eileen ✤ comme au bon vieux temps ?

« Passe une bonne journée ma chérie. » Leanne se pencha et embrassa sa fille sur le sommet de sa tête. Maëlys hocha la tête et, cartable sur le dos, partir dans la cours de récréation où son institutrice l'attendait afin de la présenter à ces futurs camarades de classe. Des camarades de classe qui semblaient fort curieux. Il faut dire que comparé à eux, Maëlys est assez petite. La fillette était en avance sur son âge. Alors qu'elle n'a que six ans, elle pense et réfléchit déjà comme une enfant de dix ans. Ce qui signifie qu'elle a sauté des classes. Leanne était fière de sa fille, fière de voir qu'elle était intelligente, fière de voir que sa fille semblait heureuse. Fiere de sa fille tout court. Elle avait toujours essayé de l'élever du mieux qu'elle pouvait, de lui enseigner les bonnes manières. Elle avait essayé de combler l'absence d'un père. Un père qui n'était rien qu'un dégonflé, incapable de prendre ses responsabilités. En s'éloignant de l'école, Leanne eut un pincement au coeur. Elle détestait être séparée de sa fille, même lorsque sa fille était à l'école. Elle avait toujours cette peur qu'on la lui prenne, qu'elle disparaisse. Une peur non fondée mais qui était bien présence. Ne travaillant pas aujourd'hui, Leanne avait sa journée de libre. Une journée à ne rien faire. Une journée comme elle ne les aimait pas. Elle aurait pu être en ce moment à l'université, elle aurait pu si elle n'était pas tombée enceinte... Non, elle ne pouvait tenir ce genre de propos. Montant dans sa petite voiture, Leanne eut alors l'idée d'aller au bar de la plage. Elle y avait passé de très bons moments étant adolescente et puis, elle tenait à voir si quelque chose avait changé ou non. En six ans, il peut s'en passer des choses ! De l'école à la plage, il ne lui fallut qu'une bonne dizaine de minutes. La circulation était moins dense, la plupart des gens étant arrivés sur leur lieu de travail. Leanne gara sa voiture sur le petit parking réservé au bar. De ce qu'elle voulait voir, il n'avait pas l'air d'avoir grandement changé. En s'avançant, elle constata que la décoration avait été néanmoins refaite. Celle-ci était plus moderne, plus dans l'air du temps. Seulement deux, trois personnes étaient attablées. Vu les tenues, il ne pouvait s'agir que de surfeurs venus tester les vagues. La jeune femme s'installa à une table donnant vue sur la mer. Le serveur arriva de suite pour lui proposer la carte du bar. Elle la consulta rapidement et choisit de prendre un jus d'orange. Simple et efficace. Les boisons alcoolisées. Le serveur était à peine repartit qu'une demoiselle fit son apparition dans le bar. Bien que six années s'étaient écoulées, Leanne n'eut aucun mal à reconnaitre Eileen. Eileen, sa cousine. La blondinette se leva et se dirigea vers Eileen. Cette dernière lui tournait le dos, attablée au bar. Leanne tapota gentiment son dos et lorsqu'Eileen se retourna, elle ne put s'empêcher de sourire. « Surprise ! » Oui, que pouvait-elle dire d'autre ? Elle n'allait pas se jeter à son cou quand même.

Leanne ne savait pas à quoi s’attendre en revenant à Bowen. Les gens allaient la voir, parlaient d’elle, parlaient sur son dos. Parler de sa fille aussi. Ils se demanderaient tous qui peut bien être le père de cet enfant. Les ragots, Leanne allait devoir les subir. Elle allait devoir tenir le coup. Il était hors de question que tout cela l’atteigne. Elle ne voulait pas paraitre faible aux yeux de sa fille. Elle devait se montre forte, la plus forte possible. Pourtant, la jeune femme avait déjà craqué de nombreuses fois. La plupart du temps, elle attendait que sa fille soit endormie ou qu’elle soit à l’école pour laisser les larmes couler. Elle pleurait à cause de sa situation financière préoccupante, elle pleurait car elle avait peur de l’avenir, peur de ne pas s’en sortir à terme. Elle pleurait à cause des problèmes de santé de sa fille … Leanne versait des larmes pour de nombreuses choses. Bien qu’elle ait un emploi de serveuse, joindre les deux bouts était quand même difficile. N’ayant aucun diplôme universitaire, le choix dans la recherche de petits boulots était limité. L’idée de reprendre des études ne lui avait jamais traversé l’esprit. Qui s’occuperait de sa fille pendant qu’elle serait en cours ? Qui irait la chercher à l’école ? Non, Leanne ne pouvait faire des études universitaires, c’était tout bonnement impossible. Pourtant, la jeune femme rêvait de faire des hautes études. Elle rêvait de devenir photographe professionnelle. Un rêve qui ne se réaliserait jamais, sa fille passant avant tout le reste.

