Un lapin et une quatre fromage - Woody et Noa

Suite à un pari ridicule lancé au cours d’une soirée fille, je me suis inscrite sur un site de rencontre. L’objectif ? Accepter au moins un rendez-vous. En tant que grande joueuse, je suis du genre à ne pas reculer devant un tel défi même si, concrètement, je n’avais pas forcément envie de me lancer dans une telle opération. Il m’avait fallut une bonne quarantaine de minutes avant de trouver la tenue idéale, celle qui disait « non je ne suis pas désespérée au point de chercher un homme sur un site de rencontre, et oui on m’a forcée ». D’autant que mon « bachelor" (oui je suis fan de cette émission ridicule à souhait et alors ? ) m’avait invitée dans une pizzeria. Rien de bien romantique en somme, n’est-ce pas ? Bref, mon jean et mon haut sur le dos et mes sandales aux pieds, je quittais mon appartement

J’arrivais à la pizzeria avec une légère avance de cinq minutes. Parfait pour moi qui n’était pas arriver en retard. Après avoir commandé un cocktail typique, je commençais à patienter. Je jouais nerveusement avec un foulard rouge sang, signe de reconnaissance choisi par bow-hémien69 (j’ignorais encore ce qui était le pire : l’utilisation du nom « bow-hémien » ou le fait qu’il puisse être 69 à s’être donné ce pseudo ou encore que le 69 fasse référence à autre chose ?). Mes cinq minutes d’avances passèrent puis cinq minutes de retard. Dix minutes, puis vingt. Je récupérai mon smartphone et envoyai un sms à ma meilleure amie, Lola. Remplis de sa frustration, ce dernier disait à peu de chose près « je t’aime mais faut qu’on arrête nos défis mutuels. PS : bow-hémien59 m’a posée un lapin, tu me dois un pot de glace ».

Bien sûr, rien ne m’obligeait à rester là mais allez savoir pourquoi, je restais au comptoir mon verre à la main, attendant surement le déluge.

La vie de Woody ne lui avait jamais semblé aussi dénuée de sens. Il avait beau avoir retrouvé sa routine d’autrefois, du temps où il était libre et fou, le jeune homme ne retrouvait pas la satisfaction qui y était associée. Au départ, ça avait été le cas. Dans les premières semaines suivant sa rupture d’avec Sara, le jeune homme s’était montré des plus heureux, sortant à tous les soirs et testant ses talents de dragueur qui, encore une fois, étaient à point. Malheureusement, plus les semaines passaient, plus Woody réalisait que ce ne serait plus jamais comme avant. Pas maintenant qu’il avait passé une année à se réveiller auprès de Sara. Pas maintenant que le souvenir des lèvres de Freja le hantait. Pas maintenant que la moitié de la ville le détestait pour qui il était, fondamentalement. Woody avait changé, les autres aussi, et il ne pourrait plus aussi aisément passer d’une femme à l’autre sans s’attirer les foudres, et ses propres foudres aussi. Woody avait du mal à vivre avec lui-même, parce qu’il n’acceptait plus autant qu’avant ce qu’il était. Par contre, ça, il ne le laisserait pas paraître, et si une femme se présentait à lui, il n’allait pas reculer pour mieux fuir. Woody continuerait d’être Woody, parce que c’était visiblement la seule chose qu’il savait bien faire. Même si ça faisait du mal, autant aux autres qu’à lui-même.

