alone in the dark ~ wooja

L’appartement était vide. Déjà qu’à la base c’était un logement trop grand pour deux personnes, le fait de se retrouver subitement seul de nouveau pesait lourd sur Woody. Sara était retournée vivre chez ses parents pour quelques semaines, depuis la Fête de la commémoration. Les quelques semaines s’étaient transformées en mois, et ils ne se parlaient même plus. Même après la tempête, ils ne s’étaient passé qu’un simple coup de fil pour s’assurer que tous les deux étaient sains et saufs. Rien de plus. Et depuis, silence radio. Se croiser par hasard n’était pas encore arrivé, mais Woody s’imaginait bien que Sara aurait tout fait pour l’éviter, quitte à changer de côté de rue s’il le fallait. Ils se fuyaient. Ils avaient trop peur de se confronter de nouveau. Woody avait grandement déçu Sara, et Sara le décevait dans sa réaction, et aussi parce qu’elle avait son lot de responsabilités, elle aussi. Elle avait embrassé Jamie. Ce n’était peut-être qu’un baiser d’au revoir, comme elle le prétendait, mais reste-t-il qu’elle le lui avait caché. Et ça, ça n’avait pas aidé Woody dans son cheminement vers les bonnes décisions. D’ailleurs, cela s’était reflété dans l’attitude du jeune homme le jour de la tempête, avec Freja. Il s’était laissé aller, il s’était laissé retomber dans son impulsivité, dans ses désirs. Il ne le regrettait qu’à moitié, c’était bien ça le pire. Il se sentait coupable d’avoir flanché alors que Sara et lui avaient besoin de se reconstruire, mais en même temps Freja avait toujours eu une place spéciale dans son cœur, et ce baiser n’était pas un mensonge. Sauf que maintenant, il avait l’impression d’avoir perdu Freja aussi, parce qu’il avait été incapable de choisir. Sara, ou Freja. La blonde ne semblait plus vouloir, elle non plus, le croiser, puisqu’il n’avait pas eu de nouvelles d’elle depuis leur baiser.

Jusqu’à ce que le téléphone sonne très tôt le matin. Trop tôt. Le soleil n’était même pas encore levé. Le dit téléphone portable vibrait sur sa table de chevet, et Woody grommela quelques paroles incompréhensibles avant de l’attraper, et de constater qu’il s’agissait d’un numéro inconnu. Il hésita entre ignorer cet appel qui était sans doute une erreur et retourner dormir, ou répondre et envoyer promener la personne qui appelait à une telle heure. Il répondit. « Allô ? » Pour au moins lui donner une chance de se présenter. Et il se réveilla tout d’un coup, quand il entendit la voix de Freja à l’autre bout du fil. « Frej’ ? » Elle lui expliqua alors qu’elle était au commissariat, qu’elle avait besoin qu’il vienne la chercher. Elle avait besoin de lui. Elle avait besoin de lui. « J’arrive tout de suite, Freja. » Sa voix tremblait, Woody sentait que quelque chose n’allait pas. Il s’extirpa donc de son lit en vitesse, enfila son jean et son t-shirt de la veille qui traînaient par terre, et sortit de la maison, les cheveux ébouriffés et une haleine matinale en bouche. Il conduisit en haut de la limite autorisée jusqu’au commissariat, et se gara dans leur stationnement. Il entra dans le bâtiment et, à l’accueil, il se dirigea vers l’homme derrière la vitre : « Bonjour. Je suis là pour Freja Ivanova. » Déclara-t-il. L’homme hocha la tête et lui indiqua de rester là. Woody attendit donc, en regardant l’homme se diriger vers le couloir, où il disparut. Après quelques minutes, il revint avec une belle blonde qui le suivait. Freja. Woody esquissa un sourire et, quand la jeune femme arriva près de lui, il la serra dans ses bras. « Qu’est-ce qui s’est passé, Frej ? » Lui demanda-t-il en la regardant, inquiet.

