#17 ∆ Monde moderne

Du jour au lendemain, ou presque, tu t’étais retrouvée seule. C’était devenu beaucoup trop calme pour toi dans le coin. Vide, également. Il ne manquerait plus que tu vives dans un de ces appartements plus ou moins témoins : le manque de vie, l’ambiance aseptisée. La question ne s’est absolument pas posée : tu avais besoin de nouveaux colocataires. Financièrement parlant, certes, mais pour le moral. Surtout pour le moral, au final. Et puis une petite angoisse est apparue le jour de l’arrivée du nouveau venu. Tout compte fait, tu ne connais que le strict minimum à son sujet. L’idée qu’il puisse être un jeune psychopathe te frôle même l’esprit avant de s’évanouir. Tu finiras par enterrer cette idée en ouvrant la porte, juste parce qu’il est… Tu n’as pas de mot en dehors de fragilité et atypique en tête. Un sourire s’étire sur tes lèvres. « Poppy, rentre, vas y. » Sous-entendu : « faut pas avoir peur, je ne mange pas. » Tu serais bien l’une des dernières personnes à être capable de claquer la porte au nez de qui que ce soit sauf si c’était une question de vie ou de mort. Bien que les apparences puissent être trompeuses un jour ou l’autre, le nouveau n’a pas la moindre signe de menace. « Bon voyage ? » C’est la seule chose que tu articules, histoire de savoir s’il est enclin à la conversation ou s’il préfère que tu le laisses d’ores et déjà tranquille.

Oui, Poppy c’est aussi un peu atypique. Sauf que ça, tu ne peux pas le mettre sur le compte de tes parents. C’est la faute de ton frère, encore jeune lors de l’adoption, et une imagination débordante qui correspond à la période. Pour en revenir aux histoires de Malo, tu grimaces. Sans même savoir d’où son avion était en provenance, tu te doutes qu’il a vécu un calvaire pendant quelques heures (et encore, tu ne sais rien de son passé). « Charmant. » Tu abordes de nouveau ce sourire convivial, avant de reprendre. « C’est chez toi désormais, alors fais comme tel. Si tu veux prendre une douche ou même me dire que je parle trop. » Oui, autant le mettre au parfum : tu parles pas mal. T’es curieuse aussi, c’est pas ta faute. Tu veux connaître qui est celle nouvelle « petite » chose, au prénom quasi exotique tant que nous y sommes, vivant sous ce toit, afin de ne pas le décevoir ou quoique ce soit dans ce registre.

Bref, à première vue, Malo a l’air de tout, sauf d’être dangereux. Plus rassurant que son « allure » du p’tit gars tatoué sur les photos avec qui tu avais convenu de cette colocation à distance. Tu ne perds pas ton sourire en constatant qu’il a un creux : quand l’appétit va, tout va (ou presque). « Ouais, tu devrais trouver des trucs dans les placards, le réfrigérateur. » Contrairement à d’autres personnes de ton entourage, on peut compter sur toi pour trouver des placards toujours pleins et rien de périmé, en plus. « Ah si, par contre, je suis… végétarienne. Je t’impose rien du tout hein, j’ai juste pas prévu sur le coup. » Tu grimaces un peu de déception imaginant que monsieur soit du style « carnivore » et qu’il ne trouve pas son bonheur ici. Tu n’es pas en perpétuelle recherche de satisfaction des autres, mais… ouais, tu peux te montrer un peu perfectionniste et mère poule à tes heures.

Entre temps, tu t’es laissée tomber sur le canapé. Un véritable mollusque, enfin de repos. « Ah ! Si jamais, tu as un autre exemple de ce que tu souhaites dans ton changement de vie, n’hésites pas à le dire. » Après tout, aux premiers abords, vous ne semblez pas partager des tonnes de points communs… Qui sait, vous pourrez apprendre l’un de l’autre. En ce qui concerne sa question, tu prends tout de même la peine de réfléchir, puis te contente de hausser les épaules plus par réflexe que pour Malo qui ne te voit peut-être plus. Tu te redresses un peu pour lui répondre. « Je pense pas vraiment. Je mène pas la vie la plus palpitante. Par contre, ça m’étonnerait pas que tu aies des choses à dire, n’est-ce pas ? » Bon, tu ne lui as pas dit toute la vérité non plus, mais en dehors d’hypothèses, l’essentiel appartient à l’ancienne Poppy. Celle qui était la « fille princesse » de bonne famille, celle qui ne touchait jamais à une goute d’alcool, celle qui était plus que responsable, celle qui était pire qu’une mère poule avec son frère adoptif, celle qui pensait n’être que de passage à Bowen.

