Collin ¤ Funny game

Wearing | « Arrête de te regarder dans le miroir, je t'avais dit que t'étais beau ! » Commentaire de Stella qui trouve bizarre que je reste devant un miroir plus que les deux minutes habituelles, grand max. « La ferme. » Adossée à la porte de la salle de bains, elle hausse les épaules, essayant toujours de deviner où je vais. Ou de confirmer son hypothèse plutôt. Mais elle ne pose plus de questions. Elle sait qu'à une heure pareille, je ne bosse pas et que Andy, mon meilleur pote est occupé. Du coup, elle pouffe juste de rire après m'avoir examiné du regard et file. « Achète-lui un bouquet de fleurs au moins ! Les filles aiment ça. » Depuis quand je suis devenu si prévisible... ? Je fais la sourde oreille puis soupire en m'ébouriffant les cheveux et sortant de la maison.

C'est du grand n'importe quoi. Je ne suis pas obéissant, ni même gentil ou du genre à éviter de vexer les autres. Pourquoi alors me sens-je obligé de me rendre à ce fichu dîner ? Son invitation était clairement formulée sous forme d'un ordre, et j'aurais adoré envoyer chier n'importe qui d'autre pour m'en venger, mais elle... c'est pas n'importe qui. C'est la prof de ma sœur.

Bref, me voilà devant sa porte à 19h40, histoire de faire semblant d'avoir une vie en dehors du travail. Même le ciel grognant et la pluie n'affaiblissent pas ma motivation venue de nulle part. Oh ça crains, je vous le dis. Je devrais pas être là, il y a un match important ce soir et... « Hey. » Elle ouvre trop vite, et son salut est prononcé avec bien plus d'entrain. « C'est l'idée de Stella. » dis-je en lui passant le petit bouquet de fleurs que je viens d'acheter, tout mouillé. Je vous rassure, d'habitude je suis bien plus difficile à convaincre aussi. Puis c'était ça ou du champagne, et un Collin seul avec une femme attirante + l'alcool... mauvais mix. « C'est rien, je suis habitué à travailler dans ces conditions. » J'entre timidement, mon regard embrassant les lieux. C'est simple, rangé, décoré avec goût. Facile de s'y sentir à l'aise. Peut-être que c'est déjà mon cas d'ailleurs.

Je me sens un peu awkward, n'empêche, n'étant pas doué pour faire la conversation. « Alors, quel plat sophistiqué as-tu préparé ? Homard ? Canard ? Ou la spécialité australienne, kangourou ?  » ARGH. Pathétique comme blague. Mais en même temps, on ne peut pas vraiment dire que je suis dans mon assiette.

A mes yeux, les fleurs flottent limite dans le bouquet, pas besoin de les mettre dans l'eau. Mais elle les trouve jolies. C'est gentil. Je réponds par un léger hochement de la tête : Stella l'entremetteuse a effectivement de bonnes manières, ou stratégies ? Je regarde Opale disparaître dans la cuisine, enfournant une poignée de chips déposés sur la table basse dans la bouche. Comme ça, je ne ferais plus de blagues Carambar. Mais je manque de m'étouffer avec, toussotant légèrement à l'entente du mot "végétarienne". « Ah... oups. » cette information rend ma plaisanterie deux fois plus nulle, voire vexante. Mais bon, ce n'est pas comme si j'étais plus agréable en temps normal. Pas grave.

Elle a soudainement l'air nerveuse, et je suis sur le point d'être contaminé, heureusement qu'elle se lance dans des explications pas nécessaires. Mon Dieu, elle allait me forcer à manger du tofu... « Crois-moi, t'as pas à t'excuser. » je dis dans un sourire. Entre la pizza végétarienne sous mes yeux là, et la substance étrange qui ne réussira jamais à remplacer la viande, le choix est vite fait. Puis végétarienne ou pas, une pizza est une pizza. Un de mes plats préférés. Et additionnée aux fruits de mer et de la bière... parfait.
« On dit pas non à une bière. Et t'as pas à t'en faire, ça peut pas être pire que les expérimentations de Stella. » Mes yeux tombent sur une petite boule de poils venant renifler le bas de mon pantalon, et je m'incline légèrement pour la caresser. « Je me demandais bien si t'avais un coloc... argh, merde. » je retire sèchement ma main, une jolie trace de griffures dessus. Il m'a pas manqué, le colocataire agressif.

Je prends la bière et trinque avec elle avant d'y tremper mes lèvres. « A une... bonne soirée ? » Elle a tout pour l'être. « D'ailleurs, c'est quand que tu comptes avouer d'avoir craqué pour le flic charmant que je suis ? » moi, direct ? Trop. Pour quelle autre raison elle m'aurait invité sinon ? Je suis très sûr de ma théorie. Je lui plais, et je tiens à l'entendre le dire.

J'aurais employé un mot plus puissant que "nulle" pour qualifier les talents culinaires de ma chère sœur. Je veux dire, elle est même du genre à rater les pâtes, qui rate les pâtes, bon Dieu ? « C'est limite si on entend pas une musique thriller jouer au fond quand elle se met derrière les fourneaux... » je dis dans un faible sourire. « C'est pas du tout pareil. Toi tu sais décongeler un plat au moins. » Mais depuis le temps, elle a appris le numéro de téléphone du resto chinois du coin, notre sauveteur.

Pistache est un joli nom, mais perso, je l'aurais appelé Tornade ou un truc du genre. Elle me demande si j'ai besoin d'un pansement, et je réponds négativement par la tête. « C'est rien. » J'aurais bien réclamé le bisou magique, mais assez de blagues à deux balles pour une soirée. Au lieu de ça, je me décide à être courageux comme elle vient de le souligner, posant la question qui me martèle les tempes depuis hier soir. Et contre toute attente... elle ne le nie pas, je lui plait. Ha. HAAA. Je m'en réjouis plus que de raison, un grand sourire venant illuminer mon visage.

Je suis moins content quand elle me qualifie de taré, mais le message est explicite et, ouah, assez direct. Sexy hein. Je déglutis, papillonnant des paupières à deux reprises. « Oh bah, tu manques pas d'assurance non plus... mais je suis vexé, comment ça sympa ? » je souris encore, à moitié sérieux. Elle doit être la seule à le penser, et ne parlons même pas du fait de le dire à haute voix. Je m'approche d'un pas pour répondre à sa question. Suite à cette demi-victoire, je ne compte pas prendre mes jambes à mon cou. « J'ai rien d'un héros Disney qui ferait ce genre de choses, maiiis oui : j'ai craqué. » ça tombe bien, puisque c'est son cas également. Mine de rien, j'ai pas envie d'aller direct dans la chambre à coucher. On dirait même que j'apprécie la conversation.

Mon sourire s'efface un peu quand un vague sentiment de nostalgie et de déjà-vu me prend d'assaut. Je suis déjà passé par là une fois, avec Catherine, mon ex-fiancée. J'étais éperdument amoureux, et on sait tous comment ça a fini... à cette pensée, je porte la bière à mes lèvres puis me détourne d'Opale, agacé par mes états d'âme soudains. « Alors, cette pizza ? » je dis en fixant le four, un faux sourire inhabituel sur le visage.

Je me serais sans doute déjà pris une poêle en pleine tronche si Stella était là, mais je crois qu'elle aurait aussi ri. Et bien que je ne le montre pas, ça me fait plaisir de voir que Opale ne donne pas suite à mes médisances. Stella a trouvé une amie fidèle, plus fidèle que son propre frère quand on y pense. Notre fan numéro 01 aurait, d'ailleurs, été très satisfaite du déroulement pour le moins inattendu de la soirée. A chaque fois qu'une jolie demoiselle m'intéresse, ça finit en aveux, puis dans un lit et le lendemain j'oublie son prénom, elle me traite de connard et adieu, à jamais. Il n'y a pas de raison pour que ça soit différent cette fois-ci. Enfin, une partie de moi ne souhaite pas perdre cette fille. Mes sœurs l'adorent et elle, visiblement, aussi. Eh bah mince, je me retrouve tel un mec n'osant pas avouer ses sentiments à sa BFF de peur de perdre leur amitié.

