watching you from the clouds, melancholy (alex)

Sa silhouette était là, tout là-haut. Ses cheveux blonds dansant avec le vent. Ses bras allongés le long de son corps, les épaules bien redressées. Une aquarelle bien trop réelle. Une beauté infinie devant un paysage qui ne l’était pas assez pour l’égaler. Et pourtant. Nelligan arriva en haut de la falaise qui surplombait la mer. Bowen était derrière eux, tout en bas. Alex ne savait sans doute pas qu’il était aussi ici, qu’il avait mis dans un sac à dos ses soucis et qu’il les avait traînés jusqu’en haut de cette falaise, sans doute pour se prouver que ce fardeau ne l’empêcherait pas d’avancer. Il ne voulait pas s’empêcher d’avancer. Nelligan avait déjà perdu une année complète de sa vie pour un cœur esseulé. Il ne voulait pas s’enfoncer plus profondément dans la terre pour une autre histoire d’amour perdu. Il devait se faire à l’idée qu’il n’avait jamais pris les bonnes décisions dans la vie. Qu’inconsciemment, il se poussait lui-même au bord du gouffre. Ce gouffre, cette falaise ; tout en bas les vagues s’écrasaient sur les rochers. Nelligan releva la tête vers Alex, elle était encore un peu plus haut que lui. Il ne savait pas pourquoi elle était ici. Sans doute pour se donner le sentiment de revivre de nouveau. Deux semaines dans la noirceur, il y avait de quoi avoir peur du noir. Ici, au sommet du monde, le soleil était plus chaud que jamais. Le jeune homme hésita à aller la rejoindre, surtout parce que la dernière fois qu’ils s’étaient parlé, Alex lui avait confessé avoir eu des sentiments pour lui durant pratiquement toute leur jeunesse. Eux qui avaient été des meilleurs amis, eux qui avaient fait les quatre cents coups ensemble, eux qui avaient tout traversé à la fois ensemble et séparés. Ils auraient pu tout vivre ensemble, point à la ligne, si Alex le lui avait dit plus tôt, ou si Nelligan avait ouvert les yeux. Mais lui avait eu Lily-Anaëlle, et elle avait eu Conchobahr, et tous les autres après. Ils s’étaient perdus dans le rythme effréné de leurs vies. Aujourd’hui, Nelligan se demandait constamment ce qu’ils auraient pu être. Ce qu’ils auraient pu être s’il avait su. Malgré ses hésitations, et sans savoir qu’Alex n’avait plus aucun souvenir de cette conversation, il monta jusqu’à elle. « Hé, Alex. Je pensais pas retrouver qui que ce soit en haut, surtout une journée de la semaine. Je suis content de te voir. » Il l’avait d’abord interpellée doucement pour ne pas la faire sursauter, puis avait déballé le reste une fois son doux regard posé sur lui. Il lui sourit. « Comment vas-tu ? » Demanda-t-il, se sentant coupable de ne pas avoir demandé de ses nouvelles avant. Il se disait qu’elle devait avoir bien des choses à régler suite à son accident, et son réveil.

Elle avait choisi cet endroit. Et en poussant un caillou dans l'eau à l'aide de son pied, elle n'aurait pas su dire précisément pourquoi elle était venue ici. Ça n'avait jamais été sa place favorite malgré le paysage impressionnant qui lui était offert. Elle s'était éclipsée deux heures plus tôt de la maison familiale pour prendre son ancienne bicyclette et emprunter la direction de la falaise. Elle connaissait déjà cet endroit pour y être souvent venue à l'adolescence et elle pensa tout à coup que venir ici aujourd'hui lui ramènerait peut-être ses souvenirs. Sa mémoire était figée dans le passé lui donnant la sensation d'être exclue à chaque fois qu'elle parlait aux gens. Tout le monde lui parlait de choses et de gens qui lui étaient inconnus. Elle avait perdu dix longues années de sa vie et le plus terrifiant était qu'elle ne trouvait pas le moyen de changer ça. Sans vraiment en avoir conscience, elle commence à former un petit tas de caillou à côté de ses jambes avant de sentir une présence lui brûler l'échine. La sensation d'être observée, de ne plus être seule. Elle releva ses grands yeux verts pour trouver la silhouette qui venait la rejoindre mais elle reconnu sa voix chaude avant même que son regard ne se pose sur lui. Nelligan. Son sourire faisait écho au sien, peut-être de façon un peu plus stupide que la sienne, et elle tapota doucement la place à ses côtés pour l'obliger à venir. « Viens t'assoir avec moi. » Elle n'était pas non plus idiote, il était facile de voir l'hésitation qui s'emparait de son ami, la manière dont il la regardait comme si il jugeait le pour et le contre, comme si l'idée de s'assoir l'un à côté de l'autre était inappropriée. Elle avait passé deux longues semaines dans le coma, bizarrement il était le garçon qu'elle voyait le moins depuis son réveil. Il avait longtemps été son confident, l'épaule sur laquelle elle venait pleurer et les bras qui lui offraient les plus belles étreintes. Mais pas aujourd'hui. Elle détournait les yeux, avec un sourire triste au coin des lèvres, tout en se demandant s'ils avaient fini par s'éloigner au court des années. C'était une réalité possible mais une réalité douloureuse. « Tu veux savoir ? J'essaie de fuir ma famille. Ma mère insiste pour m'apprendre à me servir d'une tablette tactile, elle m'a pratiquement fait un cours sur les nouveautés de Apple et Steve Jobs ce matin. Et mon frère veut me spoiler des séries. » Toutes les séries qu'elle avait oublié depuis dix ans. Son sourire s'élargit. Sa remarque était surtout là pour détendre l'atmosphère, lui montrer que tout allait bien. « Et toi ? Qu'est-ce que tu fais ici ? »

Alors qu’il venait de l’interpeller, incertain de la réaction qu’aurait Alex, autant à cause de ses dernières paroles avant l’accident que par l’absence de Nelligan suite à son réveil, le jeune homme s’avança tout de même vers elle. Il fut soulagé quand il vit le magnifique sourire que seule Alex pouvait offrir aux gens s’installer sur son beau visage. Elle tapota doucement dans l’herbe, à côté d’elle, pour lui indiquer de venir s’asseoir à côté d’elle. Et elle le verbalisa, question que Nelligan comprenne bien ses intentions. Il hésita un moment, parce que Nelligan hésitait toujours trop, puis il vint finalement s’asseoir à côté de la blonde, ramenant ses genoux vers lui, les entourant de ses bras. Si elle avait ce sourire aux lèvres, si elle insistait pour qu’il la rejoigne, c’était sans doute parce que rien n’était changé, n’est-ce pas ? Enfin, rien, c’était relatif. Aux yeux de Nelligan, tout avait changé depuis qu’il savait qu’Alex avait eu des sentiments pour lui, à l’époque. Mais il s’était promis de ne pas laisser cela gâcher leur amitié actuelle. Alex était avec Cliff. Et lui était seul. Ainsi va la vie. Il ne pouvait rien y faire.

Sans doute pour briser le malaise qui s’installait en lui, parce qu’il ne savait pas quoi dire et qu’il ne pouvait justifier son silence des derniers jours, Nelligan lui demanda comment elle allait. Au moins, ça prouvait qu’il se souciait d’elle. Parce que oui, Nelligan avait souvent pensé à Alex, à son état, à son rétablissement. Il avait pris de ses nouvelles via d’autres personnes, mais les nouvelles restaient bien vagues. Il n’avait jamais su s’il devait de lui-même aller la voir. Il ne voulait pas s’imposer. Il n’avait pas assez confiance en lui. Pourtant, ils étaient des meilleurs amis. Et tellement plus que ça, même. Alex lui confia alors être en train de fuir sa famille, du haut de cette falaise. Le reste de ses affirmations troublèrent Nelligan. Il fronça les sourcils, l’air un peu confus, cherchant dans le regard de son amie une lueur d’humour, de plaisanterie. Il ne la trouva pas. Elle était sérieuse. Alex le devança dans sa réponse en lui demandant d’abord ce que lui faisait ici. Pris au dépourvu, il répondit, évasif : « Oh. Euh. J’avais juste besoin d’air frais. De me changer les idées. » Il ne laissa pas le temps à son amie de continuer sur ce sujet. Il lui semblait bien inutile de parler de lui alors que Nelligan tentait de comprendre l’état d’Alex. « Alex … Les tablettes tactiles n’ont pas changé tant que ça en quelques semaines. » Déclara-t-il, dubitatif. « Si ? » Demanda-t-il toujours aussi confus, commençant à se douter que bien plus que deux semaines s’étaient écoulées dans la mémoire d’Alex. Mais il ne voulait pas y croire.