demons + ainrys

Depuis quelques temps Emrys sortait pour boire plutôt que de rester enfermé chez lui. Pas sûr que ce soit vraiment une meilleure idée mais au moins il ne reste pas isolé dans son appartement à s'enfiler des verres avant de s'effondrer sur son lit. En allant dans un bar il n'a pas à se demander si son fils comprend quelque chose, a l'impression que quelque chose ne tourne pas rond chez lui. Il n'a que trois ans mais parfois les enfants captent bien plus de choses que les adultes. Emrys veut le préserver, il n'a pas non plus envie d'être un mauvais père parce qu'il sait que ça fait partie des choses que Liz ne lui aurait jamais pardonnée. Même si elle est morte aujourd'hui pas question pour lui de la décevoir. Malgré tout il se dit que vu où il en est arrivé, elle ne serait pas très fière de lui si elle le voyait.
Le jeune homme s'assoit à une table dans un coin pour ne pas attirer l'attention ni la curiosité des inconnus et il entame son premier verre. Il essaie de ne pas revenir trop souvent dans le même bar, il n'a pas envie que quelqu'un se doute de quelque chose. Mais il sait que les employés de bar sont en général discret à propos des buveurs réguliers. Ils n'auraient pas envie de froisser quelqu'un qui leur rapporte un petit paquet d'argent à chaque fin de soirée.

Soi-disant, sortir de chez soi pendant les moments de tristesse faisait du bien. Que ça me permettrait plus vite de passer à autre chose. Mais c’était comme ouvrir une partie de mon esprit que j’avais tenue fermé pendant des mois. Un an. Je détestais toute cette sensation qui me parcourrait de tout en long, je détestais être triste parce que je ne savais pas m’en sortir, dans combien de temps ça me passerait. Sûrement autant de temps que l’annonce de sa mort, parce que habiter chez elle me rappelait constamment sa présence et c’était comme si elle me quittait une deuxième fois. Pour ne pas montrer aux autres colocataires à combien j’étais affecté et surtout à mon frère, je préférais partir tôt pour ne pas qu’ils me voient. Simplement marcher ou déambuler comme un zombie, espérant que mes idées s’envoleront, que la chaleur me fasse penser à autre chose, mais ce n’était pas le cas. Plus les heures passaient et plus je me disais que je serai mieux ailleurs, à ne faire je ne sais quoi ou peut-être qu’il faudrait juste que je parle à quelqu’un. Mais je n’aimais pas me livrer aux autres, raconter ma vie qui était inintéressante. Je ne voulais pas vraiment retourner chez moi et je n’avais pas de refuge, chez quelqu’un que j’aimais bien. Je pense qu’ils avaient tous mieux à faire. Le seul endroit où je me rendais à chaque jour était le bar où je travaillais et je n’avais aucune envie d’y faire une escale aujourd’hui. Je partais dans une tout autre direction, m’arrêtant dans le premier bar que je trouvais avant de zieuter les gens un à un en m’approchant du comptoir. Puis en attendant mon verre, je posais mon regard sur quelqu’un de familier. Ça me réchauffait un peu le cœur, par rapport à ce qu’il vivait depuis ce matin. Enfin, il était seul, je pense que ce n’était pas pour rien, tout le monde veut un peu de répit. Qu’importe, j’prenais puis me dirigeait vers sa table, esquissant un sourire aux coins des lèvres, du moins, j’essayais de faire de mon mieux pour. Parce que j’aimais déjà pas sourire de base et aujourd’hui ce n’était pas ma journée. « Salut Emrys ! Je peux m’asseoir ? »

