alone in the dark ~ wooja

Les paroles de sa meilleure amie touchaient profondément Woody. Il avait d’ailleurs esquissé un sourire en l’entendant, incapable de retenir ces émotions. « Je sais Woody. Mais c'est mon problème si je prends le risque de souffrir à nouveau à cause de toi. Je ne te laisserai jamais tomber. » Il était vrai que Freja, plus que quiconque, savait dans quoi elle s’embarquait en entretenant sa relation avec Woody. Elle le connaissait par cœur, elle savait de quoi il était capable, autant dans le pire que dans le meilleur. Surtout dans le pire, parce que Woody était passé maître dans l’art de se faire du mal à lui-même et aux autres. Freja avait eu de nombreuses occasions de foutre le camp de leur amitié, de tirer sa révérence et de fermer le rideau sur leur acte. Pourtant, elle était encore là, et comme elle le lui disait, c’était son problème maintenant, si elle prenait le risque de rester avec lui et de souffrir. C’était un consentement libre et éclairé. Provenant de sa propre volonté. Elle avait été avertie ; Woody n’avait plus à tenter de la dissuader de rester auprès de lui. Alors même s’il savait que ce serait pour son bien, il ne contredit pas Freja, parce qu’il avait besoin qu’elle ne le lâche pas, au fond. « Tant mieux … parce que si toi tu me laisses tomber, plus personne ne sera là pour m’attraper. » Avoua-t-il en prenant la main de son amie. Freja était sans doute la seule dans son cercle d’amis qui ne lui tournerait pas le dos. Il y avait certes sa famille, mais même eux allaient sans doute s’essouffler, un jour, de toujours courir pour réparer les erreurs de leur frère ou de leur fils. Woody la remercia alors, tout naturellement, de l’aimer de cette façon. De l’aimer comme il était. Ça lui semblait être le meilleur moment qui soit pour lui faire comprendre qu’il se rendait compte de la bonté de Freja. « J'ai pas le choix, faut que je crois en toi deux fois plus. Une fois pour toi, une fois pour moi. Et je t'aimerai toujours même si pour ça, je dois souffrir un peu. Je suis forte, t'en fais pas. » Woody lui sourit, fier qu’elle s’assume à ce point, qu’elle s’estime autant. Elle avait raison de le faire. « J’le sais, ça. Ce n’est plus à prouver. T’as toujours été la plus forte entre nous deux. » Physiquement, ce n’était peut-être pas tout à fait le cas, mais mentalement, Freja était capable de déplacer des montagnes. Woody n’avait pas cette force. Il avait beau lutter contre sa maladie en silence, sans se plaindre, il avait la trouille et se montrait vulnérable dès qu’aucun regard ne se posait sur lui.  « Ça t'embêterait de dormir à la maison ? J'me sens pas bien à l'idée de rester toute seule chez moi cette nuit. » Avait demandé Freja après que Woody ait proposé de la raccompagner chez elle. Il hocha la tête, serrant la main de son amie dans la sienne. « Évidemment que je vais rester. Ça ne m’embête pas du tout. Enfin, à condition que tu me prépares un bon repas digne de ce nom en guise de remerciement. » Dit-il en souriant et d'un ton léger. Ça ne le dérangeait effectivement pas, au contraire, même. La maison vide de Woody était trop grande pour lui, trop silencieuse. La présence de Freja lui ferait du bien à lui aussi, au fond. Il se mit donc en marche auprès de sa meilleure amie, sans pour autant lâcher sa main. C’était redevenu tout naturel, entre eux. Ils étaient comme ça. C’était ce qui faisait leur force, leur beauté.