Plus que jamais, Freja était froide, distante, à la limite dégoûtée à la vue de son meilleur ami. Devant la situation, Woody avait ignoré cette attitude et présenté ses bras à la jeune femme, parce qu’ils s’étaient toujours dits que c’était à cet endroit précis qu’elle se sentait le plus en sécurité. Dans ses bras. Contre lui. Avec lui. Eux contre tout le monde. Toutefois, là, même si le fragile corps de Freja venait de se blottir contre le sien, Woody avait toujours l’impression d’être seul de son côté de la ligne. Il avait l’impression que sa meilleure amie était passée dans le rang ennemi, ce rang où étaient alignées toutes ces personnes qui jugeaient Woody pour ses actes, ses mots, ses écarts. Était-ce encore à cause de ce moment partagé à la plage ? Ou était-ce parce que malgré ça, malgré qu’il y ait mis un terme pour le bien-être de son couple, il avait décidé de foutre en l’air le couple en question ? Le jeune homme n’avait pas la tête à analyser l’attitude de Freja, pas maintenant, pas alors que la belle venait de sortir d’un couloir au bout duquel se cachaient des cellules. Woody lui demanda alors ce qui s’était passé, n’en pouvant plus de retenir toutes les questions qu’il avait. Avant de lui expliquer, Freja lui fit d’abord signe de sortir d’ici, et le jeune homme ne se fit pas prier pour la suivre à l’extérieur du commissariat. Une fois sur le trottoir, elle se tourna de nouveau vers lui et lui expliqua son délit. Freja haussa les épaules et détourna le regard, comme si elle avait honte, comme si elle avait peur de la réaction de son meilleur ami. Pourtant, sur les lèvres de l’aîné des Rutkowski, on pouvait lire un mince sourire amusé qu’il tentait de retenir devant l’air grave de la blonde. Jusqu’à ce qu’il ne puisse retenir un rire franchement moqueur. Woody ne comprenait visiblement pas l’ampleur de la chose. Il n’entrevoyait pas les conséquences que c’aurait pu avoir. Tout ce qui comptait dans sa tête, c’était que Freja avait été ivre, avait frappé un policier, et s’était retrouvée en prison pour ça. Et oui, ça le faisait rire. « Un tout petit peu ivre ? Te connaissant, tu minimises ton état. » Il cessa cependant de rire en voyant qu’en vérité, Freja était dans un sal état, et que son ivresse n’était sans doute pas dû à une soirée amusante entre copines. Que son ivresse témoignait d’un état d’esprit bien plus sombre chez sa meilleure amie. Et ça, non ça, ce n’était pas drôle. Elle s’excusa de l’avoir dérangé, toujours aussi distante. « Tu as bien fait de me téléphoner. Tu sais bien, Freja, que je viendrai toujours te chercher quand ça va pas. Peu importe où tu te trouves. » Il caressa le bras de son amie brièvement, avant de replonger sa main dans sa poche et de soupirer presque imperceptiblement. « Par contre si j’avais su que j’aurais à faire à un air bête comme celui-là, j’y aurais pensé à deux fois. » Releva-t-il, pas le plus délicatement possible, je le concède.

Le sourire de Woody s’agrandissait à mesure qu’il voyait les vaines tentatives de Freja de se retenir de rire. Elle ne pouvait jamais demeurer sérieuse bien longtemps, avec lui. Ils savaient trop bien ce qui amusait l’un et l’autre. Ils se connaissaient par cœur. Enfin, c’était ce que Woody croyait. « Oh, je sais ça, le nombre de fois où j’ai dû te ramasser à la petite cuillère. Encore et encore. » Lâcha Woody quant à la pensée de Freja ivre. Il pouvait se remémorer tellement de souvenirs de soirées différentes : cela voulait sans doute dire que sa meilleure amie se mettait souvent dans cet état. Lui aussi, d’ailleurs. Il s’ennuyait de ces soirées passées avec Freja, parce que peu importe s’ils étaient seuls ou entourés d’autres amis, ils trouvaient toujours le moyen de boire jusqu’à l’ivresse et de s’enfermer dans leur petit monde qu’eux seuls comprenaient, qui les faisaient rire alors qu’autour les autres ne comprenaient pas. Les autres ne comprendraient jamais. Même pas Sara, qui avait pourtant tant partagé avec Woody. Ce n’était pas de la même façon, ce n’était pas le même partage. Sara et Freja partageaient toutes deux une place bien spéciale dans le cœur de Woody, deux places que lui-même n’aurait su décrire ou distinguer.