Ce soir encore, Woody allait s’oublier dans les bras d’une femme, parce que c’était tellement plus facile que de devoir se confronter dans sa solitude. D’abord, il devait se remplir l’estomac, parce qu’après la longue journée qu’il avait eu qui s’était débutée assez tôt avec un cours de yoga en plein air et des rendez-vous l’un après l’autre à la clinique, il avait une faim d’ogre. Il rentra alors à sa pizzéria favorite, n’ayant pas en tête d’y rester plus longtemps que le temps de consommer son repas. Il s’approcha du bar, entre deux personnes assises qui attendaient sans doute leurs pizzas. Il s’assit et fit un signe au serveur. « J’vais te prendre la Carnivore. Large. Avec un verre d’eau s’il-te-plaît. Merci. » Il sourit et croisa les bras sur le comptoir, laissant son regard se montrer indiscret sur le téléphone portable de la jeune femme à ses côtés. Il lut le message inscrit sur l’écran et esquissa un sourire. Il ne pouvait pas passer à côté d’une telle opportunité bien humoristique. « Excusez-moi. » Dit-il en la regardant avec un sourire. « Je me trompe peut-être … j’avais rendez-vous avec une jeune femme mais je suis très en retard, je pensais donc qu’elle serait partie mais … êtes-vous cette femme ? » Il restait le plus vague possible pour ne pas tout faire foirer en disant quelque chose qui ne fonctionnerait pas avec la vraie histoire. Il n’était aucunement le propriétaire du pseudo en question, mais ce serait drôle de faire comme si.

Mon téléphone en main, je ne faisais pas réellement attention à tout ce qu’il se passait autour de moi. Avant toute chose, je voulais signaler à Lola que j’avais remporté son défi et ce même si Bow-hémien69 ne s’était pas présenté. Totalement perdue dans mes pensées donc, je ne remarquai pas tout de suite l’homme à côté de moi. A vrai dire, s’il ne m’avait pas adressé la parole, je serai surement restée la tête dans les nuages. A son « excusez-moi », je relevais la tête, l’oeil interrogateur et le sourcil levé. Son sourire était très avenant et je lui rendis sans soucis. Je le perdais presque aussitôt lorsqu’il continua sur sa lancée, m’avouant être en retard pour un rendez-vous avec une femme.

Non… Alors c’était lui Bow-hémien69 ? Ce n’était pas possible. J’imaginais un homme, jeune, avec une coupe de cheveux d’une autre époque, des lunettes un brin geek et une tenue style baba cool, le genre de mec ne sachant pas s’y prendre avec la gente féminine (preuve en était, la création de son pseudo). Le genre de mec qui voulait se montrer artiste, bohème et marrant ! Car oui, je n’avais pas pu m’empêcher de poser la question sur ce pseudo digne d’un compte msn du début des années 2000.
Au vue de sa réponse, je m’étais fais une image bien précise de ce bow-hémien69 qui m’avait dit vouloir pousser les femmes à passer outre le nom…

Hors celui qui était face à moi ne ressemblait pas du tout à ça ! Il semblait bien trop intelligent (du moins sur le sujet des femmes) pour essayer de « pousser les femmes à passer outre le nom ». Et puis sincèrement, si cet homme là avait besoin d’un site de rencontre pour nouer des relations, le monde était sur la mauvaise pente ! Il avait un sourire charmeur et l’oeil rieur. Son style était très loin des vêtements hippie, il était même plutôt à mon goût. Moi qui était du genre perspicace d’habitude (exception faite du fiancé, mais c’était une autre histoire), voilà que j’avais dressé un portrait mentale de Bow-hémien69 totalement faux.

- Vous, vous êtes Bow-hémien69 ? dis-je finalement après quelques secondes de silence. J’avais le ton caractéristique de la femme sarcastique et soupçonneuse. Je ne vous imaginais pas du tout comme ça.

Oui, il fallait le souligner, le mettre en gras et italique, police 16. Comment ce mec LA pouvait être celui à qui j’avais parlé durant tout une semaine ?
Bow-hémien69 n’avait fait que parler de lui, lui et son chat, lui et ses passions, lui et ses Marvel. Le jeune homme vouait littéralement un culte à l’univers de Stan Lee. Tellement qu’il cherchait à répondre à des questions du genre « comment les films et les séries TV de Marvel, connectés entre eux, plus les médias apparentés, les sources des comics et le monomythe de la quête du héros de Joseph Campbell offrent une vision perspicace de la culture moderne ? »
Il m’avait d’ailleurs posé la question fatidique  de 2016 « Iron Man ou Captain America ? », ce à quoi je n’avais rien répondu, préférant prétexter une coupure internet.

