circle of life (camilygo)

Cela faisait quelques jours qu’Emily avait appris qu’elle était enceinte. Quelques jours qu’elle angoissait, quelques jours qu’elle se demandait comment annoncer la nouvelle à Casey et Diego. Et quelques jours qu’elle redoutait tellement leur réaction qu’elle reculait inlassablement le moment où elle allait leur annoncer. Elle avait finalement trouvé le courage de leur demander de passer chez elle. Ses colocataires n’étaient pas là, autant au profiter. Elle préférait être seule avec eux pour leur annoncer la nouvelle. Le faire dans un café ou dans n’importe quel autre lieu public n’aurait pas été très malin… Dans son appartement, au moins, ils pourraient discuter (ou s’engueuler) sans avoir peur des regards extérieurs. Ils seraient seuls, tous les trois, et pourraient laisser libre cours à leurs émotions. Elle jeta un coup d’œil à sa montre. Dix-neuf heures. Ils n’allaient pas tarder à arriver. Elle stressait tellement qu’elle avait l’impression qu’un poids énorme lui compressait la poitrine, l’empêchant de respirer correctement. Ses mains étaient moites et elle se sentait nauséeuse – mais ça, c’était habituel ces derniers temps. La faute au bébé qui faisait sa place dans son ventre. Des tas de questions se bousculaient dans sa tête. Diego et elle se voyaient régulièrement mais elle n’avait jamais discuté de leur relation avec lui. Les choses se faisaient tellement naturellement qu'elle ne se posait même pas la question. Elle vivait l'instant présent sans se poser de questions - et cela faisait du bien par moment. Mais tout allait changer après l’annonce qu’elle avait à leur faire. Elle s’attendait déjà ce qu’ils s’énervent, la traitent de tous les noms ou pire encore, finissent par se taper dessus. Certes, elle dramatisait toujours tout. Mais comment deux hommes pouvaient-ils réagir sereinement en apprenant une telle nouvelle ? Le bruit tonitruant de la sonnette la fit sursauter. Show time, pensa-t-elle après avoir jeté un dernier coup d’œil dans le miroir. Son teint était étonnamment pâle, ses yeux vitreux et ses cernes trahissaient clairement son manque de sommeil. Génial. Elle avait l’air complètement misérable. Soupirant fortement, elle se traîna jusqu’à la porte pour l’ouvrir d’un geste mal assuré. Elle se fichait bien de savoir si c’était Casey ou Diego. L’important, c’était que maintenant que l’un d’eux était là, elle ne pouvait plus faire machine arrière. Elle se retrouva nez-à-nez avec Diego, à qui elle adressa un petit sourire. Elle ne savait pas vraiment comment agir : l'embrasser, le faire entrer sans rien dire ? Tout se bousculait dans sa tête et elle ne savait plus très bien ce qu'elle devait faire. Elle le fit entrer sans rien dire, simplement en se décalant sur le côté pour lui laisser la place, puis elle referma la porte derrière lui. Avec un peu de chance, Casey ne tarderait pas et elle n'aurait pas à meubler très longtemps.

Emily n’avait pas eu le temps de répondre à Diego que déjà, la sonnette retentissait à nouveau. Casey était là, cette fois-ci, plus question de se débiner. Elle allait devoir leur annoncer la vérité et même si elle avait préparé un discours, elle savait pertinemment que rien ne sortirait comme elle le voudrait. Il n’y avait pas de bons moyens d'annoncer une telle nouvelle de toute façon. Ce bébé tombait au mauvais moment - mais elle n'était plus à ça près. Sa vie était une succession d'événements fâcheux. « Euh… » Elle soupira doucement, regardant tour à tour Casey et Diego. Son cœur battait tellement fort qu’elle avait l’impression qu’il allait finir par imploser. Et dans le fond, ce ne serait pas plus mal. Si elle mourrait maintenant, elle n’aurait pas à leur dire qu’elle était enceinte et toute cette histoire serait enfin terminée. Elle n’aurait plus à choisir, plus à culpabiliser, plus à se torturer l’esprit jour et nuit, plus à s’en