Les mariages, c'est génial ! [Romane]

Julie ne savait plus exactement où elle avait entendu parler de Romane Brighton mais elle avait été séduite par sa voix et sa prestance. Elle correspondait tout à fait au genre d’artistes qu’elle recherchait pour animer les mariages qu’elle organisait et elle n’avait pas hésité une seule seconde à l’engager. Fort heureusement, Romane avait accepté de travailler pour elle et jusqu’à présent, leur équipe fonctionnait plutôt pas mal. Elles s’entendaient très bien et avaient tissé des liens solides, au-delà de la simple entente cordiale qui est de mise lorsqu’on travaille ensemble. Amies, elles étaient devenues amies. Ce soir-là, Julie ne savait plus où donner de la tête. Elle avait organisé un mariage plus qu’important pour des gens ultra-friqués qui n’avaient cessé de l’ennuyer tout au long de la préparation de la cérémonie. Les fleurs, la décoration de la salle, les placements de table… Ils avaient multiplié les exigences et elle avait dû redoubler d'efforts pour contenter ses clients, leur offrant un mariage absolument grandiose qu’ils ne pourraient pas oublier. Satisfaite de voir que la soirée se passait pour le mieux, elle pouvait enfin rejoindre son amie à sa table et souffler un peu. « J’ai envie de les étriper ! J’ai hâte que ce mariage soit terminé », soupira-t-elle en se laissant tomber sur une chaise à côté de Romane. « La mariée se prend pour une diva. Si tu savais tous les trucs qu’elle m’a demandée… Je suis sûre que même Kate Middleton n’a pas eu autant d’exigences pour son mariage ! » Elle soupira à nouveau, essayant de se calmer. Elle adorait son métier mais quelque fois, elle avait envie de tout envoyer balader. Elle mourrait parfois d’envie de remettre ses clients à leur place et de leur faire comprendre qu’elle n’était pas non plus une esclave. Enfin bon, dans quelques heures, ce mariage serait terminé et elle pourrait oublier le visage de ces deux abrutis qui avaient fait affaire à elle. Elle adressa un sourire à Romane, ravie de pouvoir partager cette soirée avec elle. « Et toi, ça va ? Tu ne t’ennuies pas trop ? » Elle avait chanté quelques chansons pour divertir l’audience – avec succès puisque tout le monde l’avait acclamée chaleureusement – mais maintenant qu’elle avait passé le relais à un DJ, elle n’avait rien d’autre faire qu’observer les invités… Ce qui ne devait pas vraiment être réjouissant.

« C'était pas toi qui disais l'autre jour que les mariages c'était ta vie et que tu n'arrêterais pour rien au monde ce beau métier ? » Julie esquissa un sourire amusé. Oui, c'est vrai, elle l'avait dit. Mais c'était avant de rencontrer ce couple détestable qui lui avait pourri la vie pendant des semaines ! « Y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis », plaisanta-t-elle. Évidemment qu'elle aimait toujours son métier et qu'elle adorait organiser des mariages - pas pour le côté super touchant de la cérémonie mais simplement parce qu'elle adorait organiser des fêtes démentielles - mais elle devait avouer qu'elle se souviendrait de ce couple toute sa vie... Et pas en bien. « En même temps t'as vu sa robe, avec toute la dentelle ? Et la fourure, sur le gilet, t'as vu aussi ? Je me demande vraiment combien elle a couté. Tu sais toi ? » Julie éclata de rire sans pouvoir se retenir. En réalité, elle n'avait même pas cherché à se retenir. Rire un peu lui faisait du bien, elle pouvait relâcher un peu la pression et oublier pour quelques secondes qu'elle était entourée d'abrutis finis - Romane mis à part, bien entendu. « Je crois qu'il vaut mieux pas que je te dise le prix, t'en serais malade. C'est une robe de grand couturier, faite sur mesures et tout le tralala. » Elle leva les yeux au ciel, trouvant le fait de mettre autant d'argent dans une robe absolument ridicule. « Regarde-moi cette pimbêche », bougonna-t-elle en observant la mariée qui faisait son show un peu plus loin. « Et la demoiselle d'honneur... Sa robe est beaucoup trop serrée, c'est affreux. Et les talons de vingt centimètres, merci... Je serais curieuse de la voir danser tout à l'heure. À tout les coups elle va se tordre la cheville et s'étaler par terre. » Elle se mit à rire en imaginant la scène. Elle était un peu méchante mais ce n'était pas gratuit : ils l'avaient bien cherché. Toute la famille était imbuvable et ils étaient tous d'une prétention sans nom. Ils se prenaient pour des gens importants sous prétexte qu'ils avaient de l'argent mais au fond, il ne valait pas bien que qui que ce soit. « T'inquiète pas, je vais survivre maintenant que tu es là ! T'as fini de courir pour ce soir ou tu as encore des animations à organiser ? » Julie soupira doucement, désabusée. Elle n'était pas encore au bout de ses peines, malheureusement. « Normalement je suis tranquille pendant toute la durée du repas. Sauf s'ils ont des recommandations à me faire ou qu'ils se plaignent que c'est trop froid ou pas assez cuit... Ce qui va certainement arriver, vu que rien ne leur va. » Elle n'avait pas préparé le repas mais c'était elle qui avait engagé le traiteur. C'était donc à elle de jouer les intermédiaires et de prévenir son équipe lorsque les mariés se plaignaient de quelque chose... Ce qui pouvait se révéler épuisant.

