It does feel kind of wrong, but it also feels kind of right -r.

Ils sont tous les deux sur leurs gardes, prêts à bondir à la moindre faiblesse de la part de l'autre. Ils se protègent, comme s'ils craignaient que des mots trop sincères puissent faire s'écrouler le mur qu'ils ont chacun construit et qu'ils n'arrêtent pas de reconstruire malgré les morceaux qui en tombent. Bien qu'il n'aie jamais été très doué quand il s'agit des ressentis des autres, ou même des siens d'ailleurs, il remarque cependant avec facilité les changements qui s'opèrent dans l'attitude de Jordan. Elle dé-serre les poings, le regarde avec plus de sérénité dans les yeux. Les hypothèses fusent déjà dans sa tête depuis un moment sur la réelle venue de Jordan, passant de la simple envie de le narguer à la réelle envie de se trouver là. Finalement, il en conclu qu'elle n'a pas le désir de se battre. Ou peut-être que si, peut-être qu'elle ne veut juste pas être opposée à lui pour une raison qu'il n'arrive pas à saisir. Elle a beau ne pas lui sourire, il a l'étrange impression que ses paroles ont déclenché quelque chose chez elle. Elle semble y réfléchir, peut-être est-elle même occupée à les retourner dans sa tête pour essayer d'en saisir le sens. Sauf qu'en réalité, même lui ne le connait pas. Il a parlé sans réfléchir, comme il a toujours eu un peu trop l'habitude de le faire. Les mots se sont échappés avant qu'il ne puisse se dire si ils risquent d'avoir un impact, ou des conséquences. Car réfléchir, ça n'a jamais été son truc. Il est trop dans le présent, trop insouciant pour s'embêter avec une prise de tête pareille. Jordan ne répond pas, et  Alfie profite de ce silence pour aller se chercher de quoi se remettre les idées en place. Il ouvre la bouteille, fait couler le liquide dans le verre, et avale d'une traite l'alcool à sec. Sans faire de bruit, Jordan le rejoint et s'empare de sa bouteille avant de glisser sa main dans sa nuque. Malgré la colère qui a échauffé son esprit l'instant d'avant, il ne peut s'empêcher de ressentir un frisson à l'endroit où ses doigts sont posés. Qu'ils soient ou non en colère l'un contre l'autre, elle reste Jordan. Ils pourraient se haïr que lui continuerait à la trouver attirante. Les mots qu'elle prononce le font froncer les sourcils, et il plante son regard dans les yeux bleus de Jordan devenus soudainement si expressifs, si vifs. Ce ne sont pas les mots qui arrivent à créer en lui une décharge électrique suffisante pour le remuer des pieds à la tête, mais bien la façon dont elle les a prononcés. En murmurant, mais d'un ton trop convainquant pour qu'ils puissent passer inaperçus. Les doigts d'Alfie effleurent la bouteille, puis remontent jusqu'au poignet de Jordan et l'agrippent afin de l'attirer plus près de lui. « En quoi c'est différent ? » murmure-t-il à son tour, ses lèvres à proximité de sa joue. Malgré tout ce qu'elle arrive à déclencher chez lui, il essaie de garder une proximité avec elle. Pas physique, mais mentale. Une barrière, seulement présente pour se prouver à lui-même qu'il ne se ferait pas embobiner par trois mots lancés au hasard. Il rompt le contact entre sa main et son poignet, récupère la bouteille et la porte à son tour à ses lèvres. Alfie s'enfile une longue gorgée, ne se souciant même pas de la brûlure que lui fait l'effet de l'alcool pur. C'est une sensation qui lui a toujours fait du bien, et elle est encore meilleure quand elle est additionnée avec la présence de Jordan. Sans la quitter des yeux, il dépose la bouteille à coté de lui et essaie de garder le contrôle de ses émotions trop mélangées pour être cohérentes.