vouloir d’agir comme cela. Mais l’arrêt cardiaque tardait à venir et elle n’allait pas attendre indéfiniment. Ils devaient se demander pourquoi ils étaient là, tous les deux, et elle leur devait une explication. « Installez-vous », dit-elle timidement en se dirigeant vers le salon. Elle s’installa dans un fauteuil, désignant le canapé en face d’elle pour que les deux garçons y prennent place. Voilà que ses mains se mettaient à trembler. Génial. Elle n’allait pas survivre, elle en était certaine. De toutes les situations tordues auxquelles elle avait été confrontée, celle-là était la pire. Et de loin, de très très loin ! « Je… Faut que je vous parle. » Elle bafouilla sans le vouloir. Tout se mélangeait dans sa tête si bien qu’elle était incapable de penser correctement. Elle n’osait pas les regarder en face, elle avait bien trop peur de fondre en larmes – et ce n’était clairement pas le moment. Ils allaient sûrement penser qu’elle les avait convoqués ici parce qu’elle avait fait son choix. Mais non. Enfin, pas directement. Mais cette nouvelle inattendue allait changer beaucoup de choses, elle en était certaine. Frottant sa main contre son pantalon sous le coup de la nervosité, elle se pinça les lèvres et croisa le regard de Casey. Il avait l’air aussi misérable qu’elle et le voir ainsi lui faisait mal. C’est de ta faute, Emily. Bien joué ! « J’ai… » Elle s’arrêta. Ce n’était pas un bon moyen de commencer une phrase. Elle ferma les yeux une seconde, essayant de reprendre le contrôle sur ses émotions, puis elle poursuivit son discours : « C’est marrant, j’avais prévu de vous faire tout un discours bien tourné que j’avais répété devant ma glace pour être sûre de ne pas avoir l’air complètement idiote mais maintenant que je suis devant vous, je ne sais plus comment m’y prendre… » Elle esquissa un faible sourire, baladant ses yeux sur chacun d’entre eux. Elle savait qu’ils étaient dans une situation encore plus inconfortable que la sienne. Et elle savait aussi qu’ils devaient être mécontents de se retrouver côte à côte sur ce canapé. Mais elle n’avait pas d’autre choix. « Je suis enceinte », lâcha-t-elle finalement en baissant les yeux, la culpabilité lui brûlant la gorge. « Et… Et je ne sais pas lequel de vous deux est le… père. » Elle aurait pu employer le mot « géniteur » mais c’était tellement impersonnel qu’elle l’avait rayée de son vocabulaire. Elle osa finalement relever les yeux vers les deux bruns, le regard plein de culpabilité. « Je suis désolée. » Elle déglutit avec difficulté avant d’essayer de les rassurer. « Je compte le garder mais… Mais je ne vous demande rien. Je ne veux pas que vous pensiez que je vous ai demandé de venir ici parce que je veux que vous jouiez un rôle dans sa vie ou... ou dans la mienne. Ce n’est pas le cas. Je ne vous forcerai à rien. Y a… Y a des tests qui existent. Des tests de paternité qu’ils font avant la naissance, à ce qu'il parait c’est super fiable mais… Mais je ne vous forcerai pas à le faire si vous ne voulez pas. Et je ne vous forcerai pas à vous occuper du… bébé si vous n’en avez pas envie. Je ne veux pas que vous vous sentiez piégés ni obligés de quoi que ce soit. Je voulais juste vous mettre au courant. » Étonnamment, elle avait réussi à maîtriser les tremblements de sa voix et à parler clairement. Mieux encore, elle n’avait pas pleuré. Elle était décidément beaucoup plus forte qu’elle le croyait. Elle s’étonnait tous les jours. Elle ignorait où elle trouvait la force de continuer à vivre malgré toutes les épreuves mais au fond d’elle, elle avait l’impression qu’elle pourrait tout surmonter. Elle n’avait plus qu’à attendre la réaction des garçons. La vie continuerait malgré tout, quoi qu’il arrive. Peu importe comment ils prendraient la nouvelle, peu importe s’ils décidaient d’être auprès d’elle ou non… Elle n’aurait pas d’autre choix que de continuer à avancer.

