you can't remember my face, but i can't forget your words (nash)

Accoudée au bar de la plage, Cleo écoute sans grande fascination les conversations des personnes autour d'elle. Quelques fois, elle se permet un sourire discret lorsqu'elle entend d'autres se plaindre, ou s'enthousiasmer sur un secret qu'ils partagent sans penser qu'une parfaite inconnue est en ce moment derrière eux, à moitié plongée dans leur conversation et les quelques bribes qu'elle arrive à en tirer. Elle qui n'est pourtant pas toujours très encline aux soirées de ce genre où elle pratiquement certaine qu'elle ne connaîtra personne, elle a pourtant décidé de se rendre à ce cocktail sur la plage qui ressemble plus à une bar en extérieur qu'à une soirée mondaine. De la musique résonne en fond, des couples d'une nuit se créent déjà, et les verres gratuits ne l'aident pas à ralentir le rythme de sa consommation qui a tendance à s'accélérer lorsqu'elle ne se sent pas à sa place. Vêtue d'une longue robe d'été qui tombe jusqu'à ses pieds, elle joue avec une de ses bretelles lorsqu'un homme qu'elle ne connait pas s'approche du bar sans la regarder. N'ayant rien de plus passionnant à faire, Cleo l'observe du coin de l'oeil alors que ses doigts abandonnent sa bretelle pour venir entourer son verre presque vide. Elle n'est pas très bavarde comme personne, mais en même temps elle commence à être lassée de se sentir si seule, dans son coin. « Je vous déconseille le vin rouge, je les suspecte d'avoir oublié les bouteilles au soleil toute l'après-midi. » C'est la première chose qu'elle a trouvé à dire, sa première tentative de sociabilisation. Alors qu'elle continue de faire tourner sa coupe remplie d'un fond de cocktail à la mangue, son regard croise pendant un court instant celui de l'homme à ses cotés. C'est déjà son deuxième verre mais, heureusement, elle ne sent pas encore assez loin que pour commencer à divaguer. L'alcool dans son sang est seulement là pour l'aider, pour lui faire oublier à quel point Cleo peut être maladroite lorsqu'elle se trouve en société. Avec ces deux verres, elle se sent plus confiante et prête à passer une meilleure soirée qui si elle était restée totalement sobre.

Ça devait être la première fois depuis mon arrivée à Bowen que je prenais le temps d’aller sur cette plage, histoire de longer le bord de l’océan qui avait un horizon sans fin. Beaucoup de choses avaient changé ici, mais pas les plages. En avançant, je m'étais surpris à retrouver ce bar dans lequel mes parents avaient l’habitude d’aller avec des amis quand j'étais gosse. Il était beaucoup plus grand que dans mes souvenirs et l’ambiance était complètement différente aussi. Après tout rien ne remplacerait jamais la chanson de Men at Work, Down Under. Cette chanson que tout australien se devait de connaître par cœur. Nostalgique, j'avais pris la direction du bar pour m'y installer. Je jetais un œil sur la carte des vins et entendais à côté de moi une voix féminine me rendre attentif à mon choix. Je reposais alors la carte et tournais légèrement la tête afin de croiser le regard de celle qui venait de m’accoster. Ne lui répondant rien dans un premier temps, je m'étais contenté de lui sourire avant de faire un signe de la main au barman «Il paraît que vous avez laissé vos bouteilles de vin traîner au soleil pendant des heures?» J’aimais mettre les gens dans l’embarras et sentant que ce qu'elle venait de dire était une excuse pour me parler, j’avais voulu m’amuser un peu. Seulement le regard du jeune homme était venu éviter le mien, incapable de prononcer un mot après l’autre, son visage virant au rouge écarlate. Cachant ma surprise face à sa réaction, je balayais l’air devant moi pour éviter de rendre le moment plus gênant pour le serveur. «Je vous embête, je prendrais un Orange Crush s’il vous plaît, avec un peu de Tequila dedans…» Et tandis qu’il acquiesçait, je reportais mon attention sur celle qui se tenait à côté de moi. Laissant quelques secondes s’écouler, je me laissais à faire une petite moue en lui adressant enfin la parole. «J’avoue que je suis un peu déçu, j’espérais que c’était une façon de m’accoster parce que je vous avais tapé dans l’œil.» Haussant les épaules avant d’ajuster la montre à mon poignet, le sourire qui s’était dissipé avait rapidement repris naissance sur mes lèvres, désignant du doigt le verre vide que l’inconnue tenait dans sa main. «J’ai le droit de vous offrir un verre malgré tout?» C’était l’occasion de connaître un peu du monde car depuis mon arrivée, j’avais principalement passé mon temps à retrouver des amis d’enfance et ce soir, il n’y en avait aucun… l’opportunité était plutôt belle et cette femme à mes côtés l’était tout autant, si ce n’est plus.