Leanne ne savait pas comment Eileen allait réagir. Elle n’allait pas lui sauter au cou, c’était quasiment certain. Sa cousine n’avait pas changé. Toujours aussi belle, toujours avec ses longs cheveux bruns,… Elle avait tout simplement grandi. Là  où elle avait joué la carte de la gentillesse, sa cousine semblait vouloir faire tout le contraire. Son « Surprise » était très mal passé. Leanne écouta sa cousine lui balancer des reproches en pleine figure. Elle les méritait après tout. Aucune nouvelle pendant six ans, qui pourrait pardonner ça ? Pas grand monde. « J’ai très mal agi, je sais. » Leanne en avait parfaitement conscience. Elle ne pouvait revenir vivre à Bowen sans faire face à sa cousine. C’était impensable. La jeune femme s’installa sur la chaise à côté de celle d’Eileen. « Non, je ne t’ai pas donné de nouvelles, mais... t’étais pas à ma place Eileen. Tu ne sais pas ce que j’ai ressenti lorsque Callaway a sorti son chèque et que mes parents ont accepté. Tu ne sais pas ce que ça fait d’être traitée d’irresponsable. » Oui, les gens l’avaient traitée d’irresponsable lorsqu’elle avait annoncé qu’elle gardait le bébé. Elle n’avait pas voulu avorter, elle n’aurait pas pu. « Alors oui, je ne t’ai pas donné de nouvelles pendant six ans. Je n’ai donné de nouvelles à personne. Je … Je voulais prouver à tout le monde que j’étais capable de m’en sortir toute seule avec le bébé. Leur prouver qu’ils avaient eu tort de me traiter d’irresponsable, qu’ils avaient eu tort d’avoir payé pour me faire taire. Tu n’as rien à voir avec ces gens mais … » Elle cherchait ses mots, elle cherchait quoi dire. Elle n’osait même pas regarder sa cousine. « Je n’ai pas pu t’appeler. J’ai voulu le faire, crois-moi, mais je n’ai pas réussi. J’étais bloquée. » Bloquée. C’était le mot. Elle avait toujours eu l’impression que son « ex », Julian, en pinçait pour Eileen. Il lui aurait facile d’avoir des nouvelles d’elle et de l’enfant via Eileen. Dans le cas où elle aurait donné des nouvelles à sa cousine bien évidemment. « Si Callaway avait eu le malheur d’apprendre que j’avais donné des nouvelles à qui que ce soit, je me demande ce qu’il aurait fait … Quelqu’un aurait appris que son fils m’avait mise enceinte… Quel drame pour lui, quelle infamie. Il aurait sans doute encore sorti son chéquier et personne ne l’en aurait empêché … » Un petit rictus sortit de ses lèvres. En disant personne, elle visait Julian. Elle le visait très clairement et elle s’en foutait pas mal de dire ça devant sa cousine. « Je ne ferai jamais comme s’il ne s’était rien passé Eileen. Si je voulais nier, faire semblant, je ne serai pas venue te parler, je n’aurai pas gardé l’enfant, je ne serai pas revenue à Bowen. »

Dans sa tête, Leanne n’avait rien à se reprocher. Absolument rien si ce n’est le fait d’avoir fait silence radio durant tant d’années. A y réfléchir, il aurait bien été plus simple de répondre aux appels incessants d’Eileen. Cela ne lui aurait rien couté. Elle aurait quelqu’un à qui parler, à qui se confier. Or, en ignorant tout ce monde qu’elle avait quitté, elle s’était retrouvée seule. Seule sans personne à qui parler. Pourtant, Leanne avait toujours considéré Eileen comme la sœur qu’elle n’avait jamais eue. Elles avaient été tous l’une pour l’autre. C’est cela qui devait faire le plus mal à Eileen. Leanne en avait un peu conscience. Elle en avait eu conscience durant tout son long séjour à Melbourne. Pourtant, elle n’avait rien fait pour changer ça. Donc, oui, c’était elle l’irresponsable. Pas Eileen. Sa cousine lui renvoyait à la figure la vérité. La