le vent ramene des fantomes

Il avait rendez-vous avec une certaine Baratti. Il se demandait si elle était réellement italienne. Souriant à cette idée, il finalisait la préparation de son sac en cuir. Tous les dossiers y étaient. Cela faisait un moment qu’il n’y avait pas mis les pieds, en Italie, et il réalisait que tout lui manquait…l’odeur, les couleurs…les femmes. C’était là qu’il avait rencontré Bessie et puis Deborah. Il fronça les sourcils. Avait-il déjà reparlé à Bessie depuis cette longue nuit  où elle avait balancé tous ses objets par la fenêtre quand elle avait appris qu’il l’avait trompée pour cette americana? Son nom n’était pas Baratti justement? Il ne s’en inquiéta pas trop. Quelles étaient les chances après tout…On était bien en Australie.

Il partie pour le bureau d’avocats. Cette rencontre n’était pas supposée être trop laborieuse. Surtout des détails concernant différents contrats avec les investisseurs et éventuellement quelques pistes concernant les contrats avec les distributeurs. Les bureaux étaient riches et spacieux, à quoi s’attendre d’autre venant de la part d’avocats…Il se présenta à la réception.

- Arthur Morricone. Mme Barrati. Non on ne m’a pas donné son prénom….c’est une erreur? Est-elle là? Oui? Donc ce n’est pas une erreur….C’est une erreur que l’on ne m’ait pas donné son prénom? Je lui demanderai, ce n’est pas si grave.

Il rigola poliment. Cette réceptionniste était stupide ou quoi? Après enfin s’être fait indiqué la salle où il avait rendez-vous, il se déplaça derrière le comptoir de réception.  Les murs vitrés de chaque pièce permettaient de voir l’intérieur des différents bureaux et salles de conférences. Il aperçut la mystérieuse Baratti sans prénom de dos. Sa silhouette fine, habillée par des vêtements professionnels, mais de bon goût, se tenait devant ce qu’il devinait être un cafetière. L’idée de boire un café le réjouit en ce matin qu’il aurait préféré passer au lit. Il ouvrit la porte. Des yeux hypnotisant croisèrent les siens. Les mêmes que ceux qui l’avaient tant charmé il y a de cela déjà plusieurs année. Bessie.

- Toi, ici..?

Il se souvenait encore très bien des circonstances de leur rupture. Il n’avait pas été tout à faire correct dans tout cela en réalité.  Il essaya de se protéger du mieux qu’il le pouvait de cette situation complètement gênante pour lui de la seule façon qu’il connaissait : par l’humour et par le charme. Il lui sourit d’un air malin.

- E ' un po ' che non ti vedo. Come te la passi?

Sa respiration s’accéléra. Il se demandait s’il elle allait poursuivre la rencontre, ou simplement le jeter dehors.  

Il se rappelait très bien les derniers mots qu’elle lui avait dit… Cela l’avait heurté, bien évidemment…il avait eu le sentiment de sentir glisser entre ses doigts une relation à laquelle il tenait, de voir disparaître une personne qu’il avait aimée. Car oui, il en avait été amoureux, à un certain moment il s’était même demandé si Bessie et lui ne resteraient ensemble des années, si ce n’était pas avec qu’il aurait tenté de construire sa vie «d’adulte»… Il se doutait bien qu’à présent, elle aurait du mal à le croire.  C’est simplement que…il ne l’avait pas aimé autant qu’il l’avait aimée elle. Cette vérité avait été si dure à accepter sur le coup qu’il avait décidé de tout ignorer, les deux relations se chevauchant pendant un moment. Il n’en était pas fier… pas du tout. Une partie de lui aurait voulu s’expliquer auprès de Bessie, tandis qu’une autre avait été soulagée. Il avait pu simplement fuir et effectivement, ne plus jamais la revoir.

Demeure que là, maintenant qu’il l’avait sous ses yeux, il comprenait non seulement pourquoi il l’avait aimée, mais il réalisait qu’elle lui avait manqué. Ils avaient eu du plaisir elle et lui…ils s’étaient bien entendu et était rapidement devenus très proches. Le sentiment de devoir s’expliquer faisait surface de façon surprenante. Cela ne servait plus à rien de le faire…mais tout cela avait pris fin si abruptement..

