there's something inside me that pulls beneath the surface, consuming, confusing (freja)

Après une journée à se traîner sur sa canne, passant d’une salle d’auscultation à une autre, traversant difficilement les couloirs jusqu’à son bureau, Woody revenait toujours chez lui pour rapidement s’effondrer dans son fauteuil roulant qu’il essayait, le plus souvent, de n’utiliser qu’entre les quatre murs de sa maison. Il avait beau avoir construit, cinq ans plus tôt, une rampe d’accès dans l’éventualité où il perdrait l’usage de ses jambes, il n’avait pas pensé que ce serait aussi tôt. Il ne croyait pas qu’à trente-quatre ans, il rentrerait complètement drainé de toute énergie chez lui avant même que la barre du dix-sept heures soit passée. Il passait la plupart de ses soirées devant la télévision, incapable de se relever au point où il dormait parfois sur son canapé plutôt que de regagner sa chambre à l’étage. Son entourage lui répétait que serait sans doute venu le temps de déménager son lit au rez-de-chaussée, en transférant le bureau à la place de sa chambre. Sauf que cette étape-là, cette étape plus loin encore, Woody ne voulait pas y faire face. Chaque décision allant en ce sens-là ne faisait que confirmer qu’il avait perdu. Là, maintenant. Il avait perdu. Il préférait largement se foutre la tête dans le sable et fermer la porte à tous ceux qui le regardaient avec inquiétude et pitié. Au fil des années, plus son corps perdait en autonomie, Woody avait repoussé bien des gens de sa vie. Après tout, il ne sortait plus vraiment, attendait patiemment que ce soit Nevaeh qui vienne remplir son réfrigérateur, et se laissait mourir à petit feu, au fond. Sa perte d’indépendance était encore récente, et il n’avait pas encore trouvé les façons de palier à certaines limitations. Pour le moment, donc, la solution de Woody était de se laisser aller, de s’abandonner lui-même, en espérant que les autres l’oublient aussi. Jusqu’alors, ce n’était pas gagné, parce que sa famille et certains de ses amis, dont Freja, ne cessaient de venir le voir, de tenter de le sortir de chez lui un peu afin de retrouver une partie de l’ancien Woody. Qui aurait cru qu’un jour quelqu’un souhaite retrouver le Woody d’il y a cinq ans, hein, quand on repense à tout ce qu’il faisait. Et pourtant, le Woody actuel n’était pas mieux, pire encore, il maltraitait tout le monde, sans discriminer selon ses sentiments. Un vrai bougon. D’ailleurs, quand on toqua à la porte alors qu’il venait à peine de se transférer de son fauteuil roulant à son canapé, il soupira, et ne répondit pas. Avec un peu de chance, la personne partirait.

Passer chez Woody après une journée de travail épuisante était devenu un peu comme un rituel. Vous vous êtes promis avec Nevaeh de prendre soin de lui quoi qu'il arrive et aujourd'hui, tu ne déroges pas à cette règle. Même si ton meilleur ami est un sacré connard quand il veut, tu es barricadée. Il faut dire qu'à présent, ça fait des années que tu connais Woody et que tu supportes ses bons comme ses mauvais côtés. Ces derniers temps, sa situation physique s'est empirée et ses mauvais côtés ressortent bien plus que les bons. Néanmoins, cela ne t'empêche pas d'apprécier les moments que tu passes en compagnie de Woody même si tu dois souvent le remettre à sa place. Tu n'es pas du genre à te laisser marcher sur les pieds et encore moins avec le jeune homme parce que tu sais qu'il ne pense pas le quart de ce qu'il dit dans ses moments d'énervement et de détresse. Et puis, étant donné que vous avez des caractères assez semblables, tu peux lui répondre de la même façon que lui et c'est souvent suffisant pour mettre un terme à une potentielle "dispute". Bref, ce soir, tu décides d'aller rendre visite à ton meilleur ami comme tu le fais si souvent, du moins, aussi souvent que possible. Il faut dire qu'avec ton ascension professionnelle c'est plus compliqué de lui rendre visite quotidiennement mais ça ne t'empêche pas de passer dès que tu le peux. Et puis, tu préfères aller voir Woody plutôt que de passer une soirée seule devant ta télévision. Tu frappes donc à la porte, les mains chargées de nourriture chinoise. Après une première fois, tu n'obtiens aucune réponse. Une deuxième fois, pareil. Une troisième fois, encore pareil. Tu soupires même si tu n'es pas tellement étonnée qu'il refuse de la visite. « C'est moi chaton, j'ai amené le dîner. » Dis-tu comme pour appâter ton meilleur ami. Ca fait un moment que tu veux demander un double des clés à Woody mais tu n'es pas certaine que l'idée lui plaira, du coup, tu ne t'es pas encore décidée à poser la question. Mais en tout cas, ça aurait évité que tu sois bêtement enfermée à l'extérieur parce que ta sale tête de mule de meilleur ami refuse toute visite.

