Maybe..I love you a little bit? (Conchobe)

J’étais debout depuis six heures ce matin, et je m’étais rendu au terrain de Phoebe vers sept heures, arrivant en même temps que tous les autres gars de la construction que la jeune femme avait engagés pour la construction de son ranch. Chacun était là avec son énorme thermos de café, moi y compris. Ça me rappelait Melbourne, ça me rappelait mes dix années passées à travailler sur les chantiers, à parler de femmes et de voitures pendant les pauses. C’était un monde d’hommes, et même si ça ne m’avait pas forcément manqué depuis mon retour à Bowen, je reprenais rapidement mes aises. J’avais amené une grande boîte de muffins, m’étant arrêté à une grande chaîne de café pour y prendre mon déjeuner, j’avais décidé d’en ramener pout tout le monde. Après tout, nous avions une grosse journée devant nous. En plus, Phoebe devait passer voir les avancements aujourd’hui, alors on s’était tous promis de mettre le paquet pour avancer le plus possible avant qu’elle n’arrive. Je les avais un peu poussés à le faire, du moins. Pour la rendre heureuse. Alors qu’il était prêt de midi, je travaillais vers l’arrière du ranch quand j’entendis la première voix féminine depuis quelques heures. C’était Phoebe, évidemment. Je me tournai vers elle et la trouvai dans sa salopette et ses grosses bottes de travail. J’eus un grand sourire. « Hééé, look at you ! ! Toute prête à nous donner un coup de main ! » Lançais-je en riant. « C’est moi qui leur en demande trop je pense, je voulais qu’on soit le plus avancés possible pour ton retour. » Je la pris dans mes bras en la serrant. Ça faisait du bien de la revoir en sol australien. « C’est bon de te revoir aussi. Comment ça a été au Texas ? » Demandais-je. Je savais qu’elle avait eu plusieurs trucs à y faire, en plus de rompre avec Hayden. Une semaine chargée. Quand elle me parla de son habit, je ris. « Bah oui je vois bien ça ! J’dois avouer que ça te va plutôt bien, le look de fermière. » La taquinais-je en la regardant de bas en haut.

Si Phoebe m’avait toujours semblée être pleine de vie, elle semblait encore plus joyeuse aujourd’hui. En effet, sa joie de vivre était des plus contagieuses et je ne pus m’empêcher de rire rien qu’à voir son enthousiasme débordant. Je m’approchai d’elle pour l’étreindre. « Comment tu trouves ça jusqu’à maintenant ? » Lui demandais-je en regardant autour de nous, après lui avoir dit que j’avais mis la pression sur les autres pour qu’on avance le plus possible avant son retour. C’était assez réussi, et j’espère que Phoebe serait tout aussi ravie. Je lui demandai aussi inévitablement comment ça s’était passé au Texas. Après tout, elle avait passé sa semaine à l’autre bout du monde, ce n’était pas rien. « Oh, je suis vraiment désolé … Il a été occupé toute la semaine ? » Ça me faisait drôlement penser à mon propre père, ça. Et même aujourd’hui, alors que nous habitions tous les deux à Bowen, il ne donnait jamais signe de vie. Et j’avais baissé les bras depuis bien longtemps, moi. J’avais rapidement compris qu’il ne voulait rien savoir de moi. J’espérais que ce n’était pas la même situation pour Phoebe. J’espérais que son père se souciait d’elle un minimum. J’éclatai de rire à sa remarque sur son accoutrement. « Le magazine playboy des fermiers. » Ça n’existait pas, mais ce serait sans doute vendeur. Finalement, Phoebe me confia avoir rompu avec Hayden. Je repris un air un peu plus sérieux, même si elle était souriante et soulagée. « Oh, comment ça s’est passé ? » Demandais-je en m’adossant au mur derrière moi et en croisant mes bras sur mon torse. Elle me raconta qu’il n’avait pas voulu se pointer et qu’elle l’avait donc fait par téléphone. Ally aussi l’avait fait par téléphone, et je l’avais plutôt mal pris, mais c’était loin d’être la même situation. Hayden l’avait voulu, en quelque sorte. « Ça a dû être difficile quand même … comment tu te sens ? » Elle semblait soulagée, oui, mais est-ce que ça cachait une certaine culpabilité ? Des regrets ? J’espérais qu’elle avait pris la bonne décision pour elle. Phoebe me questionna alors sur ma semaine à moi. J’haussai les épaules en ouvrant les bras, désignant le ranch. « J’ai passé le plus clair de mon temps ici, pour tout te dire. Et le soir j’étais au centre, avec les jeunes. » Mon centre, mon organisme. J’avais donc eu deux boulots à temps plein. Ça m’avait occupé les pensées.

