commence pas avant quatorze ou quinze heure pour toi, le temps que tu te lèves, que tu te prépares, ta matinée c’est à l’heure du goûter pour les gens qui ont des horaires classiques. Tu vis la nuit, ça fait longtemps que c’est comme ça, les gens le matin tu les croises seulement avant d’aller te coucher, quand tu rentres après une longue nuit de fête et d’aventures et que eux vont travailler. Forcément quand Ramsay t’a mis un cours le matin, vers 10h, tu étais sûr que ça allait foirer. Pourtant pendant plusieurs semaines tu as réussi à y être, pas forcément au top de ta forme non plus, parce que ça te décalait totalement dans ton rythme pour une journée dans la semaine, mais bon, tu mettais ton réveil et tu étais là. Sauf que ce matin, tu l’as pas mis, tu as oublié et tu as dormi tranquillement jusque dans l’après-midi, ton téléphone en silencieux, ne voyant pas les appels de ton patron qui doit actuellement avoir envie de t’étriper. Après t’être réveillé comme une fleur vers quinze heures, tu vois son vocal, son ton est plutôt froid et tu sais que tu vas passer un sale quart d’heure. En vrai tu n’as pas envie d’y aller, si c’est pour te faire engueuler tu t’en passerais bien. Et si c’est pour te virer, autant qu’il t’envoie un message pour le faire, ça sera plus simple. Vous avez déjà parlé de tes retards et tu sais bien que le licenciement te pend au nez mais que tu es aussi un bon prof et que quand tu es là, tu assures. Tu traînes des pieds pour te préparer, tu prends ton temps et tu vas à reculons à l’école de danse, tu es en retard finalement mais ça ne te perturbe pas plus que ça. Tu rentres dans le bureau sans toquer parce que tu sais que Ramsay t’attend de toute façon et tu lui dis « Une reine n’est jamais en retard. Ce sont les autres qui sont simplement en avance. » Et tu t’assoies. Tu es pas désolé d’être en retard, ça servirait à quoi de s’excuser en fait ? C’est comme ça et puis voilà.

Je fulmine. La ponctualité, ça fait partie de mon mindset. Certains attendent de moi quelque chose, à une heure précise, et ça me semble entièrement logique de leur donner ça. J'le savais que Alfie et l'heure, c'était bancale. J'lui avais fait un emploi du temps qui featait au maximum avec ça, mais j'avais pas eu le choix que de lui caler un cours le matin à 10h, avec les jeunes. Un seul par semaine, juste celui là, qui était sur le matin. Il avait un râlé et tenté de négocier mais j'lui avais bien dit que c'était pas changeable. C'était une horaire qui allait avec cette tranche d'âge et il était pas question que ce soit une dizaine d'enfants qui doivent s'acclimater à un prof un peu paresseux tant que midi n'était pas passé. Il avait été là, Alfie, à plusieurs reprises, mais pas ce matin. Et c'était pas la première fois qu'il arrivait en retard. Et ce qui m'agaçait le plus dans tout ça, c'est que je savais qu'il était un excellent prof, je savais ce que l'école avait a gagné de l'avoir. Je savais que j'pourrais pas trouver un remplaçant aussi qualifié et performant que lui. J'étais coincé. Clairement, il le savait, et il savait aussi que j'pouvais pas le licencier aussi facilement. Ca mettrait en péril la fin de saison et le gala qui devait se tenir quelques semaines plus tard. Et j'le savais aussi qu'il avait cette tendance à minimiser ses retards. Et comme si ça suffisait pas, Alexis m'avait claqué dans les doigts, quelques semaines auparavant. C'était un peu d'ma faute, j'le reconnaissais, et on était déjà en effectif réduit. J'sais pas si c'était un patern propre aux professeurs de danse, mais malgré leur compétence, mon vivier de professeur était quand même un peu bancal. J'attendais dans mon bureau, aussi calmement que possible. A savoir : avec zéro calme. Il arrivait en retard en plus Alfie, c'était un comble. Et il finit par entrer, sans s'annoncer et qui plus est avec une p'tite phrase bien sentie pour mettre directement les pieds dans le plat. Quel culot! J'relève la tête, j'souris pas. J'suis toujours assez en colère. Je soupire. "T'ira dire ça à ton groupe de danseurs, qui t'ont attendu pendant une heure, et accessoirement aux parents qui paient une licence à l'année." que j'lui réplique, sans lever la voix, mais sans une once de sourire. J'me recule dans mon siège, et j'le quitte pas des yeux. Je soupire. "T'as même pas l'air désolé en fait. C'est p'tete ça le plus embêtant." que j'rajoute, lui laissant la parole, pour s'excuser de préférence. Même si connaissant l'oiseau, ça risque pas d'arriver.

@Alfie Holmes

Ton capital sympathie te sauve de bien des situations. Les gens te passent beaucoup de choses parce que tu es un gars sympa, rigolo, qui donne beaucoup aux autres finalement, jamais le dernier à complimenter, à tout lâcher pour retrouver quelqu’un qui en a besoin. Mais tu es aussi ce que les gens qualifient d’électron libre, à savoir le type que beaucoup de gens détestent parce que tu ne rentres pas dans le moule, parce que tu n’es pas dans la moyenne, toujours dans l’excès. Travailler, c’est assez compliqué pour toi, la danse t’impose une certaine rigueur et heureusement sinon tu aurais déjà été viré depuis longtemps. En dehors de la danse, tu as eu quelques autres petits jobs, mais aucun n’a duré bien longtemps, ton manque de sérieux te menant au licenciement assez rapidement. Là tu sais que tu as merdé en loupant le cours que tu devais assurer, que Ramsay ne va peut-être pas passer l’éponge cette fois. Pourtant, comme d’habitude, tu prends les choses à la légère, ne réalisant pas vraiment ce qu’il se joue derrière, que si tu perds ton job, tu devras rechercher autre chose, peut-être partir de Bowen parce que si tu veux rester dans la danse, en dehors de l’école il n’y a pas beaucoup d’opportunités. Mais tu n’y penses pas, parce que tu vis toujours dans le moment présent, sans penser au reste, aux conséquences. « Je leur apporterai un super gâteau la semaine prochaine. » promets-tu, pour te racheter. Tu vas probablement oublier et dans tous les cas, le gâteau ne sera sûrement pas de ta confection personnelle, la cuisine n’étant pas forcément ton fort. Le ton froid et sérieux de ton patron ne t’atteint pas plus que ça, tu n’es pas étonné qu’il t’en veuille. « Ça servirait à quoi d’être désolé ? Je peux pas changer le passé donc autant aller de l’avant ! » argumentes-tu. Tu pourrais balancer un désolé, mais ça n’a pas vraiment de valeur pour toi car tu ne sais jamais si ceux des autres sont sincères ou pas, vaut mieux se racheter d’une autre manière, faire comprendre qu’on a compris notre erreur. Tu l’as compris mais ce n’est pas dit que tu vas pas la reproduire. « J’aurais dû être là, j’étais pas là, j’ai pas vraiment de raison en plus. J’vois pas trop quoi ajouter. » dis-tu en haussant les épaules, voulant passer à autre chose.