fool and king -r.

Tiffany ne pouvait pas vraiment s’attendre à quoi que ce soit d’autre de sa part. Si elle connaissait un minimum Woody, et à l’entendre parler elle semblait visiblement croire que c’était le cas, elle savait qu’il serait bien vite sur la défensive face à de telles accusations. Le jeune homme avait beau être parfaitement conscient de sa réputation, de l’image qu’il projetait, il n’acceptait pas qu’on le lui remette sous le nez par de tels jugements. Surtout pas venant d’une personne comme Tiffany, avec qui il n’avait apparemment aucune affinité. « Eh bien visiblement ce n’est pas moi qui y contribuera, à son bonheur. » Dit-il, d’une manière qu’on pouvait interpréter de mille et une manières. Après tout, c’était entièrement sa faute s’il ne faisait plus partie de la vie de Sara, du moins pas de la manière qu’ils l’auraient tous les deux désiré. Pourtant, à l’entendre parler, on aurait pu croire que c’était la brunette qui le repoussait. Il était juste incapable d’assumer sa stupidité, préférant se noyer dans son incohérence. Tiffany revint à la charge en lui parlant de lui comme si elle était dans sa tête, comme si elle comprenait comment fonctionnait son esprit ou son cœur. « Et si je ne suis que ça, en fait, un gros connard, hein ? Qu’est-ce qui te fait croire que c’est pas tout ce que je suis ? Venant de toi j’m’attendais pas vraiment à ce que tu vois quoi que ce soit d’autre en moi. » Woody n’avait relevé que ses dernières paroles parce que c’était plus facile de s’attarder à ça plutôt qu’à ses sentiments envers Sara. S’il avait un jour envie de s’ouvrir le cœur, ce ne serait pas avec Tiffany qu’il le ferait. Elle, par contre, semblait bien partie pour le faire craquer, parce qu’elle lui parla de toute la souffrance occasionnée à Sara par ses erreurs. Elle enfonçait le couteau et, bien qu’il ne le lui avouerait pas, elle avait trouvé exactement le point sensible. La bonne pression à y mettre, aussi. « Parce qu’au bout du compte c’est moi qui n’avais rien à lui offrir en retour. » Ce que Sara lui offrait lui suffisait, ce que Sara représentait pour lui était tout ce qu’il désirait. Il l’aimait, de tout son corps, de tout son être. Mais Woody brûlait tranquillement, une parcelle de son corps s’envolant en fumée jour après jour. Il mourrait à petit feu, il glissait lentement vers l’abysse. Bientôt, il ne serait rien d’autre qu’un fardeau, un poids à porter. Il ne voulait être ça pour personne, et surtout pas pour Sara.

Tu n'insistais pas plus en l'entendant parler. Tu avais même un pincement au coeur. Ce qu'il venait de dire aurait pu être dit avec rage ou colère mais pour toi, c'était avec de la peine qu'il le disait. Tu te doutais bien que ce n'était pas comme ça qu'il voudrait que tu le prennes parce que ça voudrait dire qu'il est vulnérable face à toi. Et si Woody est comme toi, jamais il ne voudrait montrer une faiblesse à une personne pour qui il ne ressent que de la colère, de la haine ou même à qui il ne porte aucun intérêt. Mais toi tu avais eu l'envie de te battre pour lui, de lui foutre une gifle pour le pousser à se ressaisir et à rattraper le bonheur qu'il pourrait avoir. Mais ce n'était pas à toi de le faire et il ne te laisserait jamais le faire. « Parce que tu as beau prétendre que tu n'es que ça, Sara sait ce qu'elle a vu. Elle est la seule à savoir qui tu es et ce que tu vaux. Je pense que tu te caches derrière cette image. Comme si elle te rendait fort. » Et c'était quelque chose que tu connaissais assez bien. Sous tes airs, sous tes apparences, tu donnais le sentiment d'être sûre de toi, de n'avoir peur de rien mais il y avait bien quelque chose qui te terrifiait lors des nuits les plus sombres, lors des nuits les plus froides, lorsque tu te réveilles seule dans ton lit. Tu avais le sentiment d'être une coquille vide, le sentiment de n'avoir personne pour toi parce que tu ne cherchais pas à te faire d'amis. Parce que tu ne cherchais pas à avoir quelqu'un dans ta vie et parfois, ce vide pouvait te faire sentir si triste, si seule. « Et moi je crois que tu te trompe. Mais comme tu l'as dit, ce ne sont pas mes affaires. » Tu insistais bien sur tes derniers comme pour lui faire comprendre que tu ne dirais rien de plus à tout cela sauf si lui le voulait, mais tu en doutais. « Je tiens juste à te dire que ce n'est pas contre toi personnellement. » Ton intention ces dernières années n'était pas d'être froide et méprisante avec lui, tu ne voulais juste pas être gentille pour tout le mal qu'il avait causé. Mais ce n'était pas ton combat et tu avais peut-être eu tort d'agir ainsi. Tes excuses ne seraient peut-être pas acceptés et votre relation restera peut-être comme elle mais tu avais percé l'abcès qui vous rongeait depuis des années.