Emrys ne pensait pas que quelqu'un le trouverait ici, dans son petit coin, loin de du comptoir, dans un endroit pas très éclairé. Mais pourtant ce fut le cas. Lorsqu'il vit quelqu'un s'approcher de lui qui n'était pas le serveur, il souffla dans son verre. Il était un peu agacé qu'on ne le laisse pas tranquille. Cependant lorsqu'il remarqua qu'il s'agissait d'Aino, son mécontentement passa. Déjà ce n'est pas une inconnue, mais ça il ne sait pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose, et aussi il l'aime bien. Enfin il ne la connaît pas vraiment mais il se souvient avoir passé une plutôt bonne après-midi avec elle au salon de l'amour. Elle avait presque réussi à lui faire oublier sa déprime, ce qui est un exploit.
La demoiselle le salua avant de lui demander si elle pouvait s'asseoir. Il apprécia le geste de politesse même s'il ne peut pas vraiment répondre non, ça serait grossier et il a certains principes. Il a été élevé dans la tradition de la politesse anglaise, il est donc impossible pour lui de refuser ce qu'Aino lui demande au risque de passer pour une personne relativement grossière. « bonjour. Oui si tu veux. » répond-il en montrant la chaise à côté de lui d'un geste de la main. « tu viens souvent ici ? » demanda-t-il ensuite pour éviter la fameuse question du ça va. En effet il préfère ne pas la poser car il sait qu'en retour il aura droit à un : et toi ? Et il n'a vraiment pas envie d'y répondre même s'il pourrait facilement mentir, il préfère encore n'avoir rien à faire.

Je n'aimais pas emmerder les gens à qui je ne voulais pas de mal. Emrys ne m'avait rien fait de mal, il ne m'avait pas énervé ou saoulé dans le passé. J'aurais pu me tenir loin de lui pour ne pas nuire à son environnement avec mes mauvaises ondes, avec mon humeur de merde. Mais j'avais envie de penser à autre chose qu'à ma tristesse et ma grand-mère à l'instant et en le voyant je me disais que ça ne pouvait m'apporter que du bien. Qu'il n'allait pas me rejeter, bien qu'il pourrait, il était dans un coin pas extrêmement visible, du moins, c'n'est pas là où les yeux se dirigent en rentrant dans le bar. Juste une chance que j'avais réussi à le voir. Puis de toute façon, il me connaîtrait un peu mieux, c'était sûr qu'il me rejetterait et j'étais pire depuis un an. Un peu comme si je vivais dans le déni, parce que je n'acceptais rien de mon malheur. Dans tous les cas ça voulait peut-être dire qu'il voulait boire seul. Je m'éparpillais un peu dans mes pensées avant de m'installer à côté de lui. « Celui-ci ? Oh non, pas du tout. Je traîne assez dans un bar à cause de mon travail. » Serveuse, dans un bar-restaurant. Je pouvais bien me demander ce que je faisais là avec un verre entre les doigts, j'avais mieux à voir malgré le voile humide devant mes pupilles. « Enfin ... j'suis là parce que j'passais devant et que j'avais envie de voir des gens. » Mensonge. Je n'avais pas envie de voir des gens, on me disait juste d'en voir. « Et toi, tu bois souvent seul ? » J'essayais de rire un peu pour accompagner ma phrase. Au fond, j'trouvais ça plus triste qu'autre chose, une personne qui buvait seule et moi je n'aurais pas été mieux si je ne l'avais pas vu.

Bien qu'il soit loin d'être dans une humeur exceptionnelle Emrys se rendit compte que tout comme lui la demoiselle n'est pas des plus heureuses. Peut-être qu'elle aussi vient noyer son chagrin dans l'alcool comme il le fait si souvent à présent. Il refoule toutes ces questions qu'il pourrait lui poser dans un coin de sa tête. Il n'a pas envie de l'embêter ou bien de jouer les psys, il n'est pas là pour ça. Enfin à la base il n'était pas non plus là pour discuter avec quelqu'un. Le jeune homme reste tout de même bien hypocrite puisqu'il s'obstine à sortir dans les bars pour boire mais ne veut parler à personne. Peut-être son inconscient qui veut que quelqu'un voit sa détresse et l'aide.
Ainon répondit qu'elle voulait seulement voir des gens avant de lui demander s'il venait souvent boire tout seul. « Hum...non c'est pas vraiment mon genre. » répondit-il le plus naturellement du monde alors qu'il s'agit d'un parfait mensonge. Il ne voulait pas lui dire la vérité, il ne voulait déjà pas se l'avouer à lui même. D'habitude il est assez honnête mais sur certains sujets il reste très évasif, surtout lorsque ça touche à sa femme. « tu veux quoi à boire ? » demanda-t-il en appelant le serveur pour qu'il vienne prendre la commande de la demoiselle. Emrys s'efforçait de ne pas finir son verre trop vite, il ne voulait pas que ça se voit qu'il passe ses soirées à boire.

