i find shelter in this way, under cover, hide away (fred)

Depuis sa plus tendre enfance, et surtout depuis sa toute première tentative de suicide, Lennox n’avait jamais accepté de consulter un psychologue. Quand il l’avait fait, c’était parce qu’on l’y avait traîné de force, parce que son consentement n’y était jamais totalement. Pendant son adolescence, il répondait seulement aux ordres de ses parents, qui se faisaient bien trop de soucis pour lui. Quand il avait atteint la vingtaine, Lennox avait arrêté de voir des psychologues, il savait que ça ne servirait strictement à rien. Son problème était trop grand, trop noir, pour que quiconque réussisse à en percer le mystère. Puis, sa seconde tentative de suicide était arrivée, l’année dernière, suivie de sa visite en centre de désintoxication pour alcooliques. Lennox n’avait pas eu le choix de suivre le programme, ce qui comprenait des visites quotidiennes chez le psychologue de l’établissement. À sa sortie, se pensant assez fort pour retourner à son quotidien, Lennox avait cessé de se faire suivre par quelqu’un. Il avait réalisé, récemment, que ça avait été une erreur. Qu’il avait besoin de quelqu’un à qui parler, sans se censurer, sans avoir peur de blesser, sans avoir honte. La mort de Lou l’avait atterré, bien plus qu’il ne le laissait croire, parce qu’il voulait se montrer fort pour Andreas, de qui il était tombé si rapidement amoureux. Lennox était dans une phase si confuse, il avait du mal à y voir clair, il avait du mal à se reconnaître. Et comme il ne voulait pas se perdre encore une fois dans un néant chaotique, il avait décidé de prendre rendez-vous avec une psychologue trouvée dans les pages jaunes. Dr Fred Nolan, une jeune professionnelle, qui avait de bons commentaires jusqu’à maintenant. Il se disait que son manque d’expérience l’aiderait peut-être à se sentir plus confortable parce que jusqu’à maintenant, il avait été confronté à des psychologues avec des dizaines et des dizaines d’années de pratique, qui croyaient tout savoir. Lennox n’avait pas envie qu’on pense le connaître par cœur alors qu’il venait à peine de s’asseoir dans le bureau. Lennox était un cas unique, un vrai casse-tête, il le savait. Après avoir pris une grande inspiration, le trentenaire entra dans la clinique, et alla s’asseoir dans la salle d’attente. La porte devant lui, où le nom de Dr Nolan était inscrit, était fermée. Ça lui laissait au moins le temps de reprendre le contrôle de lui-même, puisqu’il était au bord de la crise d’angoisse.

La secrétaire le dévisageait de temps en temps. Peut-être lisait-elle sur son visage toute la frousse que Lennox ressentait en raison de sa présence ici-même. Peut-être voulait-elle tout simplement s’assurer qu’il n’allait pas s’évanouir sous la pression, ou éclater en sanglots. Le trentenaire fuyait le plus possible son regard, mal à l’aise qu’on puisse savoir qu’il était en besoin de venir se confier à une psychologue. Certes, il ne connaissait cette secrétaire ni d’Adam ni d’Ève, mais Lennox avait toujours cette tendance à se soucier de tout ce que l’on pouvait penser de lui. La porte du bureau de Dr Nolan s’ouvrit finalement et Lennox leva les yeux vers une jeune femme qu’il pensa encore plus jeune que ce à quoi il s’attendait. Ça ne lui importait que très peu. Il se doutait bien que jeune ou plus âgée, elle ne saurait que faire de son cas désespéré. La secrétaire le pointa du regard et Lennox esquissa un mince sourire, ressemblant davantage à une grimace, en croisant le regard de sa psychologue. « Bonsoir. » Dit-il en se levant, attrapant son veston par le fait-même – il était directement venu ici après son travail. La jeune femme lui fit signe de la suivre dans son bureau, et le notaire s’exécuta, prenant place sur la chaise qui se trouvait devant la sienne. Il avait toujours détesté ce moment, celui où il devait prendre la parole pour la première fois, se présenter peut-être, annoncer les motifs de sa venue sans doute. Ouvrir son cœur à un inconnu et lui montrer à quel point il souffrait. Alors il garda le silence, en attendant que ce soit elle qui lui pose les questions, que ce soit elle qui l’encourage à aller de l’avant. Par lui-même, il ne le pouvait pas. Il était comme paralysé.

