Heading straight for a crash. + Hazel P.

Sortir va lui faire du bien, elle en est parfaitement conscience. Quitter le motel minable dans lequel elle vit, voir d'autres personnes que les danseuses du cabaret ou les connards qui veulent coucher avec elle après qu'elle ne soit montrée spectacle. Dans la poche de sa veste, Hazel cache un paquet de quelques joints bien remplis. Elle sait qu'elle ne devrait pas les prendre avec elle, qu'elle devrait arrêter même car elle est déjà bien trop enfoncée dans la dépendance que pour aller encore plus loin. Sauf qu'elle sait qu'en présence d'Endre, elle ne pourra pas s'en empêcher. Il est comme elle, amateur de ce qui est bon, de ce qui fait oublier. Mains dans les poches, ses talons claquant sur les pavés de la rue, elle gravit les quelques mètres qui la séparent de sa voiture à la porte de l'appartement. Elle sonne, attend quelques secondes, puis le voit apparaître avec toujours cette habituelle question accrochée aux lèvres. Comment elle va ? Elle dirait qu'elle sombre, si elle voulait être sincère. À la place, elle préfère mentir. « Bien, comme toujours. Et toi ? » Elle lui sourit, alors qu'une mèche de cheveux brune recouvre la moitié de son oeil. Hazel s'introduit dans l'appartement après qu'Endre la laisse entrer et se débarrasse de sa veste qu'elle dépose sur le dos du canapé, maintenant vêtue d'une blouse rouge sang sur une jupe moulante. Devant ses paroles confuses, elle ne peut s'empêcher de rire doucement. « T'en fais pas, je suis pas là pour juger l'intérieur de ton salon. » Le reste de ses paroles l'intrigue, et elle tourne la tête vers lui. « Ah ouais ? Et t'écris quoi ? » demande-t-elle, curieuse, avant de s'asseoir sur le canapé sans attendre l'autorisation. Elle n'a pas envie de parler d'elle, pas tout de suite. Peut-être après quelques taffes libératrices, mais là elle préfère d'abord se concentrer sur autre chose. Lui, par exemple.

Elle a toujours trouvé chez Endre un coté mystérieux, occulté, un quelque chose de différent qui l'intrigue et l'intéresse en même temps. Des fois, elle aimerait comprendre ce qu'il se passe réellement dans sa tête, ce à à quoi il pense quand ils sont ensemble, à deux ou plus. Elle voudrait savoir ce qu'il cache, pas parce qu'elle est trop curieuse, mais parce qu'elle ressent un certain attrait pour sa personne. Comme la fille trop à l'aise qu'elle a toujours été, c'est sans gêne qu'Hazel prend place sur le canapé où Endre ne tarde pas à la rejoindre. Elle le suit du regard, guette pendant un instant le moindre de ses mouvements avant de tapoter la poche de son manteau pour se rassurer que rien ne soit tombé en chemin. Sans plus le regarder, elle l'écoute en hochant silencieusement la tête et, une fois ses doigts entrés en contact avec la bosse de sa boîte magique, elle appuie ses coudes sur ses jambes et dépose son menton dans le creux de sa main. « J'ai jamais eu l'occasion d'en lire un, d'ailleurs. Faudrait que tu me files un exemplaire. » Car contrairement à ce que pourraient laisser penser les apparences, Hazel a toujours été très attirée par le domaine de la littérature. Elle écrit, même. Peu en ce moment, trop peu à son goût, mais étaler quelques mots sur une feuille vierge ont toujours eu pour elle un effet presque semblable à celui qu'elle ressent lorsqu'elle se grille une cigarette. Et puis, Endre se lève sous le regard intrigué d'Hazel. Elle se tourne pour le regarder faire, observe l'objet qu'il sort de cette armoire. En le reconnaissant, un sourire satisfait étire immédiatement les lèvres de la brune. « Tu sais comment accueillir comme il se doit tes invités, » dit-elle avec un sourcil haussé, le regard pétillant. Une vraie droguée, c'est ce qu'elle est. Une accro à ce qui est mauvais, à ce qui fait planer, aux échappatoires de la vie réelle. « Partons Endre, partons là où toutes ces merdes jamais ne nous rattraperont. » Elle chantonne ses paroles, se laisse tomber dans le fond du canapé, puis laisse s'échapper de ses lèvres un rire enfantin de personne trop rarement sobre.

