because of you | ft. woody (et buzz l'éclair)

Quatre-vingt-dix-sept pourcents… à un examen extrêmement important dans ton cheminement d’étudiante en physiothérapie. Quelle merveilleuse réussite, pour toi qui travaille si fort depuis le Jour Un. Cela fait deux semaines tout au plus que tu n’as pas été à la clinique de Woody, ton maître de stage, puisque tu devais te préparer pour cet examen et tous les élèves ont été exemptés de stage au cours du temps d’étude. Quatre-vingt-dix-sept pourcents et la meilleure note académique du groupe. Il y a de quoi être fière, franchement! Si tu n’es pas vaniteuse, pour une fois que tu ressens ce brin de franche et sincère fierté, tu as presque envie de laisser savoir au monde entier que tu es la meilleure de ta cohorte et que ça mérite d’être célébré. Oh que oui. Sur un coup de tête que tu espères ne pas regretter dans les heures qui suivront, tu passes rapidement chez Levi lui dérober une exquise bouteille de vin rouge, ni plus ni moins. Pourquoi passer au marché, quand on a un voisin qui détient un stock complet – et gratuit, de ce que tu souhaites consommer? Ce serait triste de célébrer cette réussite seule, alors la seule et unique personne avec qui tu as envie de partager cette victoire de ton cheminement n’est autre que Woody. C’est un peu grâce à lui que tu aimes autant ce que tu fais et que tu réussis si bien. Tu sais qu’il reste parfois tard à la clinique, alors pour voir si c’est le cas, tu te dépêches d’y aller. La bouteille, dissimulée dans un sac brun, tu l'as déjà ouverte pour commencer la célébration au plus vite. Mais, dans ton empressement, tu trébuches à quelques reprises dans la rue, et chaque fois tu frôles la crise cardiaque en croyant avoir échappé la bouteille ou son contenu par terre. S’il fallait perdre le vin… Enfin arrivée, tu pousses dans la porte et, par chance, celle-ci n’est pas encore verrouillée. Ouf ! «Woody? C’est Vera! T’es encore dans ta paperasse à cette heure? T’es un vrai maniaque…», dis-tu en rigolant, ne le trouvant pas en parcourant une première fois la pièce principale des yeux. Sûrement est-il dans un bureau…

La secrétaire était en congé de maladie pour la semaine, et Woody avait essayé de faire tous les appels nécessaires pour les confirmations de rendez-vous et pour les listes d’attente mais honnêtement, il ne s’en sortait pas. D’autant plus que Vera ne rentrait plus depuis deux semaines étant donné qu’ils étaient en période d’examens. La clinique était sens-dessus-dessous, et ça se faisait sentir dans le stress de Woody. Et le stress n’était pas bon dans sa condition. Il avait remarqué que plus il était stressé, plus ses symptômes s’aggravaient. Son médecin lui avait dit que d’autres patients remarquaient cette corrélation, mais que rien de scientifique ne prouvait le lien réel. En tout cas, il savait qu’il devait faire attention, mais cette semaine c’était juste la folie. Ses associés étaient partis déjà à cette heure-là, après lui avoir donné un bon coup de main quand même, mais puisqu’il était le propriétaire de la clinique il avait certaine une charge plus grande sur les épaules. Le jeune homme venait donc de compléter les dossiers de ses patients de la journée, n’ayant pas eu le temps de le faire avant, et il rangea le tout avant de se diriger vers la salle principale de la clinique, où toutes les table-lits étaient alignées. Il rangea un peu les instruments de travail qui traînaient, et s’apprêtait à fermer les lumières quand ses jambes commencèrent à trembler un peu. Bon, elles tremblaient depuis le début de la journée, il n’allait pas se mentir, mais là elles semblaient vouloir fléchir sous son poids. Woody les sentait faible, comme ce jour-là à la plage lors de la tempête, quand ses jambes avaient décidé de ne plus du tout répondre aux ordres que son cerveau leur envoyait. Il se retint après l’une des tables de travail, essayant de se rendre au moins jusqu’à la sortie de la salle, mais trois pas plus tard, Woody tomba et s’allongea de long en large sur le sol, faisant tomber par le fait même un chariot d’instruments, dont le contenu se déversa au sol dans un bruit métallique. Quelle honte. Il grogna, se sentant humilié même s’il était seul. Et comble de malheur, il ne l’était plus. Il entendit la voix de Vera qui provenait de l’accueil. « Vera ? » Cria-t-il. « Donne-moi deux minutes, j’arrive ! » Il ne voulait pas qu’elle le voit dans cet état. Il attrapa d’une main la table à côté de laquelle il était allongé, et essaya de se relever, mes ses jambes étaient encore trop faibles pour supporter son poids alors il s’écrasa de nouveau avant même d’avoir pu se relever.