« Ca fait plaisir de savoir que tu n'es pas imbécile alors ! » Même s'il m'arrivait parfois d'être susceptible, je savais parfaitement distinguer les attaques gratuites des plaisanteries entre amis. La phrase que Romane venait de prononcer appartenait à la deuxième catégorie et je savais qu'il n'y avait aucune raison de s'en offusquer. Je lui adressais un clin d’œil amusé pour toute réponse avant d'acquiescer d'un hochement de tête lorsqu'elle évoqua les personnes assez folles pour mettre autant d'argent dans une robe de grand couturier. Je ne pouvais que partager son avis ! « Ouais, tu m'étonnes ! Vu le prix que coûte ce mariage, on aurait facilement pu nourrir tous les sans-abris de la ville pendant un mois. Avec de bons repas, en plus ! » Bon, cette comparaison était peut-être un peu bizarre mais parfois, cela la rendait malade de voir que les gens dépensaient leur argent dans des choses aussi futiles. L'argent donnait énormément de pouvoir et elle se demandait pourquoi la plupart des gens choisissaient de s'en servir à des fins personnelles plutôt que d'aider les moins chanceux... Que resterait-il de ce mariage une fois la soirée terminée ? Rien. La nourriture hors de prix finirait dans les estomacs des invités, la décoration luxueuse finirait à la poubelle, la robe de mariée dans un placard. À quoi bon dépenser une somme pareille pour en profiter si peu de temps ? « Mais franchement, on dirait qu'elle n'en a jamais porté de sa vie ! Moi je suis capable de te courir le marathon avec ! » Julie manqua de recracha la gorgée de champagne qu'elle était en train d'avaler. La remarque de Romane était aussi marrante que vraie : cette arriviste n'avait jamais dû porter de talon de sa vie. « Je te parie ce que tu veux qu'elle va tomber dans moins de cinq minutes », dit-elle en souriant, sans décrocher son regard de l'invitée en question. Elle essayait de marcher jusqu'au buffet, faisant de très petits pas pour plus de précaution. Sa démarche était tellement mal assurée qu'elle avait l'air ridicule. Julie l'aurait presque pris en pitié si elle n'avait pas su que cette femme était affreusement riche - et profondément abjecte. « On prie pour que ça n'arrive pas alors, j'ai pas envie de me retrouver à discuter avec mon assiette moi ! » Julie reporta son attention sur Romane, l'air amusé. « T'en fais pas, je suis sûre qu'il y aura toujours quelqu'un pour te tenir compagnie ! Tu as un admirateur secret, ma belle. » Elle désigna discrètement un garçon, assis quelques tables plus loin. Il n'arrêtait pas de la fixer avec admiration depuis qu'elle avait quitter la scène. Ce qui était à la fois marrant et flippant, quand on y regardait bien... Bref, Julie était persuadée qu'il viendrait sans doute l'aborder si elle déguerpissait pour s'occuper des mariés.

Quand l'invité qu'elles observaient depuis quelques minutes s'écroula sur le sol, Julie se pinça les lèvres pour essayer de contenir son rire... En vain. La scène était bien trop risible pour qu'elle puisse se retenir ! Elle n’était pas du genre à se moquer des gens qui faisaient de mauvaises chutes mais là, c'était différent : la chute était celle d'une bourgeoise qui se croyait supérieure aux autres et qui portait des Louboutins même si elle ne savait absolument pas comment marcher avec. Elle devait s'estimer heureuse qu'un serveur ait assez pitié d'elle pour l'aider à se relever. Julie, elle, l'aurait probablement laissée mariner un peu. Rien que pour le plaisir de la voir rouge de honte. La conversation dévia rapidement sur Romane et son admirateur. « T'es sûr que.. Enfin non je pense pas. Ca doit être toi qu'il regarde ! » Julie lui adressa un sourire amical avant de secouer la tête. « Non, non, je peux t'assurer que c'est toi. Il te dévorait des yeux pendant que tu étais sur scène. Je crois qu'il cherche un moyen de venir t'aborder depuis tout à l'heure, le pauvre... » Il avait l'air un brin timide et n'avait sûrement pas énormément d'expérience avec les filles. Elle était sûre qu'il passerait le lendemain à se maudire de n'avoir rien tenté alors qu'il en avait mille fois eu l'occasion. « Il est plutôt pas mal. Tu devrais peut-être aller le voir ! », proposa-t-elle en souriant davantage. Pour un snob de première catégorie, il paraissait plutôt normal. Il était même mignon. Pas vraiment le genre de garçons que Julie appréciait, mais mignon quand même.