Woody se plaisait bien, d’ailleurs, à se cacher derrière cette image. Il aurait bien voulu pouvoir continuer à porter ce masque pendant encore bien longtemps. Cette façade lui permettait de ne pas avoir mal, de ne pas songer à ce qui s’en venait pour lui. Cette carapace lui donnait l’impression qu’il était fort, Tiffany avait bien raison là-dessus. C’était exactement ce qui l’effrayait dans son discours. La blonde semblait avoir tout compris de lui, et cette séance de psychanalyse n’était pas du tout la bienvenue dans sa clinique. Pourtant, ça semblait maintenant inévitable. Woody et Tiffany étaient bien loin d’être amis, mais ils se connaissaient visiblement sans le vouloir, Woody sachant fort bien de son côté que la jeune femme ne lâcherait pas le morceau. Pas si elle se battait pour Sara. « Ce n’est pas qu’elle me rend fort, pas vraiment. C’est qu’elle me protège et, surtout, elle protège les autres. » Déclara-t-il. Si c’était la vérité que Tiffany voulait, elle l’aurait, rien que pour qu’elle lui fiche la paix une bonne fois pour toute. Parfois, abandonner était moins demandant émotionnellement que de se battre à l’infini. Woody avait des combats bien plus importants que celui-là à mener, pour être bien honnête. C’est pourquoi, quand la jeune femme lui dit qu’il se trompait à propos du fait qu’il n’avait rien à offrir à Sara, Woody soupira et s’appuya sur le comptoir derrière lui qui contenait tout le rangement des accessoires dont il pouvait avoir besoin lors d’une thérapie. « Tu peux croire ce que tu veux, Tiffany, mais tu ne sais pas toute l’histoire. » Il haussa les épaules. « Sara ne t’a pas tout dit, j’en suis persuadé. Parce qu’elle pense que ça n’est pas important, parce qu’elle pense que ce n’est pas ça qui devrait influencer notre avenir. Elle pense être assez forte mais ce n’est même pas ça, la question. J’ai toujours su que Sara était forte. Mais j’ai toujours su aussi qu’elle était trop bonne, au point de s’en oublier. Et je veux pas qu’elle s’oublie, pas pour moi. » Déclara-t-il, sachant fort bien que là où cette conversation s’en allait, il n’y avait pas de point de retour.

« Si tu l'dis. » Pour toi c'était des foutaises. Certaines pouvaient complètement ignorer cette réputation et dans ce cas, qu'est-ce qui les protégeaient ? Rien et lorsqu'elles se seraient fait broyées par Woody, il ne resterait rien qu'une immense tristesse. Sara, elle, avait voulu ignorer ces rumeurs, elle avait voulu croire qu'il y avait une part de mensonge, qu'il n'était pas vraiment comme ça et son coeur en avait payé le prix. Mais peut-être que Sara n'avait pas agit par bêtise, peut-être qu'elle savait quoi trouver, c'était une chose que tu ne saurais jamais et que tu ne comprendrais jamais puisque tu n'étais pas tombée aussi follement amoureuse que ton amie. « C'est même certain. » Pour toi, tu pensais que Sara avait même enjolivé l'histoire afin qu'on ne la prenne pas trop en pitié, afin qu'on ne lui écrase pas des "on te l'avait bien dit" en pleine tronche. Parce que ça ne faisait jamais plaisir à entendre et parfois, on avait besoin de croire qu'on pouvait avoir eu raison, que les autres avaient eu tort et on s'accrochait à ce qu'on pouvait. « Alors peut-être que c'est toi qui est bon et qui t'oublie en lui offrant ça. » soufflais-tu doucement. Tu avais l'impression d'avoir un autre Woody face à toi et ça te perturbait pas mal. Tu avais souvent eu l'habitude de prendre des piques, des phrases déplacées ou désagréables que l'entendre parler ainsi, ça en était presque déroutant. Tu voyais une facette de Woody encore inconnue pour toi à ce jour : il avait un cœur. Assez de coeur pour faire ce qu'il lui semblait juste, pour faire passer quelqu'un avant lui. « Tu sais que j'ai pas pour but de te faire parler, j'pense que je suis la mieux placée pour savoir que c'est pas avec moi que tu voudrais le faire si jamais t'en avait envie. Je voulais juste crever ce putain d'abcès entre nous. » Si tu étais amenée à le consulter plusieurs fois, tu voulais juste éviter de passer un sale quart d'heure à chaque fois. Peut-être que vous pourriez vous ignorer et juste éviter la violence. Tu n'étais pas si méchante dans le fond. « Et je refuse d'être facturée à rien foutre, alors on peut s'activer ? » demandais-tu en souriant. Et ce n'était même pas de la provocation.