Tout en me remémorant ces méfaits, je ne cessais de regarder mon « bachelor ».

- Où est votre signe de reconnaissance ?

La jeune femme semblait sonder l’âme de Woody, soit pour y déceler le mensonge, soit pour s’assurer qu’il s’agissait bien de lui malgré sa belle gueule. Après tout, avec une tête pareille, Woody savait bien qu’il n’aurait jamais à s’inscrire sur un site de rencontre ou une autre connerie du genre. S’il le faisait, ce ne serait que pour le plaisir de la chose, la découverte d’une nouvelle méthode de séduction. Jusqu’à maintenant, il avait toujours préféré y aller de la bonne vieille façon : se rendre directement à l’intéressée, l’aborder, et la séduire. Woody avait tellement d’assurance, pour lui se cacher derrière un écran était peu intéressant. Il préférait voir les réactions instantanées des personnes, suite à ses paroles ou à ses gestes. Une réponse par téléphone ou par ordinateur, c’est trop réfléchi, trop travaillé. On ne connaît la personne devant soi que lorsque celle-ci est réellement, physiquement, devant soi.

Toutefois, quand il avait vu devant lui cette opportunité lui être servie sur un plateau d’or, Woody s’était dit qu’il allait tenter sa chance. Il n’était certes pas ce Bow-hémien69, heureusement pour lui d’ailleurs, mais il pourrait jouer le jeu rien que pour voir où ça le mènerait. En espérant que cette belle jeune femme ne soit pas trop perspicace. Malheureusement pour Woody, cela semblait être le cas, puisqu’elle se montrait des plus suspicieuses. « C’est bien moi. Il ne faut pas juger la page par sa couverture, et puis, le pseudo est plutôt cool, je trouve. » Avait-il dit. Après tout, si le réel Bow-hémien69 avait choisi ce pseudo dans l’espoir d’attirer des femmes, c’était sans doute parce qu’il était vraiment convaincu de son choix. Pauvre type. La brunette lui dit alors qu’elle ne l’imaginait pas du tout comme cela. « Ah ? Et comment m’imaginiez-vous ? » Demanda Woody, se penchant légèrement plus vers elle, un regard amusé et rieur. Peut-être qu’en la questionnant ainsi, il aurait davantage d’informations sur cette personne qu’il devait être pour ce soir.

Quand la brunette lui demanda ensuite quel était son signe de reconnaissance, Woody prit conscience d’à quel point il serait difficile de faire perdurer le mensonge. Il n’avait aucune idée de ce qu’elle savait de ce Bow-hémien69, il n’avait aucune idée de quel était son prénom à elle, ou même juste son pseudo, et de quoi ils avaient discuté avant ce premier rendez-vous réel. Et si elle lui avait raconté toute sa vie et qu’il lui posait des questions auxquelles il aurait déjà dû avoir la réponse ? Décidément, Woody allait devoir se montrer mystérieux. C’était mieux ça que de faire faux pas après faux pas. « Je l’ai oublié avant de partir de chez moi, sur ma table dans l’entrée. Heureusement que vous aviez le vôtre pour que je puisse vous reconnaître. » Affirma-t-il avec un sourire soulagé. « C’aurait été un bien beau gâchis que de passer à côté d’une aussi belle femme, ce soir. C’est mon jour de chance, non seulement nous nous entendons bien, mais en plus, vous êtes jolie. » Raconta Woody avant de prendre une gorgée de son verre d’eau. La couvrir de compliment allait peut-être lui brouiller tellement l’esprit qu’elle laisserait de côté l’interrogatoire.