Tu entrais dans cette clinique qui, au fil des mois, est devenue comme ta deuxième maison. Les employés y étaient tous tellement agréables et tu adores ton superviseur, qui prend la peine de t'enseigner les rudiments du métier comme jamais personne n'aurait pu te les montrer. Il n'existe rien de mieux que la pratique pour apprendre et concevoir un métier, et Woody en était bien conscient. Qui sait, pour avoir été une bonne stagiaire, peut-être qu'à la toute fin de ton stage acceptera-t-il de te prendre comme employée permanente dans sa clinique? Tu avales une dernière gorgée de ce vin rouge que tu as apporté pour célébrer avec Woody - faut-il bien qu'il en reste assez pour deux, à la fin, et entres par les portes menant à l'accueil, là où se trouve généralement la secrétaire. C'est vide. Silencieux. Inhabituel, mais tout de même normal. Les employés sont retournés à la maison, la journée tire à sa fin. Comme rien n'était verrouillé, tu en déduis que Woody doit se trouver à l'intérieur. À première vue, tu ne le trouves pas, et décides de l'appeler. « Vera ? » En fronçant les sourcils, tu parcoures la pièce des yeux, en vain. Tu diriges tes pas vers sa voix, mais t'arrêtes assez rapidement. Après tout, un mot n'est pas assez pour t'indiquer son emplacement. « Donne-moi deux minutes, j’arrive ! » Voilà. Il est dans un bureau à ta droite, là où se trouvent les lits des patients. Bouge pas, c'est moi qui arrive! Un sourire accroché au visage, j'ouvre la porte de là où il est sensé se trouvé. Mais quelle n'est pas ma surprise de le découvrir allongé au sol, les mains serrant l'une des tables. Tu le voyais mettre des efforts pour se relever, sans succès. Juste un peu à côté de lui, une petite montagne d'instruments jonchent le sol. Mais... Tu déposes prestement le sac brun contenant ta bouteille sur une table à côté et te précipite vers Woody en t'accroupissant pour te retrouver à sa hauteur. Tu lui tends une main, posant l'autre au niveau de son dos. Qu'est-ce qui t'es arrivé? Tu es tombé? Tu t'es fait mal? Tu tentes de l'aider à se relever, mais tu vois bien qu'il est plus lourd que toi, et que ce ne sera pas bien simple... Mais, Woody... Tu trembles? Demandes-tu en fixant le bas de son corps. Inquiète, tu le regardes sérieusement, espérant qu'il ne s'est pas blessé grièvement alors qu'il se trouvait seul à la clinique.