Ses espoirs seraient sans doute vains, ce soir encore, parce que même s’il gardait le silence le plus complet, même s’il avait mis en sourdine la télévision pour être bien certain que la maison passe pour vide, la porte d’entrée s’ouvrit. Woody ferma les yeux, une angoisse s’emparant de lui alors qu’il essayait de deviner qui pouvait être là. Peu importe, au fond, qui que ce soit la honte le gagnerait quand même. La honte d’être aussi faible, le dégoût de lui-même face à son manque de force. Il avait l’impression d’être un moins-que-rien, pire encore, Woody n’avait plus l’impression d’être un homme. C’était pourtant ce qui l’avait toujours si fortement caractérisé : sa masculinité. Il avait l’impression d’avoir été castré puisque maintenant, quand une femme le regardait, c’était de la tristesse et de la pitié qu’il voyait. Disparu, le désir. Disparue, la luxure. Il n’était plus qu’un pauvre homme incapable de prendre soin de lui-même. Qui voudrait de ça ? Au bout d’un moment, une fois la porte refermée, la voix de Freja s’éleva dans toute la maison, le prévenant de sa présence. Sans répondre, Woody augmenta de nouveau le son de la télévision. De toute façon, elle ne mettrait pas de temps à le trouver peu importe sa méthode d’évitement : il était à peu près toujours au même endroit, maintenant. Ce sont les pas derrière lui qui le forcèrent à tourner la tête, même s’il aurait très bien pu fixer l’écran devant lui sans bouger. Ça n’aurait pas été la première fois. « Alors maintenant tu n’appelles même plus pour prévenir que tu vas passer ? Ça prouve à quel point j’suis devenu pathétique, y’a même plus la possibilité que je sois pas là. » Lâcha-t-il en soupirant, fermant la télévision et laissant tomber la télécommande un peu plus loin, ne donnant qu’un léger élan pour la lancer sur l’autre coussin du fauteuil. « Fais comme chez toi, as usual. De toute façon, à ce rythme-là, bientôt ce ne sera plus chez qui que ce soit, ici. » Alors aussi bien que Freja s’approprie l’endroit. Woody était de mauvaise foi, ce soir, s’acharnant sur son propre sort qui au fond n’était pas si mal comparativement à d’autres cas. Même si c’était difficile, il pouvait encore marcher, du moins pendant de courts déplacements. Pourtant, il ne s’était jamais senti aussi inutile et faible. Et il détestait qu’on le voit comme ça, par-dessus tout.

Comme tu t'y attendais, tu tombes sur un Woody de mauvaise humeur, prêt à dire les pires méchancetés pour te faire fuir. Mais visiblement, il n'a pas encore retenu la leçon. Plus il se comportera de cette façon et plus ça te donnera envie de rester afin d'être présente pour lui. Parce que tu sais que cette façon de se conduire n'est qu'un mécanisme de défense, ni plus ni moins. Il fait ça parce qu'il n'aime pas se montrer vulnérable devant qui que ce soit et encore moins devant toi. Tu le sais parce que tu es exactement comme lui. Tu te rappelles encore, quelques années plus tôt, avoir réagi de la même façon alors que tu ressentais des sentiments amoureux pour lui. Des années plus tard, tu es toujours à ses côtés mais pour des raisons amicales tout simplement. Finalement, votre relation n'aura jamais abouti à quoi que ce soit et ce n'est pas plus mal comme ça. Parce que tu ne peux t'empêcher de penser que si vous aviez commencé une relation amoureuse, cela aurait bousillé votre amitié. Et aujourd'hui, tu ne serais certainement plus là pour soutenir ton meilleur ami. « Parce que si j'avais prévenu, t'aurais trouvé une excuse pour rester seul. » Réponds-tu en déposant le sachet contenant la nourriture sur la table basse. Connaissant la maison par coeur, tu te diriges vers la cuisine afin de prendre deux assiettes et des couverts pour entamer le dîner. « Tu veux une bière ? » Demandes-tu en omettant volontairement de répondre à ses plaintes. Pathétique. C'est ce que Woody pense de lui, visiblement. Et c'est tout ce qu'il n'est pas. Mais tu n'as pas envie de rentrer dans son jeu et de commencer à le plaindre parce que tu sais que ça ne lui plairait pas du tout. Tu n'es pas là pour ça après tout. Tu es là pour passer une bonne soirée en compagnie de ton meilleur ami, rien de plus. « Mais oui, pauvre petit Woody... » Réponds-tu en revenant dans le salon et en déposant un baiser sur le coin de ses lèvres, comme tu as l'habitude de le faire. « Il est vraiment à plaindre ce mec... Il reçoit une femme chez lui hyper sexy qui lui apporte de la super bonne bouffe mais quel malheureux ! » Tu ne peux t'empêcher de pouffer de rire en faisant face à l'ironie de la situation. Bien sûr, tu es loin de nier l'état dans lequel se trouve Woody. Il est certain que se retrouver en chaise roulante doit être difficile pour lui et ça l'est également pour toi de le voir dans cet état. Mais il est chanceux d'avoir des gens pour l'entourer. « Si tu veux qu'on se lamente sur ton sort toute la soirée, on peut le faire... » Dis-tu en haussant les épaules avant d'ajouter : « ... mais moi je te propose de passer une bonne soirée rien que tous les deux. C'est pas plus sympa ? » Tu relèves tes yeux marrons vers ton meilleur ami afin d'observer sa réaction tout en disposant les assiettes et les couverts sur la table basse du salon. Finalement, tu viens te poser à côté de Woody dans le canapé posant ta tête contre son épaule.