Elle ne sait pas. Lui non plus d'ailleurs, pourtant il a toujours eu cette impression de son coté. Peut-être qu'elle ment, qu'elle ne dit ça que pour se trouver une raison de ne pas finir seule, juste parce qu'elle n'avait rien de plus à redire sur ses paroles. Sauf qu'Alfie, il l'a toujours senti au fond de lui. Elle le perturbait trop pour n'être qu'une fille de passage. elle occupait et occupe ses pensées quand il ne le faut pas, éveille sa curiosité, ainsi que d'autres sensations bizarres dont il n'a pas encore connu l'existence jusque là. Ça l'a longtemps rendu fou, il a il ne sait combien de fois cherché à enlever ce fichu visage parfait de son esprit en se perdant dans les bras de filles trouvées au hasard. Sauf qu'au final, lui même sait qu'il n'y a personne comme elle. Elle qui l'attire et l'intrigue en même temps, elle et son sale caractère, ses yeux de feu et sa bouche crispée. Il ne sait pas pourquoi c'est elle qui hante ses pensées, comment une fille pareille peut réussir à avoir une place différente de toutes celles qui ont déjà traversé sa vie. Sauf qu'à force de l'entendre lui parler d'elle, il a fini par réaliser à quel point ils sont pareils, Jordan et lui. Loin de cette envie de laisser aller leurs envies prendre le contrôle de leurs corps, ils ont chacun une histoire expliquant pourquoi ils sont comme ça. Deux âmes perdues, ne sachant pas quoi faire de leur vie ni même qui ils sont réellement. Peut-être qu'Alfie se trompe, mais ça n'empêche que c'est la toute première fois qu'il se sent si faible face à une personne, dénué de secret pouvant renforcer son éternelle carapace. Il la regarde attraper la bouteille et boire à son goulot d'une traite avant de la reposer à la même place. Alfie ne bouge pas, il ne boit pas à sa suite et se contente de la regarder pendant que ses lèvres s'ouvrent pour parler à nouveau. À ses mots, il fronce les sourcils sans comprendre. « Je comprends pas Jordan. Je vois pas ce que t'attends de moi. » Peut-être que si, il comprend, sauf qu'il a l'impression que ces paroles n'auraient pas pu sortir de sa bouche à elle sous cette forme. Ça ne peut vouloir dire qu'une chose : elle abandonne. Elle met fin à tout, à lui, même si c'était de toute manière une issue qui lui semblait inévitable et qui aurait dû arriver un jour où l'autre. Ils ne sont pas faits pour être ensemble, heureux. Ils ne se satisferont jamais. Sauf qu'Alfie, il n'a pas envie qu'elle disparaisse. « J'ai pas envie de plus te voir. Je veux pas te croiser dans la rue et faire comme si on se connaissait pas. Ou pire, se faire la bise et se raconter vite fait nos journées avant de partir chacun de son coté. Et ça me fait chier de l'avouer mais... je veux pas me dire qu'un jour y a quelqu'un qui partagera réellement ta vie. » Ça le tue de l'intérieur de dire ça, cette vérité qui blesse. Comme pour s'échapper de cette situation trop sérieuse et gênante, il attrape la bouteille et la porte jusqu'à ses lèvres, encore.