Il l’observa lui servir du café tandis qu’elle réitérait le désir qu’elle avait eu de ne plus jamais reposer ses yeux sur lui.

- Bisogna essere deluso…

Il se demandait alors si elle avait été au courant de son mariage avec la femme qui avait été à l’origine de leur rupture… Tess lui en avait probablement parlé…Mais cela faisait longtemps qu’il ne l’avait pas vu elle aussi, quoiqu’elle fût venue au mariage.

- Questo è un periodo difficile…en réalité…

Habituellement, il mentait lorsqu’on lui posait la question. Mais avec elle, c’était trop bizarre de faire comme s’il ne la connaissait pas. Même s’il savait qu’elle ne le portait probablement plus dans son cœur. Il baissa les yeux, et joua avec le rebord de sa tasse qu’il porta ensuite à ses lèvres.

- Grazie…J’imagine que comme moi tu dois t’ennuyer de la maison pour ça, dit-il en montrant son café.

Il planta ses yeux dans les siens, détaillant les traits de son visage qu’il connaissait trop bien.

- Qu’est-ce que tu fais à Bowen d’ailleurs?

Arthur s’était assis. Il jouait avec le manche de sa tasse de café. Parler de boulot lui semblait impossible pour l’instant. Il lui jeta un regard inquiet quand elle mentionna sa famille. Il fronça les sourcils.  Cela ne pouvait augurer rien de bon si sa présence ici avait des raisons «familiales». Il savait à quel point Bessie tenait à ses frères…À l’inverse, même si sa argne enver lui devait toujours subsister, il sentit que de le voir dans ce piteux état la réjouissait moins qu’elle aurait pu le penser.

Leur méconnaissance de leur situation familiale respective ne faisait que souligner la longueur des années qui s’étaient égrainée derrière eux. Maintenant qu’elle se tenait là devant lui, il avait pourtant l’impression que c’était hier que la lumière du matin qui traversait directement la fenêtre de leur chambre venait frapper son visage.  Pour la première fois de sa vie, il réalisa qu’une personne qu’on pensait connaitre du bout des doigts pouvait nous devenir étrangère. Il pensa à Deb’ et a combien de temps cela prendrait avant qu’il perdre l’impression de pouvoir la dessiner par cœur.  Pour l’instant, il réalisait que Bessie et lui avait beaucoup à rattraper.

Il fut surpris par l’intensité de son regard. Mais évidemment, qu’elle se demandait…Évidemment qu’elle voulait savoir qu’est-ce qui était devenue de cette femme avec qui il l’avait trompée et probablement fait sentir humiliée…

- Je l’ai mariée tu sais Bessie…On a habité ensemble quatre années à Los Angeles.

Il fit une pause baissant les yeux sur le liquide noir qu’il fit tourbillonner dans un geste du poignet.

- È morta… Non volevo tornare in Italia.

Il sentit dans son regard qu’une partie d’elle trouvait cela bien fait pour lui. Bien qu’il le savait, il réalisait à quel point il l’avait blessée…ça n’avait pas été facile pour lui, mais il devait assumer le mauvais rôle qu’il avait joué dans toute cette histoire. Elle se désola pour avant de s’assoir à son tour et d’attaquer les viennoiseries. Elle aimait manger Bessie, il s’en souvenait très bien. Ils étaient toujours en train de faire ça maintenant qu’il y pensait, en train de cuisiner ou d’aller au restaurant. Il avait d’ailleurs perdu cet appétit.  

Il prit une autre gorgée de son café, observant ses mains qui tenaient la danoise. Pas de bague…S’il évitait l’Italie à cause d’elle…Peut-être. Il l’évitait pour plusieurs raisons…

- Le regard de ma famille était trop lourd pour que je m’y installe à nouveau. Et tout me la rappelait. Et toi, je te croyais toujours là. Je voulais fuir cette partie de ma vie.

Il souffla un rire léger, dépité.

- Mais bon. Tu es là…et pour Bowen, c’est un gars avec qui j’ai déjà bossé qui me l’a conseillé. Je lance mon prochain projet d’ici…

Il baissa les yeux sur leurs dossiers.