On était deux à vouloir s'évader le temps de quelques verres alors. Je ne sais pas dans quel état je voulais finir ma soirée, je ne savais pas où j'allais la finir non plus, si j'allais appeler quelques potes qui ne se couchent jamais pour finir par ne pas dormir à mon tour. Je voulais que cette journée se termine rapidement, mais j'ne voulais pas dormir. Comme si on pouvait, à mon tour, m'enlever la vie pendant que j'dormirai. « Qu'est-ce que tu fêtes alors ? » S'il ne faisait pas le tour des bars souvent, il devait bien avoir une petite raison de venir ici tout seul, ça ne pouvait pas être bine intéressant, juste une envie de sortir et voir d'autres gens. Il m'avait dit qu'il était prof d'histoire alors voir ses élèves tout le temps, ça ne devait pas être drôle non plus — même si j'ne savais pas si c'était les vacances, j'm'intéressais plus à ses conneries depuis un bon moment, j'n'avais jamais poursuivi mes études par manque d'argent alors ... Je passais une main sur mon crâne. J'ne voulais pas penser à toutes les choses négatives qui avaient pu m'arriver dans la vie, j'en avais vécue des tonnes, il me faudrait plus d'une journée pour tout repenser. Je n'aimais pas penser que la quasi-totalité de mes choix étaient des échecs, mais fallait se rendre à l'évidence. Peut-être que la seule bonne chose que j'avais fait était veillé sur ma grand-mère depuis la mort de son mari. Elle avait vécue treize ans dans la tristesse et le manque du compagnon de sa vie, j'étais là pour essayer de lui changer les idées même si je devais souvent retourner à Perth, l'autre bout de l'Australie. La pauvre était loin de tout, de sa famille et moi je dépensais tout ce que j'économisais pour venir ici au moins une fois par mois. Et mon dernier avion était en retard, je n'étais pas arrivée à temps pour son dernier soupir. En y pensant mon visage devait être décomposé et j'voulais pas qu'Emrys ou quiconque puisse voir ça. « Ah ... euh ... Laisse-moi le temps de finir mon premier verre. » Je riais un peu, le ramenant au centre de la table, j'étais un peu bête aussi j'le tenir entre mes mains et garder les mains cachées sous la table. Complètement conne. « Mais bon, quitte à passer pour une alcoolique de service ... » C'n'était pas la grande classe, pas du tout. Puis fallait assumer que quand j'pouvais boire, j'le faisais, j'avais vint-sept ans, pas dix-sept. Je n'allais pas envoyer balader le serveur, alors j'reprenais la même chose avant de poser mon regard sur Emrys, comme pour l'inciter à prendre quelque chose lui aussi. On serait deux, avec des verres bien trop remplis.