J’étais ravi de sa réponse. Évidemment que j’avais eu peur que quelque chose ne lui plaise pas, parce que même si nous avions tous suivi ses directives à la lettre, nous n’avions pas les plans les plus détaillés et nous y allions parfois selon nos préférences, selon nos connaissances dans ce qui se faisait dans d’autres ranchs, mais peut-être que tout ne conviendrait pas à Phoebe. J’étais donc soulagé qu’elle trouve que c’était parfait. « Cool ! » Me contentais-je de dire, mon sourire voulant de toute façon tout dire. Je lui demandai alors comment son voyage au Texas s’était passé, puisqu’il s’agissait quand même d’un voyage important pour elle. Pas pour rien qu’elle avait eu besoin de sa cousine pour l’y accompagner. J’aurais bien aimé être là pour la soutenir aussi mais, malheureusement, j’avais dorénavant trop de responsabilités à Bowen, qui ne me permettaient pas de tout laisser de côté sans prévenir. Je l’avais fait une fois, avec Ally, et même si ça avait été merveilleux, je ne pouvais me permettre à toutes les fois d’être aussi impulsif. « C’est bien triste, ça … » Dis-je en fronçant tout légèrement les sourcils, touché par cette confidence. « Tu lui as déjà parlé de ce que tu ressentais ? » Plus facile à dire qu’à faire, j’étais moi-même bien à chier pour m’ouvrir à ceux qui semblaient me tourner le dos. Et on aura beau dire que c’était son père, j’avais moi-même perdu tout contact avec le mien. Parfois, la famille, ça ne voulait pas dire grand-chose. Nous parlâmes ensuite de sa rupture avec Hayden, celle dont ils avaient souvent discuté. « C’est jamais facile, c’est vrai … Mais c’aurait été encore pire si tu n’avais pas été sincère avec lui, c’est mieux ainsi … » Dis-je. Personnellement, je n’avais jamais eu le courage de rompre avec qui que ce soit, je préférais me défiler, comme je l’avais cruellement fait avec Hanna. « T’es super aussi, Phoebs. Bien plus que moi. » Dis-je donc alors qu’elle s’approcha de moi pour me donner un baiser sur la joue, qui me fit sourire et rougir à la fois, surtout parce que je sentais le regard des autres travailleurs sur nous. « Ouais, allons-y ! Qu’est-ce que tu sais faire ? » Demandais-je, pour ne pas parler en termes trop techniques et la perdre en chemin.