- Comme tu peux le constater…

Il y eut un moment de silence. Il était fébrile. Les yeux de Bessie, aussi vifs que dans son souvenir, ne le lâchaient pas et lui-même avait du mal à décrocher son regard d’elle.  Il remarqua quelques changements, la teinte de ses cheveux, ce petit quelques chose qui ont fait qu’elle semblait vieillie, inévitablement, même si en fait, elle était peut-être encore plus belle. Il se demandait alors comme lui avait pu changer pendant tout ce temps. Quelques imperfections dans sa peau avaient bien dû faire leur apparition, même s’il était loin d’être un vieillard…Sa question, bien qu’elle ne le surprit pas en tant que tel, eut l’effet d’un coup dans le ventre. Ils y étaient donc, à l’heure des explications. Il se racla un peu la gorge, mal à l’aise, timide…ce qui ne lui ressemblait pas. Il planta ses yeux dans les siens comme pour bien se faire comprendre.  Il n’aimait le visage «Arthur sérieux», mais c’était trop important pour que cette fois-ci il se défile avec l’humour. Il lui devait au moins ça.

- Bess…. Ti ho amato… sinceramente…Ça n’a jamais été toi. C’est juste….que c’était trop elle…

Il sentit cette boule d'émotion monter à sa mention...  mais impossible qu’il se laisse aller, là maintenant. Le coude appuyé sur la table, il déposa ses yeux devant sa main. Il inspira plus lentement pour se calmer un peu et continua la voix légèrement enrouée :

- Sono spiacente… per tutto. Peu importe mes raisons, j'ai vraiment mal géré tout cela à l'époque...

Oui. Il avait manqué d’honnêteté. Il soupira à l’écoute de la phrase de Bessie. Il ne s’attendait pas à ça aujourd’hui, à devoir affronter tous ces sentiments du passé, à tomber dans les réminiscences de sa relation avec elle. Il était surprit de la voir ici. Point.

Encore une fois, le silence s’installa entre eux. Il n’était pas certain d’être capable de dire si c’était parce qu’ils n’avaient plus grand chose à se dire ou si au contraire c’est parce qu’ils en avaient trop. Ils avaient été si proches. La voir se tenir devant lui faisait remonter des sentiments enfouis qu’il n’aurait jamais pensé revivre. Il observa ses mains fines, son cou délicat, la façon qu’elle avait de triturer cette pauvre viennoiserie, ses cheveux qui tombaient légèrement sur son visage. Fut un temps où il les aurait glisser derrière son oreille du bout des doigts. Il laissa tomber un court soupire et jeta un œil sur les dossiers. Pourrait-il travailler ensemble…allait-il devoir demander une autre employée? C’est elle qui brisa le silence, lui expliquant avec plus de détails la raison de son installation à Bowen. Il fronça les sourcils et parla doucement.

- Bess….est-ce que ça va? Je n’aurais jamais imaginé ta famille éclater ainsi…

Il avait de l’affection pour elle, des sentiments d’amour qui peut-être ne partiraient jamais totalement et qui seraient toujours là, latents, enclins à refaire surface. Peu importe ce qu’elle pouvait bien en penser maintenant, il l’avait aimée sincèrement et son inquiétude actuelle était bien réelle.

- Tu es venue seule ici? T’habites où? Tu as tout ce dont tu as besoin? E 'un errore di aver perso il contatto… Je sais que je t’ai fait du mal…mais laisse-moi être là pour toi maintenant. Tu ne trouves pas que ça fait du bien de sentir un peu come a casa ?

Il soupira dans un sourire, ses yeux un peu brillants à l’idée d’avoir la possibilité de reprendre contact avec elle. Il était peut-être naïf. Il planta son regard dans le sien guettant un possible rejet….auquel il serait peut-être plus sage de sa part de s’y attendre…même si cette idée le peinait.

- Je comprends aussi…si tu préfères remettre le dossier à quelqu’un d’autre, laissa-t-il finalement filer du bout de ses lèvres.

Il hocha doucement la tête, compréhensif, alors qu'elle lui expliquait la façon dont sa famille avait éclaté, la façon dont elle sentait qu'être en Italie sans eux, c'était comme ne pas être à la maison, malgré les odeurs et les paysages qu'ils connaissaient si bien. Comment la définir sans cette famille...impossible. Il se demandait bien qu'elle fût la nature de ce différent entre son frère et son père...qu'est-ce qui pouvait être assez puissant pour détruire ce lien, et par dessus tout il se demandait de quelle façon tout cela avait bien pu l'affecter elle....

