"Every man looks his best when wearing a suit." [ft. Xavier Black]

Tu venais de terminer ton café alors que la porte du magasin venait de s'ouvrir. Tu n'avais pas eu besoin de te retourner, qu'au son de la voix de ton client, tu savais qui c'était. Une bonne surprise ? Tu le découvrirais bien assez vite. « Bonjour à vous, Ed ! » prononçais-tu doucement en te tournant vers lui, pour écouter ce dont il avait besoin. C'était un client régulier depuis son installation il y a un peu plus de trois mois. Très gentil avec toi et généreux. On ne pouvait pas dire qu'il te faisait chômer, au contraire. Il venait quasiment toutes les semaines et quand il ne venait pas, tu étais presque triste de bien travailler. « Vous rigolez j'espère ? Sans vous cette affaire serait peut-être à la ruine. » Bon sûrement pas. On va dire que tu avais pas mal de contrats à honorer même si dernièrement tu n'étais pas très productifs. Tu ne manquait pas de passions ou de volontés, mais tu étais souvent trop sou pour oser approcher une machine. C'était dangereux tout de même et Martha t'en aurait empêché. « Je suis l'homme de la situation. » Tu esquissais un sourire, ce qui était plus une grimace. Puis tu attrapais ton aiguille et ta boîte de fil afin de choisir la nuance qui irait parfaitement avec la couleur de son pantalon. C'était ça le secret d'un ourlet réussi, un ourlet invisible. Tu passais ton fil dans l'aiguille, t'y reprenant à trois reprises. Ce qui était deux de plus que d'habitude. Pourtant, tu n'avais pas l'impression d'avoir les yeux à côté des trous. « Comme ça peut aller. Et vous ? » Autant dire que tu n'allais pas bien, mais c'était ton client. S'il y en avait un qui devait se plaindre c'était lui. C'était toi qui devait lui prêter une oreille et pas l'inverse. Et puis parler de tes problèmes d'alcool à tes clients ? Autant signer ton arrêt de mort. C'était bien plus important de cacher les apparences, de faire comme si tout allait bien. C'était toujours plus facile. Même si tu avais les traits tirés, si tu semblais distrait et que ton costume devait sentir l'alcool. Tu en avais glissé dans ton café ce matin. Tu avais aussi mis des pansements sur tes doigts. C'était bien la première fois en presque 10 ans de métier que tu avais les doigts aussi abîmés. Un soir de colère contre toi tu avais jeté les bouteilles, les cadavres de ton honte. Et en les ramassant, tu t'étais coupé. Tu n'étais pas très fier de toi, et tu sentais bien qu'il ne voyait que ça. Ça te faisait bizarre d'un coup. Au point d'en perdre ton peu de concentration et de le piquer. C'était bien la première fois que ça t'arrivait. « Pardonnez-moi.. » Tu n'allais tout de même pas te mettre à pleurer si ? Pourtant, tu avais l'impression que ton monde s'écroulait morceau par morceau. Tu n'étais plus certain de savoir qui tu étais. Tu avais le sentiment qu'en quelques semaines, tout avait changé. Une fille, une soeur, un amour compliquée si ce n'est pas pour dire impossible, des fantômes du passé. Autant dire que tu traversais pas mal de choses. Trop de choses que tu n'arrivais pas à surmonter.

Il s'était agenouillé pour se mettre à ta hauteur. Tu avais eu le sentiment d'être tout petit, comme si on te traitait comme un enfant. Ce qui t'arrivait de faire avec Aby, te mettre à sa hauteur pour la regarder dans les yeux, faire passer ton message plus facilement. Il en faisait de même, posant sa main sur ton épaule, te demandant si tu voulais en parler. Tu fronçais les sourcils, ne comprenant pas très bien ce qu'il pouvait attendre de toi. C'est la suite de ses propos qui te permettait de comprendre. Tu avais écarquillé les yeux, surpris. Dans le fond, l'étais-tu vraiment ? Il y avait tant de signe qui te trahissait. « Vous savez ? » Si lui savait, alors tout le monde devait savoir. Sauf s'il était juste plus attentif que la moyenne des gens. Tu ne saurais pas trop dire, mais le fait était que maintenant tu ne pouvais plus trop le cacher. Tu avais un problème, tu buvais un peu trop. Et tout ça se ressentait dans ton travail, tu avais l'esprit ailleurs, tu ne te concentrais pas et tu faisais n'importe quoi comme piquer un client. Le genre d'erreur qui ne t'était jamais arrivé en presque dix ans de métier. Autant dire que tu n'étais pas tellement fier de toi en ce moment précis. « Je le gère assez mal. J'ai été sobre trois ans, il a fallu d'une nuit, pour tout foutre en l'air. Je me sens dépassé. » Seulement étais-tu prêt à t'en sortir ? Étais-tu prêt à faire les efforts nécessaire pour arrêter tes conneries ? Tu ne savais pas trop, tu étais las de te battre, de lutter contre tout ça. Il sortait une boîte de sa poche, te proposant de prendre un cigare, tu les fixais une longue minute, ne sachant pas trop quoi décider. « Sans façon. » Une addiction à la fois. Tu évitais de fumer, tu ne voulais pas à faire un transfert ou pire encore, à être alcoolique et fumeur. Tu allais développer un cancer du poumon ainsi qu'une cirrhose, ce n'était pas forcément la meilleure des idées.