Emily avait bien évidemment essayé d’anticiper les réactions de ses deux prétendants mais jamais elle n’aurait imaginé cela. Diego s’était levé brusquement puis leur avait tourné le dos sans dire un mot. Elle ne savait pas quoi en penser. Elle aurait préféré qu’il se mette à hurler, qu'il tape dans les murs ou qu’il l’insulte même. Mais cette absence de réaction ne présageait rien de bon... Alors qu’elle s’apprêtait à lui dire quelque chose, Casey prit à son tour la parole. Elle lui adressa un petit sourire, touchée par sa réaction plus que positive. Elle n’en attendait pas moins de son ex-mari pour être honnête. Elle était presque sûre qu’il accepterait de l’aider et qu’il remplirait pleinement son rôle s’il était le père. Et elle savait qu’il excellerait. Durant leur trois années de mariage, ils avaient plusieurs fois évoqué l'idée de fonder une famille. Pas sérieusement, évidemment, parce qu'ils étaient beaucoup trop jeunes pour y penser réellement, mais ils avaient évoqué leur avenir tous les deux et à chaque fois, le mot "enfants" revenait. Emily avait toujours aimé les enfants. Et elle avait toujours rêvé d'en avoir. Peut-être pas si jeune, peut-être pas dans ces circonstances. Mais il était hors de question qu'elle avorte. Ce bébé était là et aussi fou que cela puisse paraître, elle l'aimait déjà. Casey finit par poser sa main sur son ventre et Emily se mit à sourire doucement. Elle était heureuse qu'ils aient réussi à rester ci proche malgré leur divorce. Son regard se posa inconsciemment sur Diego, qui n’avait pas bougé d’un pouce depuis l’annonce de la nouvelle. Au fond d’elle, elle savait que cette nouvelle compromettait leur… relation. La voix de Casey la tira de ses pensées et elle reporta son attention sur lui. Quand il lui dit qu’elle allait être merveilleuse, elle planta son regard dans le sien et le regarda avec attention. « Tu le crois vraiment ? » Elle était loin d'en être certaine. Elle avait peur. Elle flippait à l’idée de ne pas être une bonne mère, à l’idée d’être aussi nulle que la sienne l’avait été… Elle redoutait de ne pas être à la hauteur, de ne pas savoir comment s’y prendre avec le bébé, de tout faire à l’envers. Le jeune homme parvint à lui arracha un franc sourire lorsqu’il déclara que son bébé serait « FDJGDFJGKJDFGJFDGJFD ». « Merci, Casey » fit-elle en lui jetant un regard reconnaissant. Elle était rassurée de savoir que quoi qu’il arrive, elle ne serait pas seule. Casey serait là. Il serait là pour l’épauler et l’aider dans les moments difficiles, peu importe qu'il soit le père ou non. Elle hocha doucement la tête quand il évoqua les tests de paternité. S’il était d’accord pour les faire, leur cauchemar serait bientôt fini. Si ses résultats étaient positifs, il n’y aurait plus de problème. S’ils ne l’étaient pas, ils sauraient avec certitude que Diego était le père – et ils aviseraient à ce moment là. « Je crois que le plus tôt serait le mieux… » Elle voulait savoir. Vivre avec un tel poids sur les épaules devenait insupportable. Elle n’arrêtait pas d’y penser, de se demander qui était le père, d’imaginer son futur en fonction des résultats du test… Elle n’en dormait plus. Serrant les mains de Casey dans les siennes pour chercher un peu de réconfort, elle soupira doucement. Maman. Elle allait être maman. Elle avait du mal à réaliser. « J’ai tellement peur de pas être à la hauteur… C’est horrible. » Elle planta une nouvelle fois ses yeux dans ceux de Casey, le détaillant sans vraiment le vouloir. Si la situation n’avait pas été aussi grave, elle l’aurait sûrement taquiné sur ses nouvelles lunettes. Ou elle aurait fait des allusions à leurs récents échanges par SMS, qui les avaient clairement rapprochés. Mais elle avait la gorge nouée et même si Casey s’était montré terriblement adorable, elle restait très perturbée par la réaction de Diego. Il n’avait toujours pas prononcé le moindre mot et ce silence lui faisait peur. Une fois de plus, Casey fut plus rapide qu’elle et s’adressa à son rival avant qu’elle puisse prendre la parole. Elle scrutait Diego d’un air inquiet, redoutant qu’il se mette en colère d’une seconde à l’autre. Il était tellement imprévisible qu’elle ne savait pas vraiment à quoi s’attendre. Elle écouta Casey essayer de le rassurer – mon Dieu, ce garçon était absolument parfait ! – puis elle se décida enfin à prendre la parole. Se levant du fauteuil pour s’approcher de Diego, elle essaya de capter son regard. Elle voulait le rassurer, lui montrer qu'il n 'avait aucune obligation et qu'il était libre de ses choix. « Casey a raison… Si ça se trouve, ce n’est pas toi le père et tu n’as pas à t’en faire. Et puis, même si c’est toi… Je ne te demanderai rien, Diego. Je ne t’obligerai pas à t’occuper du bébé. Ni à rester avec moi. » Elle était sincère. Elle comprenait très bien que cette nouvelle le chamboule totalement et elle ne lui en voudrait pas s’il préférait prendre ses distances. Après tout, ils n’avaient rien demandé. Cette histoire leur tombait dessus comme ça, sans qu’ils y aient été préparés. Encore un foutu coup du sort, histoire de leur rappeler qu’ils n’étaient pas faits pour le bonheur et que tout bon moment se payait un jour ou l’autre.