« Tu as été là pour moi quand je ne pouvais me montrer forte. Ce soir le prouve encore. » Woody esquissa un sourire alors que Freja tentait de lui faire comprendre qu’il avait de bons côtés, peu importe le moyen. Il allait devoir se rendre à l’évidence, ce soir, Woody ne pourrait pas se rabaisser davantage, car sa meilleure amie avait comme mission personnelle de lui faire comprendre que malgré tout ce qui s’était passé, il avait encore de bons côtés. Elle allait devoir se montrer patiente et persévérante, mais peut-être que Woody allait un jour avoir une véritable confiance en lui. Pas seulement l’attitude qui venait avec. « Alors on est deux béquilles, l’un pour l’autre. Beau p’tit duo. » Affirma-t-il avec un léger rire. Il ne savait pas si c’était beau ou pathétique, en fait. Que deux êtres aussi brisés se soient trouvés et comptent l’un sur l’autre pour se relever, peu à peu. Freja lui demanda alors s’il pouvait rester avec elle ce soir, comme elle n’avait pas envie de rester seule. Il ne pouvait quand même pas le lui refuser, même s’il ignorait si c’était vraiment une bonne idée étant donné la dernière fois. Certes, ils ne dormiraient pas dans la même lit, mais Woody se savait incontrôlable parfois. Il venait à peine de retrouver Freja, il ne fallait pas qu’il foute tout en l’air dès la première occasion. Malgré ses inquiétudes face à lui-même, il accepta, parce qu’il préférait avoir à se parler pour ne pas faire le con que de laisser Freja seule alors qu’elle ne s’en sentait pas capable. « Avec plaisir. Je ferai tout ce que tu veux ! » Pendant tout le trajet de retour vers la blonde, Woody réfléchit à ce qu’il pourrait bien lui demander. Il était un estomac sur pattes alors évidemment, une multitude de plats lui venait en tête, mais encore fallait-il que son amie ait de quoi les faire. Ils entrèrent finalement chez elle, Woody à la suite de Freja, redécouvrant cet endroit qu’il connaissait par cœur et pourtant, maintenant qu’il était à l’intérieur, tout était bien différent. Parce que vide. Le jeune homme fronça les sourcils et tout de suite sa meilleure amie capta son incompréhension. « Fais pas attention au bordel, je déménage. » Il releva la tête vers son amie, après avoir détaillé toutes les boîtes. « T’es sérieuse ? » Maintenant, il prenait conscience à quel point cet événement à la plage avait pu les éloigner. Il n’était même pas au courant que Freja cherchait un nouveau logement, et voilà que tout d’un coup elle lui annonçait son départ. Pendant un moment, il paniqua à l’idée qu’elle puisse quitter Bowen sans même l’avertir. Il essaya de ne pas y croire, de ne pas y penser. « Où ça ? Seule ? » La questionna-t-il, inquiet de savoir avec qui elle pouvait partir aussi. Une pointe de jalousie se dessinait dans les pensées de Woody, et pour le bien de leur amitié, il tenta de la taire. D’attendre d’avoir des explications et des réponses avant de s’emporter.

« On peut dire ça. » Ils se contentèrent de se sourire, parce que de toute façon tout avait été dit. Ils avaient beau se prendre la tête, parfois pour des bêtises, parfois pour des trucs bien plus grands qu’eux, Woody et Freja savaient toujours se retrouver parce que de toute façon, ils n’en avaient pas vraiment le choix. Ils avaient besoin l’un de l’autre pour continuer à avancer sans tourner en rond à chaque impasse. À deux, ça avait toujours été plus facile de soulever des montagnes. De passer au travers des dures nuits, aussi. C’est d’ailleurs pour cette raison que Freja lui demanda de lui tenir compagnie pour celle-ci, qui s’avérait sans doute difficile pour elle, vu les récents événements. Ce fut avec surprise que Freja le guida vers un logement qu’il croyait pourtant connaître par cœur, mais qu’il trouvait bien différent maintenant que tout était au fond des boîtes, ouvertes ou fermées. Il sentit un petit pincement dans son cœur en sachant qu’elle partait, et lui demanda bien rapidement où elle s’en allait, de peur de la perdre, de peur qu’elle lui file entre les doigts pour de bon cette fois. Woody la suivit jusqu’au canapé, où il s’assit à côté d’elle, à une proximité trop intime pour leur propre bien. « Très sérieuse. Je vais vivre en colocations. C'est Perry, qui m'a invité chez lui avec d'autres personnes. Tu le connais ? » Woody fronça d’abord les sourcils en entendant que Freja s’en allait en colocation, alors que lui planifiait de s’acheter une maison à lui seul. Ils allaient dans des directions tellement opposées, ça lui fichait la trouille. « J’le connais que de nom. T’en as