Without a shelter from the storm + Adrian

La journée avait été longue aujourd’hui. Pas pénible, simplement longue. Le genre de journée où on pousse un soupir à la fin. Le type de journée où on s’assoit dans un fauteuil confortable pendant un long moment et qu’on ne fait que respirer. Je m’étais assis quelques instants contre un mur de briques où mon chien dormait tranquillement. La journée avait été difficile pour lui aussi. Puis, une dame semblait s’approcher, de nature prévoyante je me levais d’un bond et je la reconnaissais. Elle était belle et elle m’avait apporté un délicieux muffin aux bleuets, mes préférés. Je l’avais remercié grandement le soir même et le lendemain aussi. Les pâtisseries se faisaient rares pour moi. « Bonsoir! » avait-elle dit alors que je lui souriais gentiment. « Bonsoir! » Ma position se décontractait rapidement. Elle me demandait si j’aimais les framboises et je devenais touché comme tout. Je hochais la tête rapidement. « Les framboises sont mes fruits préférés. » lui confiais-je alors qu’elle me tendait une petite boite. Je lui souriais franchement avant de la prendre. « Êtes-vous pâtissière, mademoiselle? » lui demandais-je alors que j’ouvrais la petite boite qui comprenait une cuillère. Si j’avais pu l’enlacer je l’aurais fait. « Et excusez mes manières, je vous remercie beaucoup. Peut-être voudriez-vous manger votre part avec moi? » lui demandais-je en pointant sa propre boîte de son côté avec un sourire gentil alors qu’Einstein se mettait à ronfler.

« Je gagne des points, alors. » À une certaine époque, j’aurais sans doute répliqué quelque chose en lien avec le fait qu’elle voulait gagner des points pour certaines raisons... En tant que sans abri maintenant, je n’avais pas beaucoup de chances de draguer dans ce contexte. Je devrais d’ailleurs mettre une annexe à ce sujet pour une rechercher exploratoire éventuelle. Je ne lui faisais donc qu’un sourire en hochant la tête, gardant mes fabuleuses répliques de drague pour moi-même. Elle me confiait qu’elle faisait les pâtisseries ce qui me faisait hocher la tête avec un léger sourire. « C’est très gentil de votre part et votre attention me fait grandement plaisir. » Elle ne cessait plus de me regarder alors que je devais avoir l’air pouilleux, pratiquement sale alors que je m’étais lavé dans le lac pas trop loin quelques heures plus tôt. Elle me proposait d’aller sur le banc vers lequel je m’avançais à ses côtés. Je m’y asseyais sagement.  « J’ai l’habitude de vous croiser plutôt souvent, mais je n’ai pas encore votre prénom... » lui confiais-je alors que je devais rougir moi-même. La pénombre m’aidait à dissimuler la gêne que j’avais sachant pertinemment qu’à l’oral, j’affichais un gaillard sûr de lui-même! J’ouvrais la petite boîte pour découvrir le gâteau aux framboises dont je prenais une bouchée. Puis une seconde. C’était bon. Ce luxe si peu fréquent qu’étaient les pâtisseries représentait maintenant une gâterie pour moi. Un luxe, quelque chose de rare. Même pour des occasions spéciales, je n’y touchais plus depuis près de deux mois.  « C'est délicieux. »

Je me sentais mal de mentir à tout l’univers comme quoi je prenais mon argent personnel pour nourrir mon chien. Je me sentais coupable que d’admettre le tout, mais je me sentais surtout coupable de priver mon chien de rationnement adéquat. Parce qu’il avait perdu du poids, Einstein... Mais il me suivait dans toutes mes aventures. À la phrase de Sara, je ne pouvais pas faire autrement que de sourire de plus belle. « On réalise rapidement à quel point les pâtisseries sont un luxe, mais également l’impact qu’elles ont sur nous. Un effet de bonheur instantané. » lui confiais-je, ravi par son attention. Je n’étais pas d’accord avec elle sur le fait que ce n’était pas grand chose, parce qu’aujourd’hui c’était un des trucs les plus consistants que j’avais pu manger. Elle s’ouvrait à moi en me disant qu’elle travaillait non-loin et que marcher en ville était agréable. Je ne pouvais pas faire autrement que de sourire. « Les choses simples de la vie sont les plus belles. » et je le pensais sincèrement alors que je remerciais le bon Dieu d’être en vie au quotidien. La belle patissière avait un nom : Sara. Je souriais, ça lui allait à merveille. « Adrian, enchanté Sara. » Le fait de connaître son nom me rendait bien heureux, elle pourrait assurément être l’une des personnes importantes lors de la rédaction de ma thèse. Alors qu’elle me remerciait, je me mettais à rire doucement. « Non, merci à vous ! Vous venez tout juste de faire ma journée. » lui confiais-je, le sourire aux lèvres. Je continuais de déguster le tout avec une sensation de chaleur à l’intérieur de moi jusqu’à ce qu’elle me pose la question. J’avalais de travers discrètement. Bien que j’avais toujours mes motifs préétablis, je ne pouvais pas faire autrement que de les expliquer vaguement. « Une faillite personnelle et professionnelle. Un rejet de la part de mes proches. » lui dis-je alors avec détachement en haussant les épaules, comme si cela n’était plus bien grave. « La seule personne qui m’a supporté tout au long du processus, sans jugement, c’est mon chien. » Je lui adressais un sourire triste et je poursuivais. « Et vous êtes serveuse depuis longtemps, Sara ? » lui demandais-je pour détourner la conversation. Je n’aimais pas être le centre d’attention principal. Surtout avec ce tissu de mensonge... C’était plus simple de me concentrer sur la vie merveilleuse des autres !

« D’ailleurs, je vous en remercie. C’est le bonheur de ma journée. » Normalement, ça aurait été de la rencontrer, de maintenant connaitre son nom, mais la drague en tant que sans-abris était plutôt nulle et qui plus est, j’aimais qu’elle m’apporte des plats différents. Elle poursuivait en me disant que c’était les petites choses de la vie, les véritables trésors. Je hochais la tête alors qu’elle se confiait en me disant qu’elle avait besoin d’exercices. « Si vous voulez, mon chien est une très bonne raison de faire de l’exercice. Libre à vous de nous joindre lors de nos promenades matinales, vous êtes la bienvenue, Sara. » lui dis-je avec un sourire franc, j’étais persuadé également qu’Einstein apprécierait cette nouvelle partenaire de marche. Lui qui prenait légèrement les devants en tant que bon chien d’aveugle. Puis, elle s’excusait de son côté et je haussais simplement les épaules. « Oui, certainement. Mais des erreurs parfois peuvent être plus difficiles à pardonner. Mais ce n’est pas votre faute, d’ailleurs c’est sensiblement tout le contraire actuellement. » Je lui faisais un petit sourire en remerciant le bon Dieu de me donner ces idées folles qui me comblaient au quotidien. Puis, elle ne tardait pas à complimenter mon canin ce qui me faisait sourire. « Il s’appelle Einstein. » Le chien relevait d’ailleurs sa tête à l’appel de son nom et se rapprochait de nous pour se coucher à mes pieds de plus belle. « Il a échoué aux tests de chiens guides pour les aveugles. C’est néanmoins le meilleur compagnon sur Terre. » dis-je à Sara en caressant la tête de mon chien qui ne demandait qu’à se rendormir, la mâchoire sur mon pied. Elle me disait qu’elle était de retour depuis quelques semaines, ce qui me faisait hocher la tête. Je compatissais avec la brunette en grimaçant un peu. « Les retours au travail sont souvent plus difficiles qu’on ne le croit. Par contre, le jour où j’aurai des enfants, vous êtes la première à qui je les confierai. » Je lui faisais un sourire amical en sachant pertinemment qu’elle aurait besoin d’aide tôt ou tard pour se remettre en selle. « La vie ne me semble pas être particulièrement clémente avec vous. » lui dis-je en la regardant, attentif. Sa réaction m’en disait long. J’ignorais la cause de l’arrêt de travail, je pouvais mentionner la jambe mais une institutrice qui titube, ça s’était déjà vu.

Elle me questionnait quand à mes habitudes et j’affichais une mine songeuse à sa question. « En fait, on tente de varier au maximum. Nous allons sur la plage aux 2 jours question que je puisse faire ma lessive et Einstein adore que je lui lance les bâtons. » C’était pas parce que je n’avais plus d’endroit où coucher que je ne pouvais pas varier mes sorties. Je connaissais maintenant Bowen presque comme ma poche. Je connaissais les endroits fréquentables, ceux qui l’étaient moins. « Une sensation de puissance. » concluais-je avec ce que me disait Sara. Elle me disait qu’elle y réfléchirait. « Prenez le temps qu’il vous faudra. Vous savez me retrouver, pourrait-on dire. » Je lui faisais un petit sourire qui se voulait invitant. Avec mon chien qui s’installait à mes pieds, elle commentait comme quoi il semblait intelligent. Je pouffais de rire. « Et bien plus encore. Il a déjà aidée une enfant à retrouver ses parents et il connait de nombreux tours. » Un regard fier vers mon chien, j’écoutais ce que la demoiselle avait à me confier. « L’institutrice terrible aux pâtisseries? Sérieusement? » lui demandais-je en pouffant de rire. « Je crois que mis à part quelques cas d’obésité, vous avez beaucoup de talent pour faire une excellente institutrice. » Elle me confiait que la vie était pleine de surprises, je hochais la tête. Positives comme négatives, j’affichais une mine songeuse. Elle devait sans doute avoir raison. Sara me questionnait à savoir où je passais mes nuits et je détournais le regard vers mon chien en cherchant une réponse adéquate. Je devais me rendre à l’évidence, il n’y en avait aucune et c’était bien ce qui rendait ma mère folle de rage. « J’aime bien faire du camping sauvage, à la belle étoile. » répondais-je en riant doucement, comme si ça pouvait adoucir la réalité. « Généralement dans les ruelles ou dans des entrepôts mal verrouillés... » C’était un milieu mal connu et également considéré comme effrayant. Il me faisait plaisir de répondre aux questions de Sara. « Et disons que j’ai plus de chances que d’autres. » lui confiais-je en pointant mon sac à dos qui contenait certains essentiels. Notamment, ce fabuleux sac de couchage recyclé.

Elle était amusante, Sara. Un peu réservée, c’était sans doute normal. Elle me disait qu’elle saurait me retrouver ce qui me faisait sourire alors que je hochais la tête. Effectivement qu’elle saurait. J’étais facilement trouvable et avec ma grandeur, je savais que je ne passais pas inaperçu. Elle tenterait de m’amadouer avec un part de tarte et j’éclatais de rire. « Je ne fais pas que manger! On peut m’acheter avec un beau sourire. » lui dis-je en haussant les épaules tout simplement. J’étais un homme simple après tout. Un vrai chien clown? Je hochais la tête. « Un clown brillant. » concluais-je devant le canin qui ne refusait pas les caresses. L’ordre des institutrices qui gâtait les gamins? Bien belle image. Je riais doucement en secouant la tête. « Je ne crois pas, parce que vous devez également leur montrer à s’alimenter adéquatement et à faire de l’exercice. » lui dis-je en me doutant des quotas minimums qu’ils devaient tous enseigner aux gamins. « Effectivement, certains soirs sont plus difficiles que d’autres. Mais j’ai droit de regarder les étoiles jusqu’à l’heure que je veux. » lui dis-je avec un grand sourire en jetant un œil vers le ciel. J’avais rapidement appris à repérer les différentes constellations. « Mais j’adore ma vie en dépit de tout ce que je peux en dire parfois et je ne l’échangerais pour rien au monde. » lui confiais-je en souriant gentiment. Peut-être en vieux riche naïf que j’étais... « Mais rien n’est toujours facile, n’est-ce pas? »lui dis-je en pointant sa jambe qui boitait à l’occasion sans questionner davantage.  

Alors qu’elle me disait de voir au moment venu, je ne pouvais qu’hocher la tête. Après tout, nous pouvions nous concentrer sur le moment présent. Sara me parlait de son emploi, je ne pouvais qu’hocher la tête gentiment. « Évidemment. Vous faites un bout de chemin, le reste est à leur discrétion. » lui dis-je en me disant qu’il devait y avoir plus d’institutrices comme Sara point à la ligne. Elle ne tardait pas à me questionner davantage et bien que je me doutais que la réponse ne lui conviendrait pas, la réponse officielle du moins, j’allais lui donner la officieuse. Je pensais à ma propre condition et je me frottais un peu la tête sans trop savoir par où commencer. « Je crois que dans mon cas, j’ai décidé ce qui me rendait heureux véritablement. Je me concentre sur ces aspects. Mon chien me rend heureux, les gâteaux aux framboises, mes études m’ont rendu heureux aussi... Apprendre tout ce qu’il m’est possible d’apprendre. » lui avouais-je simplement en haussant les épaules. « C’est quand on ne s’attend plus à rien qu’on réalise la chance qu’on a, je crois bien. » lui dis-je avec une mine songeuse et philosophique à la fois. « Un toit sur la tête et un soutien familial consistent en des atouts, j’en conviens, mais au dela de tout ça, il y a bien plus. » J’avais soudainement envie de l’inviter dans mon monde, dans mon monde où plus rien n’était forcé. Je l’écoutais me raconter un peu de sa vie alors qu’elle souhaitait tout envoyer promener. Je ne savais pas trop quoi lui dire. « Concentrez-vous sur l’essentiel, Sara. ». lui dis-je. L’essentiel en question? Respirer. Simplement. C’était déjà pas mal. « Et pourquoi ne le faites-vous pas? Si c’est vraiment ce dont vous avez envie : pourquoi pas? Hurler à s’en époumoner. Laissez les gens se débrouiller dans leur rythme effréné et pensez à vous ne serait-ce qu’un instant. Vous verrez comment tout change. » Cette fois-ci c’était vrai. J’avais laissé mon père à ses affaires et je me concentrais sur le reste. « Prochaine fois, c’est moi qui vous amènerai une tarte aux bleuets. » lui dis-je avec un fin sourire.