au resto

Tu grimaces quand Amandine te suggère d’aller voir un film avec une histoire d’amour. Ça reviendrait à remuer le couteau dans la plaie. « Loving Annabelle », ça ne te parle pas plus que ça, en dehors du fait que le film n’est pas totalement récent. D’ailleurs, tu n’aurais jamais pensé que le cinéma de Bowen fasse des rediffusions, ce qui n’est pas un mal dans un certain sens. Tu hausses les épaules avec un sourire. « Pourquoi pas ? » Tu n’y vois pas d’inconvénient bien que ta vie sentimentale soit un désert, littéralement, et que cela te fasse royalement chier, surtout en ce moment. Quant à la perche qu’Amandine te tend, tu ne la saisis pas. Sur le coup, t’es aussi réactive qu’un mollusque. Pourtant, tu commences à être habituée à ce genre de choses… Ne connaissant pas le film en détail, tu ne te doutes absolument pas que l’élève en question soit une fille. Tu t’attends à une histoire, un pur cliché américain d’amour interdit, entre un adolescent et son professeur.

Tu te demandes ce qui lui pousse à t’inviter. Tu la connais à peine, vraiment, tout juste une semaine. Et, dans ta tête, ceci est loin d’être un… « date ». Tu écarquilles les yeux avant de te raviser à la place de faire un scandale dans le hall du cinéma. Enfin, apparemment, Amandine semble être déterminée à t’inviter, tu ne vas pas protester, ni encore moins de battre avec elle. Vous vous installez dans la salle. Tu finis par te détendre, que la personne à côté de toi n’est qu’une amie et que tu peux te comporter comme s’il s’agissait de Perry, Dasha… Comme un ou une amie quoi. Pas un mot ne sort de tes lèvres. Nada. Et puis le film commence. Il y a cette scène. Et ta tête vaut tous les coups d’œil du monde. Si tu n’étais pas assise à cet instant, tu serais déjà gisante sur le sol. En bref, t’as la bouche grande ouverte comme si tu venais de voir passer le petit Jésus en petite tenue (peu importe l’expression d’origine, ça revient au même). Tu déglutis plusieurs fois, convaincue que la pilule va passer. Nada bis. Tu n’as absolument rien contre l’homosexualité, mais sur grand écran, dans un film bondé de femmes – qui doivent certainement être en couple après réflexion – ça te laisse blême. Dammit, tu as changé de couleur, tu manques d’air là.

Alors que tu ne savais plus où regarder, tu te mets à fixer sa main sur la tienne. Frisson de surprise. Tu ne t’étais jamais attendue à cette éventualité. Non, pas de révélation sur une quelconque homosexualité ou bisexualité refoulée jusqu’à aujourd’hui. Tu ne sais définitivement pas comment agir sans qu’elle ne le prenne mal – après tout tu ne la connais pas plus que cela. Sans la blesser, ni même la vexer. Tu retires ta main rapidement, sans être une brute pour autant et sans lui adresser un regard, à la recherche de tes mots. « Je suis désolée, mais ce n’est pas vraiment… Mon truc. » Tu préfères opter pour la sincérité. Plus mal à l’aise que jamais, tu te lèves, profitant d’être sur un des fauteuils du côté, pour retrouver un peu d’air en dehors de la salle. Et puis, ce n'est pas comme si tu avais éventuellement quelqu'un en tête ces derniers jours.