Le mensonge ne mène à rien. Emrys le sait, ses parents lui ont toujours répété d'être un homme honnête, poli, galant avec les femmes, respectueux des autres. En somme d'être une personne bien. Mais voilà qu'il se retrouve à mentir pour des raisons plus que stupides. Et maintenant Aino lui demande ce qu'il fête. C'est vrai s'il n'est pas venu là pour se saouler, c'est qu'il a quelque chose à fêter ou alors qu'il attend quelqu'un, mais elle sait déjà que ce n'est pas le cas. Il est partagé entre l'idée de s'enfoncer un peu plus dans son mensonge ou alors arrêter de mentir. Bon il n'ira pas dire la vérité non plus car il n'a pas envie de se sentir encore plus déprimé et de se plaindre. « pas grand chose. » dit-il alors évasif. Il espère juste qu'elle ne va pas penser que c'est un ivrogne, même si c'est un peu le cas depuis quelques temps.
Le jeune homme lui proposa ensuite de lui commander un verre mais il n'avait pas vu qu'elle en avait déjà un. En effet il était caché par la table, entre ses mains. La situation et le rire d'Aino lui fit esquisser un sourire, étirant ses traits quelques peu marqués par les excès des dernières semaines, la fatigue et la tristesse. La demoiselle commanda tout de même un autre verre et la spontanéité avec laquelle elle le fit, fit dire à Emrys qu'avec elle il ne serait pas jugé même s'il buvait plus que de raisons. Il décida donc de commander un autre verre. Le jeune homme finit celui qu'il avait dans les mains pour le redonner au serveur et qu'il le re-remplisse. « si tu comptes boire, dis moi où tu habites, on sait jamais, je pourrais te ramener chez toi si jamais tu n'as plus assez d'esprit pour marcher. Et puis c'est toujours mieux que chez moi. » dit-il en esquissant un semblant de sourire pour ne pas qu'elle prenne peur. Il voulait juste être bienveillant. Il lui dit ça mais si ça se trouve lui non plus ne pourra pas rentrer jusqu'à chez lui et là ils seront bien embêtés.

« C’est bien aussi … fêter rien du tout. » Il venait juste boire un verre, tout simplement. Il n’y avait rien de plus à penser, j’entendais un tas de gens qui faisaient ça aussi, je voyais toujours des nouvelles têtes à mon travail, des nouvelles têtes que je finissais par ne plus jamais voir. Emrys devait être ce genre de personne tout comme je l’étais dans les autres bars. Ça ne m’empêchait pas de boire partout ailleurs, faut dire que j’aurais pu être dégoûté à servir de l’alcool à longueur de journée, mais moi ça me donnait plus envie de boire qu’autre chose. Même si je ne le faisais pas à chaque jour, parce que j’tenais pas à finir comme une alcoolique, j’en buvais quand je sortais chez les autres, quand j’allais en soirée et chez-moi uniquement quand on me disait de prendre un verre, c’est-à-dire pas très souvent parce que mes colocataires m’énervaient tous toujours un peu. Sauf Maxwell, parce qu’il était mon frère, c’était évident. J’ne voulais pas boire avec lui, ça me faisait trop bizarre, c’était mon p’tit frère et mes deux frères, je les protégeais bien trop pour un jour les voir totalement déchiré. Emrys, lui, ça n’avait pas tant l’air de le déranger si je finissais par rouler sous les tables, parce qu’il me proposait un verre alors que je venais tout juste de commander le mien avant d’arriver à sa table. Faut dire que je n’allais pas rester réfléchir pendant des heures au comptoir à savoir si j’allais le rejoindre ou non. J’avais envie de voir des gens que je connaissais aujourd’hui et je savais qu’Emrys savait me remonter de quelques peu le moral, même si c’était involontaire de sa part. Je me sentais plutôt fière quand il disait vouloir boire un autre verre. Comme si mon regard l’avait persuadé, même si j’me doutais que c’était pas le cas. Mes doigts se resserrèrent sur mon verre, je n’allais pas le boire en quelques secondes. Alors, je passerai bel et bien pour l'alcoolique avec mes deux verres sur la table alors qu'lui n'en aurait qu'un. Qu'importe, j'm'en foutais un peu de ça. Je tentais de me retenir de rire quand il finissait de parler. « Attends ... quoi ? » Puis je finissais par rire, sans doute un peu trop. « Je bois, là. » Je finissais par prendre une première gorgée de ma bière. « Mais tu n'trouves pas que c'est un peu tôt pour me faire des avances ? T'aurais pu attendre que j’aligne cinq verres. » J'esquissais un sourire taquin, le premier sourire que j'arrivais à étirer correctement. « J'veux dire ... ta phrase sonne un peu bizarre quand même. » J'voulais pas l'mettre mal-à-l'aise, mais j'ne pouvais pas laisser ça sans rien dire, c'était bien trop tentant. « Et, c'est gentil, mais j'ne veux pas rentrer chez-moi. »