Toutes ces histoires de sentiments qui te prennent aux tripes, d'attachement trop fort envers une personne, d'envie irrésistible et déchirante de la voir encore et encore, ça n'a jamais été qu'un amas de conneries pour Alfie. Lui, il ne s'est jamais intéressé à une fille plus qu'il ne l'aurait dû. En réalité, il ne leur a jamais laissé le temps de le connaître comme lui ne le prenait pas pour les découvrir. Il n'a toujours été qu'un pseudo don-juan, le genre de crétin qui perd son temps dans les bars, les boîtes, qui s'amuse avec une fille ou deux puis qui rentre chez lui sans le moindre remord. Elles le laissaient indifférent, et il a toujours cru que c'était normal pour lui. Qu'il était immunisé à tout ça, qu'il était capable de ne pas s'attacher. Et pourtant. Jordan, il en est devenu accro. Vite même. Il ne s'en est pas rendu compte puisqu'ils se voyaient quand ils le voulaient. Ce n'est que quand il a compris qu'il pourrait la perdre que les engrenages de son cerveau ont commencé à tourner. Pour la première fois dans sa vie, il se sent en position de faiblesse. Il a parlé trop vite, il a lâché des mots qu'il aurait certainement dû garder pour lui. Dans sa poitrine, il a l'impression que son coeur bat trop fort. Une fois que cette énième gorgée d'alcool est venue lui brûler la gorge, il repose la bouteille et reporte son attention sur elle. Il sent sa main sur son torse mais ne réagit pas, trop impatient de l'entendre répondre à ces mots qu'il aurait pourtant tant aimé garder pour lui. Puis, machinalement, il se met à sourire. Un sourire non contrôlé qu'il n'arrive pas à arrêter et qui l'oblige à détourner le regard pour ne pas casser l'élan de Jordan. Un sourire stupide mais sincère, le genre qui n'appartient pas à Alfie. « Ah Jordan, » souffle-t-il sans perdre ce rictus avant de planter son regard dans le sien. Doucement, il attrape son menton entre ses doigts pour relever son visage et pouvoir ainsi mieux la regarder. « Ça te rend presque attendrissante quand tu ouvres ton cœur comme ça. » Sa main glisse jusqu'à sa joue et s'y pose. Sur le moment, il se fiche du temps qui passe. Il oublie leurs différents, leurs histoires et leurs secrets, ainsi que tout ce qui pourrait lui donner envie de revenir en arrière. Il oublie même où ils sont, son attention n'est focalisée que sur elle et rien qu'elle. « Regarde nous, » lâche-t-il en faisant tomber sa main avant qu'un petit rire ne s'échappe d'entre ses lèvres. « On dirait deux ados, incapable de se dire les choses clairement sans en faire tout un mélo-drame. » C'est comme ça qu'il se sent, Alfie. Comme un type de seize ans, trop fier que pour avouer à une fille qu'elle lui plaît.

Ça ne le ressemble tellement pas, tout ça. Sa main posée sur sa joue, ce sourire stupide qui étire ses lèvres à chaque parole sincère qui s'échappe d'entre les siennes. Alfie a beau essayer de se ressaisir, il y a chaque fois un détail dans son attitude qui trahit le plaisir qu'il a de la voir, là devant lui, à seulement quelques centimètres de distance. C'est un sentiment agréable et détestable en même temps, cette sensation de vulnérabilité qui finit pourtant par devenir si peu importante à ses yeux. Le problème, ce n'est pas seulement lui et son fichu blocage émotionnel. Mais c'est aussi elle. Jordan l'imprévisible, Jordan et son visage qui ne laisse transparaître aucune émotion. Ça le rassure comme ça l'effraie de ne pas savoir ce qu'il se passe dans sa tête, ce qui anime en ce moment ses pensées, ou encore si les battements de son coeur sont aussi peu réguliers que ceux du sien. Elle a toujours été un mystère. Un mystère qu'il ne voulait autrefois pas résoudre mais qui, aujourd'hui, l'intrigue plus qu'il ne le voudrait. Ses dernières paroles le font cependant redescendre sur Terre. Ça lui fait l'effet d'un choc électrique qui parcourt tout son corps et qui lui rappelle qui elle est, qui il est, qui ils sont l'un pour l'autre. Il aurait encore une fois dû se taire. « Prononce ce prénom encore une fois et tu le regretteras, » lâche-t-il avec un sourire au coin des lèvres malgré cette impression qu'il a d'avoir reçu une gifle en plein visage. Après quelques secondes d'hésitation, il finit par marcher jusqu'au canapé où il prend place à coté d'elle. Il ne la touche pas, Alfie s'appuie sur l'accoudoir en face d'elle et la regarde manipuler la bouteille en en buvant le contenu à plusieurs reprises. Jordan ne grimace pas quand elle boit, encore un détail qui la différencie de bon nombre de filles qu'il a connues. Elle, en général, est si différente. « Si t'as pas envie de me parler de ton histoire, je pourrais peut-être te raconter la mienne. Je suis sûr que la vie d'un espagnol exilé et rebelle t'intéresse plus que... » il désigne la bouteille du menton. « MON alcool. » Ce doit être ce même alcool qui le fait actuellement parler, même si Alfie n'est pas encore assez imbibé que pour se dévoiler entièrement à qui que ce soit, pas même à elle. Il déformerait cette fameuse histoire, la rendrait amusante dans l'espoir de voir un nouveau sourire illuminer son visage.