Catherine y est aussi pour quelque chose. Pourquoi ? Parce que je pense à elle autant que je suis désagréable avec les gens, c'est-à-dire tout le temps. Je secoue la tête pour chasser mes pensées quand elle reprend la parole. « Ah non non, t'es plus jolie quand tu souris. » Même pas faux. Je suis content qu'elle soit si honnête par rapport à ses sentiments, d'autant plus qu'elle dit que c'est le moment où l'on est censés se rendre dans sa chambre. Oh well. « C'est ça, il parait qu'il faut être un minimum patient aussi. » On pourrait déjà commencer par un baiser, et j'en meurs d'envie mais mes états d'âme de midinette font surface, et c'est tout sauf le moment propice.

Avec un sourire qui ne me va pas, je la suis et me mets à manger, l'air plus morose qu'il y a cinq minutes. « Non t'inquiète, c'est moi. C'est la fatigue. » Voilà que je me sens coupable. « Merci pour le repas, c'est vraiment délicieux. » Ma politesse est souvent annonciatrice d'une connerie, ou d'une mauvaise décision. Je mange en silence, ne comptant rien ajouter mais avant de vider mon assiette, j'ose demander, clairement curieux : « Je te plais, tu me plais... alors, d'après toi, qu'est-ce qu'on est censés faire ? » aucun sous-entendu pervers, je suis réellement intéressé par son point de vue. Bien que j'aie mon idée sur sa réponse. C'est la mienne qui m'est inconnue, en fait.

Tâche de ne pas foirer cette fois, tâche de ne pas foirer... mais difficile de ne pas foutre en l'air l'occasion en or qui se présente à moi, alors que... alors que j'ai l'impression d'avoir passé toute ma vie à ne faire que ça : compliquer les choses. En l'occurrence, je doute que quiconque soutiendra mon point de vue sur le tournant qu'a pris la soirée, mais je reste sceptique quant à l'évolution de notre relation. Sans me voir tout de suite marié, je n'ai jamais espéré ou désiré que ça aille loin. Elle réussit à accentuer mon sentiment de culpabilité quand elle dit que je travaille trop. C'est pas faux, mais la fatigue n'est pas à l'origine de ma réticence soudaine et injustifiée.

Je trouve malgré tout la force de sourire à sa plaisanterie, sans la quitter des yeux pendant qu'elle m'explique son avis sur la prochaine étape. Tiens, elle me met pas directement la corde au cou, elle est prête à laisser le temps faire son oeuvre, et ça sous-entend "relation sérieuse en perspective". Je perds tout self-control quand elle ajoute qu'à la fin de la soirée, je pourrais l'embrasser. Mes doutes s'envolent et sous l'effet d'une pulsion irréfléchie, je me lève en quatrième vitesse pour m'approcher d'elle, m'incliner légèrement et afin de prendre son visage entre les paumes de mes mains : « Pourquoi attendre la fin de la soirée ? » Je m'empare de ses lèvres avec envie, instantanément victime de palpitations étranges. Probablement ce qu'on appelle "avoir des papillons dans le ventre", puis je me détache et m'agenouille - en raison de flemme intense de reprendre ma place, mais aussi parce que je crois avoir commis une grosse connerie. Again. Je la regarde dans les yeux, des étincelles dans la tête, et... c'est de la nausée ? Ma tête tourne un peu, non mais... « En fait, moi, tout ce que je voulais, c'était finir dans la chambre à coucher. » Autant être honnête dès le get go, qu'elle ne me prenne pas pour l'homme responsable que je ne suis pas. Je plisse légèrement les yeux, m'attendant à une grande baffe.