Elle ne semblait pas bien curieuse sur les vrais raisons de la venue d'Emrys au bar. Et c'est plutôt une bonne chose puisqu'il n'aime pas particulièrement curieux, surtout lorsqu'il s'agit de sa vie personnelle. Il aime avoir son petit jardin secret, ses petits moments rien qu'à lui, qu'il ne partage avec personne.
Il ne savait pas vraiment pourquoi il buvait, pour oublier, pour anesthésier la douleur qu'il ressent depuis trop longtemps. Est-ce normal de ne toujours pas avoir fait le deuil après plus de trois ans ? Non sûrement pas, il aurait au moins dû sortir de la tristesse immense qu'il ressent. Ce n'est pas normal que depuis quelques temps il trouve que la douleur est plus présente. Voilà pourquoi il a commencé à boire, parce qu'il a l'impression que les choses empirent, que sa douleur devient plus intense et que l'alcool ne le fait penser à rien.
Emrys venait de proposer à la jeune femme de la ramener chez elle si jamais elle boit trop. Une proposition polie à ses yeux. Il ne pensait pas que la jeune femme puisse l'interpréter comme des avances ou de la drague. Malgré tout son rire le fait douter quand au sérieux de ses paroles. Cependant il se sent un peu honteux d'avoir dit ça, enfin surtout que ça puisse être interprété de cette manière. « non, non, non, c'en est pas du tout. » dit-il en faisant des grands gestes avec ses mains pour accompagner ses paroles. Il ne s'imagine pas draguer une femme. Il pourrait peut-être avec beaucoup d'alcool dans le sang. Mais sinon non, il ne saurait même pas comment s'y prendre. Après tout il n'a jamais dragué personne de sa vie. « Ne t'inquiète pas pour ça. » dit-il pour la rassurer.
La dernière phrase de la jeune femme l'intrigua. Elle ne voulait pas rentrer chez elle ? Il se dit que peut-être elle a des problèmes avec sa famille ou les personnes avec qui elle vit. « Tu ne pourras pas rester dans la rue. » lui dit-il simplement. Et il ne voudrait pas qu'elle reste dans la rue. Il ne voulait pas s'immiscer dans sa vie privée mais il ne la laissera pas seule dans la rue de nuit si elle a but. Emrys ne veut pas qu'il lui arrive quelque chose. « tout va bien ? » demanda-t-il alors. Cela ne la force pas à se confier mais si elle en a envie, comme ça, elle sait qu'elle peut.

Je pourrais continuer de le mettre mal à l'aise, en prenant un air vexé ou blessé quand au fait qu'il ne veuille pas me draguer, mais j'étais tout simplement pas d'humeur, puis j'voulais pas qu'il finisse par me détester. J'le connaissais que peu, mais il m'inspirait confiance et j'aimais bien sa présence. Il était moins chiant que la moitié de la population de Bowen et je préférais voir des gens comme lui dans cette ville où j'allais devoir y passer le reste de ma vie. Je lui lançais un regard amusé quand il disait de ne pas m'inquiéter pour ça. « Je rigolais, panique pas Emrys. J'avais bien compris. » J'essayais de le dire avec un peu de gaieté dans la voix pour ne pas paraître trop agressive, parce que si on me connaissait bien, on savait que je n'étais pas tendre avec tout le monde, amis ou non. Et je ne voulais pas qu'il le prenne mal, encore une fois.Puis je repensais suite à ça qu'il allait falloir que je rentre chez moi, ce que je n'avais pas du tout envie. Je détestais cette maison pour cette journée ou alors je détestais simplement cette journée. Il y avait trop de souvenirs qui remontaient et embrumaient mes pensées. Je savais que je me sentirais que plus mal dans cette maison. « Pourquoi pas ? » S'il savait le nombre de fois où j'ai faillis m'y retrouver, c'était un miracle que j'ai un toit. Alors, me retrouver une nuit dehors ça me gênerait, mais ça m'habituerait sans doute à mon futur. « Si je ne dors pas, c'est comme si je n'étais pas dans la rue. » Je ne savais pas s'il s'inquiétait pour moi ou non, j'me sentais presque obligée de le rassurer alors qu'au fond, je faisais c'que j'voulais, j'en avais rien à battre des avis des autres. « Je n'aime pas m'étaler, ça ne ferait que t'ennuyer, de toute façon. Alors oui, tout va bien. » Je ne voulais recevoir de la pitié de personne non plus, une mort n'était qu'une mort, n'est-ce pas ? Personne ne peut plaindre cela, si c'était arrivé, c'est qu'il était temps ou qu'il y avait une raison. « On va juste dire que j'fais la gueule à ma maison pour aujourd'hui. » Je trouverais bien un endroit comme un bar qui fermerait quand les premiers rayons de soleil illumineront la ville.

