the place where the path leads (phoebe)

Pour me changer les idées du départ d’Ally, de notre relation tendue, de mes doutes, de mes remises en question, de ma culpabilité et de ma tristesse en général, mes amies avaient décidé de m’emmener loin de Bowen, bien loin dans un endroit encore moins connu que ma ville natale, où on irait faire de l’équitation sur des terres d’une réserve aborigène. Paraît que c’était super beau, paraît que c’était libérateur. Un retour aux sources, qu’elles m’avaient dit. Ça ne pouvait pas vraiment me faire de mal, sauf à mon entre-jambes, et si ça pouvait soulager le vide en moi, alors ça en vaudrait la peine. J’avais donc accepté cette petite virée inopinée, amenant avec moi mon argent et mon sourire, laissant à Bowen tout ce qui aurait pu être un nuage gris au-dessus de ma tête pour la journée. Une fois arrivés à destination, à une trentaine de minutes de route de Bowen, je me garai dans le stationnement de l’écurie, avec mes trois amies dans ma voiture qui s’empressèrent de sortir pour ne plus avoir à endurer mes choix de musique. On alla payer nos entrées et on nous conduisit jusqu’aux chevaux. À moi, on me donna un gros et grand mâle nommé Thunder, parce qu’il y en avait toujours un dans le lot qui s’appelait comme ça. « Oh-oh, rapide comme l’éclair ! » Lançais-je tout en m’installant sur la selle, peu confortable, puisque je n’avais pas souvent fait d’équitation dans ma vie, mais c’était vrai que ça me changeait bien les idées. L’instructrice nous donna quelques conseils de base, rien qu’à nous, parce que nous étions jumelés avec d’autres randonneurs plus expérimentés. J’espérais juste être capable de suivre le rythme sans que mon cheval s’arrête pour chier ou boire de l’eau à toutes les trente secondes, ignorant mes directives.  Bref, la randonnée débuta, et j’étais l’avant-dernier de la file. Mes trois amies étaient devant moi, et une blonde que je ne connaissais pas fermait le groupe derrière moi. Je tournai la tête pour la regarder et, avec humour, je lui lançai : « Si ça pue, c’est Thunder, pas moi ! » Je ris, comme le grand immature que j’étais.

Le rire de la jeune femme derrière moi se fit entendre après ma blague pourrie, ce qui m’arracha un sourire à mon tour. J’étais toujours assez fier de faire rire, et même si au départ mes blagues envers la gente féminine avaient toujours été lancées dans le but de séduire, depuis que j’étais en couple, c’était seulement pour briser la glace et détendre l’atmosphère. Toutefois, comme mon couple battait de l’aile et peut-être même n’existait-il plus, je me confortais dans l’idée que je n’avais toujours pas perdu le tour. Je fus toutefois coupé court dans mes rêveries et mes réflexions par rapport à Ally et notre avenir puisque, sans prévenir, mon cheval péta un plomb et prit la poudre d’escampette. « Oooooh merde, oh merde, oh merde ! » Criais-je alors que l’étalon détalait à travers la forêt, alors qu’il ne me semblait pas avoir fait quoi que ce soit de mal dans ma conduite. C’était à peine si j’avais tiré sur ses cordeaux. Je lançai un regard effrayé envers le groupe, et c’est la blonde derrière moi qui se lança à ma poursuite. Le damoiseau en détresse sauvé par sa preux chevalière – je ne sais même pas comment ça se dit, mais dans tous les cas, c’était moi qui était dans le mauvais rôle, là. Je l’entendis vaguement me crier de tirer sur les cordeaux afin d’arrêter le cheval, mais j’avais beau faire n’importe quoi, j’avais seulement l’impression de l’affoler davantage. Finalement, alors que nous arrivions dans ce qui semblait être une clairière, mon cheval fit une sorte de saut ou alors me donna un petit coup qui fit en sorte que je me ramassai les deux fesses par terre, dans les hautes herbes. Et heureusement qu’elles étaient hautes, d’ailleurs, sinon c’était fracture du coccyx assuré ! Mon corps avait eu tellement de mal à se remettre du séisme, c’était un miracle que je sois dans tous mes morceaux. Je regardai le cheval disparaître plus loin dans la réserve, levant les yeux au ciel. Bien vite, la jeune femme vint à ma rencontre, toujours sur son cheval. Elle se présenta et m’ordonna de monter, ce que je fis avec un peu de mal – le choc de la chute, sans doute. « Concho. » Dis-je, en écourtant mon prénom afin d’éviter toute confusion dans un tel moment d’urgence. « Je ne comprends pas, je n’ai pourtant rien fait pour l’affoler … » Me justifiais-je, me sentant tout d’un coup bien nul.

