the place where the path leads (phoebe)

Quand j’eus terminé de raconter à Phoebe ce petit récit sur les récents événements de ma vie, elle se leva et m’étreignit avec force. « Oh ! » Lâchais-je par surprise, avant d’enrouler mes bras autour d’elle et de profiter de ce contact des plus humains. Un mince sourire se dessina sur mes lèvres alors que je réalisais que cette fille était vraiment à l’écoute et empathique, bien qu’elle soit également un véritable moulin à paroles. « T’as raison, ça m’a fait du bien. » Affirmais-je avec un doux rire, avant de plonger mon regard dans le sien à mon tour alors qu’elle me disait que j’avais besoin de me changer les idées parce qu’Ally s’était montrée injuste envers moi. J’haussai les épaules. « Je sais que j’ai aussi ma part de responsabilité dans ce qui s’est passé. » Je me souvenais de la déception sur son visage quand je m’étais montré un peu réticent face à tout le travail qu’elle avait fait sur mon centre, détruit pendant le séisme qui avait eu lieu à Bowen en septembre. Elle avait travaillé si fort à la reconstruction de mon organisme et moi, je n’avais même pas trouvé la force de la remercier comme il se devait.

La sonnette retentit alors, provenant du hall d’entrée. Sans doute le livreur, puisque Phoebe avait commandé de la pizza. Je l’attendis patiemment, accoudé au comptoir de son mini-bar, buvant le cocktail qu’elle m’avait préparé. Elle rapporta la pizza, et on s’installa pour manger, dans le plus grand des silences. Sans doute parce que nous avions beaucoup d’appétit. C’était le vent qui se montrait le plus bruyant, sifflant entre les feuilles des arbres et cognant contre les fenêtres. Puis, un coup de tonnerre frappa nos oreilles et l’électricité ne tarda pas à se couper. Phoebe lâcha un cri, et mon cœur s’accéléra. Parce que cette tempête me rappelait le séisme. La même peur me paralysait. Je fermai les yeux, profitant de la noirceur qui faisait en sorte que ma compagne de la soirée ne me voyait pas. Je retrouvai mon calme au moment où elle allumait des chandelles pour qu’on puisse au moins se voir. Puis, elle me supplia de rester avec elle, elle aussi figée par la peur. J’hochai la tête. « B-bien sûr. » Dis-je. « Pour tout t’avouer, j’serais pas confortable à l’idée de conduire dehors, moi non plus … » Je préférais largement rester ici. « Disons que … que j’ai vécu un traumatisme assez grand lié aux déchaînements de la nature et … et faut croire que j’suis pas encore psychologiquement tout à fait remis de ça. » Avouais-je avec timidité.

Phoebe décida alors que nous resterions ensemble, ce qui pour le moment m’arrangeait plutôt bien. La température extérieure n’était pas bien invitante à prendre les routes, et même si je n’habitais pas bien loin – Bowen n’étant pas une énorme ville -, l’envie de prendre ce risque inutile n’y était pas du tout. Et puis, la jeune femme semblait plutôt soulagée que je reste, elle aussi. Pour la compagnie, sans doute. La blonde m’offrit une bière et amena au salon la sienne ainsi qu’un sac de chips. Je m’installai par terre, imitant Phoebe, même si j’opterais éventuellement pour le fauteuil. Pour le moment, c’était à la bonne franquette, et ça m’allait. « J’t’écoute, dis-moi tout. » Lui dis-je avec un sourire rassurant. Phoebe semblait bien à l’aise de s’ouvrir sur les sujets de sa vie, je l’avais rapidement compris dès que nous étions revenus à l’écurie quelques heures plus tôt. Toutefois, je ne me serais jamais attendu à un récit comme celui-ci qu’elle me raconta maintenant, parlant du meurtre de sa nounou et des hommes impliqués dans cette histoire qui n’avaient jamais été retrouvés. J’ouvrai grand les yeux, reposant ma bière, me sentant incapable de boire comme si c’était une anecdote comme une autre. Instinctivement, je me rapprochai de Phoebe pour poser une main sur son avant-bras. « Oh mon Dieu … c’est … Horrible, Phoebe. Je suis désolé … Ça a dû être une expérience tellement … traumatisante ! » Dis-je. Je n’avais aucune idée de ce qu’on devait dire dans des moments pareils. Et Dieu sait que j’avais moi-même eu une vie mouvementée, mais rien qui sorte de l’ordinaire à ce point-là. La blonde ne s’étala pas énormément plus sur le sujet, me demandant à mon tour de quoi j’avais peur de ces orages. Je souris distraitement, posant mes yeux sur ma bière. « Je ne sais pas si tu en as entendu parler mais, ici-même à Bowen, en septembre, il y a eu séisme assez … assez dévastateur. Il y a eu des morts, beaucoup de blessés, tout était à reconstruire au centre de la ville … À ce moment-là, je me trouvais à mon travail. C’est un des bâtiments qui a été le plus touché par les tremblements de la terre, et je me suis retrouvé coincé en-dessous des débris … pendant plus de quarante heures … » Avouais-je, les images me revenant en mémoire douloureusement. « J’ai eu la peur de ma vie. Je pensais mourir là, seul. » Parce que toutes les autres personnes qui se trouvaient autour de moi étaient décédées, elles. Lexi, Ayda. Elles n’étaient plus de ce monde, et moi si. J’haussai les épaules. « Alors même un orage comme celui-là arrive à faire remonter en moi toute la peur que j’ai ressentie à ce moment-là … » Je relevai les yeux vers Phoebe. Ce n’était pas le même genre de traumatisme que le sien, mais c’en était un quand même, et tout récent qui plus est.