Casey enchaina une fois de plus les compliments et les lèvres d’Emily formèrent un sourire discret mais véritablement reconnaissant. C’était dans des moments comme celui-là qu’elle se rendait compte qu’à quel point Casey avait changé. Il n’était plus le jeune homme complexé d’autrefois. Il n’était pas celui qui se cache derrière des faux-semblants pour se faire accepter, pour « coller » au mieux à ce qu’attendaient les autres. Il n’était plus celui qui n’assumait rien et qui préférait fuir. Il aurait pu choisir de se dérober. Lui dire qu’au fond, ce n’était pas son problème et qu’elle n’avait qu’à élever cet enfant toute seule puisque c’était elle – et elle seule – qui avait pris la décision de le garder. Mais non. Il avait tout fait pour la rassurer et lui avait promis qu’elle pourrait compter sur lui. Quand il admit qu’il était d’accord avec elle pour faire le test au plus vite, Emily hocha brièvement la tête. « On sera fixés, au moins… » Sa voix trahissait bien son appréhension. Le simple fait d’évoquer ce test de paternité lui donnait la nausée – enfin, accentuait cet état nauséeux dans lequel elle était depuis quelques temps. Elle soupira doucement. Ce simple test allait bouleverser leur vie à tous les trois. À tous les quatre, même. Parce que l’être vivant en devenir qui grandissait peu à peu dans son ventre était lui aussi concerné… Dans tous les cas, il avait raison. Elle n’était pas seule. Elle avait la chance incroyable d’avoir des amis fidèles qui n’hésiteraient pas à la soutenir. Keelan serait là et elle l’épaulerait quoi qu’il arrive, comme elle l’avait toujours fait depuis son arrivée à Bowen. Aidan saurait aussi se montrer prévenant et protecteur, elle en était certaine. Et plus que tout, elle avait Casey.

Elle se tourna ensuite vers Diego, soucieuse de le rassurer. Elle voyait bien qu’il était en état de choc – quoi de plus normal après une nouvelle pareille ? – et elle tenait à ce qu’il sache qu’elle était sérieuse : elle ne l’obligeait à rien. Elle ne voulait pas qu’il se sente piégé. Pour toute réponse, le jeune homme lâcha un rire bref et amer qui la blessa - mais elle préféra ne faire aucune réflexion. Elle essayait de se montrer conciliante, de tout faire pour qu’il ne culpabilise pas s’il ne se sentait pas capable de jouer son possible rôle de père, et voilà qu’il lui riait au nez. Elle avait du mal à comprendre. Elle se contentait de le regarder fixement, sans rien dire, le cœur lourd. Puis il prit enfin la parole, confirmant ses doutes. Sa réaction était loin, très loin, d’être aussi positive que celle de Casey. J’aimerais tellement. C’est fou comme deux petits mots sans prétention peuvent être lourds de sens. J’aimerais tellement. Il disait à demi-mots que tout cela était au-dessus de ses forces. Que contrairement à Casey, il n’était pas prêt à assumer, pas prêt à s’occuper d’un enfant. Emily n’avait pas menti quand elle avait dit qu’elle ne lui en voudrait pas s’il choisissait de partir. Mais cela ne l’empêchait pas d’être blessée pour autant. Elle baissa la tête et se pinça les lèvres.   « Okay… Je comprends. » Que pouvait-elle répondre d’autre ? C’était son choix, après tout. Et elle ne pouvait pas le blâmer. Elle n’avait pas le droit de lui en vouloir pour ça. Elle le mettait dans le fait accompli et elle avait compris depuis longtemps que Diego était trop imprévisible pour devenir père. Il devait régler ses problèmes personnels avant de pouvoir ne serait-ce que l’envisager. Elle aurait pu l’engueuler, essayer de brusquer pour le faire réagir mais à quoi bon ? Diego était Diego, on ne pouvait pas le changer. C’est alors que la voix de Casey retentit, brisant le silence de plomb qui s’était installé une seconde plus tôt. Emily releva immédiatement la tête, fixant son ex-mari avec surprise. Casey. Qui tenait tête à Diego. Pour prendre sa défense. Wow. C’était une grande première ! Elle écouta chacun de ses mots, jetant de temps