vérité cruelle et vraie. D’un côté, oui, il fallait la féliciter parce qu’elle avait réussi à s’en sortir seule avec sa fille. Ca, elle le dira jusqu’à la fin de sa vie. D’autres demoiselles n’auraient peut-être pas su garder l’enfant, l’élever comme elle a su le faire. Oui, c’était purement égoïste de penser ça. Mais pour Leanne, c’était tout à fait normal de penser cela. Eileen avait les larmes aux yeux tout en déversant son venin. La blondinette savait qu’il était totalement inconcevable qu’elle prenne sa cousine dans les bras. C’était tout simplement un jeu pour se recevoir une baffe. Déjà que les quelques clients présents dans le bar les regardaient … L’envie de consoler Eileen disparut à l’instant même où elle commença à parler de Julian. Elle le défendait. Leanne avait bien du mal à comprendre pourquoi sa cousine insinuait qu’elle ne savait rien… Ne rien savoir sur quoi ? Ne rien savoir sur le fait que Julian n’a pas voulu empêcher son père de donner de l’argent ? « Je ne peux pas le faire passer pour le connard qu’il est ? Alors là, oui, y’a des choses que je ne sais pas … Il a ses torts comme j’ai les miens. Ça, tu ne me feras jamais dire le contraire. Quant à l’enfant, je suis extrêmement heureuse de l’avoir gardé. Je n’aurai jamais su interrompre ma grossesse. » Leanne n’appréciait guère qu’on lui dise qu’elle aurait mieux fait de ne pas garder l’enfant. Jamais elle n’aurait pu se résoudre à avorter. Jamais. Elle y avait pensé une seule fois. Une seule. Et ce fut un « non » catégorique. Elle ne regrettait en rien d’avoir gardé l’enfant. Sa fille, elle l’aime plus que tout. Quand elle regarder Maëlys, elle ne voit pas une erreur du passé, loin de là. Eileen continua à adresser des reproches. Des reproches que Leanne écoutait comme si de rien n’était. Elle essayait d’en laisser paraitre le moins possible. Elle ne voulait pas se donner en spectacle comme ça. Pas ici. Ça lui faisait mal au cœur de voir sa cousine comme ça. Ça lui faisait mal au cœur de l’entendre dire qu’elle avait perdu sa sœur, sa raison d’être. Leanne observa sa cousine boire le reste de son verre et s’allumer une cigarette. « Oui, j’ai agi de façon impulsive et excessive. J’ai agi en pensant à moi et au bébé. Égoïste jusqu’au bout des doigts, je le reconnais. Je sais que t’as appelé. Lorsque je voyais, ton numéro s’affichait sur l’écran, j’ai toujours hésité à décrocher. Toujours et je n’ai jamais pu le faire. Quant à savoir si j’ai fait le bon choix … Oui, j’ai fait le bon choix en partant de Bowen. Surement pas en t’ignorant royalement comme je l’ai fait. Pour le reste, je ne regrette rien. » Non, Leanne ne regrettait rien. Elle n'aurait pu continuer à vivre, à avoir son ventre grossir tout en étant restée à Bowen. Elle n'aurait pu le faire sous les regards des habitants, sous les messes basses... « Pense ce que tu veux, pense que je ne suis pas une victime, je m’en fou Eileen. T’aurais sûrement pas réagi comme je l’ai fait si tu t’étais trouvée à ma place, je le sais. C’est moi qui me suis retrouvée enceinte, c’est moi qui ai décidé de garder le bébé, de l’élever. Pas toi. Pas Julian. Pas mes parents. Tu ne me pardonnes pas ? Tant pis, je vivrai avec. » Sans attendre une réponse de la part d’Eileen, Leanne retourna à la table où elle s’était installée et termina sa boisson rapidement, d’une traite. Elle qui était si douée pour dire tout ce qu’elle pensait et être parfois blessante dans ses propos, là, elle s’était complètement renfermée sur elle-même. Impossible d’être blessante avec Eileen. Et pourtant là, elle aurait voulu l’être.