« Je l’ai insulté parce que j’ai dit que c’était lui qui puait ? » M’exclamais-je. Je ris aussi, même si au fond de moi, avec la chute et la fugue de mon cheval, je ne me sentais pas très glorieux. Il fallait quand même que je tente de voir le bon côté des choses, que j’essaie de positiver, du moins. C’était ce que j’avais toujours fait. C’était tout ce qu’il y avait à faire. Ça ne me servirait à rien de culpabiliser, mieux valait agir. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’avec Phoebe, nous partîmes à la recherche de Thunder. Après avoir parcouru les sentiers, en regardant partout autour de nous, Phoebe décida de reprendre le chemin de l’écurie, puisque le cheval connaissait sans doute le chemin du retour et que c’était sans doute vers là-bas qu’il s’était dirigé. Comme de fait, à notre retour, Thunder attendait sagement à l’entrée de son box. Phoebe me proposa de s’occuper de son cheval à elle, pendant qu’elle s’occuperait du petit rebelle là-bas. « Ok, merci ! » Dis-je en descendant du cheval et aidant la blonde à faire de même en lui donnant ma main, même si elle devait avoir bien plus l’habitude que moi de descendre de ces animaux. Je la laissai aller reconduire Thunder à son box, pendant que je faisais la même chose avec le cheval que j’avais monté pendant la deuxième partie de la randonnée. Au retour de Phoebe, celle-ci tenta de me rassurer et me demanda ce qui m’avait poussé à venir faire une randonnée équestre aujourd’hui. Je pensai à Ally, je cherchai mes mots, je songeai à ce que je devais dire et ce que je devais garder pour moi. Entre-temps, prenant sans doute mon silence pour un manque d’intérêt, Phoebe s’éloigna. Tout de suite, je tournai la tête vers elle. « Mais non, pars pas, attends ! » Elle se retourna, et j’allai la rejoindre. J’haussai les épaules une fois à sa hauteur. « C’est juste que … j’avais besoin de me changer les idées. À chaque fois que je me replonge dans … dans ce que j’essaie de fuir et bien … ça me met dans un sale état. » Expliquais-je.

Elle aussi était donc venue ici pour fuir, oublier. Je me demandais pour quelles raisons, mais au fond, est-ce que cela était réellement important ? Elle ne me demanda pas les miennes, ce qui me persuada de ne pas m’aventurer non plus. À sa remarque sur le fait que je devrais opter pour une autre activité que l’équitation pour me changer les idées, je souris. « Faut jamais baisser les bras ! » Répondis-je. Je ne me fierais pas à ce seul et unique échec pour décider de mes intentions de revenir ou non. Certes, la prochaine fois ne serait pas demain, mais je me disais que c’était seulement de la malchance. Je la suivis jusqu’au banc où je me trouvais quelques secondes plus tôt. De toute façon, je devais attendre que mes amies terminent la randonnée avant de reprendre la route – je ne partirais quand même pas sans elles, nous étions loin de Bowen. À mon tour, je contemplai le soleil qui se couchait, avant de remarquer le ton de voix brisé de Phoebe. Je tournai les yeux vers elle et je remarquai qu’elle pleurait. « Non, non, je ne te trouve pas idiote … » La rassurais-je, tout d’un coup un peu inconfortable d’être ainsi exposé au chagrin d’une femme que je ne connaissais que depuis quinze minutes. « Pourquoi oublier ton passé ? Qu’est-ce qui est arrivé ? » Demandais-je, d’une voix bienveillante. « Pour t’aider, va falloir m’éclairer un peu … » Lui dis-je avec un doux sourire. J’étais venu ici pour rire et m’amuser, mais peut-être que le fait d’être là pour une autre personne et de ne pas me concentrer sur mes propres soucis m’aiderait également à les oublier.