Bien sûr qu'elle le veut. Elle profiterait d'un moment où n'est pas sobre, de son meilleur état pour profiter de chaque caractère qu'il a inscrit sur ces feuilles de papiers. Sauf qu'il semble hésiter. « Mais ? » répète-t-elle Hazel, un sourcil haussé, sans lui laisser le temps de répondre. Elle s'attend à quelque chose de négatif, et à la place les mots qui sortent de la bouche d'Endre lui tirent un sourire amusé. Elle hausse les épaules. « Pourquoi pas à nous ? Qui te dit que le sujet ne m'intéresse pas ? » Elle le regarde du coin de l'oeil avant de rire doucement, légèrement, comme si rien n'avait d'importance. Comme si le monde était beau, simple, et qu'elle pouvait encore se permettre d'être heureuse face à lui. Elle aimerait tant l'être, elle donnerait tout pour ressentir constamment l'effet qu'a la drogue sur son sang. Elle pourrait passer sa vie à se défoncer les neurones si ça ne l’amènerait pas à une mort certaine. Elle doit rester en vie, Hazel. Il reprend sa place à ses cotés, et elle inspire dans la pipe à eau qu'il lui tend. Les premiers effets se font sentir, pas fort mais assez pour la détendre un minimum. Elle sourit, un fin rictus qui vient étirer le coin de ses lèvres pendant que son regard se perd dans la contemplation du plafond. « Tu sais, j'ai parfois l'impression que le monde réel ne me correspond plus. » Elle tourne la tête vers lui, faisant tomber ses cheveux bruns en cascade sur son épaule. « T'en penses quoi ? Tu crois que des personnes comme nous pourraient encore faire semble d'appartenir à ce monde ? D'être des gens normaux, sans problème, à qui la vie sourit ? » Hazel a toujours aimé partager ses pensées du moment avec Endre. Elle ne sait pas pourquoi lui, en particulier. Il a toujours su l'écouter, et elle a toujours eu l'impression qu'au fond, ils se ressemblent un peu tous les deux.

Elle le trouve attendrissant Endre, un brin maladroit, ne se doutant pas un seul instant de tous ces mots qui résonnent dans sa tête et de cette voix qui l'insulte, elle. Elle ne sait rien Hazel, et comment pourrait-elle ? Elle ne comprendrait pas, car elle a toujours eu du mal à faire face à la réalité trop cassante de ce monde. Elle préfère planer, oublier, fumer jusqu'à voir les étoiles au-dessus de sa tête, jusqu'à se sentir immortelle. Tout en l'écoutant, elle imprègne encore une fois ses poumons de quelques bouffées nocives. Elle se sent bien, mieux, et elle a fini par associer l'image d'Endre à cette image de plénitude presque absolue. Avec lui, elle en arrive toujours à ces confessions dénuées de sens, lâchées à la pelle sans que même ne sache si elle sont sincères, abstraites, ou trop réelles que pour être prononcées sobre. Elle est cependant surprise quand elle sent les bras de son ami entourer son petit corps fragile. Même si elle reste d'abord immobile, trop étonnée pour réagir, Hazel finit par se laisser aller dans son étreinte. Un fin sourire vient étirer ses lèvres et, en inspirant, elle sent l'odeur d'Endre mélangée à sa chaleur corporelle venir envelopper son corps entier d'un sentiment de bien-être qu'elle n'a plus connu depuis longtemps. Ça remonte, la dernière fois que quelqu'un l'a prise dans ses bras. Cela fait un moment qu'on ne s'est plus montré tendre envers elle, affectueux, aussi gentil qu'Endre ne l'est. Elle l'entend renifler, et Hazel ne supporte pas l'idée que lui en particulier puisse être malheureux au point d'en pleurer. Doucement, elle pose ses mains sur les joues humides d'Endre et le regard dans les yeux. « Tout va bien Endre, » lui dit-elle pour le convaincre lui, mais aussi pour se convaincre elle. « Personne n'ira à l'hôpital, et on arrivera à faire en sorte que ce monde, un jour, soit le nôtre. » Elle lui sourit avec toute la douceur du monde. Ses yeux brillent, remplis d'émotion et d'attachement pour cet être en larmes devant elle. Hazel aimerait le protéger, lui promettre que jamais elle ne le laissera sombrer comme elle l'a fait. Sauf qu'elle en est incapable. Elle n'a jamais su être là pour quelqu'un, pas même pour elle. Toujours en tenant son visage, elle dépose un baiser sur sa joue et laisse son sourire s'agrandir un peu plus. « Devenons les rois du monde, de celui-ci ou d'un autre encore meilleur. »