En ne l'entendant pas lui répondre et réalisant que peut-être Cleo s'était faite trop intrusive auprès d'un parfait inconnu, elle baisse les yeux vers son verre vide et le fait maladroitement tourner entre ses doigts. Cependant, ce qu'il adresse au barman lui tire un sourire amusé. Elle aimerait le cacher, montrer que cette reprise de ses propres paroles ne l'atteint pas le moins du monde, pourtant elle ne peut empêcher à ce rictus d'étirer ses lèvres. Elle n'a jamais été très douée pour camoufler ses émotions, encore moins face à un individu qu'elle ne connait pas. Elle l'écoute commander mais laisse son regard vagabonder sur les personnes derrière eux pour ne pas lui laisser penser qu'elle le surveille. Certains discutent, d'autres se trémoussent discrètement au rythme de la musique qui passe. Peut-être qu'avec quelques verres en plus, Cleo pourrait finir par se retrouver à leurs cotés sans montrer la moindre gêne. En entendant à nouveau parler l'homme qui se trouve toujours au bar, elle réalise que c'est cette fois à elle qu'il s'adresse. Il termine sa phrase et elle porte son attention sur lui, un nouveau sourire accroché aux lèvres et un sourcil haussé, amusée par ce qu'il vient de lui dire. « Ce n'était qu'un simple conseil, une manière de me montrer polie. » Elle doit bien avouer que l'homme qui lui fait face n'est pas désagréable à regarder, qu'il semble être doté d'un certain humour et que discuter avec lui ne serait sûrement pas pour déplaire à la jeune irlandaise. Sauf qu'évidemment, elle se garde bien de lui confier tout ça. Elle préfère jouer la carte de l'innocente plutôt que de la femme fatale, trop peu douée dans cette catégorie. « Pourquoi pas, » répond-elle ensuite après qu'il ne lui ait proposé de lui offrir un verre. Cleo glisse celui vide qu'elle a toujours en main vers le barman. « La même chose, mais cette fois sur le compte de Monsieur. » Elle lance un regard en direction de l'inconnu sans réussir à se défaire de son sourire. Cela fait un moment déjà qu'un homme ne lui a plus offert le moindre verre et pourtant, Cleo ne se sent pas nerveuse pour autant. Elle ne sait pas si le fait qu'il ne soit pas seuls tous les deux, ou la robe qu'elle porte et qui la rend plus confiante en elle qui lui fait cet effet. Certainement un mélange des deux. « Cleo, » dit-elle ensuite pour se présenter, attendant à ce qu'il fasse de même le temps que son verre arrive.