La question se faisait attendre. Pourquoi la rechute ? Pourquoi maintenant ? Tu ne savais pas si tu devais vraiment y répondre. Tu ne savais pas si tu voulais vraiment en parler. De toute façon la vérité ne pouvait pas sortir. Adilyn la connaissait et son regard t'avait suffit. Tu n'imaginais pas le dire à une autre personne. La seule à qui tu pourrais tout confier serait Willow. Elle était ton alliée dans cette ville, elle en connaissait beaucoup sur toi. « Un femme. C'est toujours question d'un femme. Je suis un homme un peu trop faible face à la gente féminine. » Tu haussais les épaules, détournant le regard sur tes mains. Tu les voyais trembler, comme si tu étais en manque. Tu l'étais et le fait d'en parler n'arrangeait pas les choses. Mais tu n'allais pas chuter, tu n'allais pas boire un verre, ni maintenant, ni jamais. Tu ne devais pas rechuter. Plus jamais. « J'aimerais autant éviter de trop m'épancher sur ma vie, vous êtes quand même un de mes plus gros clients.. » Tu relevais le regard vers sa veste, tâchant de terminer ta tâche sans le piquer à nouveau. Mais ça te semblait impossible, ça te paraissait insurmontable. Pourtant c'était un simple trou.. Il te fallait du fil et une aiguille, un peu de bon sens et tu pourrais y parvenir sans trop de difficultés. « Veuillez pardonner mon manque de professionnalisme ! » Et ce n'était pas rien. Pour toi, qui était un travailleur acharné, forcené même parfois, tu ne pouvais pas concevoir d'être mauvais. De ne pas être au top et d'assurer les choses. Mais c'était actuellement le cas, tu ne contrôlais rien, tu n'étais pas maître de la situation et surtout, tu étais dépassé par tout ça.

Tu esquissais un faible sourire à ses propos. Tu considérais tes clients comme des clients, mais c'est vrai qu'à force de voir certains visages, tu finissais par apprécier les personnes derrière, comme ce fut le cas avec Sara, avec Léo et même avec Edward. « Oui mais c'est que le cadre n'est pas propice à de telles confidences. Je suis tout de même sur mon lieu de travail.. » Autant dire que l'idée de lui en parler au bar devant un verre n'était pas non plus réjouissante, parce que tu devais arrêter de boire, mais semblait plus convenable que de le faire dans ta boutique. Tu n'avais pas souvent l'habitude de parler de toi, mais le faire pendant que tu t'occupais d'un client, tu trouvais cela tout à fait déplacer. C'est comme si tu allais chez le barbier et qu'au lieu de raconter ton vie, c'est ton barbier qui te parlait de ses problèmes. C'était un peu le monde à l'envers pour toi. C'était une idée incongrue. « Je vous remercie d'être aussi compréhensif, Edward ! » Tu murmurais à présent. Edward ne te jugeait pas, ou du moins pas ouvertement. C'était une qualité que tu savais apprécier chez cet homme. Tout le monde n'aurait pas été aussi clément. C'était le genre de détail qui pouvait faire flancher la réputation que tu avais mis des années à te faire. Le Black Swan est au plus bas. Cette pensée te faisait peur. « Je ne voudrais pas vous mettre dehors mais je crois que je ne vais pas y arriver.. » articulais-tu faiblement. Autant reconnaître tes erreurs, tes faiblesses. C'était lui qui te le proposait, tu n'aurais jamais eu le cran de le lui demander, mais là, tu prendrais bien congés. Tu retournerais bien chez toi pour te coucher un moment, faire une sieste et faire le point sur ta vie. Le point sur ta situation actuelle et peut-être prendre conscience à quel point la situation était grave.