déjà parlé j’crois, aussi. C’est qui, ces autres personnes ? » S’empressa-t-il de demander, mécontent d’apprendre que non seulement c’était un homme qui l’avait invitée, mais qu’en plus il y en aurait peut-être d’autres à tourner autour de Freja. Et quand la chambre n’est qu’à quelques pas, c’est plus facile d’aller s’y perdre sous les draps. Cette image, Woody la détestait, et il détestait aussi le fait de la détester. « Mais t'en fais pas, tu pourras venir dormir avec moi autant que tu le voudras. » Il esquissa un sourire, peu convaincant, puisqu’il avait encore un tas de questionnements dans sa tête qui carburait à cent mille à l’heure. « C’est où ? » Il espérait qu’elle ne déménageait pas à l’autre bout de la ville, déjà que lui partirait sans doute pour un quartier beaucoup plus résidentiel. Tout d’un coup, Woody regrettait que ce soit Perry qui ait eu l’idée de l’inviter en colocation plutôt que lui. En même temps, Freja et Woody sous le même toit était sans doute la pire des idées. À force de being playing house, ils se feraient sans doute prendre à leur propre jeu. « T’as quelque chose à boire ou bien ton frigo est vide ? » Demanda Woody, se disant qu’une bière ferait peut-être mieux passer le morceau, éteindrait un peu la flamme de sa jalousie.

Woody savait bien qu’il n’avait pas le droit de ressentir cette jalousie soudaine, qu’il ne pouvait faire subir à Freja sa colère de ne pas être le seul dans sa vie à avoir une place privilégiée. Le problème avec lui était qu’il voulait tout être à la fois pour son amie, sans pour autant s’engager pour de bon. Il voulait être son ami, son meilleur ami, son amant, son amour. Il voulait occuper tous les rôles importants de la vie de la brune, mais ne se donnant jamais complètement à elle. Woody était égoïste, Woody était possessif. Il voulait Freja sans la vouloir, il l’aimait sans l’aimer convenablement. Le fait de savoir qu’elle vivrait avec d’autres hommes sous son toit ne plaisait guère à Woody, mais il tentait – en vain – de le cacher à son amie, car il savait bien qu’elle pourrait aisément lui reprocher d’être celui à ne pas avoir voulu plus que ce qu’ils avaient maintenant. Quand il mentionna qu’elle lui avait sûrement déjà mentionné Perry dans leurs conversations, elle le regarda, dubitative, avant de conclure par un simple : « Possible. » Honnêtement, il ne savait plus non plus, tout ce qu’il savait c’était qu’il avait déjà entendu ce nom, et qu’il ne l’aimait déjà pas beaucoup. « Pour ce qui est des autres j'en ai aucune idée. Je sais qu'on sera quatre, deux gars, deux filles. Mais c'est tout. » Deux gars, deux filles. Quel bel équilibre. Quelle recette gagnante. Woody avait entre-temps croisé les bras sur son torse, regardant Freja sans émotion – surtout parce qu’il tentait de lui cacher son désarroi. « Ah ben, c’est cool, ça te donne l’occasion de revivre tes jeunes années. » Comme il était injuste de sa part de retourner la situation en insulte envers Freja. Il semblait lui reprocher de ne pas vieillir, de ne pas faire un pas de plus dans sa vie d’adulte et de préférer vivre en colocation comme une étudiante, alors qu’au fond il se reprochait à lui-même d’autant aimer Freja, et de ne pas avoir su ou pu la retenir. Il lui demanda alors où ce logement se trouvait, autant par intérêt que par peur d’un jour être délaissé par sa meilleure amie. « Southern District. Je connais pas l'adresse exacte. J'y suis allée qu'une fois quand Perry m'a fait visiter mais c'est un appart'. » Woody hocha la tête, c’était bien, elle restait dans le quartier résidentiel principal, n’allait pas s’exiler dans un autre quartier de la ville où les habitations un peu plus hipsters se multipliaient au fil des années. « Tu m’enverras l’adresse quand tu la sauras … » Il esquissa un sourire, qui voulait demander pardon, et lui faire comprendre que malgré tout, il irait lui rendre visite, évidemment. Qu’il l’aimait, qu’il était content pour elle, à quelque part. Malgré tout, les émotions plus négatives voguaient toujours à la surface de son esprit et il demanda à Freja si elle avait de la bière, surtout pour le calmer. Elle se leva, alla au frigo et leur ramena une bière à tous les deux. « C'est mal me connaître, j'ai toujours à boire. Et encore plus pour toi. » Il lui sourit, ouvrit sa bière et en but directement une gorgée. « C’était mal te connaître aussi de penser que t’en avais fini avec les colocations. Faut croire que y’a encore certains trucs chez toi qui m’échappent. » Il haussa les épaules et but une autre gorgée.

