dream on + MOEIRA

Sven n’aime pas spécialement les bars, mais il aime bien y travailler. Il n’est pas spécialement sociable, mais ce bruit ambiant le rassure. Il se sent comme protégé à l’intérieur de l’édifice. Il s’assit à une table, sortit son stylo et son carnet, prit ses notes et commença à rédiger une critique. Malgré le fait qu’il soit gaucher, l’encre ne le trahit pas. Avec le temps il a appris à ne pas mettre de l’encre partout, il est soigné. Certes, il pourrait écrire à l’ordinateur, plus rapide, plus pratique, pas mal de mains ensuite. Mais Sven est le genre d’homme qui ne raffole pas des nouvelles technologies. Il n’a pas d’ordinateur, mais une vieille télé qu’il apprécie. Elle est même très vieille, c’est l’une des premières télés couleurs, celles où la télécommande n’existait pas, faut dire à l’époque il n’y avait qu’une ou deux chaînes tout au plus. Il la fait restaurer et elle marche très bien. Il a la nostalgie d’un temps qu’il n’a pas connu. Il a également un blackberry, il lui sert parfois de calepin lorsqu’il n’a pas le sien sur lui, mais c’est rare. Disons que son portable est un peu son seul lien avec internet. A l’heure où les critiques s’envoient par mail, lui utilise toujours les courriers postaux. Lorsqu’il aura fini d’écrire son papier, il le rédigera de façon moins brouillonne à la machine à écrire. Il commande un café, histoire de ne pas se faire jeter dans les deux minutes qui suivront et sort son paquet de cigarettes. Puis il se souvient qu’on ne peut pas fumer à l’intérieur, tant pis, il attendra d’être sorti pour s’en griller une.

Sven ne leva la tête que pour constater qu’une jeune fille c’était assise non loin de lui. Il l’observa un bref instant, il retint les choses suivantes : elle aussi boit du café, elle aussi écrit quelque chose, elle porte une robe rouge, elle est blonde. C’est assez pour lui, il retourne travailler. A un moment, il bloque, il lui manque le mot. Tout le monde a déjà connu ce problème, on veut exprimer une idée mais on ne trouve pas le mot qu’il faut. Il fait travailler son esprit et retourne la tête vers la blondinette, il se dit que ça l’aidera peut-être. Il la scrute et remarque qu’il y a un livre sur sa table. Il essaye d’en voir le titre mais a un peu de mal à déchiffrer les mots. Et puis soudain le titre lui vient en tête. Il connait ce bouquin, il l’a lu il y a quelques années, il l’avait trouvé pas si mal. Se disant qu’il ne trouvera pas le mot dont il a besoin, il est pris d’un élan de générosité. Il range ses affaires et attrape son café. Il se dirige vers la table de la demoiselle et se poste devant elle en demandant « je peux vous aider. » du regard il montre le livre posé sur la table.

Moeira griffonnait des idées sans être particulièrement convaincue lorsqu'une voix d'homme la sortit de sa concentration. Elle leva la tête vers lui puis haussa les épaules avant de répondre: "Si vous vous y connaissez en littérature, pourquoi pas!". Le jeune homme lui avait gentiment proposé de l'aider, elle n'allait pas refuser face à cet élan de gentillesse, elle en avait connu si peu depuis son arrivée! Et puis, il n'avait pas l'air spécialement méchant. Sa dégaine était certes un peu étrange mais un tel moment de générosité ne pouvait pas être cassé. En tout cas, pas à cet instant! Moeira l'invita à s'asseoir auprès d'elle et rapprocha le livre du jeune homme. Il s'agissait des "hauts de Hurlevent" d'Emily Brontë, une littérature assez complexe qui ne passionnait pas vraiment la jeune femme. Elle préférait la littérature française qui lui manquait terriblement. Elle lui montra le bouquin et demanda, curieuse "Vous connaissez?" Question idiote, s'il lui proposait son aide, c'était bien parce qu'il connaissait l'histoire! Mais la phrase était dite, plus question de faire machine arrière.

Sven n’est pas l’homme le plus calé niveau littérature, mais on peut dire qu’il en connait un rayon. C’est un homme cultivé qui s’intéresse un peu à tout. De plus, en temps que critique de cinéma, certes, il se doit d’être un minimum calé en littérature pour pouvoir faire allusions aussi bien à des œuvres cinématographiques que littéraires dans ses écrits. Il s’assit en face de la jeune femme sans même lui demander son avis. Il remarqua qu’elle l’observait. C’est sûr qu’il n’a pas la dégaine habituelle d’un homme de vingt-deux ans. Pas de t-shirt à l’effigie d’une quelconque personne, pas de baskets. Seul le jean pourrait le trahir. Il ressemble plus à un prof’ d’université qu’autre chose. Mais ce look lui va plutôt et lui donne un petit côté mystérieux qui fait craquer les filles. Elle lui demanda ensuite s’il connait les Hauts de Hurlevent.  « bien sûr ! » répondit-il tout simplement. répondit-il tout simplement. Il l’avait lu. Cette histoire d’amour certes, mais presque incestueuse et complexe le fascinait un peu, il doit bien l’avouer.