Parfois Emrys a un peu de mal avec l'humour, les sous-entendus ou l'ironie et là il ne savait pas vraiment si la jeune femme pensait réellement qu'il la draguait ou si c'était juste une blague. Vu ce qu'elle lui répondit il pencha pour une blague. Elle avait comprit qu'il ne voulait pas la draguer. Le jeune homme ne voulait pas qu'il y ait de mal entendu entre eux, il ne cherche pas à la saouler pour pouvoir profiter d'elle ou simplement la draguer. Il est loin d'être ce genre d'homme.
Il lui dit ensuite qu'elle ne pouvait pas rester dans la rue. Enfin pour lui c'est quelque chose d'évident il ne faut pas dormir dans la rue si on peut dormir sous un toit mais il faut croire que tout le monde ne pense pas comme lui. Aino lui répondit simplement que si elle ne dormait pas de la nuit elle ne serait pas vraiment à la rue. Il est plutôt d'accord avec elle sur ce point. Lui ne se voit pas faire une nuit blanche, il est trop vieux pour ça, enfin se pense trop vieux pour ça, surtout s'il a bu. Il n'imagine même pas sa tête le lendemain matin pour donner cours si jamais il passe une nuit sans dormir et en buvant, il aura l'air complètement paumé et fera sûrement peur à ses élèves. Jusqu'à maintenant il s'est bien débrouillé pour ne pas attirer de soupçons sur lui, il n'a pas envie que ça change. « Ça se tient en effet. » dit-il simplement avant de boire une nouvelle gorgée d'alcool.
Emrys s'intéressait à elle, si elle allait bien. Même s'il ne la connaît pas beaucoup, il veut qu'elle sache que si quelque chose ne va pas elle peut lui parler. Il ne sera peut-être pas de très bon conseil mais sera au moins une oreille attentive. La jeune femme répondit juste qu'elle ne voulait pas l'ennuyer avec ses histoires puis ajouta qu'en gros elle faisait la gueule à sa maison. Emrys se demande pourquoi tout le monde lui dit que raconter leurs histoires va l'ennuyer. « Comme tu veux. On verra si après plusieurs verres tu dis toujours rien. » dit-il en esquissant un sourire. Il ne compte pas lui tirer les verres du nez, loin de là, c'était juste une boutade pas drôle. Il est assez expert dans ce genre de choses. Faire des blagues qui crées un blanc gênant. « Je compte pas te saouler rassure-toi. » ajouta-t-il pour que les choses soient claires.