Dès que la phrase insultante de Woody avait fusée, Freja avait posé un regard colérique sur lui, noir. Ces affronts, ils les connaissaient par cœur, puisque leur amitié vivait majoritairement à travers eux. Évidemment, ils avaient de nombreux moments de fous rires, de bonheur et de tendresse ; ils ne seraient sans doute plus meilleurs amis dans le cas contraire. Toutefois, Woody et Freja renforçaient constamment leur lien en le mettant à rude épreuve, telles les deux grosses têtes avec un sale caractère qu’ils étaient. « Tu parles en connaissance de cause ? C'est ce que tu fais, non, en baisant toutes les femmes de la ville ? » Une gifle verbale monumentale. Il eut un rire mi-amusé, mi-fâché, parce qu’il avait beau essayer de faire en sorte que les paroles de Freja ne l’atteignent pas, elles le faisaient, et de plein fouet. Avec elle il était particulièrement un connard, ce qui était paradoxal étant donné qu’elle était certainement la seule personne à l’accepter et à l’aimer pour ce qu’il était, et inversement Woody aimait Freja d’un amour pur et inconditionnel. « C’est pas vraiment comparable. » Avait seulement lâché Woody, n’ayant pas du tout envie de se justifier de nouveau. Lui au moins vivait sa vie d’adulte avec sa clinique, sa maison et son budget qu’il gérait seul. Freja, elle, allait recommencer à vivre une vie à se séparer les factures d’épicerie avec trois autres personnes qu’elle ne connaissait même pas à l’exception de Perry. « T'as aucun droit d'être jaloux et encore moins méchant. » Lui avait lancé sa meilleure amie, d’une voix un peu moins abrupte mais toujours aussi vexée. Il haussa les épaules. « J’suis pas jaloux. » Oui, il l’était. « J’réalise juste qu’on est plus du tout à la même place dans nos vies. » Et au fond, ça avait bien peu d’importance, mais Woody avait toujours trouvé réconfort en évoluant de la même façon que Freja. Comme si, à travers toutes les épreuves, ils seraient côtes à côtes, tournés vers l’avant. Le même devant. S’ils se perdaient de la sorte, s’ils empruntaient des sentiers différents, Woody avait peur de la perdre de vue, de la voir disparaître de son horizon. Alors, plutôt que d’encourager cette éventualité douloureuse en repoussant Freja à coups de remarques sanglantes, il s’apaisa et lui demanda de lui transmettre son adresse dès que possible. Elle hocha la tête, avant d’aller chercher des bières qui seraient certainement les bienvenues dans cette ambiance. D’autant plus que Woody en ajoutait encore, malgré que son cœur lui ordonnait de se taire. « Je me sentais atrocement seule, ici, Woody. J'étais toute seule et je ne supportais pas ça. Tu sais bien que je n'aime pas ça, tu me connais. Alors le jour où j'aurai mon propre appartement, ça arrivera quand je serai casée. Enfin, si ça arrive un jour. » Elle avait un sourire de plaisanterie, mais Woody ne trouvait pas cela drôle. Il leva les yeux vers elle. « Tu sais bien que ça arrivera un jour. Y’a que moi qui aura été assez idiot pour te repousser. » Il soupira légèrement et avala de bonnes gorgées de sa bière. Entre Sara et Freja, les deux femmes à réellement pouvoir prendre son cœur entre leurs mains, il avait tout gâché. « Tu n'avais qu'à me proposer d'habiter avec toi si tu le voulais. » Avait alors ajouté la blonde, d’une petite voix, comme une simple affirmation. Woody se redressa un peu, se penchant vers l’avant et posant ses coudes sur le devant de ses cuisses, bière dans la main. « Et puis après, Frej’ ? On aurait habité dans une maison tous les deux ? À force de jouer à ce petit jeu de fausse famille, on s’y serait confondu. Et c’est pas ce que tu veux. » Avait-il répondu, sûr de lui.