Le jeune homme, après avoir assuré à sa meilleure amie qu’il lui viendrait toujours en aide, s’empressa de retomber dans ses vieilles habitudes de lui lancer des vannes ou de la critiquer. Sauf que là, le commentaire passa un peu moins bien, et ce n’était pas un sourire ou un soupir désespéré qui anima Freja, mais bien un regard des plus sombres et accusateurs, et une haine qu’il ne lui connaissait pas envers lui. Même après les récents événements assez flous, Woody ne s’imaginait pas que la blonde puisse encore ruminer cela dans ses pensées. « Tu m’en veux à mort ? C’est excessif, ça. Et pourquoi tu m’en veux à mort, hein, Freja ? » Il s’arrêta de marcher, se tournant face à son amie qui semblait prête à prendre la poudre d’escampette ou alors à lui sauter au visage. Dans tous les cas, Freja n’était plus sa douce Freja. « Je pensais que la poussière était retombée. Je pensais qu’on avait mis de côté ce qui s’était passé, ou mieux encore que c’était de l’histoire ancienne ! » Ajouta Woody. « Je peux pas croire que tu m’en veuilles encore pour ça. » Lâcha-t-il finalement, en secouant la tête. Évidemment, lui non plus n’avait pas oublié ce baiser, mais il s’y accrochait d’une toute autre façon que Freja. Alors que cette dernière l’avait encore sur le cœur d’une façon plutôt négative, Woody conservait ce moment dans son cœur, comme un doux souvenir, un rêve éveillé, un moment de lumière.

Alors que Woody reprochait à Freja de s’accrocher à cet instant de faiblesse entre eux deux, celle-ci le fixait, l’air sévère, et même lorsqu’il eut terminé de parler, elle le regarda longuement avant de se décider à parler. Tout ça pour lui dire : « T'as rien compris. » Elle soupira. Woody haussa les sourcils. « Bah, non, visiblement non. Alors éclaire-moi s’te-plaît. » À ses yeux, cet événement et seulement lui pouvait être à l’origine de la tension entre eux. Il ne s’imaginait pas que Freja reliait tous les autres points ensemble, notamment sa rupture d’avec Sara et sa nouvelle routine de soirées. Sa meilleure amie reprit son explication, cette fois plus détaillée. « Oui, on s'est embrassés, tu m'as jeté, j'ai été blessée. Fin de l'histoire, je suis passée au-dessus. C'est plutôt le fait que tu me rejettes pour Sara, ce que je comprenais au fond, et puis que t'ailles baiser tout Bowen qui me dérange. » Au tour de Woody de soupirer, détournant le regard. Certes, il n’avait pas pensé à tout cela. En même temps, au moment du baiser entre Freja et lui, il pensait honnêtement que les choses pourraient s’arranger entre Sara et lui. Qu’ils arriveraient à retrouver cette étincelle que Woody ne vivait plus qu’avec Freja, justement. Mais ce baiser avait en fait enclenché le processus sans même que le jeune homme ne s’en rende compte. Le processus qui allait mettre fin à son histoire avec Sara, peut-être à tout jamais. Après tout, c’était bien quand Woody avait dit à Sara pour Freja que tout s’était envolé en fumée. Tous leurs espoirs, toutes leurs attentes. Disparus. Et le mépris dans la voix de sa meilleure amie faisait comprendre à Woody qu’il n’y avait pas que sa relation avec Sara qui avait explosée. Il ne pouvait pas perdre Sara et Freja au même moment. Il n’en serait pas capable. Et puisque Sara avait déjà bien quitté sa vie, il se disait qu’il pourrait au moins essayer de garder Freja auprès de lui. « Je suis déçue Woody. Et le pire dans tout ça, c'est que j'apprends tout grâce à un blog débile. T'imagines pas comme ça m'a blessé de lire tout ça. » Woody hocha la tête, baissant le regard. Il décroisa ses bras qu’il avait croisés un peu plus tôt sous l’effet de la colère et pour se protéger de celle de Freja. « Tu voulais vraiment qu’après ce qu’on avait vécu, je t’appelle pour te dire « Oh, salut Freja. By the way, j’suis plus avec Sara alors attends-toi à ce que tes amies te parlent d’à quel point je suis un bon coup ! » ? » Il secoua la tête. « Et tu voulais que j’aille te baiser aussi, après, Freja ? Tu voulais être une parmi tant d’autres ? » Il la fixa un moment, laissant sa phrase en suspens, essayant de formuler la suite. Elle était bien claire dans sa tête, mais il ne savait pas comment le lui dire. « T’es pas comme les autres, Freja. Tu sais bien que quand Sara a rompu avec moi, t’es la première vers qui j’aurais voulu aller. Mais … Mais je pouvais pas. Je peux pas faire de toi une de ces filles-là qui ne veulent rien dire pour moi. Tu as trop d’importance à mes yeux Freja. Ce qu’on a c’est bien plus que ça … Et je sais pas encore comment gérer ça … » Surtout maintenant qu’il était célibataire.