Je ne savais pas vraiment comment j'étais avec plusieurs verres, je semblais être une personne normale, je parlais sans doute un peu plus parce que je n'étais pas bien bavarde sur ma vie avant de boire. Tout dépendait, parce que la tristesse sur moi avait les mêmes effets de l'alcool dans mon organisme. Que je déblatérais comme une abrutie sur tout, en me plaignant de ma pauvre vie quand je me sentais au plus mal. Une femme en avait eu les frais un jour, quand je me disais que je ne servais plus à rien. Mais je n'ai jamais vraiment servi à quelque chose de toute façon, il fallait que je relativise. Mais je n'avais pas envie que lui sache ma vie dans les détails, je ne voulais pas recevoir sa pitié, mais il avait sans doute quelque chose de triste à dire aussi, tout le monde avait des histoires plus ou moins déprimantes à raconter. À croire que personne ne pouvait avoir une vie avec de la joie sur toute la ligne, il fallait qu'il y ait des crevasses. Ma vie en était rempli, du moins, c'est ce que je pensais. Je continuais de boire, le regard dans le vide. « On verra, oui ! » S'il voulait m'écouter, pourquoi je me privais de parole après tout ? Je n'avais plus qu'à raconter ma vie, que ma grand-mère était morte. C'n'était pas vraiment intéressant, malheureusement, il y avait beaucoup de gens de mon âge pour qui les grands-parents avaient quittés le monde. Parce que tout le monde ne restait pas jeune éternellement. Moi je me reprochais seulement le fait de ne pas avoir été présente plus que ça, même si comparé à certains membres de ma famille, j'avais été un ange. « Il faut être fort pour me forcer à faire quelque chose, de toute manière. » J'esquissais un sourire en coin. Puis d'une traite, je finissais ce qu'il restait de mon premier verre. « Tu veux vraiment m'écouter chouiner, Emrys ? On ne se connait pas plus que ça ... Tu peux pas me dire que tu es bienveillant au point d'écouter des gens ... presque inconnus. » J'disais pas qu'il m'aimait bien, loin de là, je trouvais juste ça étrange. Peut-être parce que moi j'm'en fous un peu trop d'la vie des autres.

Emrys ne voulait pas jouer les psy, il n'en est pas un et n'est pas vraiment le genre d'ami qui est de très bon conseil. Après tout elle a raison, ils ne se connaissent pas vraiment. Ils ont passés une après-midi ensemble il y a déjà plusieurs mois et c'est presque tout. Autant dire que ça ne fait pas grand chose. Malgré tout il sait que parfois les gens ont besoin de se confier. Lui n'est pas ce genre de personne, il est le genre qui garde tout et qui va pleurer lorsqu'il est seul mais tente de faire bonne figure en public. Il est le genre qui explose à un moment, comme c'est arrivé il y a quelques mois. Peut-être que s'il s'était réellement confié à quelqu'un avant qu'il se sente vraiment au plus bas il n'aurait pas commencé à boire. Mais il a trop de fierté pour montrer qu'il est faible et qu'il est juste un homme encore amoureux de sa défunte femme. Parfois il se dit : si seulement je l'avais moins aimé. S'ils n'avaient été qu'un couple lambda, qui s'aiment mais qui ne sont pas non plus âme sœur, il aurait peut-être réussi à passer au dessus, à refaire sa vie. Il faut dire qu'il n'a jamais essayé d'aller vers des femmes, de leur faire la cour. Il ne sait pas vraiment comment ça fonctionne de toute manière.
Le jeune homme est peut-être bienveillant comme le dit Aino mais il n'a surtout rien de particulier à faire alors ça ne le dérange pas d'écouter les problèmes des autres. Surtout que ça peut lui faire oublier les siens. Après si Aino lui parle d'histoires de cœur, il ne risque pas d'être très bon. IL reproche sans cesse aux gens qui sont en couple et avec qui ça ne va pas ou qui tout simplement ont des peines de cœur, de ne pas savoir se contenter de ce qu'ils ont. Oui ce n'est pas très sympathique mais il n'arrête pas de se dire : au moins eux ils ont quelqu'un. « Je n'ai pas grand chose à faire et puis si ça peut te soulager. Et puis je suis presque un inconnu donc il n'y a pas de conséquences, ce n'est pas comme ci on se voyait tous les jours. » répondit-il alors simplement. Peut-être qu'ils ne se reverront jamais après tout. Il finit son deuxième verre et hésita à en reprendre un troisième. Là c'est sûr elle le prendra pour un alcoolique et n'aura pas vraiment tord. Mais il s'en fiche alors il appelle à nouveau le serveur pour qu'il remplisse son verre. Il avait un peu honte de faire ça devant quelqu'un mais tant pis.