Elle avait raison sur toute la ligne. En plein dans le mille. Si Freja avait téléphoné, ou cherché à savoir par n’importe quel moyen s’il était chez lui, s’il était là pour la recevoir, Woody aurait trouvé n’importe quel prétexte pour s’en sortir. Pour qu’elle ne vienne pas. Rendez-vous chez son neuropsychologue, séance de physiothérapie, réunion avec d’autres gens atteints de la sclérose en plaques, repas de famille chez les géniteurs, peu importe, Woody aurait trouvé une raison pour s’éclipser de la vie de Freja, au moins pour ce soir. Elle ne le connaissait que trop bien. Après toutes ces années, ce n’était plus étonnant. « Exactement. And yet, t’as toujours pas compris le message. » Grogna-t-il en tassant quelques trucs qui traînaient sur le divan à côté de lui. Son amie avait déjà vu pire, comme état de la maison, puisque Nevaeh était venue faire le ménage récemment. Mais quand même, son état était déjà tellement déplorable, pas besoin qu’en plus son niveau de vie semble aussi bas. Pendant ce temps, Freja s’était reconduite par elle-même jusqu’à la cuisine, où elle sortit les couverts pour le repas emporté. Elle lui demanda s’il voulait une bière. Il soupira, discrètement. Aussi bien, oui, pour que cette soirée se passe un peu mieux. « S’il-te-plaît. » Répondit-il en se dégourdissant les jambes, même si au fond, ça n’arriverait jamais totalement maintenant. Il les allongea une après l’autre devant lui, les repliant sur lui-même, avant de les redéposer au sol alors que sa meilleure amie revenait avec leurs bières et leurs assiettes. Avant d’aller s’asseoir, elle déposa un baiser au coin de ses lèvres. Pendant que Freja se moquait de lui, de ses plaintes, alors qu’il avait une femme sexy chez lui qui en plus lui apportait de la nourriture, Woody tenta de décapsuler sa bière. Manque de force dans ses mains, le bouchon ne bougea pas. « J’t’ai rien demandé hein, c’est toi qui forces. » Il reposa sa bière sur la table basse, toujours fermée, faisant mine de ne pas en vouloir maintenant, tout simplement. En réalité, de tels mouvements quotidiens pour lui devenaient un vrai calvaire. On ne l’avait pas prévenu que ce serait aussi difficile. On ne lui avait pas dit qu’aussi jeune, il serait à ce point inutile, invalide. Freja se rapprocha de lui, le rejoignant sur le canapé, et tenta de rattraper un peu le dérapage incontrôlé de Woody. Elle le raisonna, proposant une soirée rien qu’eux deux, sans toute cette négativité. Il hocha la tête. « J’suis désolé. C’était pas ma journée. Je sais que tu fais de ton mieux avec moi, et que je suis pas facile à vivre … » Il soupira, et posa sa tête sur celle de sa meilleure amie quand elle la posa sur son épaule. « Merci de n’avoir jamais baissé les bras. »
 

Non, on peut le dire, depuis toutes ces années tu n'as pas compris le message. Il fut une époque où tu aurais dû fuir ton meilleur ami pour protéger ce qu'il restait de ton coeur mais tu t'en sentais incapable. Tu ne pouvais pas te résigner à le quitter pour toujours, pas en ayant vécu cette belle complicité qui vous liait. Et vous lie toujours. Aujourd'hui, tu ne regrettes aucunement d'avoir pris cette décision car avoir Woody dans ta vie fait partie des meubles. Malgré sa maladie, tu gardes espoir de vieillir à ses côtés, continuant à vous engueuler comme un vieux couple rouillé. « Faut croire que je suis coriace. » Dis-tu, un sourire amusé aux lèvres. Tu sais que même s'il dit le contraire, le jeune homme est content de t'avoir à ses côtés. Tu sais que cette complicité est partagée et ce, depuis toujours. Beaucoup de personnes auraient quitté le navire avant qu'il finisse complètement engloutit par la mer, mais pas toi. Parce qu'être ami, c'est ça après tout. Et tu sais que si la situation était inversée, Woody serait toujours à tes côtés lui aussi. Alors que tu prends le nécessaire pour manger dans la cuisine, tu en profites pour attraper deux bières que tu ramènes au salon également. Tu en tends une à ton meilleur ami juste avant de décapsuler la tienne. Voyant du coin de l'oeil qu'il ne parvient pas à ouvrir la sienne, tu l'attrapes d'une main et l'ouvres avant de la redéposer sur la table basse. Aucun commentaire, aucune pitié. Tu as juste pris l'habitude d'aider ton meilleur ami dans les plus petits détails possibles. Sans pour autant remettre en cause sa masculinité même si Woody a tendance à penser le contraire. « Ouais mais avec toi, le forcing est nécessaire. » Réponds-tu, simplement. Ce n'est pas un reproche mais une constatation, ni plus ni moins. Finalement, alors que tu t'installes aux côtés de ton meilleur ami, ta bière en main, il reconnaît qu'il est parfois difficile à vivre. Tu soupires, ne pouvant nier les faits. C'est vrai qu'en ce moment ce n'est pas la joie mais personne ne le serait dans sa situation. Tu serais sûrement aussi bougonne que lui si pas davantage encore. « Je me suis habituée à ton caractère de cochon avec les années. » Dis-tu, un sourire aux lèvres pour taquiner le jeune homme. « Mais je sais que si la situation était inversée, tu ferais la même chose pour moi. » Ajoutes-tu avant de porter la bouteille à tes lèvres. « On commence à manger ? J'ai pris un peu de tout. » Maintenant que tu gagnes bien ta vie, tu as tendance à exagérer lorsqu'il est question de faire plaisir à tes proches. Tu as toujours voulu faire plaisir aux personnes que tu aimes mais à l'époque, tu n'en avais pas vraiment les moyens. Aujourd'hui, tu peux te le permettre sans devoir y réfléchir. Ce qui fait que se trouvent devant vous des nouilles, du riz sauté, différents fruits de mer, du boeuf et du poulet. Tout ça accompagné de différentes sauces propres à la cuisine chinoise.