Freja avait laissé Woody lui jeter toutes ses paroles à la figure, impassible. Elle attendait sans doute qu’il passe sa crise pour finalement s’exprimer. Après tout, le jeune homme n’avait pas laissé sa place, gueulant tout ce qui lui passait par la tête, sans trop mâcher ses mots. Parler à demi-mot, très peu pour lui, surtout maintenant que ce violent silence vivait depuis trop longtemps entre eux. Freja et lui n’avaient pas l’habitude de se prendre la tête pendant aussi longtemps sans chercher à régler le conflit dès que possible. Habituellement, ils se disaient tout, tout de suite, bien franchement. C’était ce qui faisait en sorte qu’ils s’entendaient aussi bien, après tout ; ils ne conservaient pas une vilaine rancune durant des mois et des mois. Excepté cette fois-ci, et voyez, elle aurait peut-être raison d’eux, cette fois de trop. Woody ne voulait pas penser au fait que cette embrouille pourrait faire en sorte qu’ils ne soient plus jamais les mêmes. Il ne pouvait s’y résoudre, parce que Freja et lui, c’était un tout, une évidence, une constance. Ça ne pouvait pas changer, pas pour si peu, si ? Il en avait bien peur. Mais il tenterait le tout pour le tout, en étant direct et franc cette fois. En disant tout. Tout. Il espérait que Freja ne garderait rien pour elle non plus. C’était ce qui pourrait les sauver, de s’ouvrir l’un à l’autre. De comprendre, enfin, ce qui se passait dans la tête de l’autre. Dans le cœur, aussi. Parce que celui-là s’était mêlé à leur amitié depuis un moment.

« Non, je ne voulais pas que tu viennes vers moi pour me baiser, comme tu le dis si bien. Je voulais être là pour toi en tant que meilleure amie, Woody. Je voulais que tu m'expliques ce qu'il s'est passé avec Sara. Je voulais te consoler, comme on le fait depuis toujours. Parce que tu es mon meilleur ami et que je t'aime. Et que je voulais être là pour toi. » Woody avala difficilement sa salive. Il avait tellement été confus vis-à-vis de ses propres sentiments envers Sara, envers Freja, envers toutes les femmes, qu’il avait un peu oublié qu’effectivement, ils étaient meilleurs amis avant tout. C’était ce qui avait toujours fait leur force. C’était ce qui faisait qu’ils étaient eux, aussi magiques ensemble. Éternels. Freja ne lui laissa pas le temps de répondre, reprenant tout de suite son discours. « Alors oui, il fut un temps où j'aurais voulu plus de toi qu'une amitié. J'aurais voulu m'endormir dans tes bras, chaque soir. J'aurais voulu être la fille. Celle pour qui tu serais prêt à changer. Mais à présent, je ne crois pas être cette fille. Et je ne suis pas sûre qu'elle existe. Je me suis ouverte à toi plus qu'à n'importe qui et dis moi, qu'est-ce qui j'y ai gagné ? Rien du tout à part de la souffrance. » Woody baissa la tête aussi, en même temps que Freja avait baissé la sienne. La fille, celle qui ferait en sorte que Woody deviendrait un homme meilleur, n’existait pas. Freja était la deuxième à le lui dire. Sara la première. Et il se doutait bien que c’était la façon de penser de la plupart des gens autour de lui. Sans doute de sa famille aussi. Woody secoua la tête, même si Freja ne pouvait le voir. C’était pour lui-même qu’il le faisait, parce qu’il ne comprenait pas comment il avait pu en arriver là. Comment ils avaient pu en arriver là. « Je suis désolé de t’avoir fait souffrir, Freja. Tu sais bien que jamais, jamais intentionnellement, je ne voudrais te blesser. T’es ma meilleure amie aussi. Je t’aime, plus que tu ne pourrais l’imaginer. » Il avait relevé la tête vers elle, en soupirant. « Et j’crois que c’est aussi bien que tu ne sois pas cette fille-là non plus. Parce que cette fille-là, elle souffrira toujours bien plus. Bien trop. Parce que je ne serai jamais à la hauteur, ça, je le sais maintenant. » C’était peut-être Sara, cette fille, au fond. Mais ils ne seraient jamais ensemble. Jamais totalement. Woody ne serait jamais totalement à qui que ce soit. « Je préfère de loin n’être que ton meilleur ami, parce que même si j’avoue que j’aimerais aussi, parfois, être plus que ça pour toi, je sais que ça nous mènerait à notre fin. Et j’veux jamais te perdre, Frej’. Jamais. » Déclara-t-il.

