Nuit nocturne... Ou pas [PV]

Ma sœur décida d’aller fumer, et malgré la moue que je fis, je n’insistai pas. Il fallait que je choisisse mes combats. Déjà que ce soir j’avais eu de l’influence sur son choix de métier, je n’allais pas maintenant m’attaquer à son utilisation de la cigarette. Ce serait une autre fois, peut-être même en ralliant nos parents à ma cause si jamais elle se mettait à fumer devant eux également. Pour le moment, je la laissai aller et je rentrai dans le local du médecin. Celui-ci m’examina pendant une quinzaine de minutes au total, me replaçant le nez en un craquement d’os plutôt désagréable, et me donnant une prescription pour des antidouleurs. J’en aurais besoin, qu’il disait. Des compresses d’eau froide également. Je le remerciai et, comme un grand, je repartis sans plus tarder. En sortant de la salle, je réalisai qu’Amélia n’était toujours pas revenue. Ne sachant pas par quelle sortie de l’hôpital elle était passée pour aller fumer, je lui envoyai un message texte. Aucune réponse au bout de cinq minutes. Je commençai donc à déambuler dans les couloirs, à la recherche de la sortie la plus près que je pourrais trouver.

C’est alors que des infirmiers-ères et médecins apparurent au bout du couloir, alarmés. Certains d’entre eux poussaient une civière et ils n’arrêtaient pas de se crier des informations diverses à propos du patient. Jeune femme dans la vingtaine, rythme cardiaque à tel chiffre, renversée par une voiture à l’entrée de l’hôpital, stable pour le moment, inconsciente. La civière passa juste à côté de moi. Mon cœur s’arrêta net de fonctionner. Je n’arrivais plus à respirer, tout d’un coup.

Amélia. Elle était là, allongée sur la civière, ses petits yeux clos. Elle était égratignée sur le visage, probablement à cause de sa chute suite à l'accident. Elle saignait un peu du visage. Je commençai tout de suite à suivre l'attroupement de médecins. Les infirmières me demandèrent de partir, de laisser le champ libre, elles me disaient que je n'avais pas d'affaires à être là. « Non ... Non ... C'est ma soeur ! » Lançais-je. Mais les médecins me demandèrent d'attendre à l'extérieur, qu'ils s'occupaient de ma soeur, que je devais rester à l'écart pour qu'ils puissent faire leur travail. Alors je restai là, seul, mon monde venant de basculer.
 

L’attente était insoutenable. Je ne faisais que me repasser cette soirée encore et encore dans ma tête, ne pouvant tout simplement pas y croire. Comment tout avait pu aussi mal tourner ? Il ne s’agissait que de l’enterrement de vie de garçon d’un ami et pourtant, là, tout virait au cauchemar. Premièrement une dispute avec ma sœur, ensuite la perte d’un ami, un nez cassé et le pire pour la fin : ma sœur était victime d’un accident. Cela relevait de l’irréel, je devais me pincer pour me réveiller. Mais non, je ne me réveillais pas. Après une dizaine de minutes à regarder, sans bouger, les portes qui s’étaient refermées après le passage de la civière de ma sœur, je décidai enfin de décrocher mon téléphone portable et d’appeler mes parents au beau milieu de la nuit pour leur apprendre la situation grave d’Amélia. Ils allaient arriver dans la demi-heure.

Ils n’étaient toujours pas arrivés lorsque le médecin s’occupant de ma sœur revint vers moi. Il me dit d’abord qu’ils allaient perdre ma sœur, et mon cœur faillit lâcher. Mais, dans la même phrase, il m’apprit que maintenant elle allait bien. Je fronçai les sourcils dans l’incompréhension. « Vous allez la perdre ou elle va bien ?? » La colère montait en moi devant de telles vagues informations. Le médecin ne fit que me dire le numéro de chambre et partit. L’oubliant tout de suite, j’accélérai le pas jusqu’à la chambre indiquée. J’entrai en trombe et trouvai ma sœur, les yeux fermés, branchée partout sur son petit corps. Je m’approchai de son lit et attrapai sa main. « Amélia ? » Demandais-je d’un ton qui se voulait calme, mais qui ne l’était sans doute pas.