Pour être coriace, elle l'était. Freja s'était toujours accrochée à Woody même quand ce dernier agissait comme un vrai connard à son égard. Bien d'autres auraient pu dire qu'il l'utilisait, qu'il la menait en bateau, qu'il la faisait marcher, appelez-le comme vous le voulez. Woody avait toujours donné l'impression de jouer avec les sentiments de Freja, sentiments qui étaient connus du jeune homme. Ce que les gens ne voyaient pas de l'extérieur, c'était que Woody avait toujours aimé Freja, lui aussi, à sa manière. Il avait envers cette femme un amour inconditionnel, un lien fort qui le liait à elle et qui ne pourrait se rompre qu'à l'aide d'une force phénoménale. Il avait beau essayer de la repousser, au final, il n'était jamais autant soulagé que lorsqu'il la voyait revenir vers lui, à lui. Certes, avec le temps, leur relation avait évoluée. Si on pouvait croire qu'ils avaient pris de la distance parce qu'ils avaient cessé de coucher ensemble quand Freja s'était mise en couple et que Woody était devenu trop malade, ce n'était finalement pas le cas. Ils s'étaient rapprochés d'une autre manière, tout simplement. Une sorte d'entraide silencieuse, provenant d'un côté comme de l'autre. C'était toutefois l'aide de la jeune femme qui était la plus visible, la plus notable. Rien que là, elle venait de s'emparer de la bouteille de bière que Woody n'arrivait pas à décapsuler, pour la lui ouvrir sans dire un mot, la reposant sur la table basse là où elle était avant qu'il ne baisse les bras. Ses yeux se posèrent sur la bouteille mais il ne dit rien. Il n'avait rien besoin de dire ; Freja savait. Elle savait à quel point il lui était reconnaissant. Du moins, il espérait qu'elle le savait. « Tu veux qu'on parle du tien ? » Demanda Woody en lui jetant un regard alors qu'elle parlait de son caractère de cochon. Peut-être que s'ils s'entendaient aussi bien, au final, c'était parce que l'un comme l'autre ne pouvait se reprocher leur attitude. Ils pouvaient se montrer chiants, tous les deux. « Évidemment que je le ferais. » Affirma-t-il d'un ton sérieux. Évidemment qu'il prendrait soin d'elle, si elle se retrouvait dans une telle condition physique. Il la sortirait, lui ferait découvrir de nouveaux paysages alors qu'elle penserait ne plus pouvoir voyager, il la sortirait de la noirceur. Ou alors il essaierait. Parce que Freja ressemblant à Woody, on pouvait s'attendre à ce qu'elle le revire de bord, elle aussi. Heureusement, elle se portait bien, et la question ne se posait pas. Le jeune homme attrapa finalement sa bouteille de bière pour en boire quelques gorgées alors que sa meilleure amie proposait de manger. « J'vais m'empiffrer. Nevaeh me gronderait, si elle voyait ça. Tu devrais voir tous les plats faits maisons et santé qu'elle me prépare pour chaque semaine ... » Une alimentation saine et équilibrée était importante même nécessaire pour Woody, considérant son état. Mais une fois de temps en temps, il aimait bien délaisser les salades et les superaliments, pour une bonne bouffe réconfortante comme celle-là. Il se servit un peu de tout et, de peine et de misère, il allongea ses jambes sur la table basse devant eux, pour être bien confortable. « On regarde un film ? » Proposa-t-il. Et si autrement, regarder un film était synonyme de se faire l'amour sur le canapé avec une bande-sonore à l'arrière, maintenant, cette proposition n'avait plus aucun double-sens.
 

Oui, tu étais consciente de l'importance de ta présence auprès de Woody. Parce qu'à sa manière, il te le faisait sentir. Et aussi parce que tu savais par Nevaeh que lorsque tu venais le voir, il regagnait un peu plus d'énergie et de vie. En dehors de ça, Woody avait tendance à se laisser aller ou plutôt dépérir. Maintenant que la maladie le gagnait, il était devenu bien plus morose qu'auparavant et avait beaucoup moins d'entrain à l'idée de sortir de chez lui. Néanmoins, ça ne t'empêchait pas de l'obliger à sortir comme au bon vieux temps. Et même si vous ne pouviez plus goûter aux mêmes aventures qu'auparavant, vos sorties avaient toujours un goût des plus agréables. Tout simplement parce que par sa simple présence, Woody te rendait heureuse. Aujourd'hui, vous ne profitiez plus de votre relation de façon charnelle mais ça ne vous empêchait pas d'être toujours aussi proches. Voire même plus. Tu arques un sourcil lorsqu'il répond que toi aussi, tu as un caractère de cochon. Tu ne pourrais le nier évidemment. Mais tu ne l'avoueras pas non plus. A la place, tu préfères lui tirer la langue, comme tu l'as toujours fait, telle une gamine. La conversation devient plus sérieuse au moment où tu affirmes que si la situation était inversée, Woody serait là lui aussi. Tu n'en as jamais douté, d'ailleurs. Mais comme pour confirmer tes dires, le jeune homme répond qu'il le ferait. Sans aucune hésitation dans la voix. Malheureusement pour Woody, ou pas d'ailleurs, la situation est comme elle est. Tu ne réponds rien, préférant simplement sourire après de telles paroles. C'est beau d'avoir une relation si forte même après des années compliquées tous les deux. Parce que oui, vous avez eu des moments de doute et de dispute mais vous en êtes toujours ressortis plus forts. Finalement, une fois les plats disposés sur la table, tu demandes au jeune homme s'il est prêt à manger. Toi, tu es affamée. Tu ris lorsqu'il parle de Nevaeh. Tu l'imagines bien dans ce rôle, oui. Elle a toujours été l'ange et toi le démon. « Faut bien se faire plaisir de temps à autres. » Réponds-tu simplement en commençant à attaquer les différents plats de nourriture chinoise. Une fois la nourriture posée dans ton assiette, tu prends la même position que Woody et commences à manger. « Tout ça pour me plotter. » Dis-tu, taquine. « J'te laisse choisir pour une fois. » Ajoutes-tu en lançant un coup d'oeil à ton meilleur ami. Habituellement, tu aimes bien choisir le film mais pour une fois et pour faire plaisir au jeune australien, tu le laisses choisir.