Elle semblait en avoir lourd sur le cœur, Phoebe, autrement elle ne se serait pas mise à pleurer de la sorte devant un inconnu, en l’occurrence moi. Je ne pouvais pas la laisser comme ça, aussi vulnérable. Ce n’était pas mon genre, j’étais altruiste de nature, c’était plus fort que moi de tenter d’aider les autres. Et même si je n’avais que mon écoute à lui offrir, et peut-être quelques conseils clichés mais qui viendraient du fond du cœur, je me disais que c’était mieux que rien, pour elle. Et, comme de fait, en l’écoutant me parler de ses motifs de déménagement à Bowen, je réalisai qu’elle devait être pas mal seule, dans cette nouvelle ville. « Je suis désolé … » Dis-je, pour commencer, à propos de son ex qui l’avait trompée avec sa meilleure amie. L’infidélité faisait toujours mal, tellement mal. Et c’est pourquoi j’avais mis les freins avec Scarlett, d’ailleurs, l’autre nuit. Parce qu’Ally avait beau être partie de Bowen, elle n’était pas partie de mon cœur. Mais ça, c’était une autre histoire. Je l’écoutai me parler de ses expériences de jeunesse, ou plutôt celles qu’elle n’avait jamais eu la chance de vivre. Je lui souris tristement, comprenant tout à fait de quoi elle parlait. J’haussai les épaules. « T’as l’air encore bien jeune, moi j’trouve … Tu sais, il est jamais trop tard pour vivre ce qu’on a envie de vivre. J’ai eu une adolescence pas mal comme la tienne, j’devais m’occuper de la maison, j’avais des responsabilités … » Ma mère étant une droguée, ma mère s’étant enlevé la vie quand je n’avais que seize ans, je n’avais pas vraiment eu le choix. « Mais quand j’ai eu vingt ans, j’ai vécu toutes ces expériences dont tu parles. » J’haussai les épaules. « D’ailleurs, j’pense que tu les surestimes, ces expériences. Coucher à droite et à gauche, fumer de la marijuana, boire jusqu’au lendemain matin … c’est … c’est cool quelques fois, mais ce n’est pas une vie. » Je comprenais toutefois qu’elle puisse ressentir le besoin de les vivre, au moins une fois. Au moins question de connaître le sentiment que ça pouvait procurer. À m'entendre, je donnais l'impression d'avoir cinquante ans. Pourtant, ça ne faisait que deux ans à tout casser que j'avais cessé de faire des conneries. Ou alors ... que j'avais ralentit la cadence.

Phoebe me donna raison sur le point qu’elle était encore jeune, mais elle m’expliqua qu’elle voulait vivre ces nouvelles relations sans attache seulement pour oublier son ancienne relation. Je pouvais comprendre. Honnêtement, si Ally en venait à ne plus jamais revenir à Bowen ou si à son retour c’était la rupture qui nous attendait, je retomberais certainement dans mes vieilles habitudes. Vieilles habitudes qui se résumaient pas mal à ça : enchaîner les relations peu ou pas importantes, vivre à fond, ne pas m’attacher. Je ne prenais donc aucunement Phoebe pour une traînée. Je la comprenais. « C’est pas du tout c’que je pense, Phoebe. J’suis qui pour te juger ? » Relevais-je avec un sourire. Elle m’invita alors à dîner chez elle, alors qu’il se faisait tard. Automatiquement, mon regard se tourna vers l’orée de la forêt, où je m’attendais depuis un moment à voir le groupe revenir de la randonnée. J’avais encore mes amies à attendre. Phoebe me réveilla de mon attente un peu trop longue en prononçant mon prénom. Je la regardai avec un sourire. « Désolé, j’essayais de voir si les autres du groupe revenaient … J’suis venu ici avec des copines et c’est ma voiture, alors je peux pas vraiment partir. » En même temps, je savais que mes copines retourneraient chez elles après la randonnée, et que je me retrouverais seul. « Mais si tu veux attendre quelques minutes encore, je pourrai leur donner mes clés à leur arrivée et … on reviendra ensemble jusqu’à chez toi. » Et puis, elle l’avait dit, c’était par pure amitié, même si cette amitié ne durait que depuis moins d’une heure, et encore. Tout pour me convaincre que je ne faisais rien de mal vis-à-vis d’Ally.

