Collin ¤ Non je n'ai pas peur.

Quand il avait signé pour devenir flic, personne ne l'avait prévenu que ça ferait partie de son job de déambuler dans une vaste forêt dans une zone apparemment morte, seul et dans le noir. Il ne peut presque pas voir sa main juste devant ses yeux, et il a faim. Tout ça parce qu'une blonde quelconque avait alarmé la police, jurant qu'elle avait été poursuivie par un pervers/serial killer/animal dangereux tout à l'heure, et qu'elle l'avait échappé belle. Vu qu'on n'a reçu qu'une plainte, on a envoyé Collin vérifier malgré ses efforts de la faire passer pour une folle. Résultat, le voilà au beau milieu de la végétation, à la recherche d'un danger imaginaire. Il était justement en train de pester contre tout le commissariat quand son supérieur demande de ses nouvelles via le talkie-walkie. Il approche ce dernier furieusement de ses lèvres : « Fausse alarme. Y a pas un putain de psychopathe dans cette satanée forêt, le seul con qui s'y balade, c'est moi. »

Malgré tout, ce n'est pas une raison suffisante pour lui donner le feu vert de rentrer, si bien qu'il poursuit sa balade, soudain intrigué par quelque chose qui bouge à quelques mètres de lui. Il éteint sa lampe torche pour ne pas attirer l'attention sur lui au cas où il s'agirait d'une bête sauvage, mais allez savoir pourquoi il se fais tout de même attaquer au moment où il réalise que c'est un être humain qu'il a en face, particulièrement hostile. Un visage familier en plus, le comble. Collin a le réflexe d'esquiver au dernier moment, s'évitant le pire mais récoltant un coup bien placé dans le ventre. « Putain de sa mère ! »

Elle aurait pu agir en petite amie digne de ce nom et l'embrasser en guise de bonjour, mais non. Il braque la lampe sur le visage de la jeune femme, agacé. « Je suis de service, on cherche un psycho dans cette forêt et apparemment je viens de le trouver.  » Il la fixe, le regard réprobateur, puis soupire et se masse le ventre. « Non non, ça va mais je dois y aller. » Vu sa tenue, il se doute qu'elle est venue faire du sport, bien qu'il aurait opté pour une période plus... ensoleillée.  « Traîne pas, d'accord ? Et préviens-moi quand tu rentres. » Il espère qu'elle l'écoute pour une fois, car bien que Bowen soit la ville la plus sûre dans le monde selon lui et qu'il ne croit pas à la rumeur, il préfère ne pas prendre de risque.

Pour garder un tant soit peu de dignité, je fais semblant de ne plus avoir mal. Mais en réalité, son coup était bien placé. Si un jour elle en a marre de la photographie, je sais vers quels postes elle pourrait se tourner. Agent de police, catcheuse... en tout cas, je ne compte pas m'éterniser ici vu que techniquement, je bosse là. Alors que je lui dis au revoir, prêt à poursuivre ma mission et trouver le psycho imaginaire, elle proteste. Je fronce les sourcils avant de venir masser ma nuque de ma main. Il y a quelque chose qui cloche : je sais que je suis loin de remporter le prix du Petit Ami de l'Année, mais pour ma défense, je la voyais trop m'envoyer sur les roses au cas où je lui aurais proposé de la raccompagner. Et j'aurais sûrement eu droit à un long discours féministe de qualité.

N'ayant pas autant de temps à perdre, je voulais m'épargner ça, mais les femmes ont toujours quelque chose à redire. « Euh, désolé ? De ce que j'ai vu, tu peux parfaitement te défendre, puis je crois pas qu'il y ait un psycho quelque part, ça m'étonnerait. » Son baiser est rapide et froid, elle semble avoir la tête ailleurs. J'allais rire de sa blague mais son rire nerveux la trahit. Je ne dis rien dans un premier temps, trop occupé à la scruter du regard, yeux mi-clos avant de sourire comme si je venais de faire une grande découverte. « C'est possible que la grande Opale Meyer a peur et qu'elle a besoin de son merveilleux petit ami pour la protéger ? » dis-je en m'approchant lentement de son visage, l'interrogeant du regard, super amusé.

Je crois finalement qu'elle est plus prête à se jeter dans les bras du grand méchant psychopathe égorgeur, plutôt que d'admettre qu'elle a peur. C'est ça ma Opale. Elle me fait sourire quand elle s'explique davantage, inutilement et me confirmant qu'elle a besoin de moi pour se sentir en sécurité. Ça ne lui ressemble pas mais au moins ça flatte mon ego pour une fois, j'ai l'impression d'être dans le rôle du mec qui protège sa bien-aimée et c'est loin de me déplaire.

Je me détache d'elle avant de glisser mon bras autour de sa taille pour la rapprocher de moi et reprendre la marche. Bah quoi, j'ai envie de profiter de la situation et un peu de contact physique ne ferait pas de mal. « Bien alors, pour ma propre sécurité, on reste ensemble... en avant ! » dis-je en prenant la direction de je ne sais quoi, après tout je suis à la recherche d'un criminel imaginaire et je ne sais pas trop où me rendre pour le trouver.