Il essaya de se relever de toutes ses forces, parce qu’il avait l’impression que Vera n’attendrait pas bien longtemps à l’accueil s’il ne venait pas bientôt. Il aurait fallu qu’il lui dise qu’il était en train d’avoir des rapports sexuels pour qu’elle reste sagement à l’attendre, mais honnêtement il n’avait pas vraiment envie de sortir un truc pareil à sa stagiaire. C’est ce qu’il aurait dit à un ami, mais pas à elle. Il avait beau être très proche d’elle, et très amical, ce ne serait pas du tout professionnel que d’inventer une connerie de la sorte. Surtout qu’elle remarquerait bien vite qu’aucune femme ne se trouvait dans le centre. Et puis, elle savait qu’il était en couple, alors si elle ne rencontrait pas la fameuse Sara qui était sur quelques photos dans son bureau, elle allait bien se demander ce qui se passait. Bref, Woody avait rapidement analysé la chose pour se résoudre à la seule option possible : se relever et faire comme si de rien était. Mais ça, son cœur avait beau le vouloir, si son corps ne suivait pas, c’était perdu d’avance. D’ailleurs, il releva la tête quand il entendit la porte de la salle s’ouvrir. Il croisa le regard d’une Vera très confuse. Exactement ce qu’il ne voulait pas. Elle déposa ce qu’elle tenait dans ses mains sur la table la plus près et accourut jusqu’au jeune homme, s’accroupissant à ses côtés. Il soupira, alors qu’elle lui demandait ce qui s’était passé, s’il était tombé, s’il s’était fait mal. « Non, ça va, j’ai rien. J’ai trébuché. » Il avait été un peu sec dans sa réponse, parce que sa maladie était bien la chose qu’il désirait plus que tout cacher aux autres. Et quand il se trouvait dans un moment de vulnérabilité comme celui-là, Woody se fermait complètement aux autres. Vera essaya de l’aider à se lever, constatant évidemment qu’il n’y arrivait pas seul, et abandonna bien vite sous son poids. Il se laissa donc retomber une seconde fois, et s’adossa à la table derrière lui. Vera remarqua bien vite ses jambes tremblantes. Même ses mains, en fait, sous le stress. « Ça doit juste être le choc de la chute … je vais prendre deux minutes et ça devrait aller. » Il prit une grande inspiration. Puis se rendit à l’évidence : c’était con de mentir. Tellement con. Il soupira, avant de déclarer : « … Ce n’est pas le choc de la chute … » Il releva un regard peiné vers la blonde. « Je suis malade, Vera. » Et maintenant, c’était sa voix, qui tremblait aussi.

Si tu t'attendais d'abord à la trouver à moitié mort, l'imaginant épuisé par une tonne de paperasse que lui seul peut remplir dans la baraque, ou pire encore à tomber nez-à-nez avec un patron nu, le zizoui à l'air en pleine action avec une des employées de la clinique. C'est néanmoins dans un tout autre état que tu retrouves Woody, alors allongé sur le sol, dans ce qui te semble être tout un bordel. Confuse et inquiète, tu regardes tristement la scène se dérouler sous tes yeux, celle où Woody tente sans succès de se relever. Que lui arrive-t-il? Tu accoures vers lui en espérant pouvoir l'aider, en vain. Il se laisse retomber, et tu aperçois cette lueur de désespoir transpercer ses beaux yeux verts, ce qui a sérieusement le don de t'inquiéter un peu plus encore. « Non, ça va, j’ai rien. J’ai trébuché. » Son ton, qui aurait peut-être dû t'alarmer et t'avertir de ne pas approcher, t'invite plutôt à te porter à son secours, si tel est le mot qui pourrait décrire ton semblant de bonne action. Tu me feras signe quand t'auras envie de me dire la vérité? Toute aussi sèche que lui, tu essaies de lui faire comprendre qu'il ne te fera pas croire n'importe quoi. Tu n'es pas si naïve, même si les impressions laissent prédire le contraire. Incapable de l'aider à se relever, tu baisses les armes et t'adosses contre les pattes de l'un des lits de physiothérapie juste derrière toi, te trouvant ainsi de biais à ton maître de stage. « Ça doit juste être le choc de la chute … je vais prendre deux minutes et ça devrait aller. » Dans le silence, tu étends tes mains doucement sur tes jambes en l'observant du coin de l'oeil se morfondre dans cette naïveté. Un homme restera toujours un homme, et Woody ne fait certainement pas exception à la règle, lui qui est si borné. Tu as un petit rire intérieur rien qu'à t'énoncer ce fait mentalement. C'est bon, prends deux minutes... Dis-tu alors d'une voix plus douce, compréhensive et toujours si pleine d'inquiétude. Le soudain soupir qu'il pousse te fait porter toute ton