Leur relation avait évoluée, au fil du temps, à Woody et Freja. Si auparavant ils passaient un bon pourcentage de leur temps libre au lit, cachés entre quatre murs pour bien profiter l’un de l’autre sans avoir à supporter le regard des autres sur leur amitié si particulière, aujourd’hui les deux adultes n’hésitaient pas à sortir en public – ou plutôt Freja n’hésitait pas à le forcer à sortir avec elle. Ils avaient délaissé les plaisirs charnels pour des divertissements gastronomiques, culturels ou naturels. Woody n’avait plus la force d’aller faire des randonnées s’étendant sur de nombreuses heures comme ils avaient pu le faire quelques années auparavant, mais ça ne les empêchait pas d’aller se balader au bord de l’eau ou dans les parcs, d’assister à des concerts et de visiter tous les nouveaux restaurants de la région. Dans ses bonnes journées, Woody marchait, Freja suivant son rythme. Quand il avait un peu plus de mal à se traîner, Freja marchait à côté de son fauteuil, l’obligeant parfois à se laisser pousser quand même ses bras se fatiguaient trop vite. Rares étaient les personnes qui pouvaient ainsi lui venir en aide, mais Freja avait su garder cette place de choix dans le cœur de Woody, parce qu’année après année elle avait su lui prouver qu’elle ne partirait pas, qu’elle ne l’abandonnerait pas. Woody avait toutefois encore du mal à accepter cette condition, cette situation, raison pour laquelle il se montrait grognon même avec sa famille ou sa meilleure amie. Ils comprenaient. Sans doute. Ce qui aidait, c’était que sa meilleure amie ne le prenait jamais en pitié, au contraire elle le confrontait par rapport à son attitude, se moquait de lui quand il osait se plaindre – parce qu’elle savait que ce n’était que pour se défendre, pas forcément parce qu’il cherchait réellement l’attention, le réconfort. « C’est ce que je me tue à lui dire, mais elle trouve que ce de temps à autres là revient un peu trop fréquemment. » Il sourit. « Faut bien que je compense pour le reste. » S’il ne pouvait plus trouver le plaisir dans sa course matinale au lever du soleil, dans ses promenades avec Edgar Allan Poe dont il avait dû se départir au fil du temps, dans ses compétitions sportives avec Théia qui était maintenant partie, dans ses voyages avec Freja, alors aussi bien s’offrir quelques bonheurs autrement. S’installant confortablement, et son amie le suivant dans la position, le jeune homme proposa à cette dernière de regarder un film. Il rit à sa réponse. « Faut bien que je profite du fait que tu sois célibataire à nouveau. » Déclara-t-il avant d’attraper la télécommande et de regarder quels films étaient offerts. Pour une fois que Freja le laissait choisir. À peine le générique d’ouverture de The Last Face débuté, Woody tourna la tête vers son amie. « Ça te manque ? La vie de couple ? » Demanda-t-il, la tête appuyée sur le dossier du divan.
 

S'il y a bien quelque chose que tu sais, après toutes ces années auprès de Woody, c'est que c'est un homme qui vaut la peine d'être connu. Toi, tu l'as su dès vos premiers regards, vos premiers échanges. Très vite, tu as compris qu'il était entré dans ta vie pour ne plus jamais en ressortir. En quelques semaines à peine, il a pris une place de taille dans ta vie. C'est le premier homme que tu as réellement aimé de façon démesurée et consciente. Tu l'as aimé de façon amicale mais également de façon amoureuse. Et même si ça n'a jamais abouti sur quelque chose de concret, vous avez partagé une belle relation plus qu'amicale. Vous ne pouviez pas la définir mais elle était unique et propre à vous deux. C'est une fierté que tu partages avec le jeune homme, à présent. Parfois, vous passez des soirées entières à vous remémorer vos meilleurs souvenirs, laissant les pires de côté pour ne garder que les bons. Il y a cinq ans, votre vie était bien différente et ce, à tous les niveaux. Tu es persuadée que Woody donnerait cher pour revenir à cette période. Toi, tu es plutôt bien là où tu es actuellement. Même si, bien sûr, il y a quelques détails que tu changerais. « Toute façon, t'es pas obligé de lui dire. On peut avoir nos secrets. » Réponds-tu en faisant un clin d'oeil à ton meilleur ami. Nombreux sont les secrets que vous partagez tous les deux et en ajouter un à la liste n'est pas vraiment un problème. Une fois posés sur le canapé, tu ne peux t'empêcher de taquiner Woody comme tu as l'habitude de le faire. Tu ris, toi aussi, à sa réponse. « T'en loupes pas une, petit cochon. » Il vous arrive souvent de faire encore quelques allusions au sexe sans pour autant passer à l'acte. Aujourd'hui, vous ne partagez plus de plaisirs charnels mais ça ne vous empêche pas d'en parler de temps en temps. C'est ça, être meilleurs amis, après tout. Enfin, c'est votre façon à vous de continuer à préserver votre amitié. Vous avez toujours fonctionné comme ça et ce n'est pas aujourd'hui que ça va changer. Une fois le film lancé, la question que Woody te pose te surprend. Tu n'as jamais vraiment pensé à ça et il te faut un peu de temps pour verbaliser tes sentiments. « Eden me manque. Mais je sais que c'était un mal pour un bien. Après, c'est dur de se retrouver seule dans une grande maison et être confrontée tous les jours à tous ces souvenirs qu'on a partagés. Mais j'y survivrai. » Réponds-tu en haussant les épaules. « Et toi, quand est-ce que tu laisseras une femme pénétrer dans ton coeur pour de bon ? » Demandes-tu en posant le regard sur ton meilleur ami. Pour le choix du film, tu ne connais pas mais le résumé était plutôt plaisant. A voir, maintenant, si les bons goûts cinématographiques de Woody se confirment ou non.

« On s’est jamais privé d’en avoir, des secrets. » Ajouta Woody, pour confirmer les propos de Freja. Ils pouvaient en avoir, oui, mieux encore : ils en avaient. Depuis plus de dix ans maintenant, ils vivaient une vie à part, ils s’autorisaient à rentrer dans ce monde qu’eux seuls habitaient, ils coupaient les ponts avec la réalité. Un peu pour se protéger. Un peu pour mieux profiter l’un de l’autre, aussi. Woody et Freja, chacun de leur côté, ils en avaient fait des ravages. Ils avaient toujours entretenu une réputation bien alimentée par leurs actions impulsives et séductrices, à Bowen. Freja était la version féminine de Woody, et vice-versa. Être ensemble, que tous les deux, n’avait donc pas toujours été une tâche facile. Il y avait constamment des regards rivés sur eux, des ragots les concernant, voulant parfois les briser, parfois leur faire ouvrir les yeux sur quelque chose dont ils avaient déjà pleinement conscience. Ça n’avait pas toujours été facile d’avoir ces secrets-là, d’avoir ces moments intimes et cachés que personne ne pourrait leur enlever, mais ils étaient toujours parvenus à les vivre en duo. Cinq années plus tard, ça n’avait pas trop changé, au fond, même si les secrets n’étaient probablement plus les mêmes. Les deux amis s’installèrent finalement plus confortablement, Freja faisant allusion aux idées que Woody avait sans doute derrière la tête en proposant de regarder un film. Il rigola lorsqu’elle lui répondit qu’il n’en loupait pas une. « Hé ! J’ai rien dit, c’est toi qui t’imagines des trucs, perverse. J’veux juste dire que du temps que t’étais avec Eden, j’avais pas trop le droit de t’coller, t’sais. Maintenant j’vais profiter du fait que j’peux te retrouver, comme avant. » Ça lui avait manqué, à Woody, de pouvoir avoir une telle proximité avec sa meilleure amie. Même s’ils n’allaient pas plus loin, même si les sentiments d’avant avaient évolué, l’attirance qu’il éprouvait pour elle jamais ne s’était envolée. Son corps réclamait le sien, encore et encore, même s’il n’avait plus la force de le lui montrer comme cinq années plus tôt. Le simple fait de sentir sa peau contre la sienne lui permettait de faire revivre cette flamme, qui brûlait avec un peu moins d’ardeur, mais qui brûlait quand même quand Freja était avec lui. Tant qu’à être sur le sujet d’Eden, Woody osa finalement poser à la brunette une question qui lui trottait dans la tête depuis sa rupture. Freja ne semblait jamais avoir cherché à rencontrer l’amour de nouveau, à moins qu’elle ne lui en fasse tout simplement pas part. Pourtant, elle lui avait paru heureuse, avec Eden. « Tu devrais t’acheter un chien, ça mettrait de la vie dans cette grande maison. » Woody esquissa un sourire. Il la voyait déjà venir avec ses millions de chats qu’elle prévoyait s’acheter plutôt qu’un chien. Il n’osait même pas s’imaginer à quel point Freja devait effectivement se sentir seule, parfois. Après tout, elle avait vécu durant des années avec une grande colocation, des gens en permanence dans le logement. Puis elle avait eu Eden, alors la transition s’était faite avec lui. Se retrouver seule du jour au lendemain, ça avait dû être difficile. Ce fut alors au tour de Woody d’hausser les épaules suite à la question de Freja. « Tu sais bien que si j’avais pu le faire, ce serait fait depuis longtemps. » Il avait repoussé Sara non pas parce qu’il ne l’aimait pas, mais parce qu’il voulait la protéger de ce qu’il allait devenir, de ce qu’il était devenu. Il avait laissé Théia partir vivre ses rêves ailleurs qu’ici parce que de cette manière jamais elle n’apprendrait pour sa maladie, jamais elle n’aurait à le voir autrement que les souvenirs qu’elle aurait de lui. « Ça ne servirait à rien maintenant. » Il n’avait plus rien à offrir, plus rien à faire vivre à l’autre. Lui-même ne ressentait quasiment plus rien. Même lorsqu’il regardait l’écran de télévision, même quand les images défilaient devant lui, il n’avait plus l’impression d’y voir quoi que ce soit qui fasse un quelconque sens.  
 

C'est vrai que vous en aviez déjà eu beaucoup des secrets. Votre vie ensemble n'avait pas toujours été facile mais elle était vraie et ça te rendait vivante. C'était toujours le cas, aujourd'hui, mais les choses étaient légèrement différentes. Mais même si vos vies avaient pris des tournures différentes ces dernières années, vos chemins ne s'étaient jamais séparés. Et aujourd'hui, vous montriez que votre amitié résistait à tout. Mêmes aux ruptures, à la souffrance, à la haine, à l'amour, à tout. C'était Woody et Freja contre le reste du monde depuis toujours et pour toujours. Lorsque Woody était rentré dans ton coeur, tu savais qu'il n'en sortirait plus. « Tu veux dire quand on ne savait pas regarder un film sans finir complètement nus ? » Réponds-tu en souriant, taquine. C'est vrai qu'il avait disparu ce temps-là où vos deux corps ne formaient qu'un à chacune de vos rencontres. Cela vous faisait du bien d'être ensemble autant mentalement que physiquement. Cela vous rendait vivants, l'un comme l'autre. Mais avec ta relation amoureuse, vous aviez mis cet aspect de votre amitié de côté parce que ça coulait de source. Si c'était l'inverse, si Woody était en couple, vous auriez fonctionné de la même façon. Sans aucun doute. Aujourd'hui, alors que vous êtes tous les deux célibataires, vous savez que vous pouvez replonger dans cette spirale en moins de deux. Vos corps n'ont jamais cessé de réclamer l'autre même lorsqu'ils étaient éloignés. Lorsque vous les mainteniez éloignés. C'est bon de se dire que les choses n'ont pas changé, du moins pour toi. « Tu sais bien que je t'appartiendrai toujours. » Murmures-tu finalement, la tête toujours posée sur le torse de ton meilleur ami. Même si la maladie de Woody prend le dessus et qu'il ne veut plus de toi, tu resteras. Pour toujours. Un peu plus tard dans la conversation, le jeune Rutkowski aborde le sujet de ta situation amoureuse. Autant dire qu'il n'y a pas grand chose à dire, justement. Depuis ta rupture, tu n'avais plus l'envie ni la force de te consacrer à une autre histoire. « Mais oui, faut que j'achète cinq chiens qui chieront partout dans ma baraque. Super. » Dis-tu en soupirant. Les chiens c'est mignon chez les autres mais pas chez toi. Et puis, ça demande beaucoup trop d'attention. « Arrête de dire ces conneries. Bien sûr que si ça en vaudrait la peine. » Tu relèves la tête pour soutenir le regard de ton meilleur ami un instant avant de reprendre : « Tu ressentirais des choses nouvelles, inédites. Tu serais obligé de sortir un peu d'ici, de prendre l'air, de vivre. Même si ce sera différent d'avant, c'est pas pour autant que ce sera mauvais. Je sais que c'est plus facile à dire qu'à faire mais tu as le droit d'être heureux. » Oui, tout ce que tu veux, c'est le bonheur de Woody. Comme il désire sûrement le tien. « Mais bon, si t'es toujours pas convaincu tu m'auras toujours moi. » Ajoutes-tu en haussant les épaules. « Même quand on sera vieux et fripés je serai là pour te faire chier. » Parce que même si tu sais que la maladie de Woody ne vous permettra peut-être pas de vieillir ensemble, tu aimes à l'imaginer. Parce que finir ta vie dans ses bras, ça n'a pas de prix à tes yeux.