Devant lui se trouvait un visage plutôt sérieux. Sur ses lèvres s'étaient dessiner une petite moue qu'il connaissait bien et ses sourcils, légèrement froncés, lui donnait un air préoccupé. Elle tentait de cacher ses sentiments, il le voyait bien. Évidemment, la nature de leur rencontre n'était pas propice aux épanchements émotifs...mais il sentait aussi qu'elle se retenait....par peur, par manque de confiance...par rancune? Il ne savait pas dire. Ils s'étaient aimés, avaient habités ensemble, partagé une intimité qu'il n'avait connu qu'avec elle et Deborah... les deux femmes les plus marquantes de sa vie au final. Et il les avait perdu les deux....comme c'était bête.

Il se demanda alors qu’elle aurait été sa réaction si Deborah avait encore été là…se serait-il montrer plus distant? Plus neutre? Plus gêné?

En réalité, le fait d’être seul, le fait de ne s’être jamais senti aussi seul, pour être plus précis, lui donnait simplement envie de retrouver des bras qu’il connaissait…De retrouver quelque chose de rassurant, quelque chose qu’il connaissait et dans quoi il était bien…

Si son amour pour Deborah n’avait pas été aussi dévorant…que serait-il advenu de lui et Bessie? Et s’il avait été encore ensemble….seraient-ils restés en Italie, leur famille à eux, celle qu’ils auraient construit, supplantant celle qu’ils avaient actuellement…?

La voix de Bess’ le sortit de sa torpeur…Elle se mit à parler boulot…affirmant qu’étant des adultes, ils trouveraient le moyen de passer par dessus tout cela…Arthur avait des doutes…Si ce n’était pas de l’animosité qui naitrait possiblement entre eux, cela allait être de sentiments plus doux….et plus passionnés. Il se connaissait…il la connaissait…et cet air tranquille qu’elle abordait ne saurait tenir longtemps…

Ses yeux ne lâchaient pas les siens, presque défiant, cherchant à briser la glace confortable qu’elle maintenait entre eux.

- Bien sûr que je m’inquiète pour toi…je ne sais pas comment t’expliquer à quelle point je t’ai aimé Bess’… Il y a bien eut un moment où tu le savais…mais je comprends que tu doutes à présent…

Il prit un air taquin.

- C’est quand même bien, maintenant j’ai une deuxième chance!

Mais cette air fut bref, car elle s’inquiéta ensuite de lui. Il baissa les yeux.

- Je m’en sors, fit-il tranquillement…

Il tâtonna machinalement le sachet de drogue qu’il tenait toujours sur lui, dans sa poche.  

- À ma manière, conclut-il…

Il regrettait presque de ne pas en avoir pris avant l’entretien…pour bénéficier de ce faux sentiment de confiance que cela lui procurait. Il avait l’impression que, de doute façon, plus grand monde, particulièrement dans cette ville où il ne connaissait personne, ne pouvait l’aider…Et il avait l’impression aussi que, pour l’instant, il réussissait à garder le contrôle. Pour combien de temps, il l’ignorait…

Il sortit la main de sa poche et tapota un peu le bureau, maudissant la distance qu’il imposait entre elle et lui. Peut-être finalement que c’était lui l’enfant qui serait incapable de se concentrer sur le dossier. Un sourire glissa sur son visage et des yeux rieurs, un peu malicieux se posèrent sur elle. Elle connaissait cet air.  

- T’es sûr que tu veux  qu’on continue ici? Je connais plein d’endroits plus confortables! Si tu es sérieuse quand tu me dis que tu veux qu’on apprennent à se connaitre à nouveau!

Maintenant qu’il l’avait à nouveau devant lui… l’idée de la prendre encore une fois dans ses bras l’obsèderait probablement. Mais il avait lancé cette boutade à la blague. Il savait bien qu’une rencontre professionnelle de ce genre ne pouvait se dérouler que dans les bureaux des avocats. Il se promit toutefois d’essayer de la convaincre d’au moins le rencontrer dans un autre contexte que le travail….

Spoiler: