Bah quoi ? T'es pas content de me voir ?

Woody leva un sourcil à la remarque de Jake sur ses multiples facettes. « Attention, j’vais bientôt croire que t’es schizo. » En même temps, Woody était bien mal placé pour dire quoi que ce soit sur le fait d’avoir plusieurs visages. Il était sans doute le pire en la matière, lui qui donnait l’impression d’être à un bal masqué à longueur d’années. Et à minuit, quand tombent les masques, bien souvent le jeune homme se réfugiait quand même dans ce qu’il savait le mieux faire : mentir. De rares personnes seulement étaient au courant de la véritable personnalité qui le faisait vivre, et Jake était une arrivée trop récente dans sa vie pour qu’il ait pu connaître Woody comme il était réellement. Il se doutait peut-être, toutefois, que ces grandes paroles exagérées cachaient sans doute quelqu’un d’autre. À force de mettre autant de couches sur sa confiance en lui, on en venait à réaliser que c’était parce qu’à la base, il n’y avait rien du tout, et il fallait camoufler ces lacunes. « Ah bah si tu préfères Jacquot, va falloir que je revienne à Jacky-boy. Si je commence à faire des trucs pour te faire plaisir, on ne s’en sortira pas. » Releva-t-il. Pour lui, utiliser des surnoms c’était pour se moquer, la plupart du temps. Il ne se contenterait donc pas de celui qui faisait le moins grincer les dents de son ami. Jake lui posa alors une question sur ses habitudes quand une femme mariée le draguait. « Tu demandes ça comme si ça m’arrivait à toutes les semaines. » Fit-il remarquer avec un rire, avant de prendre une gorgée de son verre, puis d’hausser les épaules. « Mariée, on oublie ça, trop de problèmes. En couple, bah … J’continue à draguer aussi. Voir jusqu’où elle ira. Bien souvent elles font ça pour se tester elles-mêmes, t’sais. Pour voir si elles ont encore la cote auprès des hommes ou j’sais pas … Perte de temps. » Conclut le jeune homme avant qu’ils ne passent à un sujet un peu plus drôle, soit des histoires d’ivrognes. Woody éclata de rire aux explications de Jake. « Avec un peu de chance, ça ne se terminera pas avec de telles histoires aujourd’hui … » Quoique, pour ça, il faudrait qu’ils songent à s’arrêter bientôt.

Woody leva les yeux au ciel, il n’aimait pas se faire réprimander sur ses blagues, même quand celles-ci dépassaient les limites. Un vrai gamin qui disait tout haut n’importe quoi, sans trop se soucier des conséquences. « T’es beaucoup trop sérieux. » Bon, pas tout le temps hein, en fait même que Jake pouvait avoir un sacré sens de l’humour quand il le voulait, seulement lui connaissait les limites à respecter dans la société, contrairement à Woody qui utilisait de son droit à la liberté d’expression jusqu’au bout. Le jeune homme préféra en revenir à des blagues plus légères, comme ça ils ne risquaient pas de causer de malaises. Il ne tarda pas à adopter le surnom Jacquot, mais en apprenant que ça plaisait davantage à Jake que le précédent, il revint à son premier amour : Jacky-boy. « Hahaha ! Bien essayé Jacky-boy ! Mais tu ne t’en sortiras pas aussi facilement ! » Et puis, rien de bien méchant là-dedans. C’était un petit surnom affectueux comme un autre, parce que Jake prenait de plus en plus les traits d’un ami dans sa vie, et que ça lui valait bien ça. Ils parlèrent alors de femmes, et Jake eut la mauvaise idée de commencer à interroger Woody sur ce qu’il ferait dans telle ou telle situation : celle en question concernait une femme mariée, ou prise. « Ouais mais toi, visiblement, t’es un lover, un grand romantique dans l’sang. Bien sûr que jamais ça te traverserait l’esprit de faire ça. Sauf qu’il y en a qui sont là-dedans pour le thrill, tu vois, et une fois bien casé, ça devient lassant. » Était-il en train de se décrire lui-même ? Peut-être bien. Ça avait toujours été la principale – et seule – raison qu’il s’autorisait à donner afin d’expliquer qu’il n’ait jamais été dans une relation sérieuse, mis à part Sara – et voyez où ça les avait menés. Bien sûr, cette raison en cachait une autre, bien plus difficile à montrer aux autres, mais il restait que la première avait quand même un fond de vérité. Jake n’avait toutefois sans doute rien à craindre, parce que Callie semblait prête pour la longue route, elle aussi. C’était donc le temps de passer au prochain numéro, soit les histoires de cuite, et celle qu’ils s’apprêtaient peut-être bien à vivre. Jake avait beau dire qu’ils étaient pas aussi loin, ça n’en donnait pas l’impression quand il articulait. Woody éclata de rire. « So-le-nnelle-ment. » Reprit-il en imitant Jake, l’air d’avoir un léger retard intellectuel – en tout respect pour ces gens. « J’suis pas certain d’avoir confiance en toi vu comment t’aticules … articules. » Il n’était pas mieux, le grand gaillard.

Woody avait quand même déjà rencontré des hommes pas mal plus coincés que Jake, au courant de sa vie. Des hommes qui n’auraient jamais même osé venir s’interposer entre une femme et lui juste pour la blague, des hommes qui auraient refusé de s’enfiler plus que deux shooters et là encore, c’aurait relevé du miracle. Alors Jake n’était pas trop sérieux, mais il l’était certainement plus que Woody. Ce n’était pas un exploit bien difficile à accomplir, me direz-vous. Sans doute. Il apprendrait quand même à Jake à prendre un peu plus les choses à la légère, au fil du temps, et il commençait d’ailleurs dès maintenant cet apprentissage même si ce n’était pas officiellement dit. Il l’embêtait avec tout et n’importe quoi, pour l’instant il s’agissait de son tout nouveau surnom, qui avait tout pour déplaire. « T’es sérieux ? Je m’appelle WOODY et t’es incapable de trouver quoi que ce soit ? » Il éclata de rire. Très sincèrement, s’il y avait une chose de Woody qui lui attirait constamment des blagues, c’était bien son prénom. À la petite école et au lycée, il avait dû compenser avec ses autres attraits pour que les autres garçons cessent de l’appeler par des surnoms débiles, tous plus ou moins en lien avec des cowboys ou un oiseau ridicule. Quand Jake parla des façons de ne pas se lasser, même en couple, Woody tendit l’oreille pour bien entendre ce qu’il allait lui confier. Malheureusement, il s’arrêta avant de faire une énième gaffe. « Oooh, come on, me laisse pas en reste ici ! C’est quoi, vous vous attachez au lit ? Vous vous êtes achetés des jouets, des jeux ? » Demanda-t-il, sortant surtout les clichés qui étaient aussi les premiers trucs qui lui passèrent par la tête. Il était vrai qu’il existait maintenant une panoplie d’idées pour raviver la flamme ou des trucs comme ça, mais Woody préférait juste ne jamais lui laisser le temps de s’éteindre, au feu ardent qui faisait rage en lui. Les deux hommes continuèrent à boire et à parler, jusqu’à ce qu’ils soient de moins en moins capable de faire l’un comme l’autre. Boire commençait à lui donner le mal de cœur, et parler était tout d’un coup devenue une tâche plus difficile que prévue. Au moins, ça faisait bien marrer Jake, et puis lui n’était pas bien mieux avec ses prononciations. « C’est toi qui gueules comme un malade, aussi ! » Lui reprocha Woody en se penchant vers lui. « Non, faudrait pas, parce que clairement là, je suis tellement lourd d’alcool que je cale au fond de l’océan en trois secondes. » Et même s’il était normalement bon nageur, il n’y avait rien de normal dans son état actuel.

Woody secoua la tête de gauche à droite. « C’est toiiii qui es nul. T’es juste pas assez original. Faudra que tu le sois, t’sais, si tu veux continuer à épater Callie même après trente ans d’amouuur. » Comment ramener Callie dans une conversation qui n’avait pas du tout de lien avec elle ! Woody voulait juste constamment se moquer de son ami – même si, à un moment, ça lui ferait peut-être perdre l’un des seuls amis qu’il avait. Pour le moment, ça restait assez doux et amical, mais il faudrait qu’ils aient une bonne conversation pour poser les limites si jamais un jour le physiothérapeute semblait les dépasser. En tout cas, pour là, puisqu’ils avaient commencé à parler aussi bien continuer, alors ils parlèrent des nombreuses relations de Woody et de celle de Jake, qui affirmait qu’il était possible de ne pas se lasser. Évidemment, cela réveilla la curiosité de l’homme qui tenta de deviner de quels trucs il parlait. Il n’avait ressorti que les clichés, il ne restait plus qu’à Jake de le surprendre. Il n’en fit rien, préférant juste esquiver la question. « Tu m’diras même si oui ou non j’tiens un truc ? Aaaah, pfff. Tu pourrais au moins faire rêver un brother. » Il haussa les épaules en secouant la tête, et voilà qu’ils commencèrent à de disputer la place du grand gagnant pour celui qui faisait le plus de bruit. Au fond, autant l’un que l’autre se faisait remarquer. Un beau duo d’hurluberlus. « T’as une drôle de définition de sauver toi. » Fit remarquer Woody. Il s’apprêtait à recommander une tournée (parce que le fun ne faisait que commencer) quand Jake fit un signe de la main au loin. Woody se tourna et, après avoir regardé un tas de gens qu’il ne reconnaissait pas, il repéra Callie. « L’appel du vagin. » Jake se leva alors que sa copine s’approchait d’eux. Woody la salua à son arrivée, restant assis. Il savait que s’il tentait de lui faire la bise, ses lèvres allaient malencontreusement rencontrer celles de la jeune femme. Jake ne serait pas trop content. « À vous raaacooonter ouaaais ! » Dit Woody en faisant des guillemets avec ses doigts. « Allez, bonne fin de journée à tous les deux, soyez saaaages ! » Les deux tourtereaux s’éloignèrent, et Woody se retrouva seul. Encore. Cet après-midi avec Jake avait été fort agréable, au final, mais reste que maintenant il était un peu trop bourré et n’avait même pas de femme avec qui en profiter … Sale vie.

TERMINÉ.