En y repensant, Alfie se rend compte qu'il ne l'a jamais entendue rire. En même temps, ce n'est pas comme si il avait déjà eu l'occasion de lâcher une blague qui aurait pu rien que lui tirer un sourire amusé. Là, il découvre de plus en plus de choses sur elle qui ne sont pas pour lui déplaire. Des détails peut-être insignifiants pour certains, et qui pourtant éveillent de plus en plus son intérêt pour elle. Il essaie cependant de ne pas le montrer, comme il l'a toujours fait avec elle, avec les autres, avec tout le monde au final. Elle annonce avoir une idée, et Alfie hausse un sourcil intrigué. Il l'écoute parler, et hoche simplement la tête avant de répondre comme si il réfléchissait à la proposition. Ça lui semble pas mal comme compromis, pour deux personnes qui n'aiment pas parler d'eux-même. « Ça me va, » finit-il par répondre en posant son regard sur elle. Il réfléchit déjà aux moments les plus intéressants, ceux qui ne risquent pas de créer un trop gros malaise, à la façon dont il pourrait les tourner pour le rendre plus légers. Quand elle évoque la présence de la bouteille, Alfie ne peut refuser. « Je le veux bien, » répond-il, un sourire naissant sur ses lèvres en réponse au clin d’œil qu'elle vient de lui adresser. « Bon, je commence. » Le début, l'enfance, le passage encore normal de sa vie. Il lève les yeux vers son plafond comme pour y trouver les mots à dire, se pince les lèvres pendant quelques secondes, puis finit par à nouveau regarder dans la direction de Jordan. « Je viens d'Espagne, mais ça c'est pas un secret. J'ai grandi avec deux parents très fortunés, le genre de personnes à payer les gens pour se faire apprécier et à posséder une villa plus grande que toutes les maisons de Bowen réunies, mais à ne pas être capable de s'occuper de leurs progénitures. J'ai deux petites soeurs, dont une qui me ressemble pas mal à ce qu'il paraît. L'autre a suivi l'exemple des parents, il en fallait bien un pour remonter le niveau. Et c'était clairement pas moi, » finit-il en souriant d'un air amusé. Il se penche vers elle pour lui voler la bouteille maintenant qu'il a fini la première partie de son récit et s'enfile une gorgée.

Il ne l'a encore jamais fait jusqu'à ce soir, pourtant Alfie se rend compte que parler de ses parents n'est pas si douloureux qu'il a longtemps cru. Au final, ils ne sont même plus deux êtres qui manquent à sa vie, mais seulement un ensemble de souvenirs souvent plus sombres que clairs. Des flashs qui le dérangent plus que ne le blessent, des visions de son passé qu'il a traversé sans ressentir la peine qu'une autre personne aurait pu avoir dans la même situation. Alfie a toujours été fort. Pour lui, pour ses sœurs, il a porté ce fardeau qu'est son enfance pendant longtemps et a finalement réussi à s'endurcir grâce à lui. Pendant qu'il parle, il ne regarde même plus Jordan. Il observe le mur devant lui et a l'impression que des images de lui dix ans plus tôt sont en train de défiler devant ses yeux. Lui fuguant, lui taguant sur les murs de son lycée, lui faisant tout un tas de conneries susceptibles de mettre ses parents en rogne. Lentement, un léger sourire étire ses lèvres en repensant à ça. Alfie a toujours été marginal, anarchiste même comme disait son paternel. C'est d'un geste machinal qu'il prend la bouteille, juste avant que la voix de Jordan ne le sorte de ses pensées. C'est à son tour de parler, à elle que revient à présent le lourd fardeau d'étaler devant lui ses démons du passé. « Sérieux ? » demande-t-il quand elle évoque ses parents, ne s'attendant pas spécialement à un réponse de sa part. Un sourire amusé étire les lèvres d'Alfie, comme si parler de leurs parents ratés était plus un jeu qu'un souvenir douloureux. Il l'écoute, hoche lentement la tête, ne peut s'empêcher de