Woody ne répondit rien face à la réponse de Tiffany qui laissait bien savoir qu’elle n’était pas d’accord avec ce qu’il disait. Toutes les paroles qui sortiraient de sa bouche seraient des foutaises aux yeux de la blonde, de toute façon. Tant qu’il y aurait cette rancune entre eux, tant que tout l’histoire ne serait pas complètement révélée, ils ne seraient jamais sur la même longueur d’ondes. Probablement qu’ils ne le seraient pas non plus, pas vraiment, même s’il n’y avait pas ces lourds secrets et ces non-dits qui les séparaient. « Je n’irais pas jusqu’à dire que je suis le bon dans l’histoire. J’dirais juste que je ne suis pas aussi mauvais que ce que t’as toujours prétendu. » Lâcha-t-il. Il ignorait pourquoi aujourd’hui seulement il avait l’impression de devoir se justifier à Tiffany, pourquoi il désirait changer l’image qu’elle avait de lui. Woody s’en était toujours contre-foutu, de ce que les gens pensaient de lui, surtout quand ça ne les regardait pas du tout. Pourtant, maintenant que la blonde abordait enfin directement le nœud du problème entre eux, il n’avait plus envie de faire semblant. « Ça t’a fait du bien, au moins ? » Demanda Woody en parlant de l’abcès. Parce que lui ne savait plus trop comment il se sentait. Vulnérable, ça, ça ne faisait aucun doute. Et ça ne lui plaisait pas vraiment d’avoir révélé cette partie de lui à Tiffany. Il avait bien peur de ce qu’elle pourrait en faire même si, au fond, sans doute n’était-elle pas un monstre, elle non plus. Il lui offrit même un premier sourire sincère quand elle refusa d’être facturée pour leur bavardage. « Je ne demandais rien de plus, moi ! » Lança Woody comme pour lui rappeler que c’était elle qui avait ouvert le feu sur ce sujet. Woody la fit donc se lever debout et lui demanda de faire certains exercices, prenant les mesures nécessaires et notant les données dans son dossier afin de constater l’évolution au fil des rencontres. Il lui fit imprimer un programme à suivre à la maison, comme prévu, et lui expliqua en détail les différents exercices à faire deux fois par jour, matin et soir. La séance se termina sans qu’ils n’abordent de nouveau Sara ou le comportement de Woody. « Tu peux te rallonger, j’te mets de la glace pendant dix minutes et après tu pourras passer à l’accueil pour prendre ton prochain rendez-vous. Si prochain rendez-vous il y aura … » Dit-il, déposant la glace sur la jambe de Tiffany, qui n'était peut-être pas aussi détestable que prévu, finalement.

Tu esquissais un sourire en haussant les épaules. On pourrait croire qu'il t'avait encore en grippe mais ce n'était pas le cas. Il avait raison sur un point, tu le prenais pour le grand méchant de l'histoire et tu n'avais jamais été plus loin. Tu n'étais pas heureuse de savoir que ce n'était pas si vrai que ça, mais ça changeait quand même pas mal l'image de l'homme que tu pouvais te faire. « Ce n'est pas moi qui le prétend, c'est tout le monde et j'ai juste suivi les rumeurs. » Comme quoi, ça pouvait être trompeur. « On va dire que ce n'était pas désagréable. Et si jamais ça t'inquiètes, je n'irais rien dire de tout ça à n'importe quoi. Après tout, ce n'est pas à moi de le faire. » Peut-être que ça pourrait servir à redorer son image auprès des autres, mais ce n'était pas à toi de le faire. C'était à lui de s'en charger et peut-être qu'il ne voulait pas le faire. C'était peut-être moins usant de passer pour un gros connard de service et de se reposer sur ça. Après tout, tu avais pas mal de rumeurs du même type et tu ne cherchais pas à les démentir. La dernière en date étant quand même que tu étais une couguar. Le genre de rumeur pas vraiment plaisante lorsque l'on était une femme d'un certain âge. Alors que toi, tu n'avais même pas la trentaine. « Merci Woody. » Tu avais pris le temps d'écouter tout ce qu'il venait de te dire. C'était important parce que de ça, dépendait la rééducation de ta jambe. Tu prenais ça vraiment très à cœur. En sortant de la pièce, tu allais reprendre rendez-vous. Tu en avais pour au moins trois séances, de ce que ton médecin avait dit et de ce que tu venais vivre, tu ferais sûrement une erreur en allant ailleurs. Woody était peut-être un con parfois prétentieux, mais au moins, il était doué dans son métier et ça tu ne pouvais pas le lui enlever.