Ce sourire qu’elle arborait sur ses lèvres en me répondant qu’elle avait simplement cherché à être polie m’obligeait à m’égarer sur celles-ci. Peut-être parce que ça faisait longtemps que je n’avais pas été accosté par une inconnue et parce que ça faisait encore plus longtemps que je n’avais pas tenté d’approfondir une conversation. Ces derniers mois, je n’avais pas forcément eu la tête à vouloir m’amuser du moins pas avec des gens que je ne connaissais pas et c’était aussi pour cette raison que j’avais voulu revenir à Bowen, pour retrouver certaines choses et en oublier d’autres. Alors peut-être que ce soir cette inconnue allait pouvoir m’aider, peut-être que ce nouveau visage allait pouvoir me faire reprendre goût à certaines choses que j’avais mises de côté. Mon regard quittant ses lèvres, j’affichais un sourire plus prononcé sur les miennes, cherchant à me mettre à l’aise face à elle, à installer un contact entre nous, à lui montrer qu’elle avait peut-être trouver une personne avec qui passer un peu de temps ce soir. Du moins si elle était bien venue seule et ce n’était pas innocent de ma part si je lui avais proposé un verre, juste histoire d’être fixé. Sa réponse positive eut le don de me faire sourire et j’avais profité du fait qu’elle portait son attention sur le barman pour laisser mon regard glisser sur elle un peu plus longuement, observant le profil de son visage qui semblait complètement détendu. Encore plus lorsqu’elle se retourna vers lui en soulignant que la note de ce verre serait sur son addition. «Ainsi que ceux qui suivront.» complétais-je, un sourire amusé sur les lèvres, en laissant mon regard chercher le barman avant de venir se poser rapidement sur celui de… Cleo. «Nash.» Je retroussais les manches de ma chemise au niveau de mes coudes avant de saisir mon verre devant moi lorsque le barman déposa celui de la jeune femme sur le bar. Levant mon verre en sa direction, je la regardais dans les yeux en approchant mon verre de mes lèvres «A votre politesse qui a décidé de faire de moi un homme généreux ce soir!» Amusé j’avais fini par tremper mes lèvres dans mon verre pour en boire une longue gorgée, sentant un fort goût de Tequila prendre le dessus, me faisant légèrement grimacer, le verre à nouveau sur le comptoir, le dos de main plaqué contre mes lèvres au moment de tousser «J’avais bien demandé mon Orange Crush avec un peu de Tequila, non?» Je m’étais mis à rire tout seul, encore un peu surpris par la version revisitée de ma boisson. L’alcool et moi on s’appréciait mais c’est vrai qu’avec la fatigue, cet Orange Crush allait peut-être m’être fatal plus tard.

Les sourires, les regards, les sous-entendus, tant de petits jeux auxquels elle ne s'est plus adonnés depuis son adolescence. Et encore, même à cette époque, Cleo n'était pas particulièrement le genre d'ado amoureuse des soirées et histoires d'une fois, là où le physique compte plus que la personnalité. Et puis, elle s'est rapidement retrouvée fiancée. Au revoir séduction, toi et tous tes frissons qui parcouraient son corps au début de cette idylle rapidement devenue monotone. Un baiser au matin, un baiser au soir, seulement quelques mots sur la journée que chacun a passée. À cause des ces nombreuses années passées à ne plus sentir le regard insistant d'un homme sur elle, Cleo a fini par ne plus être familière à ce genre de situation qui lui a pendant longtemps manquée. À présent, elle n'est même plus capable de reconnaître leurs intentions, de savoir si ce n'est qu'une simple discussion polie ou un peu plus. Cependant, à moins qu'il ne soit sincèrement généreux, les mots que cet homme à ses cotés prononce ne laissent pas sous-entendre qu'il n'est là que par simple courtoisie. Cleo se contente de le regarder sans perdre son sourire, un sourcil haussé. « Quelle générosité, » dit-elle ensuite, exprimant ses pensées tout haut. Elle se présente et il fait de même. Nash, un prénom aussi court que le sien. En même temps que lui, elle lève son verre et plante son regard dans le sien comme le veut la tradition. « À votre compagnie qui m'empêche d'avoir l'air d'une malheureuse se saoulant après une rupture, » ne peut-elle s'empêcher de plaisanter. Elle en est heureusement bien loin, cela fait longtemps que ses tourments par rapport à son mariage raté se sont envolés. Son maquillage est resté intact, ses cheveux sont toujours parfaitement coiffés, et puis elle ne porte pas de pull trop grand pour elle comme lors de ses premiers jours à Bowen. Elle boit elle aussi une gorgée de son verre et s'empresse de l'avaler en voyant Nash grimacer, craignant de tout recracher à cause d'un rire impulsif. Elle en aurait été capable, elle l'a d'ailleurs certainement déjà fait. « Première fois que vous buvez une boisson de ce bar ? » le taquine-t-elle, sourire amusé aux lèvres. « Disons qu'ils n'ont pas la main morte sur la dose d'alcool des cocktails, mais on s'y fait vite. » Elle soupire ensuite. « Ça y est, maintenant je sonne vraiment comme une alcoolique. » Alors que ce n'est pas le cas, qu'elle ne boit d'ailleurs pratiquement jamais et que seulement quelques verres arrivent déjà à lui monter à la tête. Mais utiliser l'humour l'aide à être plus naturelle et surtout, à la faire sourire à nouveau.