hausser un sourcil étonné quand il prend connaissance de leurs possessions. Il lui tend la bouteille à présent devenue une récompense pour eux-deux. « Effectivement, je vois bien nos parents jouer ensemble au cricket entre deux dominations d'une nouvelle ville. » Il sourit de l'absurdité de ses paroles lâchées trop facilement grâce à l'alcool qui réchauffe ses veines. Alfie se laisse aller un peu plus dans son canapé. Il pose sa tête contre le dossier, se met à fixer le plafond, puis passe une main dans ses épais cheveux foncés. Il essaie de s'imaginer Jordan quand elle était enfant, se demande si comme lui, elle s'est amusée à vivre à l'encontre des désirs de ses géniteurs. C'est encore une fois à son tour de prendre la parole. « J'ai rapidement eu des problèmes avec mon père. Il me traitait comme si j'étais un membre de trop dans leur petite famille idéale, un fardeau pour tout le monde. Il avait raison, j'étais loin d'être un modèle à l'époque. Encore aujourd'hui d'ailleurs, » ajoute-t-il en riant avant de reprendre son sérieux.  « Il s'énervait, je m'énervais, il buvait, et j'ai pas réussi à le supporter bien longtemps. J'ai tout plaqué à vingt ans. j'ai quitté l'Espagne, mes amis, mes études, mes petites sœurs. Je crois que c'est ça qui a été le plus difficile, de voir toute cette déception dans leurs yeux. Malgré ça, j'ai vécu les plus belles années de ma vie en visitant en moyenne un pays tous les trois mois. » Nouvelle gorgée d'alcool pour l'espagnol avant que la bouteille ne retourne entre les mains de Jordan.

Elle a toujours été différente à ses yeux sans qu'il ne sache pourquoi, comme un détail sur lequel il n'arrive pas à mettre le doigt. Elle n'a jamais été qu'une simple fille parmi tant d'autres, de celles qu'il ne revoit plus jamais et qui ne laissent dans son esprit qu'un souvenir presque transparent, qui finit par s'effacer avec le temps. Jordan, maintenant Naxa, elle a réussi à laisser sa marque dans la tête d'Alfie comme aucune autre avant elle. Là, couché sur ce fauteuil avec elle, il réalise quelque chose dont il n'a jamais été certain, mais qui lui a cependant assez trotté dans la tête ces dernières semaines que pour ne pas y avoir réfléchi. Jordan est différente. Différente de qui elle prétend être, différente de l'image qu'elle laisse apparaître, différente en mieux. Sur le moment, lui aussi se sent différent sans pour autant savoir dire pourquoi. Plus ouvert, moins effrayé à l'idée que quelqu'un puisse connaître cette part de lui qu'il n'a jamais montrée à personne. Et puis, il réalise que le rire de cette fille en face de lui est devenu étrangement familier, agréable à entendre. À sa remarque sur sa petite soeur, la plus âgée, Alfie secoue négativement la tête. « Franchement, je la verrais plus avec un Jean-Charles de quarante ans, riche mais marié. » Le destin de sa première petite sœur a rapidement cessé d'être un souci pour lui. Autant il a aimé jouer son rôle de grand frère quand elle n'était encore qu'une gamine, autant maintenant, il sait qu'elle ne risque pas de finir comme lui grâce à la vie que lui ont pré-construite ses riches parents. Et puis, même si ça ne devrait pas, il n'a jamais ressenti la même affection pour elle que celle qu'il a envers Manu. Sa protégée, cette petite ado qu'il a connue rebelle, maintenant devenue une jeune femme qu'il ne peut même plus protéger. Parfois, cette pensée suffit à lui faire ressentir un tas d'émotions négatives rapidement effacées par sa capacité à cacher la moindre de ses émotions. En écoutant Jordan parler d'elle, il ne peut que comprendre ce qu'elle ressent. Il trouve ça dingue, d'apprendre qu'elle aussi vient d'une famille dans laquelle elle n'a jamais réussi à trouver sa place. Ils n'ont peut-être pas les mêmes blessures, mais il