Au fond, Woody entraînait toujours tout le monde dans sa chute. Comme s’il était incapable de tomber seul, comme s’il devait à tout prix attraper la main de ceux qui osaient la lui tendre afin de mieux les tirer vers lui, vers le bas. C’était triste de ne pas pouvoir se prendre lui-même en main de la sorte, de ne pas pouvoir se tirer hors du gouffre en rampant s’il le fallait, pour la gloire de l’avoir fait par lui-même sans avoir amené les autres dans son monde et ses démons. Malheureusement, Woody n’en était point capable, il avait toujours besoin de noircir le tableau des autres autour de lui, rien que pour ne pas être le seul à souffrir. Quel égoïste, quel sans cœur.  « Arrête de dire n'importe quoi. Si tu avais un tout petit peu plus d'estime pour toi-même, tu pourrais être heureux. Mais tu te dévalorises sans cesse et ça me fatigue. Ça me fatigue que tu ne vois pas à quel point tu es merveilleux, Woody. » Il eut un rire jaune. Woody ne croyait aucune parole de Freja, à ce moment-là, parce qu’elle ne le disait que pour lui fermer la gueule, ou lui remonter le moral pour une raison qui lui échappait encore. Après tout, elle était supposée lui en vouloir, alors pourquoi le couvrir de ces compliments ? Et puis, tous étaient si faux. Woody ne se voilait pas les yeux à ce sujet-là. Il savait bien à quel point les gens le détestaient, et il en connaissait exactement les raisons et ne pouvait même plus se défendre, maintenant. « J’me dévalorise pas et tu le sais. C’est les autres qui le font, et avec raison, parce que plus le temps passe, plus je comprends pourquoi ma réputation décline depuis quelques années. » Il haussa les épaules en secouant la tête. « J’suis incapable d’aimer, Freja, que ce soit l’amour ou l’amitié, c’est pas des sentiments que j’arrive à entretenir. J’merde tout le temps. Toi plus que quiconque devrait le savoir, ça. » Autant elle l’avait vu briser le cœur d’autres filles, autant il lui avait brisé son cœur à elle. Woody lui avoua donc qu’il préférait donc être son meilleur ami, tout simplement, ça ferait déjà un peu moins de dégâts. Même si ça en ferait quand même, parce que Woody était un ouragan ravageur.  « Moi non plus, je ne veux pas te perdre. Je n'imagine pas ma vie sans toi, Woody. Et pourtant, en ce moment, j'ai juste l'impression qu'on se déchire et je déteste ça. J'ai tellement envie de retrouver notre complicité. » Freja s’avança finalement vers lui, ouvrant grandement ses bras pour lui donner toute la place dont il avait besoin, et Woody ne recula pas. Malgré tout, lui aussi désirait plus que tout retrouver sa meilleure amie, leur complicité, ce qui faisait d’eux un duo unique. « Ma vie sans toi ne fait aucun sens. J’ai pu le voir dans les dernières semaines. J’fous n’importe quoi, Freja. N’importe quoi. Et j’ai l’air de m’en foutre, mais c’pas le cas. J’prends même plus plaisir à ce que je fais. » Il se détacha de sa meilleure amie, gardant tout de même ses mains dans les siennes, et sourit tristement en la regardant dans les yeux. « Rappelle-moi qui je suis. Qui on est. » Déclara-t-il.