A la réponse du jeune homme, Moeira sourit. C'était évident! Si l'histoire n'était pas si mal, la façon dont le livre était écrit ne lui plaisait pas particulièrement et le sujet ne l'inspirait pas le moins du monde. Tout en tapotant son stylo sur la table, elle lut à voix haute le sujet de sa dissertation : "Heathcliff, victime ou bourreau?" Elle posa ensuite ses yeux bleus sur le jeune homme, essayant de décrypter une éventuelle réaction. Ce personnage lui inspirait de la compassion, elle avait du mal à le voir comme un bourreau, ce qui ne l'aidait pas à compléter la partie négative du personnage dans sa dissertation. Peut être aurait-il un point de vue différent du sien, ce qui l'aiderait vraiment!!! Elle patienta donc, les yeux posés sur lui tandis que le bar se vidait du monde qu'il y avait lorsqu'elle était entrée, seules quelques personnes âgées accoudées au bar et un groupe de jeunes assis à une table buvaient un verre.

Les dissertations de ce genre, Sven ne les a jamais vraiment aimées. Même si au final, cela se rapproche assez de son travail actuel de critique, il trouve ça tout de même très différent. Elle lui expose le sujet de sa dissertation et il commence à réfléchir. Il pourrait très bien tout lui écrire et qu’elle finisse avec une excellente note, mais ce n’était pas son objectif. Il voulait qu’elle trouve les solutions par elle-même. « si vous n’aimez pas le livre je vous conseille ce film, avec Laurence Olivier, vous ne pourrez que aimer. » dit-il avant de griffonner sur un morceau de papier les références de l’œuvre : les hauts de hurlevents, Willian Wyler, 1939. Considérée par beaucoup comme la meilleure adaptation du roman, Sven est aussi de cet avis. En temps que cinéaste aguerri, il a vu une bonne partie des adaptations du roman, il apprécie d’ailleurs la toute première en 1920, mais il se dit que s’il donne un film muet à la demoiselle, elle ne risque pas d’apprécier fortement.  


hj ; surtout qu'actuellement wikipedia est mon meilleur ami vu que je n'ai pas lu le livre ni vu les films

La demoiselle lui dit qu’elle allait regarder le film ce soir. Sven se demanda si elle disait ça par politesse ou si elle allait réellement le faire. De nos jours les gens s’intéressent beaucoup moins au cinéma d’antan et le jeune homme trouve cela bien dommage lui qui apprécie tant ce genre de cinéma, bien qu’il aime les choses récentes. Disons qu’il trouve que maintenant trouver un scénario original est de plus en plus dur. Et que beaucoup de réalisateur jettent l’éponge pour faire des block-buster à gros budgets et effets spéciaux à la pelle mais avec un scénario en carton. Elle lui demanda ensuite si elle pouvait lui offrir quelque chose pour le remercier. Il montra sa tasse de café, mais dit finalement « je crois que celui-là ne suffira, je vous remercie également. » Sven est atypique autant dans sa façon de parler que dans son allure, son métier, son caractère.

La demoiselle dit à Sven qu’ils étaient tous les deux accrocs à la caféine. Ce n’est pas tout à fait la vérité. Le jeune homme préfère boire un bon verre de scotch pour se concentrer. Mais de peur de passer pour un alcoolique pour prendre un verre d’alcool fort à une heure aussi peu tardive, il se rabat sur le café qu’il apprécie également, mais ce n’est pas pareil. De plus, il ne boit que des cafés serrés le genre bien fort. Il ne supporte pas les cafés dilués de chez Starbucks. Elle lui dit ensuite qu’ils se parlaient depuis tout à l’heure sans qu’ils connaissent leurs prénoms. « Sven. C’est suédois, et non je n’ai pas que du ikea chez moi. Question récurrente. » répondit-il en faisant un geste de la main. Il n’est effectivement pas rare que le cliché du suédois qui vit qu’avec des meubles ikea lui revienne souvent. Surtout qu’il n’est qu’à moitié suédois puisqu’uniquement son père l’est. Sa mère est grecque et il est né à Amsterdam, alors comme ça ! « et le votre ? » ajouta-t-il ensuite.