Si ça pouvait me soulager d'en parler ? Peut-être, je ne l'avais fait qu'avec ma famille ou moi-même et encore, je n'exprimais jamais ce que je ressentais. Je détestais ça de toute façon, puis lui n'était pas un psy, j'ne voulais pas qu'il se sente forcé d'en parler et j'ne voulais pas me forcer à en parler. Alors, oui, peut-être qu'après quelques verres j'aurais la parole aisée. Je ne comptais pas me bourrer la gueule en venant ici, mais le fait que j'avais presque deux verres remplis pour moi seule en disant long sur la suite. J'pourrais simplement m'arrêter à ça, mais j'doutais fort, pas que quand je commençais à boire, je ne m'arrêtais pas, mais à le faire autant le faire bien. « Justement, raconter sa vie à un inconnu … c'est plus risqué, j'voudrais pas que mes problèmes s'ébruite dans toute la ville … même si je doute que ce soit ton genre de crier sur tous les toits les problèmes des autres. » Il devait bien être plus mature que ça et puis bizarrement je le voyais mal crier, déjà. « Je vis dans la maison de ma grand-mère et ma grand-mère est morte. Rien de bien intéressant comme je te disais, ça va bien dans mon “chez moi”. Mais je n'ai juste pas envie de rentrer. » Ma voix butait sur le mot “morte”, c'était comme si je la trahissais en avouant ça à voix haute. Je ne voulais pas en parler plus, je ne voulais pas sembler triste non plus, je gardais toujours le même air sur mon visage, comme si je m'en foutais alors qu'en parler écrasait mon cœur. Je finissais tout juste mon premier verre que lui finissait son deuxième. « Tu as le descente facile ... » Soufflais-je dans un rire. « Tu veux un autre verre ? » J'préférais changer de sujet.

Aino considérait plus risqué de raconter sa vie à un inconnu. Ses arguments étaient assez convaincant, ce qui le fit hocher la tête. Elle l’avait assez bien cerné en disant qu’il n’allait pas raconter à tout le monde ses histoires, si jamais elle voulait lui en parler. Déjà parce qu’il ne parle pas beaucoup aux gens et ne parlent pas à beaucoup de gens. Mais aussi parce qu’en général il s’en fiche un peu de la vie des autres. Il y a des gens que ça intéresse beaucoup et qui sont toujours curieux de tout savoir mais lui en a plutôt rien à faire. Il lui propose de lui parler juste si ça peut la soulager. D’ailleurs cette histoire finira probablement dans un coin de sa tête et il n’y pensera plus.
Finalement elle lui révéla les raisons de sa tristesse. Sa grande-mère était morte et elle vivait avec elle, d’après ce qu’il comprend. Il ne peut que compatir de son chagrin, lui aussi étant là suite à la mort de quelqu’un qui lui est cher. Sauf que la grand-mère de la jeune femme ne doit pas être décédée depuis plusieurs années, contrairement à la femme d’Emrys. « Il semblerait que nous soyons tous les deux là pour les mêmes raisons dans ce cas. » dit-il simplement. Il ne voulait pas dire quelque chose du genre : je suis désolé. Bien qu’il le pense il ne voulait pas qu’elle pense qu’il a pitié d’elle.
Il finit son deuxième verre alors qu’elle n’est qu’à son premier. Le jeune homme sait ou plutôt espère qu’elle ne le juge pas. Et puis elle peut comprendre, il est triste, elle aussi. Quelque part c’est comme s’il avait une excuse pour boire. Le serveur remplie à nouveau son verre et il n’eut même pas besoin de répondre à la question de la jeune femme. Oui il entame son troisième verre, ce qui n’est peut-être pas une bonne idée. « C’est toi qui va devoir me ramener chez moi au final. » dit-il au final pour détendre l’atmosphère.