Julie regarda son amie avaler son verre de champagne d'une traite, un sourire aux lèvres. Romane était devenue étrangement nerveuse depuis qu'elle lui avait fait remarquer que ce garçon n'arrêtait pas de la fixer avec insistance et même si Julie ne le comprenait pas vraiment, elle trouvait cela adorable. Vu sa réaction, ce garçon avait l'air de lui plaire ! « Et puis, normalement ce sont les hommes pas les filles qui abordent en premier quelqu'un. Et..euh.. je saurais pas du tout quoi dire. Oh Julie... » Elle lui adressa un sourire réconfortant, espérant la déstresser un peu. « Hey, relax ! Qu'est- que tu risques à aller le voir ? Au pire, tu y vas, tu discutes un peu avec lui et ça t'évitera de passer la soirée à t'ennuyer toute seule à ta table. Au mieux, le courant passe super bien et tu finis la soirée avec lui. Je crois qu'il y a plus terrible, non ? », dit-elle en terminant sa phrase par un petit clin d’œil. « De toute façon je dois retourner m'occuper du couple de l'année », grommela-t-elle d'un ton ironique en voyant les mariés agiter les bras dans sa direction. Elle reporta son attention sur Romane, plus souriante que jamais. Elle était déterminée à ce qu'elle aille parler à cet invité mystère. « Allez, Miss Brighton. Un peu de courage ! C'est ça ou tu passes le reste de la soirée à discuter avec ton assiette... Et puis, tu as chanté devant tous ces gens tout à l'heure, c'est bien pire que d'engager la conversation avec un inconnu, non ? » Julie ne savait pas vraiment ce qu'était la timidité. Sans être sans gêne pour autant, elle était très sociable et n'avait jamais peur de parler aux inconnus. De toute façon, avec son métier, mieux valait mettre sa réserve de côté ! Elle parlait à des dizaines de personnes chaque jour et elle n'avait pas intérêt à jouer les filles intimidées !

Après avoir encouragé Romane du mieux possible, Julie s'était éclipsée le plus rapidement possible pour lui laisser le champ libre. Elle n'avait probablement pas avant qu'elle la regarde pendant qu'elle discutait avec son prétendant ! Et puis de toute façon, elle avait à faire. Elle se dirigea vers la table des mariés et discuta quelques minutes avec eux, faisant un effort surhumain pour rester courtoise et serviable, puis elle posa son regard sur la table du bel inconnu... qui était seul, à s'ennuyer ferme. Elle fronça les sourcils et balaya la salle du regard, à la recherche de Romane. Elle l'aperçut près des cuisines et écourta rapidement sa conversation avec les stars du jour pour rejoindre son amie avec hâte. « J'ai pas réussi, j'ai pas le courage. Comment tu fais toi pour être toujours si sure de toi ? » La trouvait parfaitement adorable, Julie s'approcha pour passer un bras réconfortant autour de ses épaules. « Le truc, ce n'est pas d'être sûr de soi. C'est d'avoir l'air de l'être », avoua-t-elle en souriant. « Si tu fais comme si tu as pleinement confiance en toi et que tu marches la tête haute au lieu de garder les yeux rivés sur le sol, les gens penseront que tu es bien dans tes baskets et tes rapports avec eux changeront. » Julie n'était pas la fille la plus confiante qui soit, mais elle refusait de laisser entrevoir ses failles. Elle restait digne et maîtresse de ses émotions en toutes circonstances, ce qui donnait l'impression qu'elle était sûre d'elle - et qui facilitait grandement les choses quand elle voulait aborder quelqu'un. Bon, d'accord, il y avait aussi le fait qu'elle était extravertie et très sociable, mais pour l'heure, ce n'était pas important. Ce qui importait, c'était de remonter le moral de la belle Romane et de la convaincre d'aller voir ce garçon. « De quoi tu as peur, Romane ? Franchement, regarde-toi ! Tu es absolument magnifique, sympa, drôle, hyper talentueuse... Y a des tas de filles qui tueraient pour être comme toi ! » Elle était sincère et cela se voyait. Elle la trouvait réellement géniale et elle ne comprenait pas pourquoi elle doutait d'elle à ce point. Elle avait tout pour elle et ce garçon serait idiot s'il ne s'en rendait pas compte !