Je ne compris pas ce qu'Amélia marmonnait d'abord. Elle ne faisait que grommeler des chiffres ou un truc dans le genre. Alors que j'allais m'approcher de sa bouche pour mieux entendre, elle ouvrit les yeux et tourna la tête pour me regarder. Je me reculai légèrement et sourit tendrement. Elle m'appela son amour, comme tout à l'heure dans la salle d'attente, et cette nouvelle habitude de sa part n'avait toujours pas fait son chemin jusqu'à ma tête, mais tant pis. Je ne relevai pas. « Hé ... garde tes forces ... » Lui dis-je comme pour lui faire comprendre de ne pas essayer de trop me parler si c'était difficile pour elle. Elle devait se reposer, après tout ce que son corps venait d'endurer. Tout d'un coup, Amélia commença à paniquer et à pleurer. Je fronçai les sourcils, et quand elle m'appela "bébé" et qu'elle dit ne plus sentir ses jambes, je savais que quelque chose n'allait vraiment pas chez ma soeur. Je caressai son front. « Chut, calme-toi Amé, c'est Nell, ton frère. » La rassurais-je, me disant qu'elle était sans doute confuse si elle en était au point de m'appeler "bébé", comme si j'étais son amoureux. « Je vais appeler l'infirmière. » Je tentais de garder mon calme même si le fait qu'elle ne sente plus ses jambes me fasse tout autant paniquer. J'appuyai sur le bouton d'urgence et attendit qu'un membre du personnel arrive, caressant le front de ma soeur et tenant sa main de mon autre main.

L'infirmière de garde ne tarda pas à arriver, alarmée par le signal que j'avais lancé en appuyant sur le bouton rouge près du lit de ma soeur. Je lui cédai ma place, me tassant seulement un peu afin de demeurer dans le champ de vision de ma soeur. Elle paniquait de plus en plus, et je ne voulais pas l'abandonner. Je restai donc tout près afin qu'elle ait quelque chose, ou plutôt quelqu'un, à qui s'accrocher. La pauvre, elle ne cessait de pleurer et, honnêtement, les larmes ne tarderaient pas à monter à mes yeux également si l'infirmière ne disait pas quelque chose de rassurant bientôt. Malheur, elle quitta la pièce pour aller chercher le médecin, seul commentaire qu'elle fit durant son intervention. Rien de plus. Aucune indice sur la situation de ma soeur. Je repris bien vite ma place de choix auprès d'Amélia et je recommençai à lui jouer dans les cheveux, là où elle n'avait pas de bandage. « Non, tu n'as rien fait de mal. Ça n'a rien à voir. » Amélia ne devait pas penser qu'elle était punie pour quoi que ce soit. Des accidents ne s'appellent pas des accidents pour rien. « C'est probablement juste les médicaments ... » Dis-je, autant pour me rassurer moi qu'elle. Le médecin revint alors avec l'infirmière ; ils avaient fait vite.

Ma sœur se calmait doucement plus je lui caressais les cheveux. Je continuai donc, voyant que sa respiration se calmait également. Je fronçai les sourcils en écoutant ma sœur parler de Dieu et de sa punition. Je ne comprenais pas pourquoi elle parlait de cette façon. Les Malinowski n’avaient jamais été très croyants, au contraire. Amélia et moi n’allions à l’église que pour les funérailles, mariages ou baptêmes, et ces occasions s’étaient faites plutôt rares dans notre enfance et adolescence. Je ne comprenais donc pas pourquoi Dieu faisait tout d’un coup parti de son discours. « De quoi tu parles, Amé ? Personne ne te fait quoi que ce soit, et ce n’est pas une punition … c’était un accident, Mélia. Juste un accident. Rien à voir avec ton boulot, ou toi … » Le coup avait dû la déboussoler pour qu’elle soit aussi déconnectée de la réalité. J’avalai difficilement, le visage inquiet.