J’aurais pu continuer de la regarder, laisser mon regard caresser le sien pendant qu’elle me souriait comme elle le faisait en commentant le fait que je prenais pour moi les futures consommations qu’elle commanderait. Mon sourire ne quittait pas mes lèvres, de toute manière je doutais fortement qu’il puisse s’effacer à un moment donné. Elle dégageait quelque chose de plaisant, que ce soit à chaque fois qu’elle dessinait ce sourire sur ses lèvres ou qu’elle me regardait. Même dans ses paroles il y avait quelque chose qui me permettait de paraître soudainement plus proche d’elle. Ce genre de sensations lorsque l’on tombait sur cette personne avec qui vous vous voyiez bien parler toute une soirée, à boire, à rigoler, à échanger des regards jusqu’à parfois vous attarder un peu plus sur ses lèvres que sur ses yeux. Alors je la regardais tout comme elle le faisait au moment de me répondre, réussissant à m’arracher un nouveau sourire que je n’arriverais décidément pas à masquer. mine de rien je m’étais demandé s’il n’y avait pas un peu de vrai dans ce qu’elle disait, j’avais hésité à lui le demander mais j’étais resté silencieux. Simplement parce qu’elle était bien trop présentable pour être l’une de ces femmes, elle avait un léger maquillage qui rendait presque impossible d’oublier son regard, un maquillage suffisant à souligner le dessin de ses lèvres. C’était peut-être ça qui m’avait fait oublier la tequila que j’avais dans ma boisson, un peu trop distrait par la présence à mes côtés, m’obligeait à avaler tant bien que mal ce que j’avais en bouche pendant que je voyais Cleo rire, les lèvres pincées pour ne pas tout recracher elle-même. «Non, pas du tout… Mais on dira que la dernière fois que j’ai bu ici, je ne devais pas avoir plus de dix ans» lui avais-je répondu en reposant le verre devant moi, passant ma langue sur mes lèvres alors que j’avais tourné mon visage vers le sien au moment où elle avait repris la parole. Des paroles, qui comme elle l’avait précisé, auraient pu la faire passer pour l’alcoolique du coin, me poussant à en rire avant de secouer la tête de gauche à droite. «Vous sonnez peut-être comme une alcoolique mais…» Et alors que je voulais continuer, trois jeunes femmes arrivèrent à côté de moi, vêtues de maillot de bain, une avait une bretelle qui se faisait la malle et laissait presque entrevoir sa poitrine. Elles avaient hurlé quelque chose au barman avant de s’affaler contre le bar. Elles étaient en sueur et rien qu’en sentant l’odeur de leur transpiration, il n’y avait pas de doute sur ce qu’elles avaient consommé jusqu’à maintenant. Je m’étais alors retourné vers Cleo, les désignant du pouce pour reprendre là où je m’étais arrêté «… mais vous êtes loin de ressembler à ça. Enfin pour l’instant, alors je devais peut-être songer à vous payer que des verres d’eau dorénavant» C’était à mon tour de la chercher un peu après qu’elle l’ait fait quelques secondes plus tôt. Et puis j’appréciais voir ses lèvres arborer ce sourire, après tout un homme aimait qu’une femme sourit et j’en faisais partie. «D’ailleurs, vous pouvez me tutoyer maintenant que vous connaissez mon prénom, plus de raison de me dire vous» C’est pas qu’avoir passé la trentaine m’avait foutu un coup mais le vous passait moins bien depuis que j’avais franchi ce fameux cap.