attention sur lui. Tu l'analyses de la tête jusqu'aux pieds depuis que tu as réalisé qu'il était tombé, et tu le fais à répétitions depuis que tu sais qu'il tremble, sans pouvoir se contrôler. Tu le laisses poursuivre dans son élan, dans cet aveu qui semble lui prendre pourtant bien du courage. « Je suis malade, Vera. » Un petit rire fichtrement nerveux s'échappe finalement d'entre tes lèvres, un minuscule rire incontrôlable que tu regrettes tout de suite. De quelques coups de fesses au sol, tu te rapproches de Woody, te retrouvant juste à ses côtés. Tu poses ta main sur les siennes, cherchant son regard dans tout le sérieux que tu peux faire preuve dans un instant comme celui-là. Malade? Et.. et c'est grave? Ça peut se guérir, Woody? Dis-moi que ça peut se guérir? C'est tout d'même pas.. C'est le cancer? Et émotive comme tu es, tu sens les sanglots s'agripper solidement à ta gorge qui devient sèche et qui semble bloquer les mots, les empêchant de sortir joliment de ta bouche, comme ils le devraient. Qu'est-ce que c'est...?, demandes-tu finalement, même si tu n'es pas trop sûre de savoir comment gérer l'annonce d'une maladie incurable. Ouais, il faut toujours que tu t'imagines les pires scénarios, dans un moment pareil!

Alors que n’importe qui, dans une situation aussi délicate, aurait tenté de jouer la carte de la gentillesse et de la compréhension auprès de Woody, Vera avait tout simplement répondu à ses attaques d’une façon en plus sèche. Si seulement cela était possible. Woody leva un regard décontenancé vers elle alors qu’elle lui remettait sous le nez qu’il ne lui disait clairement pas la vérité. Il était surpris d’une telle réaction de sa part, d’abord parce qu’elle était sa stagiaire, mais aussi parce que Vera était habituellement si douce et si inoffensive. Ça lui coupait l’herbe sous les pieds. « De quoi tu parles ? » Avait-il lâché, comme un gros bébé incapable de se rendre à l’évidence. Mentir, le plus longtemps possible. Faire semblant. Et espérer que le mauvais moment passe. Comme si de rien était. Et que tout le monde oublie. Mais Vera n’oublierait pas, et rien que le fait qu’elle s’adosse contre les pattes de l’un des lits de la clinique tout en attendant que Woody craque ne faisait que le confirmer. Malgré tout, l’homme continua sur sa lancée et justifia ses difficultés temporaires avec le choc de la chute. La blonde l’observa un moment, avant de lui dire qu’il n’avait qu’à prendre deux minutes, d’une voix bien plus douce que précédemment. Woody hocha la tête, laissant son regard se perdre devant lui. Il ne savait pas trop quoi dire, quoi faire. Connaissant sa maladie, elle le ferait souffrir jusqu’au bout de son humiliation et mettrait du temps à lui redonner le contrôle sur ses jambes. Il allait devoir trouver quelque chose de mieux à Vera. La vérité ? Ça lui semblait maintenant être la seule option sensée. Alors il lui avoua être malade, oui, de la façon la plus vague possible. Autant aurait-il pu avoir un rhume que la maladie la plus mortelle du monde, on n’aurait su trop dire. Mais avec la sévérité de son regard et la gravité dans sa voix, Vera avait bien vite compris qu’il ne s’agissait pas d’un petit virus passager. Tout de suite, elle posa sa main sur la sienne, nerveuse, incontrôlable, désemparée. Woody releva un regard semi-rassurant vers elle alors qu’elle partait dans des situations hypothétiques angoissantes. Woody secoua la tête alors qu’elle parla de cancer. « Non. Non. Pas le cancer. » La rassura-t-il, même si, au fond, sa maladie n’allait pas davantage l’épargner, au bout du compte. Vera avait les yeux plein d’eau, sans doute parce que les larmes s’étaient aussi frayé un chemin jusqu’à ceux de Woody. Elle lui demanda alors, directement, de quoi il s’agissait. Il soupira, hésitant un moment. L’étape du dévoilement était la pire. Il fallait prendre tout son courage. Et mettre toute sa fierté de côté, aussi. « J’ai la sclérose en plaques. Donc non, ça se guérit pas … » Avoua-t-il. Vera connaissait forcément la sclérose en plaques. Les gens qui en étaient atteints étaient une clientèle bien connue des physiothérapeutes. C’était un sujet étudié durant les cours. Woody avait lui-même étudié les symptômes qui l’attendraient, éventuellement. Ça avait été les pires heures de révision de sa vie. « Promets-moi de n’en parler à personne, Vera. » La supplia-t-il, presque. Woody avait sa fierté, son orgueil, sa réputation. Merde, même sa sœur l’ignorait.

