Maybe..I love you a little bit? (Conchobe)

Elle ne se souvenait même plus de sa soirée, ce qui me laissait croire que cet homme avait un peu trop profité d’elle, et ça me dégoûtait. Malheureusement, elle ne savait pas qui il était et même si c’était le cas, il était carrément de l’autre côté de l’océan. Si je ne pouvais pas la défendre, je pouvais au moins être là pour elle alors qu’elle en avait visiblement besoin. D’ailleurs, la jeune femme s’échappa bien vite pour aller régurgiter un peu plus loin, hors de ma vue. Sauf que je pouvais l’entendre, et j’arrivai aussi près d’elle pour le constater. « Depuis combien de temps ? » Demandais-je. Peut-être était-elle porteuse d’une maladie quelconque, un virus qu’elle aurait choppé pendant son voyage. Mais elle avait peut-être attrapé autre chose pendant ce voyage, et par attrapé, je voulais plutôt dire conçu. Je gardai cette hypothèse dans ma tête pour le moment, lui proposant d’aller vers mon pick-up de travail où je lui donnai de l’eau à boire, et aussi à mettre sur son front. « Phoebe … » Commençai-je, la regardant d’un air sérieux et m’asseyant à côté d’elle dans la boîte du camion. « Je suis pas médecin, pas un expert non plus en la matière mais … les symptômes que tu me listes, là … » J’hésitai un moment, lisant la peur dans son regard, avant de continuer : « Y’aurait pas une possibilité que tu sois enceinte ? » Nausées matinales, fringales étranges, deux clichés de la femme enceinte dans son premier trimestre.  

Phoebe avait la même hypothèse que moi, pour commencer. Un virus attrapé à l’aéroport ou carrément au Texas, parce que même s’il s’agissait de l’endroit d’où elle venait, peut-être que son corps n’était plus habitué à certains trucs dans l’air. Honnêtement, je n’étais ni médecin ni scientifique, alors ce n’était que des suppositions. Qui furent bien vite chassées par une idée un peu plus précise, un peu plus grave aussi – enfin, tout dépendant de comment Phoebe allait accepter la chose. C’est ainsi que, après qu’elle m’ait énuméré tous ses symptômes qui sonnaient évidemment l’alarme dans ma tête, je lui demandai s’il y avait une possibilité qu’elle soit enceinte. « Je sais pas, Phoebs, c’est pas impossible … » Avais-je dit alors qu’elle avait commencé une question sans la terminer. J’avais pu deviner le reste. Ensuite, sans prévenir, Phoebe se leva du coffre du camion et me lâcha rapidement qu’elle devait partir avant de commencer à marcher vers sa propre voiture. « Phoebe, pars pas dans cet état ! » Lui criais-je en me levant moi aussi du coffre du camion et tentant de la rattraper. Sa voiture démarra en trombe quelques secondes à peine après qu’elle eut monté derrière le volant. « Phoebe ! » Criais-je de nouveau, mais dans un nuage de sable en raison de l’état de la petite route sinueuse qui menait jusqu’à son ranch, elle s’éloigna. Je soupirai et attrapai directement mon téléphone portable, lui envoyant un sms pour lui dire que si elle avait besoin de moi, je serais là. Peu importe le dénouement de cette histoire, je n’étais qu’à un coup de fil d’elle. Comme de fait, une trentaine de minutes plus tard, je reçus un message de sa part me demandant si elle pouvait passer chez moi ce soir, ce que j’acceptai évidemment. D’ailleurs, n’ayant plus trop la tête à bosser sur la construction aujourd’hui, je laissai les dernières instructions aux autres qui terminaient de toute façon eux aussi bientôt, et je rentrai chez moi, ne pouvant chasser Phoebe de ma tête. Je m’inquiétais pour elle, inévitablement.  

Je rentrai le camion de construction dans la rue, puisqu’il était trop gros pour l’espace de stationnement que je partageais avec les autres membres de la colocation, et je rentrai dans l’appartement sans plus tarder. Je saluai Perry qui se trouvait là avec ses deux filles, et je lui confiai que Phoebe passerait ce soir. Il me dit que de toute façon, il avait promis à Penny d’aller au parc, alors il emmènerait également Siobhan en poussette pour se promener. Il ne reviendrait que dans une heure. J’hochai la tête et le saluai, allant me doucher et me changer bien rapidement après cette journée à travailler physiquement. À peine avais-je enfilé un t-shirt qu’elle cognait à la porte – du moins je me doutais bien qu’il s’agissait d’elle. J’allai lui ouvrir et souris en la voyant brandir une bouteille de vin devant moi en s’excusant. « T’en fais pas. Mais faudra vraiment que t’apprennes à arrêter de t’en aller sans prévenir. » Ce n’était pas la première fois qu’elle me faisait le coup, et bien franchement elle me laissait toujours un peu désemparé à chaque fois. Au moins, elle réalisait qu’il s’agissait d’un point à améliorer, et elle tentait tant bien que mal de le faire. « La première étape c’est de s’en rendre compte … tu peux déjà cocher ça ! » Dis-je avec un rire, pour essayer de détendre l’atmosphère. Je ne lui en voulais pas, évidemment, il s’agissait d’un mécanisme de défense ou de protection pour elle, quelque chose du genre. Mais ce serait tellement plus facile de gérer ses émotions avec un peu d’aide. La mienne, par exemple. On passa au salon et je m’assis à côté de Phoebe, tout près d’elle, près à la recevoir dans mes bras si elle craquait. « Ça me touche, Phoebe. Mais tu sais, c’est que t’as une place bien importante dans ma vie, alors … évidemment que je serai toujours là pour toi. » Je lui souris, et plongeai mon regard dans le sien. Les yeux de Phoebe descendirent vers mes lèvres, et inconsciemment, je l’imitai. Nos visages se rapprochèrent et, alors que nous n’étions plus qu’à quelques centimètres, elle recula bien vite. Ses yeux étaient mouillés de larmes, et je me sentis bien con. « Je suis désolé, je suis vraiment désolé, j’ai été pris dans le moment. » Elle devait avoir tellement de choses en tête, et moi je venais semer la confusion encore plus avec mes pensées débiles.  

