Soirée bourés karaoké ... ohé ohé ! (Bàhr)

Je jetai un œil dubitatif à Zelda en la regardant faire ses pseudo-étirements. « Tu t’en vas courir un marathon ? » Je préférais faire des blagues plutôt que de vivre les malaises, par exemple celui relié aux séquelles de son accident. Ça avait toujours été facile avec Zelda parce qu’elle rentrait dans tous mes délires, sans trop se soucier de si c’était un mécanisme de défense, une façon de combler les silences ou juste de pures blagues pour le plaisir. Je m’approchai d’elle et m’adossai au mur, mon épaule touchant la sienne, alors que nos regards étaient rivés vers l’océan. Puis, fidèles à nous-mêmes, nous pouffâmes de rire après ma tirade mielleuse et sentimentale. La rouquine mima un violon en chantant une ode à la Lune et à notre amour. « Ah ouais, on va s’embrasser ? » Demandais-je en haussant rapidement les sourcils, avant d’éclater de rire. Elle ajouta qu’on faisait une sacrée paire. C’était vrai. « Tu t’es déjà demandé ce que ça donnerait, toi et moi, en couple ? » Me risquais-je à demander, sans trop savoir où je m’en allais avec cette réflexion. C’était sans doute mon cœur en peine, mon cœur en miettes, qui cherchait par tous moyens à se recoller. Mais il était vrai que Zelda et moi étions si biens ensemble, qu’il était difficile de ne pas se demander de quoi nous aurions l’air, ensemble.

Je n’ajoutai rien quant à ses jambes, me sentant tout d’un coup bien con d’avoir seulement relevé la chose, même en blague. Moi et mes putains de malaise, je devrais juste les endurer en silence. Comme je décidai de le faire présentement. Je m’approchai donc de Zelda et, à l’entendre chanter cette chanson quant à notre amour sous la Lune, je ne pus m’empêcher de relever les paroles qui suggéraient un baiser entre elle et moi. Tout d’un coup, Zelda sembla un peu plus gênée, elle qui savait toujours retourner toute situation à son avantage, elle qui ne prenait jamais rien au sérieux et surtout pas moi ! Je souris en la regardant. Elle était quand même très cute quand elle rougissait ; ce n’était pas une facette d’elle à laquelle j’étais souvent confronté. Et en ce moment, j’étais un peu trop ivre pour réellement comprendre ce qui se passait. Toute la signification derrière notre échange. J’osai même lui parler de l’hypothétique couple que nous pourrions former, elle et moi, repoussant une limite de notre amitié, entrant sur un terrain sur lequel nous ne nous étions jamais aventurés jusqu’à maintenant. « Sérieux, t’as jamais pensé à ça ? Tu vas me vexer. » Plaisantais-je. En même temps, j’aurais dû le savoir, Zelda et moi étions tellement proches, forcément j’étais friendzoné à fond. Et c’était sans doute mieux ainsi, vu comment je foutais toutes mes relations en l’air dès qu’il y avait quelque chose de plus. La rouquine proposa alors qu’on essaie. Que je l’embrasse. Je ris d’abord, avant de la regarder avec sérieux. « D’accord. J’espère que j’pue pas trop le fond de tonneau de bière. » Je ris, gêné, avant de me positionner face à elle. Je la regardai un moment, mon cœur déchaîné, et je posai mes deux mains sur chacune de ses joues, avant d’approcher mon visage du sien et de poser mes lèvres tout doucement, me les appropriant le temps de quelques secondes de ce baiser. Je me reculai un peu et souris, bêtement. « Alors, t’aurais envie que je recommence, encore et encore ? » Demandais-je, niais.