Le regard de Freja s’était tout de suite dirigé vers ses pieds, le mécanisme de défense privilégié de la blonde lorsque ses mots dépassaient les limites entendues dans leur amitié. Ce qui arrivait beaucoup trop souvent. Il la regarda, scrutant son visage pendant qu’elle se refermait sur elle-même, loin de lui. Woody détestait la blesser et pourtant, c’était ce qu’il faisait de mieux envers elle. Ils continuaient malgré tout à s’attacher l’un à l’autre comme des cons, pour le meilleur mais surtout pour le pire. Ils s’aimaient trop, voilà le problème. S’aimer trop sans pour autant pouvoir s’aimer comme les autres, c’était le chaos assuré. « Je sais, ça aurait été trop bête de penser que tu puisses être jaloux me concernant. » Elle ne pouvait pas réellement penser ce qu’elle disait. Elle savait que trop bien à quel point Woody était possessif de sa personne, à quel point il était sur la défensive lorsqu’un autre homme s’approchait d’elle. « La bonne blague. » Avait lâché Woody, ce qui pouvait être interprété de toutes les manières possibles. La bonne blague qu’il pourrait être jaloux, ou la bonne blague qu’il pourrait ne pas l’être. « Mais tu veux dire quoi par-là ? » Les épaules de Woody se haussèrent, lâchement. Il ne savait même plus ce qu’il voulait dire par quoi que ce soit. Les paroles sortaient sans prévenir, blessant Freja sans même qu’il ne le veuille. « Que j’ai pas envie qu’on se perde. Que j’ai pas envie qu’on n’ait plus rien à se dire parce qu’on n’aura plus rien en commun. » C’était peut-être immature, enfantin, de penser que rien que parce que Freja aurait de nouveaux amis très proches d’elle, elle l’oublierait. Mais Woody n’était pas un grand modèle de maturité, après tout. Il avait toujours peur qu’on le délaisse, lui qui aimait être le centre d’attention de tout le monde. Freja confirma en quelque sorte ses doutes quand elle mentionna qu’elle se sentait seule, ici, alors que dans une colocation elle n’aurait plus à l’être. Qu’elle n’aurait plus à attendre de se caser pour vivre à deux, ou à plusieurs dans son cas. « Et il n'y a que moi qui suis assez idiote pour revenir en courant. » Leurs regards se croisèrent finalement de nouveau, et Woody lui rendit un faible sourire. « Tu t’es arrêtée trop tôt dans ta course. » Avait lâché Woody, sans réellement partager avec efficacité l’image qu’il avait dans la tête qui aurait pu expliquer ses paroles. Si Freja était revenue en courant, elle n’avait pas rétrécit la distance au point de se confondre à lui, se jetant dans ses bras. Elle avait arrêté de courir à un mètre de lui, juste assez pour qu’ils restent ensemble sans réellement l’être. Sans doute était-ce mieux ainsi, parce que Woody se connaissait assez pour savoir qu’ils n’auraient pas fait long feu. Ce baiser à la plage en avait été la preuve. Quand Freja aborda l’éventualité où ils auraient pu vivre ensemble, tous les deux, l’homme ne tarda pas à la ramener à la réalité. Cette cruelle réalité qui faisait en sorte qu’ils ne pouvaient pas vivre ce qu’ils désiraient vivre ensemble. « N'empêche, j'aurais pu te mater le matin à moitié nu dans la cuisine. » Woody rigola de bon cœur. « Tu pouvais le faire, ici. C’est sûr que maintenant ce ne sera plus pareil. » Avait-il ajouté en réalisant que c’était peut-être ça, au fond, qui le dérangeait autant. Qu’ils perdent cet endroit qui étaient leur cachette secrète, leur endroit rien que pour eux, où personne ne pouvait les voir, les juger. Dans son nouveau chez-soi, ils n’auraient plus jamais cette paix. Il y aurait toujours des regards, les murs auraient des oreilles, ils ne seraient plus à l’abri de ce que les autres pourraient penser d’eux. Certes, il y aurait la nouvelle maison de Woody. Mais ça le dérangeait quand même. Il termina sa bière et se leva pour aller en chercher deux autres, dont une qu’il déposa sur la table basse devant Freja, et l’autre qu’il s’ouvrit. « Tu pars quand ? » Demanda-t-il, autant pour se préparer mentalement que pour se réserver la date pour l’aider à trimballer toutes ces boîtes.