Normal n’aurait pas été le mot que j’aurais choisi, parce que pour moi cet événement était tout sauf habituel, tout sauf prévisible, alors même si ma réaction était la même que n’importe qui ayant vécu un tel choc, je n’arrivais pas qualifier mon traumatisme de normal. Tout simplement parce qu’il n’y avait rien de normal dans ce que j’avais traversé. Je souris malgré tout à Phoebe, sans doute faisait-elle le lien avec son propre traumatisme et réalisait que nous avions eu des réactions similaires. Nous avions associé ces tempêtes météorologiques à nos tempêtes intérieures. La blonde reprit alors la parole pour me demander si j’avais déjà fait quelque chose sans savoir pourquoi. J’hochai la tête avec un sourire, n’ayant pas le temps d’élaborer sur la réponse avant qu’elle me parle de ses études vétérinaires qui ne l’intéressaient pas, du moins pas autant que l’idée d’avoir son propre ranch. « Tu ne pourrais pas terminer tes études vétérinaires pour ensuite t’acheter un ranch ? Tu pourrais y vivre et soigner les chevaux des autres en même temps. » Parce que si j’avais retenu une chose de la tempête, de la destruction de mon organisme, c’était qu’il était toujours préférable d’avoir un plan B. L’argent m’était tombé du ciel une fois, mais ça ne se reproduirait pas de sitôt. Maintenant que j’avais dépensé une petite fortune, avec Ally, pour remettre mon centre sur pieds, je me rendais compte que j’allais devoir trouver une source de financement autre que mon propre argent, car je ne pourrais continuer à payer et bien vivre à la fois. Phoebe rêvait d’avoir son ranch et c’était un beau projet, mais encore fallait-il qu’elle puisse subvenir à ses besoins en même temps. Être vétérinaire le lui permettrait. « Et pour ce qui est de chanter et d’être mannequin, rien ne t’empêche d’en faire un hobby … » Proposais-je avec un sourire. C’était bien d’avoir plusieurs intérêts ; sa vie serait toujours captivante.

Suite à mes propositions, Phoebe reprit bien vite la parole pour me parler d’un certain Hayden qui lui avait proposé de reprendre le ranch de son grand-père. J’haussai les sourcils. Je me demandais à combien de temps remontait cette rencontre, mais je trouvais l’offre bien généreuse pour une personne nouvellement rencontrée. Je ne relevai toutefois pas ce fait, me disant que ça ne me regardait pas, et de toute façon Phoebe avait déjà changé de sujet pour parler de ses projets de chant, de mannequinat, de ses études et de sa nounou. La blonde parlait tellement vite, c’était parfois difficile de la suivre dans ce rythme mais jusqu’à maintenant, je trouvais ça plutôt adorable. Elle me drainerait sans doute bien vite de toute mon énergie de concentration, mais tant mieux si je pouvais bien dormir ce soir. Je souris à ses dernières paroles concernant les paroles de sa nounou. « Tu n’as pas à t’excuser, pour le moment je n’en ai pas mal à la tête, mais promis je te le dirai si jamais tu me donnes le vertige. » Je rigolai. Après tout, à force de passer du coq à l’âne de la sorte, j’allais peut-être avoir la tête qui tourne entre les différents sujets, mais ça m’en prendrait bien plus que ce qui se passait présentement. Le regard de Phoebe se dirigea alors vers la fenêtre, derrière laquelle la tempête grondait encore malgré l’heure bien tardive. La blonde me proposa de dormir ici, ce qui me fit d’abord hésiter, mais quand elle me rappela que je devrais prendre la voiture, j’acquiesçai. « J’apprécie l’offre, et je pense bien que j’vais l’accepter. Mais je te dérangerai pas, promis, et je partirai dès demain matin, comme ça tu ne m’auras pas dans tes pattes plus longtemps. » La rassurais-je avec un rire. « J’peux même te préparer le petit-déjeuner avant de partir, pour te remercier de ton hospitalité. » J’étais bon cuisinier, alors pourquoi pas lui préparer un petit plat spécial pour son réveil ? C’était la moindre des choses, après qu’elle m’ait fourni nourriture, alcool, et maintenant gîte pour la nuit … Elle ne s’attendait probablement pas à cela en m’invitant à manger ce soir.