Pendant un bref instant, elle en vient à se demander si c'est ce que ressentent ces filles qui passent chacune de leurs soirées dans des bars. Le regard d'un homme sur elle, cette impression d'être belle, désirée, et ça malgré les bêtises qu'elle est capable de sortir. Car Cleo n'est pas une de ces filles. Elle ne sait pas manier les mots, n'est pas capable de battre des cils pour former un message en morse qui voudrait dire "impressionne-moi". Elle s'est toujours sous-estimée à cause de son vécu, n'a jamais cru qu'elle puisse être non pas la chandelle, mais la lumière. C'est une sensation agréable qui la réchauffe doucement, sensation à laquelle elle aimerait pouvoir s'accrocher ne serait-ce que pour cette soirée. À la réponse de Nash, un nouveau sourire vient étirer ses lèvres avant qu'elle ne hausse les épaules. « Je comprends mieux, et j'espère que vous n'étiez pas déjà branché cocktails à dix ans. » Cela doit donc faire longtemps qu'il est à Bowen, à moins qu'il ne soit parti pour ensuite y revenir plus tard. Une question en moins à poser parmi les habituelles interrogations qu'elle a l'habitude d'échanger avec les personnes qu'elle vient à peine de rencontrer. Elle le voit se passer la langue sur ses lèvres et ne peut empêcher à son regard de s'y attarder plusieurs secondes avant de se replonger dans le sien lorsqu'elle l'entend rire. Il n'a pas le temps de finir sa phrase, un groupe de filles ne tarde pas à faire son apparition à leurs cotés, leur transpiration puant l'alcool. Cleo ne peut s'empêcher de froncer légèrement les sourcils tout en les regardant. La remarque de Nash arrive cependant à détendre ses traits. « Même ivre, j'ai assez d'amour propre que pour ne pas me donner en spectacle comme ça, » dit-elle d'une voix plus basse, même si elle doute que les filles risquent de porter attention à ce qu'elle dit. Bien vite, un nouveau sourire vient étirer le coin de ses lèvres et son attention se reporte sur Nash. Il ne semble pas porter un grand intérêt pour ces gonzesses à moitié à poil, un bon point pour lui. « Va pour le tutoyement, » répond Cleo après un bref hochement de tête. « Mais dis-moi Nash, maintenant que nous sommes plus intimes. » Elle coupe sa phrase, comme si elle attendait de voir sa réaction quant-à son dernier mot. « Qu'est-ce qui pousse un homme à se promener seul sur la plage, près d'un bar où il n'y a pratiquement que des duos ? La nostalgie ? » ajoute Cleo en haussant un sourcil, curieuse.

Est-ce que c’était ce retour à Bowen qui me rendait aussi heureux ou était-ce le fait d’être en compagnie de cette femme dont j’ignorais encore le nom il y a de cela quelques secondes? Je n’en savais rien, mais cette nostalgie qui m’avait accompagné tout le long de cette promenade sur la plage m’avait quitté au moment où Cleo s’était adressée à moi. C’était un peu comme si cette nostalgie m’avait dit de l’oublier afin de m’attarder sur les gens qui m’entouraient et plus précisément, celle qui me souriait. J’aurais presque pu croire à un coup monté tellement tout se faisait simplement mais c’en était que plus agréable au final. C’était une sensation que j’avais laissée de côté depuis presque une année et qui revenait gentiment pour me rappeler qu’il y avait d’autres façons d’occuper son temps libre. Aux mots de Cleo, je m’étais d’ailleurs contenté de lui sourire avant de secouer négativement de la tête, ne préférant pas lui laisser penser que l’inverse aurait été possible. Cependant la remarque aurait pu être faite pour les nouvelles arrivantes vu l’odeur qu’elles avaient ramené avec elles. Je n’avais jamais compris comment les gens pouvaient se retrouver dans de tels états et c’était pour ça que je ne m’y étais pas attardé plus que ça, préférant davantage celle qui profitait du verre que je lui avais offert pour me faire comprendre qu’elle n’était pas l’une de ces filles, qu’elle ne le pouvait pas. «Vous avez fait la précision pour me rassurer ou pour que je continue à vous payer de l’alcool et non pas de l’eau?» dis-je en rigolant avant