Me faire traiter de connard par ma compagne juste avant qu'elle s'en aille... ouai, ça ressemble plus aux soirées, ou aux lendemains de soirées, habituels avec les filles. Il ne manque plus que le verre d'eau déversé sur la tronche. Voilà que tout retombe dans la normalité. C'est ce que j'avais espéré, non ? Pourquoi alors, me sens-je... triste ? Je manque de tomber lorsqu'elle me bouscule, mais me lève sur-le-champ, lui attrapant le bras pour la retenir. Quand nos regards se croisent alors à nouveau, je me rends compte que j'ai rien à dire et que c'était un pur réflexe. Autant pour moi, mon corps agit toujours bizarrement, ce n'est pas encore un retour total à la normalité. « Ça le fait si je dis que je suis désolé ? » Maladroit, je suis maladroit. En même temps, je ne dis pas tous les jours aux gens que je suis désolé, même quand c'est légitime. Je ne sais pas trop comment m'y prendre.

Je passe une main dans mes cheveux, jouant la carte de la vérité, toute la vérité. « Te sauter ? Je l'aurais pas dit comme ça, mais oui, j'en ai envie mais c'était pas le motif de ma visite. En fait, j'en sais pas grand-chose, je suis... juste venu. » à cause d'un sentiment d'obligation injustifié. « Ce que j'essaie de te dire, c'est que... c'est dénué de sentiments. Une histoire d'attirance, due au fait que t'es la fille la plus belle que j'ai jamais vue... » je lâche un "argh" en regardant ailleurs après avoir dit ça, m'en voulant tout de suite : « ... et ça me rend cheesy, gentil et j'en passe. Tout ce que je ne suis pas en temps normal. » Dans le fond, c'est exactement ce que j'essaie de fuir. « Je suis un connard infini, je sais, mais Stella et les autres, elles t'aiment vraiment, je voudrais pas gâcher ce que vous avez. » J'ai l'impression d'encore passer pour un mec égoïste en disant ça, mais Opale était aussi heureuse en leur compagnie, et je refuse de penser que c'est mon subconscient qui essaie de la garder dans mon périmètre de vie habituel. Même si je doute qu'elle me ré-adressera la parole un jour.

Je me rattrape ? Genre... c'était possible ? Pire encore, il semble qu'on ait trouvé un terrain d'entente. Woh, qu'est-ce qui se passe là ? J'ouvre grand les yeux, non mais elle est incroyable. Elle vient de me sourire en plus. Non non, ça n'est pas censé se passer comme ça. C'est le moment où elle devrait me foutre à la porte, et pourquoi diable sens-je un pincement au cœur quand elle dit qu'elle n'est pas amoureuse. J'écoute ses propos attentivement, incapable de répondre. Je pourrais régler le problème en acquiesçant, je pourrais... « Je crois que t'es passé à côté de quelque chose dans mes propos là... » Et sa question est le moment parfait pour détailler ma pensée. Je me trouve néanmoins hésitant, comme si j'étais conscient de recevoir une deuxième chance, que j'étais sur le point de la foutre en l'air, et qu'une troisième chance relèverait du miracle.

Je me racle la gorge, comme si j'allais commencer un speech qui changerait le sort de la nation. Pourquoi être heureux quand on peut s'en empêcher. Pourquoi garder une fille qui n'en demande pas trop dans sa vie quand on peut être seul. Ma logique est bizarre,
et pourtant j'agis en conséquence. « Bien que je sois très très tenté par la première proposition... » oui, ça, c'est plus fort que moi, « Je choisis l'option numéro trois : m'en aller. » Je m'approche d'elle, le visage aussi froid que pendant notre première rencontre bien que je sois désolé au fond. « Tu m'as mal compris. Je t'ai demandé de rester dans la vie de mes sœurs, parce qu'en ce qui concerne la mienne... » Je baisse la tête, marquant une petite pause et espérant que le message passe. « Ces histoires d'attirance, ça finit jamais bien. Jamais. » On croirait qu'il y ait encore tant à raconter, mais je n'y suis pas prêt. C'est pas mon truc de faire étalage de mes sentiments, surtout si je les pense inexistants. J'attrape ma veste et me dirige vers la porte. « Désolé. » J'aurais pas dû venir. J'aurais pas dû l'inviter chez nous. Je sais, je prends la mouche pour des raisons que j'ignore. Et je fuis je ne sais quoi, mais je suis convaincu que c'est la bonne décision à prendre.