Tu ne tiens pas à ennuyer Malo, dès le début, avec tes histoires même si par précaution tu aurais pu d’ores et déjà le prévenir que tu sortais avec le type le moins pudique de la ville… Au cas où il passe la nuit ici ou décuve dans le salon. En attendant, le nouveau ne semble pas plus enclin que toi à parler de sa petite personne. « Qui tu es, un peu plus quoi. » Non, ta curiosité ne lâchera pas l’affaire. « Ce que t’aimes, t’aimes pas en général. Ce serait con que je te mette mal à l’aise ou quelque chose comme ça. » En effet, tu ne t’en remettrais pas de le blesser, de quelque façon que ce soit. Malo peut même te parler de ses allergies, s’il en a, notamment alimentaires pour que tu fasses les courses la conscience tranquille. Tes yeux s’illuminent quand il te parle d’animaux. « Nope, mais c’est pas l’envie qui manque. On avait un chat, mais lui aussi a quitté la colocation. » D’accord, tu es allergique aux « chats », mais t’adore ça. Les chiens aussi. Pas trop compliquée à ce sujet.

Tu l’écoutes avec attention. Dans ta tête, Malo devient un peu ce personnage compliqué, une sorte de vilain petit canard moderne. Surprenant. « T’as pas l’air bien compliqué à vivre, en somme. » Aucune remarque sur les fameux détails de ce qu’il aime ou n’aime pas. Peut-être que le temps te permettra d’en apprendre plus, qui sait. Le jeune homme n’a pas tort : il ne sait pas parler de lui. Maintenant, c’est ton tour de te dévoiler. « Je suis, ou j’étais, celle qui surprotégeait ses proches. C’était la raison pour laquelle j’avais tout plaqué aux États-Unis : ma vie, mes études… histoire de suivre Perry, mon frère ici, gérer son grand manque de responsabilité et de maturité. » Tu hausses les épaules, coupant ta tirade pendant quelques secondes afin de t’assurer que Malo ne s’enfuit pas. Oui, il peut, il en a même le droit : ce ne serait pas étonnant que tu reprennes le rôle de la fille surprotectrice avec lui. « Et… j’ai fini par sortir avec un gars, m’y attacher, couper le cordon familial et rester malgré le départ du frangin. J’essaye de reprendre ma vie en main, être indépendante de la famille. Ce genre de choses, tu vois ? C’est pas évidant quand on a grandi dans l’opulence et que tout était facile. » Mais tu ne t’en sors pas trop mal jusque là, n’est-ce pas ? « Je fume pas, mais tant que t’ouvres la baie vitrée ou la fenêtre, t’es pas forcé d’y rester scotché. » Non, vraiment tu n’y vois pas de problème. Tu te permets de faire l’aller retour jusqu’à la fenêtre pour lui faciliter la tâcher et qu’il se sente vraiment chez lui, à l’idée de faire comme il le souhaite. « T’avais un avis particulier sur les animaux sinon ? »

Tu acquiesces sans ajouter de commentaire quand Malo te demande cette précision au sujet de ton frère. Entre nous, si jamais il arrivait quoique ce soit de grave à Perry, tu doutes rester ici mener ta petite vie paisiblement comme aujourd’hui. « Tu le croiseras certainement, mais c’est pas lui qui risque de m’embêter. T’en fais pas. » C’est sur ce n’est pas Thad qui embêtera qui que ce soit… Enfin que Malo n’aille pas croire que ton copain est le pseudo type parfait que l’on peut voir sur les pages glacées des magazines, ça lui ferait un choc le jour où il sera amené à le rencontrer. Tu te grattes la tête lorsqu’il a cette petite réponse. « Okay… » À peine arrivé, il prépare déjà quelque chose. Tu n’as rien contre, tu es juste beaucoup trop curieuse. Tu manques même de trépigner d’impatience en plein milieu du salon. Puis, tu es quelque peu gênée, mais aussi nostalgique, à l’idée que Malo ait trouvé tes dessins. Cela faisait tout juste quelques semaines que tu avais commencé ton nouveau boulot et tu avais déjà la sensation de ne plus t’être exercée depuis des lustre. « Ouais, j’ai pas eu le temps de ranger certaines affaires. Y’en certainement encore quelques uns qui traînent. »