semblerait que celles de l'un comme de l'autre aient cependant la même nature. Une famille partie en fumée, l'impression de ne pas être assez bien, l'envie de prouver qu'on peut être autre chose malgré tous les coups pris. Quelqu'un de bien, ou presque. En reconnaissant ses propres mots, un sourire étire les lèvres d'Alfie pendant que son regard gambade toujours librement sur le plafond, suivant les craquelures de la peinture blanche. Une fois les dernières paroles prononcées, il se redresse pour se retrouver assis devant elle. Il la regarde, fixe son visage sans prononcer le moindre mot pendant plusieurs secondes. Là, il n'a plus envie de parler. Il ne veut pas encore perdre de temps à remémorer leur passé douloureux, à retourner le couteau dans une plaie qui peine à se refermer. « Tu préfères qui, Naxa ou Jordan ? » finit-il par demander avant de bouger de gauhe à droite, avançant à elle centimètre par centimètre. Alfie s'arrête une fois que son regard croise celui de Jordan. Ses jambes sont repliées contre lui, et sa main remonte lentement en direction de la sienne, effleure sa peau, puis attrape la bouteille pour la poser sur le sol. « Parce que personnellement, je commence à plutôt bien apprécier la Jordan qui sourit à mes blagues, » ajoute Alfie en haussant innocemment les épaules.

Petit à petit, l'alcool réchauffe son corps et lui donne le courage d'agir et de parler sans se poser la moindre barrière. C'est étrange, il n'aurait jamais cru avoir ce genre de discussion avec elle. Non pas qu'il ne le voulait pas, Alfie a toujours eu au fond de lui une certaine curiosité à l'égard de cette jeune femme qui a partagé avec lui bien plus qu'une simple nuit. Il se rappelle l'anniversaire de Lily, à son regard de feu qui semble ce soir éteint. Elle n'est plus la même. Elle est plus calme, plus sérieuse, et apparaît devant Alfie comme quelqu'un de totalement différent. Alors qu'il a autrefois eu une trop grande facilité à ne pas s'attacher à elle au vu de la nature de leur relation, voilà que petit à petit, il a l'impression que tout ne sera plus aussi simple. Il lui suffit de la regarder pour comprendre, d'observer son visage pour immédiatement déclencher ce signal dans sa tête qui lui fait le même effet que lorsqu'il tire le première bouffée de sa cigarette du soir. Elle l'apaise comme elle le contrarie, le fait du bien tout en lui torturant l'esprit. Elle crée en lui des sentiments contradictoires, l'impression de ne plus savoir contrôler ses pensées et ses gestes. Alors qu'elle baisse les yeux, lui continue de la regarder. Il regarde Jordan, Naxa, et compare mentalement les différences qu'il arrive à trouver entre ses deux identités. La réponse le fait lever les yeux au ciel, sans pour autant effacer son sourire. « Arrête de te voiler la face, tu les trouves hilarantes mes blagues. » Comme elle, il regarde l'heure sur l'écran qui s'allume. Il est tard, ou tôt. Un coup d'oeil en direction de la fenêtre lui confirme qu'en effet, le jour ne devrait pas tarder à se lever. Alfie regarde Jordan, prêt à la laisser s'en aller et disparaître pour il ne sait combien de temps. Il ne sait pas où ils en sont elle et lui, il ne sait même plus si un jour ils pourront se revoir. Peut-être que non, peut-être que Jordan fuira après tous ces mots échangés cette nuit. L'idée lui sert le cœur. « Tu peux rester, si tu veux. » Il n'a pas réfléchi avant de parler. Sur le coup, l'idée lui a parue presque évidente. Ils ont été debout toute la nuit, il ne se voit pas la laisser partir comme si rien ne s'était passé ces quelques dernières heures. Sauf qu'après réflexion, Alfie réalise que la proposition est peut-être stupide. « Enfin, si tu as quelque chose à faire, je ne te retiens pas plus longtemps. » se rattrape-t-il avant de quitter le canapé.