Freja était optimiste, Woody était pessimiste. C’était toujours comme ça, entre eux, deux oppositions qui se balançaient, pas toujours à la perfection, mais qui les équilibraient quand même. C’était pour le mieux et pour le pire, tout dépendait du contexte. Là, ça faisait visiblement des flammèches, parce que Woody les imaginait déjà se perdre alors que rien n’était joué, rien n’était fait. C’était son attitude qui allait tout gâcher, pas le déménagement de Freja en soi. « Et tu penses que, parce que je déménage, ce jour va arriver ? C'est complètement con. » Il tourna vivement la tête vers elle quand elle dit que son raisonnement était complètement con. Il l’était, oui, mais il était toujours un peu pris au dépourvu quand Freja utilisait des mots plus violents. Ce n’était pas qu’elle ne le faisait pas souvent, parce qu’en réalité la jeune femme ne ménageait que rarement ses paroles, mais à chaque fois ça le prenait par surprise qu’ils en viennent à ces mots-là entre eux. « Je sais pas, je sais plus, Freja. J’ai l’impression qu’un rien pourrait tout faire exploser. » Que tout ne tenait que par un fil, entre eux, et que tous les deux avaient entre leurs mains une paire de ciseaux, attendant le déclic pour couper le fil. Et il avait peur Freja l’ait, ce déclic, en réalisant que d’autres relations pouvaient être tellement plus saines que la leur. « Je n'aurais pas supporté que tu me repousses davantage, Woody. » Il hocha la tête, conscient que c’était peut-être ce qui serait arrivé. Mais maintenant que Woody n’était plus avec Sara, maintenant que Woody en revenait à ses vieilles habitudes et réalisait que ça ne lui suffisait pas, il devait de plus en plus se contrôler en présence de Freja. Parce que tout comme leur relation ne tenait parfois qu’à un fil, Woody pouvait tout aussi rapidement basculer d’un côté et n’avoir envie que d’une chose : elle. Et résister à cette pulsion serait difficile. « Si je ne te repoussais pas davantage, est-ce que toi, tu me repousserais ? » Osa-t-il demander, parce que comme ça, si elle disait que oui, elle lui bloquerait toute possibilité, alors Woody saurait que peu importe ses envies, ils seraient protégés par Freja. Mais cette question était également un couteau à double tranchant, parce que si au contraire elle se montrait aussi faible que lui, alors Woody se perdrait encore plus dans ses sentiments. Ils parlèrent ensuite de cette intimité qu’ils ne retrouveraient plus autant qu’ici, une fois Freja déménagée dans sa colocation. « On profitera de ma chambre ou on ira chez toi. Ne parle pas comme si c'était fini entre nous. » Il préférait se préparer au pire plutôt que d’en souffrir si ça arrivait sans prévenir, mais Freja avait raison de lui en vouloir de parler ainsi. Il exagérait, comme toujours, sa carapace de jalousie reprenant le dessus. « C’est pas fini, mais une page est tournée quand même. » Et il n’avait franchement aucune idée de ce qui serait écrit sur cette page encore blanche. En même temps, il ne fallait pas avoir peur, c’était la logique de la vie : l’évolution. Ils ne pourraient pas en rester éternellement au même chapitre. Un saut de ce genre ne signifiait pas que c’était la fin. Tout de même, Woody redoutait le moment et suite à sa question, il apprit que celui-ci arriverait plus rapidement que prévu. « Dans quatre jours. C'est rapide, je sais. T'auras qu'à venir passer ma dernière nuit, ici, avec moi. Ce sera notre façon de dire au revoir à cet appartement. » Woody la regarda et hocha la tête. Ce serait effectivement une bonne façon de dire adieu à cet endroit. Un peu comme s’ils en signaient les murs, ils en signeraient son âme de par leur présence réunie entre ses murs, pour la toute dernière fois. Le jeune homme avala encore quelques gorgées de bière, avant de dire : « Et toi, tu viendras passer la première nuit dans ma nouvelle maison ? Ce sera notre façon de boucler la boucle, et de partir sur un bon pied ces nouvelles vies. » Proposa-t-il, y voyant là toute une signification qui lui tiendrait à cœur, même s’il se doutait bien que c’était sans doute une mauvaise idée d’imprégner les draps de son nouveau lit de l’odeur de Freja dès la première nuit.