Dès que le médecin poussa la porte de sa chambre, ma sœur recommença à pleurer de plus bel. Visiblement, elle était apeurée par toute la situation. Mais elle exagérait carrément et je ne comprenais pas pourquoi elle était tout d’un coup aussi sauvage. Je m’éloignai de son lit alors qu’elle criait au pauvre médecin – qui ne voulait que la rassurer – qu’elle se foutait de son aide et qu’elle en avait marre. Amélia, du revers de sa main, jeta tout ce qui se trouvait sur la table de chevet à côté d’elle par terre, gesticulant de tout bord tout côté. En essayant de se lever, elle s’effondra au sol. Je m’agenouillai rapidement auprès d’elle et tentai de la rattraper. « Mélia, calme-toi, bon sang ! Ils sont là pour t’aider, il faut que tu te calmes ! » Rien n’y faisait. Je me tournai vers le médecin. « Vous ne pouvez pas lui donner quelque chose pour la calmer ? Elle n’est pas dans son état normal ! » Le suppliais-je.

Dès que j’eus demandé qu’on donne à ma sœur quelque chose pour la calmer, tout se fit très rapidement. Le docteur ordonna quelque chose à l’infirmière qui revint rapidement avec une seringue. Amélia suppliait qu’on ne lui fasse rien, mais sachant que c’était pour son bien, j’hochai la tête en signe d’approbation devant le médecin. Ma sœur n’était visiblement pas en état de choisir ce qui était bien ou pas pour elle. Dès que l’aiguille fut rentrée et le liquide injecté, Amélia commença à se fatiguer, à moins se battre contre mes bras qui tentaient de la retenir tranquille. Puis, après avoir murmuré le nom de mon maintenant ancien ami, elle s’endormit. Je soupirai, soulagé de la voir paisible même si ce n’était que superficiel sans doute. Avec l’aide du docteur, elle fut de retour dans son lit en moins de trente secondes. Le médecin me demanda alors ce qui s’était passé pour que ma sœur soit autant agitée, et je lui expliquai au mieux de ma connaissance, en partant du début jusqu’à l’accident auquel je n’avais pas été témoin. Il m’indiqua qu’il s’agissait d’une réaction digne d’un stress post-traumatique, qu’elle avait été très ébranlée ce soir et que c’était pour cette raison qu’elle avait paniqué. Si, à son réveil, elle demeurait agitée, elle allait devoir consulter le psychologue de l’hôpital. J’acquiesçai à tous ses conseils puis, une fois qu’il fut parti, je pris place dans le fauteuil à côté du lit de ma sœur et je la regardai dormir. Au bout de deux heures, je m’assoupis à mon tour, au bout du rouleau …

Je m’étais réveillé plusieurs fois durant la nuit. À chaque fois que je consultais le cadran, une autre heure s’écoulait, parfois plus, parfois moins. Je finissais par me rendormir en constatant que ma sœur, elle, semblait toujours paisible dans son sommeil. Je n’aurais su retrouver le mien en sachant qu’elle souffrait, mais pour le moment elle semblait toujours aussi calme que lorsque le médecin lui avait administré une sorte de sédatif. La dernière fois que j’ouvris les yeux, les premiers rayons du soleil se montraient le bout du nez dans la fenêtre au bout de la chambre. Après, le temps a passé comme une flèche et je ne réveillai de nouveau qu’en entendant la voix d’Amélia et en sentant le contact de sa main sur mon visage. Elle chuchotait mon prénom, me sommant de me réveiller. J’ouvris tranquillement les yeux, et prenant conscience de l’endroit où je me trouvais et me souvenant de la soirée et la nuit que nous venions de passer, je me redressai rapidement sur mon fauteuil. « Amélia ! Comment te sens-tu ce matin ? Comment tu t'es assise .. ? Tes jambes ... ? » Avais-je doucement demandé à m’avançant vers elle pour qu’elle n’ait pas à trop bouger pour qu’on soit près l’un de l’autre. J’avais hâte de connaître la situation de ses jambes, et je priais pour qu’elle les sente entièrement.