J’esquissai un sourire qui laissait tout voir de ma tristesse face à la situation familiale de Phoebe. Bien que je connaissais bien des gens qui avaient de magnifiques familles, j’en connaissais aussi beaucoup trop qui avaient bien des difficultés de ce côté-là. J’avais toujours trouvé dommage que des parents décident de mettre au monde des enfants sans leur donner tout l’amour qu’ils avaient, sans leur donner le maximum d’eux-mêmes. Après le suicide de ma mère et l’abandon de mon père, je m’étais toujours promis que je ne ferais pas ces erreurs-là. Si je décidais de fonder une famille un jour, ce serait pour être là pour eux. « C’est lui qui est perdant, il a une fille extraordinaire et il passe à côté d’elle. » Je lui fis un clin d’œil en entourant ses épaules de mon bras, la pressant un peu contre le côté de mon corps. Je la relâchai alors qu’elle me parlait de Hayden et du fait qu’il lui avait peut-être servi, tout simplement, à penser à quelqu’un d’autre que son ex. Exactement ce que j’avais peur de faire. « C’est déjà bien que tu le réalises. » Dis-je doucement. Peut-être qu’elle saurait mieux être à l’écoute de ses sentiments maintenant. Bref, il était temps de mettre la main à la pâte, ou plutôt au bois ! Je rigolai quand elle me donna un léger coup de poing sur l’épaule et qu’au final, c’est elle qui eut mal. « Ne te frotte pas à l’homme de fer ! » Plaisantais-je avant de me retourner vers tout le bois entassé derrière nous. « Alors j’en étais à l’étape d’assembler et de poser les clôtures, alors ça tombe bien que tu sois là, tu pourras délimiter comme tu le veux l’espace pour les chevaux. » Dis-je en lui tendant une paire de gants de travail pour qu’elle n’abîme pas ses mains et ses beaux ongles.

« Ce n’est rien, ce n’est que la vérité. » Répondis-je avec un sourire, passant mon bras autour d’elle pour la serrer contre moi. Phoebe était arrivée dans ma vie par la plus grande des surprises, par un moment où je n’aurais jamais pu penser rencontrer quelqu’un à qui je pourrais m’attacher aussi facilement avec mes blessures récentes. Pourtant, notre amitié (façon facile de qualifier ce qui était pourtant bien plus fort entre nous) avait évolué si rapidement, et maintenant je n’imaginais même plus ma vie sans elle. C’était fou, quand même, quand on y songeait. C’était la troisième fois qu’on se voyait, carrément, et j’étais prêt à affirmer de telles choses. J’étais prêt à tout pour elle, pour la rendre heureuse, pour la faire sourire. Que ce soit en lui bâtissant un ranch ou en la réconfortant quant à son père. « Dis-toi que si lui n’est pas là pour toi, t’as un tas de personnes qui elles, seront toujours à tes côtés, pour t’épauler. Moi y compris. » Moi le premier, même. Phoebe continua finalement de me raconter les péripéties de sa semaine, me parlant de sa rupture avec Hayden. Je voulus d’abord m’assurer qu’elle allait bien, qu’elle se sentait bien par rapport à sa décision et comment ça s’était passé. C’était le cas, je le voyais dans ses yeux. « C’est sûr, c’est difficile pour tout le monde … Mais il s’en remettra. » Lui assurais-je, réalisant alors qu’une semaine auparavant, je n’aurais moi-même pas cru à mes paroles. Je me disais que mon cœur ne se remettrait jamais de ma rupture avec Ally, et pourtant, j’allais de mieux en mieux. Le temps faisait toujours son boulot, c’était inévitable. Même si je n’oubliais pas, même si je n’oublierais jamais, je respirais de nouveau. Ce nouveau regain d’énergie me permettait d’ailleurs de mettre tous mes efforts dans la construction du ranch de Phoebe, et aujourd’hui, elle m’y aiderait. « Je trouve ça tellement génial pour toi ! Et je suis bien content de contribuer à la réalisation de ton rêve. » Je lui souris. « Et j’espère que ça me donnera des rabais sur les randonnées équestres ? Après tout, faudra bien que j’apprenne un jour à en monter un sans qu’il me jette par terre au bout de cinq minutes ! » Petit clin d’œil à notre rencontre plus qu’inattendue.