Ils se regardèrent un moment, avant qu’elle ne passe une main dans ses cheveux et qu’elle prenne enfin la parole. Le niveau de stress de Lennox baissa tout légèrement, parce qu’au moins lorsqu’elle parlait, elle comblait le silence. Le silence était toujours source d’angoisse pour Lennox, parce qu’il avait alors l’impression qu’il devait dire quelque chose, n’importe quoi. Mais il n’avait jamais quoi que ce soit d’intéressant à dire. Lennox hocha la tête pour ce qui était des présentations. Ça, il saurait faire, ce n’est pas anxiogène, c’était normal. Elle se présenta d’abord à Lennox. Il ne savait toutefois pas s’il devait l’appeler Frédérique ou Dr Nolan, pour le coup. Ce qui généra en lui un stress supplémentaire. Étant rarement familier avec les gens qu’il ne connaissait guère, Lennox décida de l’appeler Dr Nolan. De toute façon, elle était une professionnelle, elle préférerait sans doute cela elle aussi. Pour conserver une certaine distance entre eux. Elle reprit rapidement la parole pour lui parler de cet espace sans jugement et, surtout, confidentiel. Lennox hocha la tête. « Je m’appelle Lennox. » Dit-il, pour suivre son mouvement. Il hésita un moment, avant d’ajouter : « Je suis ici sous les recommandations des intervenants du centre de désintox où j’allais … » Il marqua une courte pause. Il savait qu’il devrait parler des raisons de sa visite dans ce centre, éventuellement, mais évoquer son suicide et son alcoolisme lui semblait tellement difficile, encore. « C’est un objectif de mon programme de guérison. D’apprendre à me confier, à extérioriser … » Extérioriser tout son mal, toute sa souffrance. Chasser ses démons.

Après avoir expliqué les raisons de sa venue à Dr Nolan, celle-ci approuva l’idée des intervenants de l’envoyer consulter un psychologue. Ce devait être une étape cruciale pour tous les patients en désintoxication, de toute façon. Il allait y passer, inévitablement. Tout comme les médecins l’avaient recommandé à ses parents quand il avait tenté de s’enlever à son adolescence. Résultat : ça ne l’avait mené nulle part. Ou plutôt, ça l’avait mené à une seconde tentative, vingt ans plus tard. Peut-être que Lennox était déjà trop loin, trop creux, pour être rescapé. Peut-être que ça ne servait à rien d’être ici. Tout ce que Dr Nolan lui dirait, il le saurait déjà. On le lui avait répété. Il devait parler de ses problèmes, plutôt que de les laisser pourrir en lui, les laisser devenir une bombe prête à exploser en son intérieur. Lennox plongea de nouveau son regard dans le regard azur de la psychologue, un océan comme celui de Lou, et laissa le silence le submerger. Elle ne disait plus rien. Il ne disait plus rien. « Euh … » Il chercha ses mots, inconfortable. Il se replaça sur son petit fauteuil, visiblement décontenancé et mal à l’aise. « C’est le moment où je dois parler de ces problèmes-là, là ? » Demanda-t-il avec anxiété dans la voix. Cette dernière tremblait sous la peur de s’ouvrir. Il détestait parler de lui. Il détestait parler de ce qu’il était. Parce qu’il se détestait. « J’ai rencontré quelqu’un, et ça va mieux maintenant, vous savez. » Dit-il, tentant le plus possible d’éviter de rentrer dans des détails trop difficiles à gérer pour lui. « Il m’aide à garder la tête hors de l’eau, il m’aide à … à apprécier ce que j’ai. » Il se rendit alors compte qu’il venait indirectement de parler de son homosexualité. Étonnamment, c’était plus facile de lui avouer ça que de lui montrer tous les démons qui le tiraillaient de l’intérieur.

Parler d’Andreas était la voie facile, parce que malgré les difficultés dans leur couple, malgré les bâtons que Lennox leur mettait dans les roues, c’était quand même le seul réel point positif de sa vie. Andreas était devenu son ancrage, son point d’orbite, et tant que tout tournait autour de lui, tout irait bien. Mais Dr Nolan vit bien vite dans son jeu, elle comprit rapidement qu’il utilisait un mécanisme de défense pour se protéger, pour ne pas avoir à parler de ce qui faisait réellement mal. Était-ce suffisant ? La question de sa psychologue eut le même effet qu’un poignard, et il baissa les yeux instinctivement. Comme s’il luttait pour sa survie. Comme il l’avait toujours fait. « Il suffit à me garder en vie, oui. » Mais suffisait-il à le rendre heureux ? Lennox ne voulait pas avoir à dire que non. Lennox ne voulait pas avoir à admettre que malgré tout son amour pour Andreas, il n’arrivait quand même pas à lister le bonheur parmi ce qu’il ressentait. « Je ne sais juste pas par où commencer … Tout … tout est tellement confus, tout est tellement interrelié et j’arrive … j’arrive même pas à y voir clair moi-même. » C’était trop noir, en Lennox. On n’y voyait rien, lui-même encore moins. Il s’était perdu en lui-même, parmi ses démons qui se moquaient et qui le tiraient vers le bas.

Dr Nolan posa son bloc-notes et réfléchit un moment, avant de relever son regard vers Lennox et de partager avec lui un bout de sa vie à elle. Un passage de souffrance. Il ferma les yeux en entendant parler de son agression sexuelle, et déglutit. Son cœur s’était mis à battre irrégulièrement. « Je suis désolé. Personne ne devrait avoir à vivre ça … » Il baissa les yeux. Il se sentait tout d’un coup tellement honteux de se plaindre alors que s’il ouvrait seulement un peu plus les yeux, il réaliserait qu’il n’était aucunement à plaindre. Il avait une vie parfaite, à priori. Il n’arrivait tout simplement pas à la vivre. « J’imagine que c’est vrai que je n’ai pas vraiment de raison de me sentir comme je me sens … J’ai la vie facile, comparativement à d’autres. » Comparativement à elle. Ce n’était pas le but de Dr Nolan de le faire sentir ainsi, assurément, mais Lennox interprétait toujours tout contre lui.  

Quand elle posa son bloc-notes, Lennox se sentait tout d’un coup bien moins nerveux. Comme s’il n’avait plus à être dans le paraître, mais bien dans le être. Comme si ses paroles n’étaient maintenant plus analysées au quart de tour. Dr Nolan profita de ce moment pour confier une partie de sa vie, un épisode sans doute bien traumatisant. Là, la nervosité de Lennox revint. Il se sentait tellement mal à l’aise d’être là, dans ce bureau, sans même pouvoir mettre le doigt sur ce qui n’allait pas. Parce qu’il ne savait pas, c’était con comme ça. Lennox ne savait pas ce qui n’allait pas. Mais il n’allait pas. Depuis toujours. Il s’excusa alors pour ce qu’elle avait vécu, désolé que certains humains aient à subir de telles horreurs. Il était bien chanceux, au fond, de ne pas avoir traversé de telles épreuves. La douleur ne se comparait peut-être pas, comme on le disait, mais le notaire arrivait très bien à mettre les deux dans la balance. Alors si ses problèmes à lui semblaient avoir un poids plume, pourquoi est-ce que ça le pesait aussi lourdement ? « Pas même une psychologue ? La vous d’aujourd’hui n’aurait-elle pas pu aider la vous de ce moment-là ? » Demanda Lennox, confus dans son propre discours. Il était simplement surpris de l’entendre dire que personne n’aurait pu quoi que ce soit pour elle. Et lui alors ? Quelqu’un pouvait-il réellement faire quelque chose pour lui, en ce moment ? Dr Nolan en viendrait-elle à bout de ses démons, ou abandonnerait-elle face à la dureté de son mur ? Lennox tomba finalement dans la culpabilisation, d’avoir en apparence une si belle vie et de ne pas pouvoir en retirer le maximum. Ni même le minimum, à bien y penser. Dr Nolan reprit son carnet, et Lennox se crispa sur sa chaise. Il hocha la tête à ses paroles, plutôt réconfortantes. Elles eurent l’effet escompté. « C’est juste que … ma vie n’est pas si compliquée que ça, en fait. C’est moi qui la complique, constamment. Sans même le vouloir, sans même savoir pourquoi … C’est comme si j’arrivais pas à la voir à sa juste valeur, c’est comme si je la teintais constamment de noir … » Avoua Lennox, arrivant enfin à articuler plus que trois mots de suite, mettant enfin des images sur sa souffrance.