Si au début de ton stage tu avais tout fait, mais absolument tout fait pour montrer à Woody que tu serais l'une de ses meilleures stagiaires et qu'il ne regretterait jamais son choix, jamais tu ne t'étais montrée autant directe avec lui que tu l'étais présentement. Les relations professionnelles font partie d'un autre monde et tu ne voulais en rien ruiner tes chances de réussir. Toutefois, tu as l'impression de t'être rapprochée de ton maître de stage dans le sens où il n'y a pas exactement cette relation purement professionnelle entre vous deux. Certes, c'est ton professeur, tu es son élève. Mais tu le considères aussi de plus en plus comme un ami et puisque c'est la nature qui t'a faite ainsi, impossible pour toi de laisser tomber un ami, encore plus si celui-ci est incapable de se tenir sur ses deux pieds. « De quoi tu parles ? » Tu soupires inévitablement, son attitude ne te rend pas la tâche facile, mais tu ne fuis pas. Tu t'écrases, fesses contre le sol, à quelques centimètres seulement de là où se trouve Woody - et son caractère de cochon. À toi de me le dire. Tu souris à pleine dents. C'est si surprenant que tu puisses faire de l'attitude et répliquer? Petite, blonde, frêle et naïve, mais tu as du caractère. L'effet de surprise n'est pourtant pas déplaisant, à bien y penser. Il t'avoue enfin être malade. Cet idiot, il te dit ça sans même t'éclairer, sans même te donner de détails, et il croit s'en tirer avec un : c'est bon, je te fiche la paix? Il se met le doigt dans l'oeil. Tu es néanmoins sous le choc de la révélation et tu prends peur. Peur pour lui, peur pour sa vie, peur qu'il souffre s'il est gravement malade. « Non. Non. Pas le cancer. » Tu pousses un long soupir de soulagement. Si émotive que tu es, ça ne te surprenait pas de sentir les sanglots faire leur apparition et te serrer, te sécher la gorge. C'est plus fort que toi, tu te lies trop aux autres. Beaucoup trop, parfois. Mais vint l'heure des révélations chocs, et Woody n'en avait pas terminé de te surprendre. « J’ai la sclérose en plaques. Donc non, ça se guérit pas … » Sans prévenir, tu lui sautes presque dessus pour le serrer contre toi. Ça t'arrive, parfois. C'est même pas toi qui est atteinte, mais tu réagis si violemment à la maladie, à la mort et ce, depuis que ton père a été tué à la guerre. Ah ! Woody ! Je... je n'sais pas quoi dire. Tu te détaches, t'éloignes pour l'observer et essuyer une vilaine larme qui s'était échappée de ton oeil droit. Tu trouves toujours les mots à tout, ou presque. Là, tu sèches complètement devant cet aveu qui ne devrait pas t'affecter tant, et pourtant... C'est ton ami, pas seulement ton maître de stage. « Promets-moi de n’en parler à personne, Vera. » Tu écarquilles les yeux. Tu ne trouves peut-être pas les mots pour lui dire ce que tu penses, pour essayer de l'aider dans cette condition, mais... Ce n'est pas à moi de me mêler de tes choix, Woody. Mais pourquoi? Pourquoi tiens-tu à garder ça secret? Tu ne veux pas de la pitié des autres? Tu veux paraître grand, fier et fort? Ta maladie ne t'enlève en rien les qualités que tu possèdes déjà. Mais laisse les autres t'aider, tu ne peux pas vivre ça seul. Tu t'es presque fichtrement fait mal. Si j'avais pas été là et que tu t'étais blessé, qu'aurais-tu fait? Qu'est-ce que tu aurais fait, tout seul? C'est le début du week-end, personne ne sera là avant lundi matin, alors t'imagine si tu étais tombé et que tu t'étais... j'sais pas? Fracassé le crâne?! Tu t'imagines les pires scénarios, certes, mais tu essaies de lui faire réaliser ce qu'implique cette folie de ne vouloir rien dire à personne sur sa maladie. Merde, t'en reviens pas.