Woody refusait de croire qu’il avait une certaine valeur, et Freja refusait de croire qu’il n’en avait pas. Ils étaient tous les deux bien décidés à ne pas se laisser faire changer d’avis, et pourtant le fond du problème n’était pas là. C’était bien plus gros, bien plus grand que ça. Trop grand pour eux. Woody allait devoir se déconstruire pour mieux se reconstruire, et il osait espérer que Freja serait là pour l’aider à placer les morceaux, en y mettant sa touche de lumière, ses couleurs et sa beauté. « Oui, tu merdes. Mais on le fait tous, Woody. Tu m'aimes, non ? Je le sais. Et tu m'aimes depuis quelques temps déjà. Et je suis sûre que ça ne changera jamais, ça. Alors arrête de dire que tu es incapable d'aimer, c'est faux. » L’homme soupira en baissant les yeux au sol. Tout ce que disait la blonde était vrai, excepté la dernière phrase. Bien sûr qu’il l’aimait, et évidemment ça ne changerait jamais. Freja était une pièce bien trop importante dans sa vie pour qu’il ne la laisse de côté. Il ne la mettrait jamais de côté, non. Malgré les disputes, malgré les silences, Woody et Freja allaient toujours se retrouver en tendant la main dans le brouillard jusqu’à ce que leurs doigts s’entremêlent de nouveau.

« Oui, je t’aime. C’est justement. Je t’aime et pourtant j’ai été incapable de te le montrer de la bonne façon. J’ai été incapable de t’aimer comme tu le méritais, c’est-à-dire sans souffrance. » Lâcha-t-il, épuisé mais voulant faire comprendre à Freja ce qu’il ressentait. Elle avait posé ses douces mains sur ses joues, mais même ce contact rassurant ne suffisait pas à le forcer à se pardonner lui-même. Woody avait vécu en faisant bien trop d’erreurs, et même une fois devant le fait accompli, il était incapable de changer. Ni pour sa sœur ou son frère, ni pour Sara, ni pour Freja, ni pour Charley. Pour personne. Woody n’arrivait à être à la hauteur pour personne. Pourtant, auparavant, il ne se souciait pas autant de son attitude. Il vivait de la même façon qu’aujourd’hui, mais en étant bien dans sa peau, bien dans ses décisions. Et les gens l’appréciaient davantage. Alors qu’est-ce qui avait tellement changé en lui ? Qu’est-ce qui faisait en sorte que maintenant, tout le monde lui tournait le dos ? L’âge qui était venu sans la sagesse ? L’accumulation d’erreurs trop difficiles à pardonner ? Woody aurait voulu que Freja lui rappelle ce qu’il avait un jour été. Mais il savait qu’elle ne le pouvait pas. Personne ne le pouvait. Il s’était perdu depuis bien trop longtemps. « Appelle-moi, quand tu sens que tu vas faire une bêtise. Je viendrai n'importe quand, n'importe où, tu le sais non ? Je peux pas te dire ce qu'on est exactement. Mais ce que je peux te dire c'est que t'es l'homme le plus merveilleux que je connaisse quoi que tu penses. Et je t'aimerai toujours, quoi que tu fasses. Et je sais que toi aussi, tu m'aimeras toujours. Parce que j'ai confiance en toi, en nous. » Ces paroles avaient redonné un regard brillant à Woody, parce que Freja était sincère. Il n’était peut-être pas quelqu’un de bien aux yeux des autres, ni à ses propres yeux, mais s’il l’était aux yeux de Freja, alors c’était mieux que n’importe quoi. « Merci, Freja. Merci de croire en moi, de ne jamais baisser les bras devant moi, de m’aimer comme je suis. » Il sourit, faiblement. « Je sais à quel point ça ne doit pas toujours être facile. » Parce qu’il menait la vie dure à tout le monde, Woody. Surtout à ceux qu’il aimait. « Je te raccompagne chez toi ? » Demanda-t-il alors.