Phoebe n’accepta pas ma réponse comme une réponse valide. Elle insista pour que, demain matin, je reste à déjeuner avec elle. Pour elle, la remercier serait davantage de partager ce repas avec elle plutôt que de le lui préparer et de repartir en voleur. Je souris quand elle pensa qu’elle puisse me taper sur les nerfs, et je rigolai quand elle me dit que si c’était le cas, je devrais quand même lui faire à manger. « Je resterai avec plaisir, alors. T’en fais pas, si tu me tapais sur le système, j’aurais bravé la tempête pour m’échapper, à l’heure qu’il est. » Je lui souris, doucement. « T’es plutôt cool, Phoebe. » Ma façon de lui dire que je l’appréciais, sans en faire trop. La jeune femme bailla, avant de déclarer qu’elle allait se coucher avant de m’indiquer où se trouvait tout le nécessaire pour faire mon lit. « Parfait, merci. Et bonne nuit, Phoebe ! » Je la regardai s’éloigner avec un mince sourire, avant de prendre un petit moment de silence devant l’orage, réfléchissant à cette journée haute en rebondissements. Je ne m’étais jamais senti aussi vivant depuis un moment. Bref, je soupirai, avant d’aller au placard chercher des oreillers et une couverture. J’étais en train d’étendre la couverture sur le fauteuil quand j’entendis des sanglots provenant de la chambre où Phoebe s’était réfugiée. Je tournai la tête vers la porte entrouverte, restant là où j’étais, couverture à la main, le cœur serré. Je ne savais pas vraiment ce que je devais faire. M’imaginais-je quelque chose ? Non, non, elle pleurait, je l’entendais encore. Je laissai donc mes choses au salon et je me rendis jusqu’à sa chambre. Je poussai tout doucement la porte, sans entrer, signalant seulement ma présence par le grincement et par ma question : « Phoebe ? Est-ce que … est-ce que tout va bien ? » Sans doute pas, hein, si elle pleurait.

Elle me demanda de venir m’asseoir. Je regardai derrière moi, pour aucune raison, comme si je me sentais mal d’entrer ainsi dans la chambre de Phoebe à une pareille heure. Comme si ça faisait en sorte que je trompais Ally ou un truc dans le genre, alors que non, je ne faisais rien de mal. Je m’apprêtais juste à réconforter une jeune femme chagrinée. Je poussai donc un peu plus la porte et allai la rejoindre. Je m’assis sur le bout de son lit, à la limite mes fesses étaient dans le vide tellement je prenais mes distances. Mais elle se leva et s’assit à côté de moi, tout près, et me parla de son ex. « Il habite où, ton ex ? Tu crois qu’il serait capable de venir jusqu’à Bowen pour mettre ses menaces à exécution ? » Demandais-je, consterné. « Si tu as vraiment peur, autant pour toi-même que pour Hayden, tu devrais peut-être en parler à la police, oui … » Je ne savais pas vraiment, en fait. Entre ce qui se passe dans les séries télévisées et la réalité, il y avait quand même un bon pas, alors je me demandais si les autorités prendraient réellement au sérieux ses dires. « Peut-être qu’en leur montrant les sms ils verraient que c’est pas des blagues … ? » Proposais-je. Elle posa sa tête sur mon épaule et je passai un bras autour d’elle, pour caresser doucement son bras, question de la réconforter et de la rassurer du mieux que je le pouvais.

J’hochai la tête. J’étais soulagé par ses paroles. Il était peureux et habitait au Texas, ce qui laissait peu de place à la réalisation de ses menaces, peu importe de quel ordre elles étaient. C’était fou, quand même, que je m’inquiète autant pour une femme que j’avais rencontrée la journée-même. Enfin, je me serais inquiété pour n’importe qui face à de tels propos, mais j’avais l’impression que je m’impliquais énormément dans cette nouvelle relation. Un peu comme si je cherchais à y trouver un certain réconfort, à combler un certain vide. Je chassai bien rapidement ces pensées, voulant garder espoir pour ma relation amoureuse sans me laisser déraper. « Quel genre de menaces te fait-il ? Il est tellement loin, j’imagine mal comment il pourrait te faire quoi que ce soit … » En même temps, avec Internet de nos jours, il était bien facile de ternir la réputation et anéantir la vie de n’importe qui en un claquement de doigt. Suffisait d’appuyer sur enter. Phoebe releva finalement la tête pour me regarder, et me remercia. « Aucun problème, Phoebe. Ça me fait plaisir … » Elle allait alors me qualifier de je-ne-sais-quoi, sans doute un compliment quelconque, mais la blonde s’endormit, sa tête se reposant doucement contre mon épaule. Je souris avant de l’allonger dans son lit, de gestes doux afin d’éviter de la réveiller. J’éteignis sa lampe de chevet avant de retourner au divan où je passai une nuit plus ou moins agitée. À mon réveil, je me rendis à la cuisine que j’apprivoisai du mieux que je le pouvais, trouvant des œufs, du bacon ainsi que de petites pommes de terre que je fis rissoler dans une poêle, avec tout le reste. L’odeur envahissait la maison, et bientôt, j’entendis Phoebe s’extirper de son lit. Quand je la vis arriver, je lui souris. « Bon matin ! » M’exclamais-je. L’orage était passé, je pourrais retourner chez moi maintenant. Pourtant, je n’étais pas bien pressé.