d’apporter mon verre à mes lèvres, m’apprêtant à en boire une gorgée jusqu’au moment où le dernier mot de la phrase qu’elle prononça m’arrêta dans mon geste. Mon regard s’était aussitôt porté sur elle, un sourcil arqué alors que je souriais amusé, restant silencieux pour attendre la suite. Une suite qui ne ne m’avait pas permis pas de savoir si elle avait cherché à me lancer un signe, m’obligeant à rester prudent dans un premier temps. «Si je veux jouer la carte de l’homme sincère, je te répondrai que c’est par nostalgie, par l’envie de retrouver ces souvenirs d’enfance quand j’étais assis sur les genoux de ma mère installée à ce bar» Des souvenirs que je chérissais plus que tout, parce que je ne voulais pas les oublier, ils faisaient partie de moi et j’avais le besoin de repenser à chaque moment passé à Bowen. Mais je n’avais pas envie que la nostalgie prenne place ce soir avec Cleo et que l’on s’attarde sur ça. «Mais comme je préfère jouer la carte de l’homme plus intime, je te répondrai qu’en te voyant seule à ce bar, j’avais envie d’être celui qui ferait partie de ton duo» Mon regard ne s’était pas détaché du sien, enfin sauf peut-être pour s’égarer sur ses lèvres sans grande discrétion, après tout… nous étions plus intimes désormais comme elle l’avait si bien dit. Alors autant en jouer pour s’amuser un peu et voir si j’étais en train de me planter complètement.

À la question qu'il lui pose, Cleo ne peut s'empêcher de rire. Elle se gardera bien de lui raconter ses soirées passées dans son pays, dans sa ville, là où elle se faisait plus facilement offrir des verres qu'ici. Là où elle était capable de boire jusqu'à en avoir des trous de mémoire, et où la table se transformait rapidement en piste de danse. Tant de beaux souvenirs qui la font sourire encore et aujourd'hui et qui datent de plusieurs années déjà. Ça lui semble si loin à présent mais, malgré la nostalgie, elle ne sait pas si elle serait capable de supporter une soirée de plus dans ce genre. Non pas qu'elle soit devenue trop âgée, plutôt parce que son corps risquerait de ne pas le supporter. « Je ne voudrais pas sonner clichée, mais les filles irlandaises sont plutôt douées pour gérer les effets de l'alcool. » Du moins, sans compter la gueule de bois du lendemain et l'envie de vomir dans la voiture sur le chemin du retour. Elle regarde Nash avec un air fier, même si de toute façon elle ne comptait pas sur lui pour lui payer toutes ses consommations. Bienvenue aux vingt-et-unième siècle, une ère où une femme gagne assez bien sa vie que pour ses payer ses verres au bar. Curieuse, elle ne peut s'empêcher de lui demander ce qu'il fait seul à ce bar. La question pourrait paraître absurde puisqu'elle est dans la même situation, qu'il pourrait se contenter d'un "la même chose que toi" qui empêcherait à Nash d'entrer dans les détails de sa vie. Et pourtant, elle remarque que ce mot qu'elle a choisi fait son effet. Elle le voit hausser un sourcil avant de s'exprimer sur ce coté nostalgique qui l'a tiré jusqu'ici pour ensuite changer sa version, réutilisant ce terme qu'elle a prononcé à peine quelques secondes plus tôt. À cette phrase si bien trouvée, elle ne peut s'empêcher de sourire alors qu'elle porte son verre jusqu'à ses lèvres pour en boire une gorgée avant de le reposer sur le bar, les humectant ensuite de sa langue pour en retirer le goût laissé par le cocktail. « Je crois que je n'avais encore jamais entendu une phrase d'accroche aussi bien ficelée, » dit-elle en essayant de contenir son sourire qui se veut flatté. Cleo ne serait pas étonnée d'apprendre qu'elle n'est pas la première à qui Nash dit ça et même si elle se fiche pour le moment de ce détail, elle n'a pas non plus envie d'avoir le même air que ces filles faciles qui gloussent au moindre compliment. « Je ne sais pas encore si je préfère la sincérité de l'homme au grand coeur, ou la talent de celui qui sait clairement comment attirer l'attention d'une femme. Probablement les deux, » conclut-elle avant de simplement hausser les épaules.