Au bout d'une vingtaine minutes de marche, je m'arrête, las. On est clairement les seuls êtres humains ici et je crois bien que mon travail est fait. Cette certitude acquise, je me tourne vers Opale, un sourire coquin sur le visage. « Je crois que mon boulot est fait, je te raccompagne. Mais je voudrais être payé d'avance pour mes services. » Sans la laisser deviner de quoi je parle, j'efface la distance entre nous en l'embrassant à pleine bouche. Pas ma faute, ça a quelque chose de terriblement excitant d'être seuls dans les bois. Peut-être qu'une situation de ce style-là, c'est mon fantasme aussi. La tête un peu embrumée, je n'entends que très vaguement un bruit bizarre dans les buissons, et n'y fais pas attention. Un lapin, sûrement. Ouai.

Même pas honte. Ces bois, qui ont inspiré moult films pornographiques me font à peu près le même effet. C'est terriblement excitant d'être ici, seuls, la nuit. Et le fait d'incarner, pour une fois, pleinement le rôle du puissant protecteur et elle de la jolie demoiselle en détresse ne fait qu'accentuer mon envie. D'autant plus que j'avais envie d'elle depuis le jour où l'on s'est rencontrés. J'ai vraiment du mal à me retenir là.

Mais bon, j'ai jamais été très chanceux. Au moment où des électrochocs commencent à parcourir tout mon corps sous l'effet du contact de ses mains sur mon torse, elle demande si j'ai entendu "ça". Honnêtement oui, mais je ne veux pas répondre affirmativement histoire de ne pas nous interrompre. Mais elle s'accroche davantage à moi, signe qu'elle a peur, et bien que je souhaite ignorer "ça" et poursuivre l'activité préférée de tous les hommes... je ne peux me résoudre à être aussi égoïste. Frustré, déçu, je soupire profondément et allume ma lampe de torche pour chercher la provenance du bruit. « T'inquiète, y a rien. C'est sûrement un lièvre. » Aussitôt dit, un bruit de pas plus lourds que ceux d'un lièvre se fait entendre plus loin. Oh bah... « Ou pas... attends ici, bouge pas. Je vais vérifier de quoi il s'agit. » je ne sais pas trop si la laisser seule est une bonne idée, mais lui permettre de suivre cet éventuel psychopathe ne serait pas sans danger non plus. En fait, il n'y a pas vraiment de bonne décision à prendre dans cette situation-là.

Non pas que ça me dérange que l'objet de mes fantasmes se colle ainsi à moi, mais je n'arrive pas à profiter du moment parce que d'un côté on est probablement menacés, et de l'autre, Opale est étrange ce soir. Je m'interdis de commenter sa réponse quand elle me dit qu'elle se comporte comme une femme parce qu'elle en est une, de peur de me manger une tarte en pleine figure car mes répliques n'ont habituellement rien de flatteur.

Je comptais tout de même la taquiner gentiment, mais elle reprend la parole et je réalise soudain que toute cette histoire est bien plus profonde et bien plus inquiétante qu'elle en a l'air. Agressée ? Je l'attrape illico par les épaules, m'efforçant de ne pas lui écraser les os sous le choc et la regarde dans les yeux. « Agressée ? Genre on t'a volé ton sac à main quand t'as pas fait attention ? » J'espère. Mais je sais qu'elle ne risque pas de répondre par l'affirmative. Je prends une voix plus douce, essayant de l'interroger comme on le fait avec les victimes au poste, c'est-à-dire en laissant mes émotions de côté. Mais ce n'est pas réussi, je sens ma tête tourner de colère. « Opale, qu'est-ce qu'il s'est passé ? »

Je comprends mieux la réaction des familles des victimes qu'on a souvent du mal à gérer. Dans un moment de choc extrême, de colère et de déni, on veut juste connaître l'identité du coupable et et le voir derrière les barreaux en train d'être maltraité par d'autres détenus. Si depuis tout ce temps j'étais toujours celui qui enregistrait les dépositions des victimes et qui essayait de les calmer, cette fois-ci je me trouve bien trop impliqué pour cacher mon désarroi.

Quelle horreur. Ces fêtes d'étudiants ne finissent jamais bien... il ne faut pas s'attendre à une soirée sans problème quand il y a de l'alcool et des mecs en manque... je le sais, j'y participais aussi avant que ma vie ne soit chamboulée par le départ de mon père. L'information n'a pas de mal à monter au cerveau, mais je suis on ne peut plus en colère, j'ai tellement de mal à formuler une phrase. J'essuie la larme qui dévale sa joue de ma main clairement troublante et poursuis : « Donc tu n'as pas porté plainte ? » Ce vieux pervers n'est pas en taule ? Je l'espère bien pour lui, car c'est le seul endroit qui le protégerait de moi.  « T'as des preuves de ton agressions ? Si c'est le cas, on pourrait peut-être encore faire quelque chose. » J'avais parlé très vite, et je me rends compte aussi rapidement que c'est mon côté flic et petit-ami en colère qui réagit, et non pas le jeune homme attentif dont elle a visiblement besoin là. « Ce que je voulais dire c'est... je suis désolé. Ce n'était pas ta faute. Tu n'as pas à t'en vouloir, y a malheureusement des détraqués comme ça. C'est juste que cette pourriture mérite de moisir en prison... » Je n'ose rien ajouter, et encore moins la toucher. Je sais comment les victimes de viol peuvent être, mais j'hésite à la traiter comme telle. Ce genre de choses peut détruire une femme, mais elle, on dirait que ça ne lui est jamais arrivé. Que dois-je dire ? Ou faire ? Je suis complètement perdu...