De tous les moments où Vera aurait pu se décider à faire de l’attitude à son maître de stage, elle avait choisi celui durant lequel l’homme était vulnérable et faible. Ce moment où il n’avait même plus la force de répliquer quoi que ce soit, de lui faire de l’attitude en retour, du sarcasme ou de fausses menaces. Vera s’était toujours comportée comme la stagiaire parfaite, la jeune femme angélique qu’elle était illuminant toujours la pièce principale de la clinique. Mais là, ce soir, alors que Woody aurait de loin préféré vivre ce moment seul, sachant bien que l’usage de ses jambes lui reviendraient à un moment ou à un autre, sans doute, Vera se montrait limite arrogante face à Woody. Normalement, ça ne l’aurait pas dérangé, au contraire, il se serait amusé avec elle. Il adorait les femmes avec du caractère, c’était celles-là que Woody gardait dans son cœur, dans son entourage. Toutefois, en ce moment, Woody se sentait presque agacé par son attitude. En même temps, il comprenait bien ce qu’elle essayait de faire et, au fond, ça fonctionnait plutôt bien. Ça l’avait d’ailleurs poussé à cesser de se mentir à lui-même et à tous les autres. Ça l’avait forcé à s’ouvrir à Vera, à arrêter de faire semblant de bien aller. Arrêter de faire croire que tout irait bien. Tout n’irait pas bien. Tout s’effondrait. Woody avec. Vera s’en serait sans doute rendu compte à un moment ou à un autre, de toute façon. Comme tous les autres, d’ailleurs. Aussi fort essayait-il de cacher sa maladie, cette dernière finirait toujours par le rattraper. Par des pas lents, des signaux intermittents, mais peu à peu, elle gagnerait Woody. Elle gagnerait le combat. Peut-être, oui peut-être, qu’à ce moment-là, Woody aurait besoin d’avoir des gens à ses côtés. Pour l’aider à avancer. Pour le pousser à ne pas baisser les bras. Et, au fond, il voulait bien que Vera soit l’une de ces personnes. Alors il lui avoua tout, enfin.