Perdu dans mes pensées, dans mes pulsions, ou plutôt mes impulsions, je m’étais approché de Phoebe avec une telle légèreté qu’on aurait pu la confondre à de l’insouciance. Je m’abandonnais seulement à un sentiment que je partageais avec elle depuis notre rencontre, cette sorte de proximité, cette attirance, dont nous ne parlions qu’à demi-mot, que nous laissions de côté pour le bien de cette amitié qui s’était installée. C’aurait pu être sur le point de complètement changer, mais Phoebe se recula, mettant un terme à cet égarement dont nous avions tous les deux été victimes. Elle me regarda, les larmes aux yeux, certaines s’échappant même pour rouler sur ses joues alors que je tentais tant bien que mal de me faire pardonner mon écart, ma faiblesse. J’avais l’impression d’avoir essayé de profiter d’elle, de sa vulnérabilité, et je me trouvais maintenant bien abruti. D’autant plus que Phoebe m’avoua alors son amour pour moi, son réel amour, celui que je n’arrivais pas à lui rendre de la bonne manière, du moins pas de celle qu’elle désirait, qu’elle attendait. Ébahi par une telle déclaration que je n’avais pas du tout prévue ce soir, je mis du temps à réagir alors que Phoebe s’était levée pour se diriger vers la porte. « Non, pars pas, Phoebe, je t’en prie reste ici. » La suppliais-je en m’avançant jusqu’à elle, chagrin dans la voix. « J’aimerais te dire toutes ces belles choses, moi aussi, j’aimerais t’aimer comme il se doit, t’aimer comme tu m’aimes et comme tu mérites de l’être. Mais c’est le bordel dans ma tête et crois-moi, c’est toi qui t’es échappée d’une belle bêtise, là … » Avouais-je en secouant doucement la tête et baissant les yeux jusqu’à mes pieds. « J’arrive pas gérer ce que je ressens, ces temps-ci, je suis messed up, fucked up, et tu mérites pas d’être mêlée à ça. » J’attrapai alors sa main, revenant enfin au plus important : « Peu importe si le père de cet enfant est à des kilomètres d’ici, si tu décides de le garder, je serai là pour toi, et pour lui. » Déclarais-je, ne réalisant peut-être pas l’ampleur de mes paroles, pas encore, mais une chose était certaine : je ne laisserais pas tomber Phoebe.  

Nous étions maintenant tous les deux debout, dans le couloir menant à la porte d’entrée, moi essayant de retenir Phoebe, elle essayant de rompre tout souvenir pouvant être lié à ce qui venait de se passer. J’avais encore un goût amer en repensant à la gaffe qu’elle nous avait empêché tous les deux de faire. J’étais con, tellement con, perdu au point de jouer avec les sentiments des personnes les plus proches pour moi, pour qui j’avais des sentiments si forts que je les confondais tous ensemble. Il fallait que je me reprenne en main, pas seulement pour moi mais aussi pour toutes mes amies que je ferais souffrir autrement. Phoebe en était le meilleur exemple : je savais tout l’amour qu’elle me portait et pourtant, voilà que j’aurais pu profiter de sa vulnérabilité, de son état, sans même songer aux conséquences. Je me détestais, et la voilà qui se montrait si gentille et compréhensive. Comme toujours. « Je ne veux pas que ça change quoi que ce soit non plus, Phoebs. Je t’aime beaucoup trop pour ça. » Ce n’était peut-être pas le même amour qu’elle me portait, non, mais c’était un amour tout aussi vrai, tout aussi pur. D’ailleurs, c’est cet amour qui me poussa à lui dire que peu importe ce qu’elle décidait pour sa grossesse, je serais là pour elle. Elle ne serait pas seule. Elle et l’enfant, ne seraient pas laissés à eux-mêmes. Elle éclata en sanglots suite à mes paroles, et je la pris dans mes bras alors qu’elle me demanda quelques temps de distance pour qu’elle se mette les idées au clair. J’hochai la tête en m’éloignant d’elle, lui redonnant sa liberté, défaisant notre étreinte. « Je comprends. Tu me passeras un coup de fil, hein ? Quand tu seras prête ? » Lui demandais-je d’un ton presque suppliant. Je ne voulais surtout pas la perdre, surtout pas qu’on tombe dans l’oubli. Phoebe hocha la tête, s’avança vers moi pour me donner un baiser sur la joue, et quitta mon appartement. Cette femme avait cette habitude maintenant d’entrer et de sortir de ma vie comme une tornade, à chaque fois. Par chance, elle revenait toujours.  

FIN