« Des filles tueraient pour être toi oui. T'es bien plus parfaite que moi ! » La blondinette leva les yeux au ciel, préférant ne rien répondre pour ne pas lancer de débart inutile. Elle était loin, très loin d'être parfaite. Comme tout le monde, d'ailleurs ! La perfection n'existait pas et toutes les personnes qui semblaient s'en approcher n'étaient que des menteuses qui trompaient leur monde et se faisaient passer pour ce qu'elles n'étaient pas. « Viens, on retourne à la table et on en parle plus. J'ai envie de m'amuser moi. Avec toi et pas un inconnu sortit de nulle part ! » Julie retrouva le sourire et acquiesça d'un hochement de tête. « Très bonne idée, allons-y ! », dit-elle en attrapant son amie par le bras pour regagner leur table. Elle s'y installa rapidement et soupira de bonheur en s'asseyant. Elle espérait avoir un peu de temps à consacrer à Romane avant de devoir retourner s'occuper des mariés et de leurs invités. « Tu crois au mariage, toi ? », demanda-t-elle soudainement en se tournant vers Romane. D'aussi loin qu'elle se souvienne, elle n'avait jamais abordé ce sujet et elle était curieuse de connaître son avis. Et puis, c'était une discussion de circonstances, vu l’endroit où elles se trouvaient !

Julie éclata de rire en voyant la réaction de Romane. Il faut dire qu'elle avait posé cette question au beau milieu d'une conversation totalement banale alors évidemment, cela pouvait surprendre. Pour être honnête, elle était elle-même étonnée d'avoir posé cette question. Julie Bennett qui parle de mariage... C'est le scoop de l'année, pensa-t-elle. « Au mariage ? Je n'en sais rien. Je pense que l'amour, le vrai se suffit à lui même. Et toi tu en penses quoi ? » Julie haussa les épaules, pensive. Ce qu'elle pensait du mariage ? Rien de bien. Pour elle, ce n'était qu'une supercherie. Un moyen quelconque que les couples employaient pour se rassurer et essayer de se persuader qu'ils finiraient leur vie ensemble. Mais elle n'y croyait pas. Pas plus qu'en l'amour, d'ailleurs. « Je pense que les gens qui se marient cherchent juste à se rassurer », avoua-t-elle en haussant les épaules. « La plupart des couples qui font appel à moi ne se marient pas parce qu'ils en ont envie. Ils voient le mariage comme une sécurité, rien de plus. Ils se disent qu'une fois les alliances échangées, ils ne se quitteront plus jamais et que leur histoire durera... Mais c'est des conneries, tout ça. Quand on voit le taux de divorces, on se demande comment des gens peuvent encore croire au mariage... » Entendre une organisatrice de mariage parler comme cela était peut-être étrange, mais Julie n'avait pas la prétention de se faire passer pour ce qu'elle n'était pas. Si elle faisait ce métier, c'était simplement parce qu'elle aimait organiser de belles réceptions. Pas pour le côté super-romantique - voire même carrément niais - des mariages. Elle soupira doucement et posa ses yeux sur son amie. « Je ne sais même pas pourquoi je t'ai demandé ça. Ils vont finir par me rendre niaise, avec leur ambiance romantique et leurs cœurs partout... », soupira-t-elle en regardant autour d'elle. L'ambiance était telle que les mariés l'avaient souhaitée : romantique à souhait. Pleine de blanc, de rose, de cœurs, de colombes... Tous les clichés étaient réunis. Julie n'appréciait aucun des éléments qui composaient la décoration mais elle n'avait pas eu son mot à dire ; son rôle était de réaliser les souhaits des mariés, par de faire qu'elle aimait. Elle espérait que ce trop-plein d'amour n'aurait pas raison d'elle et qu'elle ne se mettrait pas à parler d'amour comme d'un truc incroyablement beau. « En tout cas, si un jour tu te maries, tu as intérêt à me demander d'organiser ton mariage ! », reprit-elle en souriant à Romane. Elle le ferait avec plaisir. Et certainement avec trois fois d'entrain que pour le mariage d'inconnus qu'elle détestait, comme ceux de ce soir.