Je savais que Phoebe était là pour moi aussi, elle n’avait pas besoin de me le dire, plus maintenant. Notre relation était encore tellement récente et pourtant nous savions pertinemment que nous pouvions compter l’un sur l’autre dans les bons comme les mauvais moments. Sans doute que le hasard faisait bien les choses, sans doute qu’il y avait une raison pour que Phoebe se soit trouvée au même endroit que moi durant cette journée d’équitation. Nous parlâmes finalement de son séjour au Texas ainsi que de sa rupture avec Hayden. Je n’ajoutai rien, puisque ça ne servait à rien de remuer le couteau dans la plaie. Elle avait fait ce qu’il fallait et maintenant, il fallait laisser l’eau couler sous les ponts. Le ranch était ce sur quoi nous devions nous concentrer, puisqu’il représentait le futur, un grand pas vers l’avant pour Phoebe. « Avec plaisir, alors ! J’te prends au mot, hein, attends-toi à me voir débarquer dès que t’ouvriras les portes de ton ranch. » Je souris. Je n’avais pas particulièrement aimé mon expérience de randonnée à cheval, mais je savais qu’en compagnie de Phoebe et avec son aide surtout, j’allais sans doute pouvoir en retirer quelque chose d’un peu plus positif. Et puis, émotionnellement, j’étais bien mieux qu’avant. Alors que je m’apprêtais à remettre la main à la pâte, ou plutôt au bois des clôtures, je remarquai que le regard de Phoebe s’était assombri tout d’un coup. Je fronçai les sourcils en faisant un signe de tête vers elle. « Hey, t’es où, dans ta tête, là ? » Elle semblait carrément perdue dans ses pensées, et je me demandais bien dans quel endroit si triste celles-ci l’avaient conduite.

Alors que Phoebe était auparavant toute enjouée et excitée par la construction et l’éventuelle ouverture de son ranch, elle devint tout d’un coup bien plus fermée, le regard assombrit par des nuages qui ne planaient qu’au-dessus de ses pensées. Je ne tardai pas à m’en inquiéter, et comme je n’étais pas du genre à ignorer le chagrin des autres, je demandai à Phoebe à quoi elle songeait avec cet air aussi consterné. Elle m’expliqua cette soirée au Texas, durant laquelle Théia et elle avaient pas mal consommé d’alcool, de ce que je compris, et qu’elle avait couché avec un inconnu. Le nombre de fois où ça avait pu m’arriver, ça, à Melbourne, quand mon physique avait enfin rejoint les critères de beauté actuels et que les filles avaient commencé à me tourner autour. Avec cette nouvelle popularité que j’avais longtemps jalousée chez les autres, je m’étais moi-même un peu perdu aussi. Je comprenais donc comment Phoebe pouvait se sentir, même si ça ne m’avait jamais autant affligé qu’elle. J’avais profité, voilà tout. Il n’y avait rien de mal à avoir un peu de plaisir, tant que c’était fait avec le respect et le consentement des autres. « T’as pas à avoir honte de ça, Phoebs. Que ça te ressemble ou pas, d’faire ça, y’a pas de mal à avoir voulu t’amuser. Il t’a rien fait de mal, cet homme ? » Parce que si Phoebe avait été forcée, alors là, ça changeait évidemment l’histoire. Avant qu’on puisse aller plus loin dans la discussion, la jeune femme sembla prise d’une nausée et s’en alla loin, à l’écart. Je la voyais à peine, dissimulée derrière un tas de planches de bois, agenouillée. Je m’empressai de la rejoindre – qu’elle soit en train de vomir ou pas, elle avait besoin d’aide. « Hé, Phoebs … ça va ? C’est pas toute cette histoire qui te rend autant malade, j’espère ? » Parce qu’elle n’avait rien à se reprocher au point de se mettre dans un tel état. « Viens, on va aller te passer une serviette d’eau froide sur le visage. » Je l’aidai à se relever et je l’emmenai avec moi jusqu’au camion, où des bouteilles d’eau se trouvaient dans la glacière. « Bois ça. » Dis-je en lui en tendant une, gardant l’autre pour mouiller une serviette propre que je passai sur son front.