La première réaction de la jeune femme fut de sauter sur Woody pour l’entourer de ses bras frêles. Woody posa sa main dans le dos de la jeune femme, las. Il n’avait même pas la force de l’entourer de ses bras à son tour. Il n’en avait pas forcément envie, non plus. Ça devenait trop émotif, tout ça. Il détestait ça. Il détestait se montrer vulnérable, et déjà ce moment était des plus délicats pour Woody, alors s’il fallait qu’il ait envie de pleurer en plus, il n’arriverait plus à voir Vera de la même façon. Il était comme ça, Rutkowski ; dès qu’il s’ouvrait, c’était pour mieux se refermer après. Par honte et par peur d’être jugé, pris en pitié, ou autre. La blonde s’exclama ne pas savoir quoi dire, tout en se détachant de lui. Il haussa les épaules. « Je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit à dire. C’est la vie et on peut rien y faire, ni toi ni moi … » Lâcha Woody, vaincu. Même s’il se battait, il perdrait. Ça ne valait pas la peine d’essayer, au fond. Il était une bombe à retardement, c’est tout. Un jour ou l’autre, il exploserait quand même. Woody demanda alors à sa stagiaire de ne rien dire à personne, ce à quoi elle sembla plus ou moins acquiescer, vu sa tête et ses questions. « J’peux pas non plus avoir quelqu’un avec moi vingt-quatre heures sur vingt-quatre, Vera … » Avait-il d’abord répondu, sachant bien que la situation hypothétique qu’elle avait soulevée pouvait effectivement lui arriver n’importe quand. « Que les gens le sachent ou pas, j’vais devoir continuer à vivre, et ma vie a ses risques, c’est inévitable. » Il soupira. « J’ai pas envie que les gens sachent parce que forcément, ils ne me verront plus de la même façon. J’veux pas que les autres changent leur façon d’agir avec moi juste parce que je suis malade et que j’serai bientôt incapable de m’occuper de moi-même. Ma maladie ne change rien à c’que je suis, mais ça, les autres ne le verront pas comme ça. Alors j’préfère qu’ils ne sachent pas. » Expliqua-t-il, même s’il savait que c’était un peu con, au fond. Il n’était simplement pas prêt. Un jour, quand il n’aurait plus le choix, mais pas maintenant. Pas tant qu’il était encore capable de le cacher.

On pense qu'il est possible de comprendre quelqu'un avec la maladie, mais c'est faux. Être en parfaite santé, c'est être incapable de comprendre. Incapable de véritablement saisir l'ampleur de la souffrance, de l'exaspération, de l'énervement. Toi, tu veux comprendre. Tu penses comprendre tout ce qu'impliquent les aveux de Woody, mais il ne perçoit pas la réalité de la même manière que toi. Sa réalité est toute autre que celle dans laquelle tu imagines le jeune homme et c'est triste, puisque tu penses pouvoir l'aider, alors qu'il n'y a rien de plus à faire, pour lui. Il n'y a rien que tu puisses faire qui puisse changer les choses. Sans te donner plus d'importance que tu n'en as, tu t'imagines parfois que ta bonne éducation, tes belles valeurs humaines et ton grand coeur sauront sauver le monde. Tes amis, surtout. Ce sont qui t'importent le plus, et même s'il s'agit d'abord de ton maître de stage, Woody est aussi un ami. Malgré tout, tu es impuissante. Inutile. Le prendre dans tes bras n'a fait que l'irriter, et tu le sens. Ses réactions spontanées et lasses en sont la preuve. Non, je sais. Mais.... Mais, mais, mais quoi? Mais rien du tout. Justement, tu ne sais quoi dire, et c'est inutile. Tu l'as retrouvé dans un moment de faiblesse, dans un moment où il lui est impossible de contrôler son corps. C'est son corps qui a le contrôle sur lui, et il n'aime pas ça. Personne n'aimerait ça. Et ce moment de faiblesse, d'impuissance, il en a honte. Au moins, aies la force d'appeler de l'aide quand une situation pareille t'arrivera de nouveau. Parce que non, tu ne peux concevoir de le savoir seul et blessé, incapable de se relever. Woody pense et affirme que la raison pour laquelle il n'a parlé de sa maladie a personne est pour ne pas que les gens le voient d'un autre oeil, d'un oeil empli de pitié, d'incompréhension. C'est ridicule... Que tu lui avoues, en haussant les épaules. Mais je ne dirai rien à personne. Promis. Parce que ce n'est pas de tes oignons, après tout. Tu n'es que la stagiaire, et c'est ridicule que de vouloir aider quelqu'un qui ne veut pas d'aide. Tu tournes la tête vers cette bouteille de vin déjà entamée que tu as précipitamment déposée sur une table non loin de là à ton arrivée, en apercevant Woody au sol. Un faible sourire s'étire sur tes lèvres. Ça te dit de quand même te joindre à moi pour célébrer? J'avais déniché cette bouteille de vin pour venir fêter ma dernière réussite... Quatre-vingt dix-sept pourcents dans mon dernier examen... Le maître est-il fier de son élève? Demandes-tu en souriant un peu plus, espérant qu'il ait envie de se joindre à toi et de retrouver un peu de sa bonne humeur que tu avais brisée en te portant à son secours, paniquée.