Je fis mine de sentir l’haleine de Zelda après avoir parlé de ma propre odeur de fond de tonneau. « C’est vrai que c’est pas bien mieux … Alors on devrait même pas s’en rendre compte, ni toi ni moi, ça va … » Je rigolai, penchant la tête sur le côté, avant de me redresser et surtout d’aller me planter devant Zelda. Pour ce moment tant attendu – depuis trente secondes en tout cas. Je plongeai mon regard dans le sien, tentant peut-être de lire dans son âme ou un truc dans le genre. Essayant de voir si ses yeux me suppliaient de ne pas aller plus loin ou si, au contraire, elle ne plaisantait pas quand elle me disait de l’embrasser. J’avais certes la tête dans le brouillard, mais je crus comprendre qu’elle attendait que je franchisse le pas. Que je franchisse ce gouffre que nous nous étions implicitement interdit de sauter, sans jamais avoir à en parler. J’étais autrefois en couple et elle, elle était bien occupée. Ça ne nous avait jamais effleuré l’esprit de nous embrasser, d’être davantage que ce que nous étions. Mais mon cœur complètement à l’ouest venait de changer la donne. Alors je m’avançai vers elle et je l’embrassai, doucement, ne voulant pas trop en faire. Elle avait beau parler de Hollywood, nous n’y étions pas. Mais ce fut visiblement suffisant puisque, quand je lui demandai si elle voulait encore et encore que je l’embrasse, Zelda affirma être devenue accroc. Elle m’attrapa alors par le col et me colla les lèvres contre les siennes de nouveau. Cette fois, j’avais l’impression d’avoir dix caméras et des projecteurs autour de moi parce que oui, ce baiser était passionné, bouleversant, criant d’envie. Quand nous nous détachâmes finalement l’un de l’autre, je fixai un moment Zelda, la surprise habitant mon regard. Puis, devant le silence, j’éclatai de rire. « Je suis complètement saoul. Est-ce que t’es saoule ? » Pour tout dire, ce baiser m’avait bien vite fait dégriser, mais plutôt que d’assumer les sentiments qui m’habitaient présentement, je préférais me défiler. Et toutes les bières ingurgitées ce soir me donnaient une sacrée belle porte de sortie.

Si j’avais voulu faire foirer le moment, je n’aurais pas mieux réussi que comme je venais de le faire. J’avais la tête qui tournait, l’esprit confus, le regard dans les vapes, mais j’y avais vu assez clair pour comprendre que mes paroles avaient blessé Zelda. Et je m’étais blessé moi-même, par la même occasion, parce que je me défilais face à quelque chose qui était bien plus grand que moi et qui me rattraperait de toute façon. Ce baiser, ou plutôt ces baisers échangés avec Zelda ne disparaîtraient pas en même temps que l’alcool dans notre sang. Ce moment resterait à jamais gravé dans nos mémoires, avec ma réaction post-baiser des plus idiotes. Pour ne pas perdre la face sans doute, Zelda admit qu’il fallait mettre ça sur le compte de l’alcool. J’esquissai un sourire, essayant de lire en elle quoi que ce soit, essayant de comprendre où on se situait dorénavant, mais je n’arrivais plus à conclure grand-chose. « Il a le dos large, l’alcool, après tout ! » Ajoutais-je, l’éternel clown. Mais Zelda aussi bien que moi savait sans doute que ce n’était pas que ça. Je ne voulais pas la décevoir, je ne voulais pas être ce con face à elle. Mais c’était plus fort que moi, mon cœur me faisait faire des bêtises, mon cœur faisait de moi une girouette qui, ce soir, s’était arrêté sur l’une de mes plus précieuses amies. Elle s’excusa alors, et je secouai la tête, même si je ne savais même pas ce que je refusais. Refusais-je qu’elle s’excuse ou refusais-je qu’on fasse comme si rien ne s’était passé ? De toute façon, le temps que je me fasse une idée, Zelda s’était éloignée vers la plage, avant de revenir vers moi et de proposer d’y retourner. J’attrapai doucement son poignet. « Tu sais … j’ai apprécié aussi. Tu chantes aussi bien que t’embrasses. » Je ris. « Et c’est supposé être un compliment, oui. Tu chantes très bien. » Donc elle embrassait très bien. Et j’avais eu envie de recommencer encore et encore, moi aussi. Sauf que ça ne serait pas juste, parce que je sortais tout juste d’une relation, j’avais le cœur brisé, je puais l’alcool à plein nez autant qu’elle. Ce n’était pas le moment de me lancer à l’aveugle dans ce que je ne comprenais pas tout à fait. « Hé, Zelda … Est-ce que tout est ok entre nous ? » M’inquiétais-je.