en temps un coup d’œil à Diego pour voir sa réaction. Lorsqu’il porta le coup de grâce en insultant Diego de « sale con compulsif qui se noie dans ses obsessions », Emily haussa les sourcils. Elle venait une fois de plus d’avoir la confirmation que le jeune homme qui se tenait devant elle n’était plus le Casey d’autrefois. Et elle avait l’impression de retomber amoureuse de lui à chaque fois qu’il ouvrait la bouche. C’était comme s’il était devenu tout ce qu’elle avait toujours attendu de lui. Elle ne l’avouerait jamais à voix haute mais elle espérait que cet enfant était de lui. Parce qu’elle savait que Casey assumerait pleinement son rôle et que les choses seraient bien moins compliquées avec lui. Sans compter qu’il serait un père formidable, elle n’avait aucun doute là-dessus. Elle n’arrivait pas à imaginer Diego avec un gosse. Il était bien trop libre, bien trop impulsif… Bien trop torturé pour pouvoir donner du temps et de l’amour à un enfant. Il devait d’abord faire du tri dans sa vie. Se débarrasser de cette rancœur, de toute cette rage qui le consumait de l’intérieur. Et cela prendrait du temps – s’il en était un jour capable. « Casey… C’est bon, c’est pas grave » fit-elle pour essayer de calmer le jeu. Malgré tout, la dernière chose qu’elle voulait était de les voir se disputer. Tout était bien assez compliqué comme cela. Elle soupira doucement, passant une main dans ses cheveux pour se donner une contenance. Et maintenant quoi ? Qu’allait-il se passer ? Qu’allaient-ils faire, tous les trois ? Diego ne semblait pas prêt à rester à ses côtés alors qu’elle était enceinte. Casey se disait prêt à assumer pleinement son rôle de père – même si ses tests n’étaient pas positifs. Et elle… Elle, elle était complètement perdue. Casey murmura une phrase à peine audible qui parvint pourtant à ses oreilles. Elle mit quelques secondes avant de la comprendre parfaitement. Une relation à l’aveugle ? Que voulait-il dire par-là ? « Quoi ? De quoi tu parles ? » demanda-t-elle en plantant ses yeux dans les siens, les sourcils légèrement haussés sous le coup de l’étonnement.

Avant qu’elle ne puisse réagir, Diego se précipita sur Casey et le plaqua violemment contre le mur. Emily sursauta malgré elle. Tout mais pas ça. Elle ne voulait pas qu’ils commencent à se battre. Elle était bien assez épuisée comme cela, ses nerfs n’allaient pas tenir le coup.   « DIEGO ! », cria-t-elle d’un ton ferme dans l’espoir de le faire arrêter. Mais elle savait que c’était peine perdue. Il ne ferait aucun mal à Casey, elle en était certaine. Il cherchait juste à l’impressionner, à jouer les gros durs pour ne pas ternir son image. Quand il affirma que voir Casey jouer les héros « convenait à tout le monde », Emily ferma les yeux, une fois de plus blessée par ses propos. Il se gourait complètement. Cette situation ne lui convenait pas plus qu’à lui. Ou qu’à Casey. Seulement il fallait  qu’ils agissent, qu’ils fassent des choix et qu’ils acceptent de prendre ou non leurs responsabilités. Elle ne blâmait personne. Diego avait parfaitement le droit de ne pas vouloir prendre part à cette grossesse. Mais elle refusait qu’il la tienne pour responsable ou qu’il pense qu’elle avait manigancé tout ça pour le chasser de sa vie. Elle n’était pas fourbe à ce point-là. Soupirant fortement, elle regarda son ex-mari se défendre – plutôt bien, d’ailleurs – en restant impuissante. Elle ne pouvait s’empêcher que tout ça était de sa faute. Pourquoi avait-il fallu qu’elle les mette dans une situation aussi inconfortable ? Elle s’en voulait. Elle s’en voulait terriblement de leur infliger ça. Elle s’en voulait terriblement de leur faire du mal. Passant une main sur son front pour essayer de se calmer, elle leur lança un regard peiné. « Arrêtez ! Stop, ça suffit ! » Elle ne supportait plus de les voir se battre. Elle en avait assez, elle avait envie qu’ils partent. Tous les deux. Elle voulait être seule. Mais