« Bonne idée ! » Répondis-je avec un sourire. Ça me donnerait à moi aussi la chance de passer me doucher chez moi avant d’aller dîner chez Phoebe. Après tout, non seulement avais-je aussi monté un cheval mais, en plus, j’en étais tombé. J’avais de l’herbe et de la terre partout sur mes vêtements, ce qui n’était pas très adéquat pour se rendre chez des gens. D’autant plus que je ne connaissais pas assez Phoebe pour être autant à l’aise. Je regardai le morceau de papier qu’elle me tendit et constatai avec joie qu’elle résidait elle aussi à Bowen. « Ah ben c’est à dix minutes de chez moi, top chrono ! Super ! » Ça m’éviterait de retourner chez moi, de me préparer et de ressortir de la ville. Je saluai Phoebe alors qu’elle se rendit jusqu’à sa voiture et reprit la route vers Bowen, pendant que j’attendais le retour de mes amies. Sur le chemin du retour, je leur expliquai ma mésaventure, ma rencontre avec la blonde, et toutes semblèrent bien excitées par cette soirée. La moitié me disait d’oublier Ally, l’autre moitié me disait de l’attendre. Je l’attendrais, ma Ally, même si elle m’avait fait de la peine. Mais Phoebe était une chic fille. Peu importe, je déposai mes amies chacune à leur domicile avant de me rendre au mieux, de nourrir mon chien Gamborlim, de me doucher, de mettre des vêtements propres et de repartir en direction de chez Phoebe, légèrement parfumé. Je sonnai à la porte et, de l’autre côté, j’entendis des cris, puis la voix davantage discernable de la blonde qui me demandait d’attendre. J’esquissai un sourire, l’imaginant courir partout en serviette. Quand elle m’ouvrit la porte, je souris devant sa tignasse encore toute mouillée. « Désolé, je pensais pas que j’étais si tôt ! » Dis-je avec un rire. J’entrai chez elle alors qu’elle me proposait de la pizza. « Ça me va, tout à fait ! » Elle me demanda ensuite de lui raconter mon histoire à moi, tout comme elle m’avait déballé ce qui la tourmentait. « Ah, c’est … compliqué comme histoire. T’auras pas de la bière ou de quoi, pour mieux me préparer à tout raconter ? » Demandais-je avec un rire gêné.

À peine rentré chez Phoebe, celle-ci me demandait de lui raconter mon histoire. Comme j’avais le cœur et la tête à l’envers, je lui demandai une bière, ou tout autre alcool, question de me mettre à l’aise. C’était la première fois que je me confierais aussi ouvertement à une parfaite inconnue – même si, vue son ouverture à elle, je ne me sentais plus vraiment en compagnie d’une étrangère. La conversation se faisait si facilement entre elle et moi, j’avais l’impression qu’elle me connaissait depuis longtemps. Ou, alors, mon visage inspirait la confiance. N’ayant sans doute pas de bière, Phoebe me proposa plutôt un cocktail. « Oui, pourquoi pas ! » Acquiesçais-je avec un sourire et un hochement de tête. Si elle le faisait avec de l’alcool assez fort, ça frapperait davantage que la bière, alors c’était encore mieux. Je la suivis jusqu’à son mini-bar, la regardant me concocter ce qu’on appelait un Porn Star. Je n’en avais pas bu depuis la fin de mon adolescence, je pense. Je souris quand elle me le tendit. « Merci beaucoup ! » Je pris une gorgée du cocktail, grimaçant tout légèrement en raison du goût acidulé. Mais c’était aussi bon que dans mes souvenirs. « Ça faisait longtemps que je n’en avais pas bu, mais j’avoue que c’est toujours gagnant ! » Je souris, déposant le verre sur le petit comptoir à nos côtés. Phoebe attendait alors mes confidences, et j’hésitai un peu, ne sachant pas par où commencer. Je décidai d’entrer dans le vif du sujet ; le reste de ma vie n’importait que très peu. « Si j’cherche autant à me changer les idées, c’est parce que ma petite amie, Ally, est partie en voyage sans me prévenir. Du jour au lendemain, comme ça, elle n’était plus là. C’est une amie qu’on a en commun qui m’a prévenu de son départ. Elle l’a dit à son amie, mais pas à moi … Ça en dit long sur la communication dans notre couple. » Dis-je avec un mince sourire attristé. Je soupirai. « Alors disons que je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre, pour la suite. Déjà, j’ai aucune idée de quand elle compte revenir. Et je ne sais pas si, à son retour, elle prévoit me laisser … » Si c’était le cas, j’aurais largement préféré qu’elle me plaque avant de partir. Ça m’aurait évité bien de la confusion.