Ses grands yeux bleus se plongèrent dans les miens, et tout d’un coup je me sentis comme deux minutes plus tôt, quand nos lèvres s’étaient d’abord effleurées pour ensuite s’accrocher les unes aux autres dans un élan de passion que Zelda et moi ne nous connaissions pas. Ou peut-être avions-nous ignoré ce qu’il y avait sous nos yeux, tous les deux à différentes places à ce moment-là. Mais ce soir, nous étions l’un devant l’autre. Les pieds pratiquement au même point dans le sable. Quand Zelda parla d’Ally, du fait qu’elle avait largué un mec comme moi, je baissai les yeux avec un doux rire. Penser à elle était douloureux, mais mêlé à un compliment du genre provenant de Zelda, étrangement, ça s’encaissait mieux. Beaucoup mieux. « Comment ? Euh … au téléphone. À des kilomètres d’ici. Sans trop d’explication. » Plaisantais-je. Je savais bien que ce n’était pas une véritable question. Mais j’avais encore cette rupture sur le cœur et je devais évacuer mon ressenti d’une manière ou d’une autre. En ventilant ou en embrassant Zelda ; les deux semblaient fonctionner.

Contre toute attente, Zelda posa à son tour ses mains sur mes joues et m’embrassa de nouveau. Je fermai les yeux, me laissant aller à cette douceur inattendue. Je collai mon front contre le sien quand nos lèvres se séparèrent, comme si je ne supporterais pas plus de distance. Et pourtant, quand elle parla de nouveau, je me reculai légèrement pour lui faire face. Nous avions l’air pas mal moins fous que quinze minutes plus tôt, et pas mal plus guimauves. Tout d’un coup. Juste comme ça. « Bien sûr que j’y avais déjà pensé … toi et moi, c’est … un peu comme le duo qu’on attend de voir tomber amoureux dans chaque série télé … parfois ça se produit, parfois ça se produit pas, alors j’ai laissé aller … » J’haussai les épaules. « J’ai envie d’essayer aussi, Zelda, mais … j’ai l’impression de perdre la tête depuis qu’Ally est partie et je ne voudrais surtout pas te faire perdre ton temps, ou te faire du mal … » Soufflais-je.

C’était tellement inattendu, cette situation avec Zelda. Depuis tellement longtemps que nous n’étions que des amis, sans jamais laisser aucune ambiguïté s’immiscer entre nous. Et pourtant, il semblerait que l’attirance ait toujours été là, au fond, bien cachée sous la surface pour ne pas gâcher ce que nous avions de précieux. Parce que oui, cette amitié unique, j’y tenais énormément. Pour rien au monde je ne voudrais risquer de perdre cette amie extraordinaire. Pourtant, voilà que j’avais écouté une voix dans ma tête qui résonnait jusqu’à mon cœur, sans songer à la situation dans laquelle ça nous mettrait demain matin. C’est vrai quoi, que resterait-il de cette nuit à notre réveil ? Nous n’avions aucunement bu au point de vivre un black out total, mais je ne savais pas à quel point nous assumerions tous ces baisers passionnés, ces regards doux, ces jambes tout d’un coup molles comme du chocolat au soleil. Par amitié pour la jolie rousse, donc, je lui partageai mes doutes, mes inquiétudes et mes réticences. Zelda étant Zelda, elle s’approcha de moi pour déposer un baiser sur mon front avant de me dire que nous n’avions qu’à profiter de cette nouvelle vague qui nous portait, dans l’instant présent, au jour le jour. Sans trop se soucier d’où ça menait. Sans avoir peur de s’ouvrir à l’autre sur ce qu’on ressentait. Je lui souris. « Ça me plaît bien ça, comme idée. » Elle ajouta qu’elle ne voulait pas me mettre de pression, qu’elle s’adapterait à comment on vivait ce changement dans notre amitié – qui était tout d’un coup devenue bien plus que ça. « Bordel, ça sonne si simple à mes oreilles quand je t’entends parler. Est-ce que c’est vraiment aussi simple ? » Demandais-je avec un sourire, doucement, voulant vraiment y croire à cette nouvelle aventure. Je n’étais absolument pas prêt à m’engager sérieusement ou à long terme, mon cœur était encore un champ de bataille, mais si la présence de Zelda pouvait m’apaiser de cette façon-là, je ne fermerais jamais la porte à une telle douceur. « J’te raccompagne chez toi ? » Après autant d’émotions, je n’avais plus forcément envie de retourner enflammer la scène, et même si j’avais la folle envie de ne pas me contenter de raccompagner Zelda mais bien d’aller plus loin, je me disais que le fait de dormir sur nos dernières paroles nous permettrait à tous les deux d’y voir plus clair demain matin.