Ensemble, ils étaient une cause perdue. Une magnifique cause perdue, et ils le savaient. « Qu'est-ce qu'on deviendrait si ce n'était pas explosif entre nous ? » Woody lui renvoya son sourire, sachant pertinemment qu’elle avait raison. Qu’ils avaient besoin de ces flammes qui jaillissaient de toutes parts de leur amitié, de ce sentiment de marcher sur un fil de fer et qu’au premier débalancement, ils tomberaient, tous les deux. Leur amitié fonctionnait sur l’adrénaline, à force de se faire du mal, de se courir l’un après l’autre ou dans des sens inverses, pour mieux se retrouver dans cette passion inexplicable qu’ils n’osaient même pas consumer. « On deviendrait comme les autres. » Avait-il répondu avec une lueur dans ses yeux. Woody n’avait, présentement, qu’une seule question qui lui brûlait les lèvres. Freja le repousserait-il si lui la laissait venir à lui, complètement libre d’en faire ce qu’elle désirait ? « Tu sais bien que j'en suis incapable. » Leurs têtes se tournèrent simultanément l’une vers l’autre, et ils se regardèrent, les plus sérieux du monde. Et un sourire s’esquissa au coin des lèvres de l’homme. Tout en la regardant, il porta sa bouteille jusqu’à sa bouche et posa ses lèvres sur l’embouchure, avalant quelques gorgées sans détacher ses yeux de Freja. La même lueur au fond des yeux. La même lueur qui disait tout, qui s’incendiait pour elle. Pourtant, Woody passa à autre chose après avoir redéposé sa bière sur l’accoudoir, ne la lâchant pas d’entre ses doigts. Il parla de cette page tournée entre eux, de ces nouveaux départs dans ces nouvelles vies. Il décida, à son tour, de délaisser le passé malgré la rancœur, et d’accepter de regarder vers l’avant avec Freja. « Avec plaisir ! Elle est comment, cette maison ? » Il haussa d’abord les épaules, se replongeant dans la visite qu’il en avait faite. Il réfléchit un moment, avant de répondre : « J’ai une cour à l’arrière, pas trop grosse mais pas trop petite non plus, avec une piscine creusée. Je vais devoir l’entretenir, tu m’imagines ? » Il rigola, ne s’imaginant pas avec cette responsabilité, mais il le ferait. Pour toutes les fêtes qu’il pourrait y organiser, il le ferait. « Le sous-sol est pas complètement terminé, mais je le ferai éventuellement, si j’ai besoin d’espace. » Pour une famille, par exemple. « Les deux autres étages sont en bois de bambou, toutes les pièces sont blanches et bien éclairées par la lumière du jour, j’ai une cuisine adjacente à une salle à manger, deux salons, deux chambres, deux salles de bain, beaucoup de rangement, dont le garage. Puis une terrasse à l’arrière. » C’était grand, bien trop grand pour lui. C’était à se demander quels projets il avait en tête, lui qui était reconnu comme l’éternel célibataire. Il regarda finalement Freja. « J’espère qu’elle te plaira. » Comme si elle avait à donner son accord, comme si elle y vivrait un jour elle aussi. Probablement pas, mais c’était tout comme.