« C’est exactement ce que je veux dire. » Dit-il en ricanant. Il était vrai qu’un peu plus de cinq années plus tôt, quand Woody et Freja prétendaient se réserver la soirée pour regarder des films ou jouer à des jeux de société, ça n’était généralement jamais fait plus de dix minutes. Ils finissaient toujours par se retrouver, s’enlacer, s’aimer, à leur manière si unique de le faire. Aujourd’hui, Woody serait sans doute bien incapable de rendre justice à leurs plus jeunes années, il serait incapable de faire plaisir à Freja comme il l’avait toujours fait, ayant appris son corps sur le bout de ses doigts. Chaque parcelle de sa peau suscitait un désir, chaque caresse entraînait une chaleur qui électrisait leurs corps. Et même s’il avait encore en tête ces habitudes, il savait aussi que son corps n’arriverait probablement plus à suivre son doigté bien tracé. « Mais tu sais bien que je n’ai jamais été capable de te partager avec d’autres … » Murmura-t-il à son doute, sachant fort bien à quel point ses paroles étaient égoïstes. Mais Woody l’avait toujours été, vis-à-vis de Freja, égoïste. S’il s’était montré con et méchant envers d’autres dans l’idée de les protéger, il se montrait ainsi face à Freja parce qu’il l’aimait trop, de ce genre d’amour qui rend malade, qui rend fou. Et même s’il savait qu’il finirait par la repousser elle aussi, quand il perdrait tout, il savait aussi que ce serait à elle qu’il ouvrirait d’abord la porte pour l’accueillir dans son enfer, quand elle viendrait marteler sa porte de sa tête dure. Peut-être alors que cet instant où tous les deux étaient célibataires en même temps, avec un peu plus de maturité, un peu plus d’âge au décompte, signifiait qu’il était temps de se montrer un peu plus ouvert face à l’idée que s’il y avait bien une personne qu’il accepterait dans son chaos, c’était elle. « J’ai pas dit cinq chiens. Juste un p’tit compagnon pour éviter que tu deviennes une vieille grébiche. » Il esquissa un sourire, avant de parler du fait que dans son cas, il finirait sans doute ses jours seuls. Ça avait toujours été son objectif, de toute façon. Finir seul pour n’être le fardeau de personne. Et si Freja était là malgré tout, il prendrait bien soin de ne se montrer à elle que sous ses meilleurs jours, si meilleurs jours il y avait. « J’serais obligé à rien. Et c’est pas ce que j’appelle vivre. » Il soupira. « Toi tu seras encore là pour me faire chier, mais moi, j’pourrai plus jamais t’donner quoi que ce soit. Mis à part mon air bête, mon air bougon, et tu sais aussi bien que moi que c’est pas pour ça qu’on est amis depuis aussi longtemps. » Non, si Freja et Woody étaient autant scotchés l’un à l’autre, c’était pour cette attirance presque malsaine, ce besoin d’être là l’un pour l’autre, ce jeu de fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis, de cache-cache, ce besoin constant d’être le plus important dans les yeux de l’autre. Leur relation était à la fois belle et toxique, à Woody et Freja, mais il avait l’impression que sans son corps, sans la sexualité, sans sa masculinité, il ne pourrait plus jamais revivre quoi que ce soit d’aussi intense. Et leur relation se fanerait, peu à peu. Tout comme leurs corps deviendraient vieux et fripés.
 

Tu ris à ton tour, repensant à cette époque, quelques années plus tôt, où vous ne gardiez pas souvent vos vêtements sur vous lorsque vous vous retrouviez. C'était une époque où vous étiez bien trop insouciants mais tu ne changerais les choses pour rien au monde. Malgré tout, c'est une époque que tu chéris et que tu regrettes souvent. Parce qu'au fond, tout était plus simple. Si Woody était incapable de te partager, c'était réciproque. Lorsqu'il était avec Sara, quelques années plus tôt, tu ne pouvais que ressentir cette immense pointe de jalousie en imaginant que c'était à elle qu'il pensait jour et nuit. Et pas à toi. Tu as longtemps souffert de cette situation mais contre toute attente, vous aviez surmonté tout ça. Comme votre amitié. Et des années plus tard, vous étiez toujours là même après ces nombreux départ. A présent, il ne restait plus que vous deux et c'était suffisant à tes yeux. Parce que tu ne te voyais plus recommencer une toute nouvelle histoire amoureuse alors que tu avais tant souffert de la précédente. « Tu m'as bien partagé avec Eden. » Réponds-tu en tournant la tête vers lui, un léger sourire aux lèvres. Même si vous étiez toujours amis lorsque tu étais en couple avec Eden, les choses étaient différentes. Les gestes de Woody étaient plus mesurés, plus réfléchis tout comme les tiens. Vous étiez limités pour la première fois depuis votre rencontre. Cela avait été un changement plutôt rude au début mais vous aviez fini par vous y adapter. Du moins, tu le penses. Mais au fond, tu ne sais pas vraiment comment Woody a vécu cette "séparation". Lorsqu'il aborde le sujet des chiens, tu es assez catégorique, c'est non. Tu n'as jamais été une femme à chiens après tout. Contrairement à Woody qui semble beaucoup apprécier ces bêtes. « Un petit chat ? » Demandes-tu en sachant pertinemment que ce n'est pas ce que Woody veut dire. Mais il ne t'enlèvera pas ton amour pour les chats et il le sait aussi bien que toi. « C'est vrai que j'irais bien dans un refuge pour adopter un ou deux chats. » Ajoutes-tu en fronçant les sourcils. Au moins, tu aurais toujours une présence à la maison et surtout, tu n'aurais pas les tracas quotidiens d'un chien. Un chat c'est bien plus indépendant et moins câlin qu'un chien. Quelques minutes plus tard, tu lances ton meilleur ami sur le sujet de l'amour et même si tu essayes de le faire changer d'avis, ça ne fonctionne pas. Woody semble certain qu'il finira ses jours seul et qu'il n'aura plus de vie jusqu'à ce que tout soit terminé. Toi, tu n'es pas d'accord. Tu veux qu'il voit les possibilités qu'il a encore et la vie qui est bel et bien là, elle. Elle est juste à sa porte mais il refuse de lui ouvrir. Sans que tu saches pourquoi. Enfin, si, tu sais que c'est difficile pour lui mais tu pensais qu'il passerait un cap à un moment où un autre. « J'aime pas te savoir seul, ici. Dans ta grande maison. » Réponds-tu avec un air triste. Woody qui était si habitué à sortir, à vivre et à profiter doit beaucoup souffrir de la solitude et tu voudrais l'aider à surmonter tout ça. Mais tu ne peux pas et ça fait mal. « Arrête, on a plus couché ensemble depuis... j'sais même plus quand et pourtant, je suis toujours là. » Dis-tu en prenant son visage entre tes mains. Tu passes par-dessus ses jambes, t'asseyant à califourchon sur lui. « C'est juste une question d'adaptation. Si je te désire, c'est pas seulement pour ton incroyable talent au lit, c'est un tout. Et peu importe que tu sois en chaise roulante ou totalement en forme, ça ne changera pas. » Ajoutes-tu en enfouissant ton visage dans le cou de ton meilleur ami. Non, il était clair que ton désir pour Woody ne s'effacerait pas comme ça. Même encore aujourd'hui tu sens cette flamme qui t'anime à chaque fois qu'il se trouve à proximité. C'est ancré en toi depuis toujours et pour toujours.

En entendant le prénom d’Eden, Woody leva les yeux au ciel en soupirant, basculant sa tête légèrement vers l’arrière afin de mieux contempler le plafond. C’était toujours mieux que de regarder Freja et d’y revoir les images d’elle et de cet autre homme, images qu’il n’avait jamais vraiment su digérer. « Partager, c’est un bien grand mot. J’crois qu’on peut aisément dire que c’était moi qui avais le moins bon deal, dans toute cette histoire. Il t’avait comme je t’avais toujours eue avant, au fond, et tout d’un coup j’n’y avais plus droit. Il t’a arraché à moi. » Il exagérait, Woody, comme toujours sans doute. Mais la vérité se cachait quand même dans ses propos. La relation de Freja et Woody avait toujours été bien similaire à celle d’un couple, si ce n’était qu’ils ne s’affichaient pas comme tel, et qu’ils ne s’interdisaient pas d’autres relations. Malgré tout, ils étaient jaloux des autres qui leur tournaient autour, ils se disaient qu’ils s’aimaient sans savoir à quel point ils le pensaient, ils se donnaient de l’affection dans leur vie quotidienne comme dans leur lit. Alors quand Eden était apparu dans le décor, Woody avait eu l’impression qu’on lui volait Freja. C’est seulement à ce moment-là qu’il avait pu comprendre à quel point sa meilleure amie avait dû souffrir, lorsqu’il avait eu une relation un peu plus officielle avec Sara, sept ans plus tôt. Les voilà aujourd’hui, tous les deux seuls mais encore une fois, ils se retrouvaient. Pas ensemble, mais davantage qu’avec qui que ce soit d’autre. C’était l’histoire de leur vie. « Un petit chat … » Lâcha-t-il en grimaçant presque. « J’aurai essayé, au moins … mais votre histoire de chats avec Tahlia t’es toujours restée en tête, j’peux rien y faire maintenant. » Lâcha-t-il avec un sourire. Au moins, elle ne serait pas seule, que ce soit un chien ou un chat, elle aurait une certaine présence à ses côtés. Après tout, ce ne serait plus Woody qui débarquerait chez elle sans prévenir, à toute heure de la journée. Pas dans son état actuel, et encore moins dans quelques années. « Ça a pourtant toujours été le plan. » D’être seul ici, dans cette grande maison. Woody s’était préparé à cette éventualité, et si les autres pensaient alors qu’il ne faisait que se voiler la face par rapport à ce qui l’attendait, lui savait que ce serait son avenir. Quand ils abordèrent le sensible sujet de la sexualité, Freja tenta de le rassurer quant au fait que leur relation n’était pas basée que sur ça. Et il le savait, au fond. Il aurait juste aimé la convaincre du contraire, peut-être parce qu’il pensait encore qu’il y avait une mince chance de la sauver de lui-même. Contre toute attente, la brunette décida plutôt de se mettre à califourchon sur Woody, renouant avec une proximité sensuelle qu’ils n’avaient pas eue depuis bien longtemps. « T’es toujours là, et tu me désires encore, c’est vrai, mais … ce sera aussi auprès d’autres que tu seras, d’une manière que je ne voudrais que pour moi. » Et même si ça avait toujours été le cas, même si Woody n’avait jamais voulu partager Freja, cette fois, ses paroles prenaient un tout autre sens, une toute autre intensité.