Las, Woody haussa les épaules. Il n’avait pas envie de faire de fausses promesses à Vera, de lui faire croire quoi que ce soit avec de belles paroles lancées en l’air. La vérité était qu’il avait honte de lui présentement, et qu’il aurait toujours honte de lui dans les incidents à venir. Woody était un homme fort, Woody était un homme indépendant, et même sa maladie ne pourrait changer cette facette de lui. Il se laisserait mourir en silence plutôt que d’appeler à l’aide. Ça, il ne le dirait pas mot pour mot à Vera. À personne, d’ailleurs. Par contre, il ne lui ferait pas croire qu’il utiliserait les autres comme ses béquilles. Ça n’avait jamais été l’intention du jeune homme et ça ne le serait jamais. « J’sais pas, Vera. J’ai jamais eu besoin de qui que ce soit, et j’ai pas envie non plus d’avoir besoin de qui que ce soit. J’sais me débrouiller. C’est pas la première fois. Et si un jour ça doit être la dernière, ça le sera, c’est tout. » C’était tellement défaitiste comme façon de voir sa maladie, sa condition, mais ça, c’était du Woody tout craché. Aux premiers abords, il avait l’air de l’homme plein d’assurance et plein de vie, mais au fond, il se laissait tout simplement lentement glisser sur cette pente vers les bas-fonds de sa vie. De sa mort. Vera découvrait cette facette de lui ce soir.

Il lui expliqua les raisons expliquant le fait qu’il ne voulait pas en parler, et Vera lui avoua que c’était ridicule, selon elle. Il fronça les sourcils alors qu’elle lui disait qu’elle ne dirait tout de même rien à personne. « C’est pas ridicule pour moi. J’ai toutes les raisons du monde de penser comme ça. » Dit-il d’un ton plus sec, et d’un regard dur. Puis, réalisant à quel point il s’en prenait à Vera alors qu’il était seulement fâché contre lui-même d’avoir été faible ce soir, il secoua la tête en soupirant. « Désolé … » Souffla-t-il, presque inaudible tellement il avait honte, tellement il aurait voulu disparaître dans le plancher. Un moment de silence passa, et sans doute pour chasser le malaise, la stagiaire de Woody parla de célébrations et de bouteille de vin, révélant le résultat qu’elle avait eu dans son dernier examen. Changer de sujet et dériver vers un événement plus heureux ? Woody allait volontiers attraper la perche. Il sourit. « Félicitations, Vera ! J’savais que j’avais la meilleure stagiaire de toute l’Australie. Du monde, putain, on peut le dire ! » Il se hissa un peu à l’aide de ses mains, afin d’être plus confortablement assis, et attrapa la bouteille quand Vera la ramena vers eux. « Je suis vraiment fier de toi. Et je suis fier aussi parce que t’as acheté une bouteille sans bouchon de liège, ce sera pas mal plus facile pour nous de l’ouvrir. » Il rigola. « Non, sérieux, Vera. T’as pas idée de tous les progrès que t’as fait depuis que t’es arrivée ici. T’es ma fierté. Parce que ouais, j’ose espérer que j’ai un peu à voir là-dedans, même si ton cerveau et ton talent en fait pas mal aussi. » Il sourit, puis lui ébouriffa les cheveux avant d’ouvrir la bouteille. « Pas de verres, hein ? Y’a toujours les verres en plastique de la distributrice à eau … » Proposa-t-il.