Diego en décida autrement. Il se précipita sur elle avait une telle hâte qu’Emily fit un pas en arrière. Oui, l’espace d’une seconde, elle avait eu peur qu’il s’en prenne à elle comme il s’en était pris à Casey. C’était idiot ; elle savait que Diego ne lui ferait jamais de mal. Pas physiquement en tout cas. Il se mit alors à lui hurler dessus et la future maman eut l’impression que son cœur se déchirait. Une douleur lancinante lui transperçait la poitrine mais il était hors de question qu’elle baisse les yeux. Diego l’engueulait. Comme si elle était la seule responsable, comme si elle avait fait ce bébé toute seule. Que croyait-il, au juste ? Qu’elle était heureuse ? Que l’idée de devenir maman si jeune, si précipitamment, l’enchantait ? Eh bien il se plantait royalement ! Parce qu’elle était tétanisée. Et épuisée. Et triste. Et carrément angoissée à l’idée d’être une aussi mauvaise mère que la sienne. Mais c’était justement pour cela qu’elle ne pouvait pas avorter : elle voulait prouver, à elle-même et au monde entier, qu’elle en était capable. Capable d’élever un enfant convenablement, capable de le rendre heureux, capable de lui donner de l’amour… Capable d’être quelqu’un de bien, d’avoir une vie respectable. Soutenant le regard de Diego, elle secoua doucement la tête. Sa réaction lui faisait mal. Elle savait qu’il souffrait, lui aussi, mais il n’avait aucune raison de s’en prendre à elle de cette façon. « Contrairement à ce que tu penses, je n’ai pas choisi la situation. Je n’ai pas choisi d’être enceinte. Moi aussi, ça me tombe dessus et moi aussi, ça me fait chier ! » Elle avait légèrement haussé le ton sans le vouloir. Elle soupira, la colère retombant déjà. Elle se mettait très rarement en colère. Selon elle, s’énerver ne résolvait jamais rien. «  Mais qu’est-ce que tu veux que je te dise, Diego ? Ce bébé, il est là. Il est là et on doit faire avec ! Je sais que je pourrais faire comme si ce n’était pas un problème. Je sais que je pourrais avorter et continuer à vivre ma vie comme s’il n’avait jamais existé… Mais c’est au-dessus de mes forces. Je veux prendre ma revanche. Je veux prouver au monde que je peux être quelqu’un de bien, que je peux élever un enfant et le rendre heureux. Je veux me prouver que je ne suis pas comme ma mère, que tout ce qu’elle m’a dit, c’était du vent. » Elle se souvenait parfaitement des mots de sa mère : « tu n’es qu’une bonne à rien, tu ne feras jamais rien de bien de ta vie ». Elle voulait lui montrer qu’elle avait tort. Elle ne savait pas si garder ce bébé était une bonne idée mais elle était certaine de ne pas pouvoir vivre en sachant qu’elle avait avorté – qu’elle avait tué son enfant sans lui laisser la moindre chance. Elle déglutit difficilement. Parler de sa mère, c’était retourner dans le passé. Et elle ne le faisait jamais. Ses blessures n’étaient toujours pas refermées et à chaque fois qu’elle évoquait le sujet, elle avait l’impression que quelqu’un jetait du sel sur ses plaies ; la douleur était insoutenable et les larmes lui montaient instantanément aux yeux. Honteuse, elle garda les yeux rivés sur le sol. Hors de question que les deux hommes de sa vie (parce que c’est ce qu’ils étaient) la voient aussi misérable. «  J’en ai marre de tout ça… Bordel, pourquoi on peut pas vivre tranquillement, hein ? Y a des gens qui ont tout ce qu’ils veulent et nous, on est là à enchaîner les galères ! Qu’est-ce qu’on a fait, putain ? Qu’est-ce qu’on a fait pour que tous ces connards de Dieux nous détestent autant ? » Elle serra les poings et donna un violent coup dans le mur le plus proche. Elle ne s’était pas fait mal. Elle était beaucoup plus robuste qu’on pouvait le croire. Mais elle était tellement épuisée qu’elle avait envie de fondre en larmes et de s’enterrer dans son lit pour ne jamais en sortir. « J'en peux plus », lâcha-t-elle finalement en se laissant tomber sur le canapé, sanglotant comme une gamine.

Spoiler: