there's something inside me that pulls beneath the surface, consuming, confusing (freja)

Les paroles de Woody sonnent d'une façon un peu dramatique mais il n'avait pas tort sur un détail. Tout d'un coup, ce que vous partagiez avait cessé d'exister et ça avait été plutôt radical. Pas de dernière fois pour se dire au revoir. Pas de dernier baiser, rien. Mais c'était la seule solution pour que ton couple avec Eden fonctionne et tu le savais. « C'était nécessaire si je voulais que mon couple fonctionne. Mais faut croire que même avec ça, la vie nous rassemble toujours. » Réponds-tu en haussant légèrement les épaules. Oui, la vie continue sans cesse de vous ramener l'un vers l'autre, Woody et toi. Peu importe si tu essaies de donner un autre tournant à ta vie, elle te ramène toujours sur le chemin de ton meilleur ami. Comme des amants maudits, en quelque sorte. Plus tard, dans la conversation, vous abordez le thème des animaux et vos avis divergent plutôt à ce sujet. Tu as toujours été plus chat que chien contrairement à Woody. Et il ne semble pas comprendre cet amour pour ces petites bêtes trop mignonnes. Une passion que tu partageais avec Tahlia, effectivement. Vous vous étiez promis de vivre ensemble avec sept chats si vous étiez incapables de trouver l'amour. Tahlia a toujours été maudite en amour, un peu comme toi. Mais elle avait une raison de vivre, contrairement à toi : son fils. Aujourd'hui, tu savais que ce projet d'avenir ne verrait jamais le jour. « Ouais sauf que Tahl' m'a laissé tomber dans cette idée. J'finirai seule avec mes sept chats du coup. » Dis-tu avec un léger sourire, toi aussi. Cette vie était loin d'être celle dont tu rêvais quelques années plus tôt mais c'était ta vie, à présent, et il fallait t'y faire. Il n'y avait plus d'autres issues de toute façon étant donné que tu refusais de refaire ta vie avec une nouvelle personne. Tu n'étais pas prête à refaire toutes ces étapes : les premiers dates, le premier baiser, la première nuit, la présentation à la famille - la sienne bien sûr, pas la tienne -, etc. Non, tout ça faisait partie de ton passé et non de ton futur, c'était une certitude à tes yeux. Tu secoues la tête lorsque ton meilleur ami parle du plan de sa vie : finir seul dans sa grande maison. Tu n'as jamais voulu ça pour lui. Même si son futur n'était pas avec toi, tu as toujours espéré qu'il soit heureux avec ou sans toi. Bien qu'un futur à ses côtés soit une idée bien plus plaisante à tes yeux mais ça n'a jamais été une option vous concernant. Vous n'avez jamais sauté le pas par peur de détruire ce que vous aviez déjà. « C'est toi qui refuses de faire entrer quelqu'un dans ta vie. Et là. » Réponds-tu en pointant son coeur du bout des doigts. Tu avais essayé à maintes reprises d'entrer dans le coeur de Woody, en vain. Et même si tu savais que tu avais une place privilégiée comparé à d'autres personnes dans sa vie, tu n'avais jamais pu savoir ce qu'il pensait au plus profond de son coeur. Du moins, jusqu'à aujourd'hui. Alors que tu es à califourchon sur ton meilleur ami, pour la première fois, il t'ouvre son coeur. Pour la première fois, il dit à voix haute ce que tu penses tout bas depuis des années. « Tu n'as qu'à le demander, Woody. » A tes yeux, c'était aussi simple que ça. Il suffisait qu'il le demande et tu étais tout à lui. Ton regard ne quitte pas le sien, alors que vos visages se rapprochent progressivement. Cette proximité avec Woody t'a manqué d'une façon inimaginable et c'est seulement maintenant que tu t'en rends compte. « D'une certaine manière, je n'ai toujours été qu'à toi. A toi. » Répètes-tu pour intensifier tes paroles. C'était la stricte vérité. Même lorsque tu étais avec Eden, une partie de ton coeur a toujours été destinée à Woody.

Woody haussa les épaules. Pour lui, ça n’était que de plates excuses, une tentation de chasser du revers de la main un problème bien plus profond que ça, ancré en eux, enraciné au fil des années. Ils mettaient trop de temps à s’ouvrir les yeux, ils mettaient trop de temps à réagir. Pendant ce temps-là, le vrai problème prenait de l’ampleur et affectait leur vie, qu’ils l’admettent ou non. Peut-être que Woody commençait peu à peu à en prendre conscience, de son côté, puisqu’il répliqua seulement : « À mon avis, si c’est pour que ton couple fonctionne que tu dois carrément oublier tout ce qu’on est, toi et moi, c’est que ton couple n’a pas lieu d’être. Eden et toi c’était … c’était pas vrai. » Pas comme elle et lui. Pas comme Woody et Freja. Autrement, elle aurait très bien été capable de continuer à le voir, à vivre ses sourires et ses touchers, à plonger son regard dans le sien comme ils le faisaient, sans avoir à repousser la tentation. De toute façon, comme Freja le disait elle-même, la vie finissait toujours par les rassembler à nouveau. Plus tard, ils parlèrent des animaux et de cette vie de solitude qu’ils allaient vivre s’ils ne s’entouraient pas de quelques bêtes. Enfin, c’est surtout Freja qui planifiait déjà d’avoir ses sept chats, comme cette éternelle blague lancée avec Tahlia. Cette dernière s’en était plutôt bien sortie, au final. Si Woody et elle avaient pu partager un jour leurs déprimes amoureuses et leur incapacité à trouver le bonheur chez un autre, il voyait maintenant que le temps pouvait changer bien des choses. Tout comme le temps pouvait se montrer cruel et immobiliser des heures dont on ne voulait plus. Woody était comme prisonnier de ce moment infernal où les grains du sablier s’écoulaient si lentement, parce qu’il n’avait plus la force de prendre de l’avance sur lui, ou de courir après. Lui ne s’en était pas sorti. Et Freja ne semblait pas vivre sa vie rêvée non plus. Les deux amants maudits, incapables d’avancer si ce n’était pas ensemble. « Et moi qui croyais au moins finir mes jours avec Edgar … mais non. » Il soupira, plombant davantage l’ambiance, comme si c’était nécessaire. Son vieux clébard, il n’était pourtant plus en point, lui non plus, son énergie l’avait quitté en même temps que celle de son maître. Ce dernier avait pourtant choisi de donner Edgar à des gens qui sauraient davantage s’en occuper. Il n’avait pas vraiment eu le choix, Woody. Il avait du mal à prendre soin de lui-même, alors c’aurait été irresponsable de garder son chien. Alors oui, il terminerait ses jours seuls ici, Woody. Complètement seul. Comme son plan l’avait toujours prévu. « C’est vrai. C’est moi qui refuse. Et tu savais très bien pourquoi à l’époque, et tu le sais encore plus maintenant que tu peux voir de quoi j’ai l’air. » Et dire que ce n’était que le début, que son corps avait encore bien des capacités à perdre. Elles tomberaient au combat, l’une après l’autre, au cours des prochaines années. Et pourtant, Freja demeurait là, elle, comme un vaillant soldat sur le champ d’une guerre qui n’était pas la sienne. Elle monta à califourchon sur lui, faisant fi des paroles de l’homme quant au fait qu’il ne pourrait plus jamais l’aimer comme il se devait de l’aimer. « Ce serait égoïste de le demander, Freja. » Lâcha-t-il difficilement, parce qu’il luttait contre l’envie de la supplier de rester. Il était déchiré, il l’avait toujours été en ce qui concernait sa belle Freja. Ses mains posées sur ses hanches traduisaient le désir qu’il éprouverait encore et toujours à son égard, mais ses paroles s’y opposaient. Elle rapprocha son visage du sien, le souffle de Woody se faisant déjà plus court alors que les lèvres de la brunette s’approchaient des siennes. Elle lui avait toujours appartenu, elle avait toujours été à lui. « And that’s why I always tried to let you go … » Il plongea son regard dans le sien, retenant sa respiration. « But I never could. » Murmura-t-il, avant de s’emparer des lèvres de la brune dans un baiser brisant toute cette retenue des dernières années.

Il est vrai que tu ne pouvais pas comparer la relation que tu avais eue avec Eden, à celle que tu as avec Woody depuis des années. Avec Woody, ça a toujours été passionnel. Un jour vous vous aimiez plus que jamais, un autre vous vous déchiriez. Le beau temps et l'orage. C'était toujours comme ça entre vous mais malgré tous ces obstacles, vous finissiez toujours par retomber dans les bras l'un de l'autre. Aujourd'hui en était encore la preuve. Malgré tes nombreuses tentatives pour oublier Woody, tu revenais indéniablement vers lui. Malgré ce couple que tu avais essayé de construire durant trois ans, aujourd'hui, tu étais de retour dans les bras de ton meilleur ami. L'évidence était là. Mais comme toujours, vous étiez les seuls à ne pas la voir. Même si progressivement, vous en preniez conscience. Et pour la première fois depuis le commencement de votre relation, Woody voyait plus clair sur ses sentiments. Il semblait prêt à te dire ce qu'il ressentait au fond de son coeur pour la première fois depuis des années. « Pas aussi vrai que nous, c'est ça ? » Demandes-tu avec un léger sourire. Woody n'avait pas tort, pas tort du tout. Mais étais-tu vraiment prête à admettre que si ton couple n'avait pas fonctionné, c'était à cause de ton amour pour Woody ? Peut-être pas. Tu ne peux t'empêcher de sourire et de secouer la tête en entendant ton meilleur ami parler de son chien. C'est comme ça que Woody pensait finir sa vie : seul et aux côtés de son chien. Toi, tu rêvais d'un autre futur pour lui mais il était incapable de l'entendre et encore moins de l'accepter. C'était une vraie tête de mule par moment. Malheureusement pout lui, tu étais aussi têtue que lui. Voire plus. « C'est vrai que c'est pire de vieillir à mes côtés. » Dis-tu en soupirant avant d'ajouter : « Pauvre Woody. » Tu pouvais te montrer coriace et franche avec lui, parfois, mais Woody avait besoin de ça. Il avait besoin d'électrochocs par moment. Pour voir que, malgré ce qu'il pense, sa vie n'était pas encore finie et qu'il avait encore des gens autour de lui pour l'aider à faire ce dont il ne se pensait plus capable. Des gens comme toi. « Je vois au-delà de ça Woody. Et je ne suis pas la seule. Même si tu n'as plus le même usage de tes jambes, au fond, tu es toujours le même. Tu es toujours toi, que tu le veuilles ou non. » Il voulait se laisser aller et mourir seul mais tu ne le laisserais pas faire, c'était une certitude. Avec ou sans toi, il serait heureux d'une façon ou d'une autre. Tu en étais persuadée. Puis, Woody s'ouvre un peu plus à toi, laissant enfin entrevoir les sentiments qu'il éprouve pour toi. Une première depuis que vous avez commencé cette relation. Depuis des années, en somme. « Non pas si je le veux, moi aussi. » Réponds-tu en approchant ton visage du sien. D'abord, tu colles ton front contre celui de ton meilleur ami, puis, après avoir prononcé quelques mots qui scellent votre amour, Woody t'embrasse. Un baiser qui veut certainement dire beaucoup pour toi, pour lui, pour vous. C'est comme si tout l'amour que vous reteniez depuis des années explosait à travers ce baiser. Tu poses ta main dans la nuque de ton meilleur ami, rapprochant davantage ton corps du sien. Tu prolonges votre baiser, y mettant toute l'énergie que tu possèdes. Vous avez déjà échangé bien des baisers avec Woody mais celui-là est différent. Celui-là exprime... tout. Lorsque vos lèvres s'éloignent le temps de reprendre votre souffle, tu murmures contre ses lèvres : « Je t'aime. Depuis toujours et à jamais. » Malgré cette lutte acharnée pour construire votre vie chacun de votre côté, vous vous retrouviez enfin.

« C’est ça. » C’était peut-être compliqué, ce qu’ils avaient, Woody et Freja. C’était peut-être difficile par les moments, ça les plongeait peut-être parfois dans une confusion paralysante, ça leur demandait peut-être toute leur patience du monde parce qu’ils évoluaient lentement, avec la crainte de se perdre s’ils allaient trop vite, mais au moins c’était vrai. Ils ne se faisaient pas d’histoire, ils ne jouaient pas à un jeu, ils ne jouaient pas des rôles. Ils étaient eux-mêmes dans cette relation des plus vraies qui soient. Ça ne serait pas moins vrai même s’ils ne réalisaient jamais ce qu’ils pouvaient avoir ensemble. Mais cette journée allait peut-être faire tout basculer, pour une fois. Peut-être ouvriraient-ils enfin les yeux sur ce qui n’attendait que d’être vécu. « Bah au moins Edgar il m’obéissait, lui, la plupart du temps … » Il esquissa un sourire, avant de rire. Évidemment qu’il ne s’attendait pas à ce que Freja lui obéisse, il avait beau être machiste, Woody, il n’était pas à ce point inhumain. Et puis, le caractère de sa meilleure amie était bien une des caractéristiques qu’il préférait chez elle. Elle était forte, elle ne se laissait pas marcher sur les pieds, et il l’admirait pour ça. Elle ne bravait pas la tempête, elle était la tempête. Sans doute était-ce pour cette raison que Woody voulait à ce point la préserver de lui-même. Il savait que ses vents pouvaient être si forts et la mener si loin, il ne voulait pas la ralentir. Il ne voulait pas être celui qui l’essoufflerait dans sa course et qui la forcerait à s’arrêter alors qu’elle avait encore des kilomètres à parcourir. Mais lui ne tiendrait plus le coup, très bientôt, déjà il perdait de la distance face à elle et elle devait constamment revenir à lui. Faire quelques pas vers l’arrière. Retrouver l’entêtement de Woody qui les maintenaient en place, tous les deux. Sur place. Mais elle aimait les challenges, Freja, et le convaincre qu’elle voyait au-delà de ça avait toujours été son ultime objectif auprès de lui. Elle le lui répétait encore. « Ce n’est pas que l’usage de mes jambes, Frej’. C’est l’usage de tout qui suivra … Comment je pourrais être moi-même, demeurer le même, une fois prisonnier de mon propre corps ? » Il deviendrait complètement fou, là-dedans, et sans doute qu’elle perdrait la tête elle aussi. Elle ne réalisait juste pas encore à quel point ce serait difficile. Peu à peu toutefois, le trentenaire lâchait prise, comme incapable de sans cesse la repousser, la contredire, alors que tout ce qu’il désirait c’était l’avoir auprès de lui. Il aurait tenté de la prévenir, mais si elle ne voulait rien entendre, lui n’avait plus la force de se battre. Surtout pas contre elle. Alors Woody l’embrassa, une explosion en suspens alors que le temps semblait s’arrêter. Mais il ne s’arrêterait jamais, non, le sable continuait de s’écouler, les grains continuaient à leur échapper. Alors il fallait profiter de chaque seconde qu’ils possédaient. « Je t’aime aussi, Freja. Until our time runs out. » Souffla-t-il presque douloureusement, parce que cet abandon représentait à la fois une victoire et un échec.

C’est vrai que tu n’avais jamais rien connu d’aussi vrai que ta relation avec Woody. Depuis le début, c’était ton cœur qui dictait tes actes et non ta raison. Pourtant, dans la plupart de tes relations qu’elles soient amicales ou « amoureuses », c’est toujours ta tête qui a pris le dessus. C’est toujours ton cerveau qui prenait les décisions pour être sûr d’éviter tout dommage collatéral. Tu as toujours fonctionné de cette façon, sauf avec Woody. Peut-être parce que, malgré tout ce que vous aviez vécu, votre relation était plus forte que tout. Aujourd’hui, tu en prenais conscience petit à petit et il était temps. Plus que temps. Parce qu’au fond, tu sais que la maladie de ton meilleur ami ne vous offrira pas une longue et heureuse vie. Alors, tu es prête à profiter de chaque instant comme si c’était le dernier. « Tu ne m’aimerais pas autant si j’étais docile. » Réponds-tu en adressant un clin d’œil au jeune homme. Tu as toujours pensé que Woody aimait davantage ta fougue que ton physique. Et cette capacité que tu as à lui tenir tête, également. Contrairement à la plupart des gens. Le jeune Rutkowski peut se montrer réellement blessant quand il le veut mais tu ne t’es jamais laissée démonter parce que tu savais que ce qui se cachait derrière la « bête » valait le coup d’attendre. Et tu n’avais pas été déçue en découvrant quel homme merveilleux et tendre était Woody. A l’heure actuelle, tu ne vois plus que ses bons côtés et sa personnalité hors-norme. Sans doute parce que c’est la seule qu’il t’offre, ou presque. « Tu ne sais pas de quoi demain est fait, Woody. A quoi bon vivre en craignant le futur ? Pense à aujourd’hui comme tu l’as toujours fait. Aujourd’hui, tu as encore des possibilités même si tu refuses de les voir. Aujourd’hui, tu es toujours toi alors profites-en pour continuer à vivre ta vie. » Secrètement, tu espérais qu’un remède miracle ferait son apparition et vous permettrait de profiter de vos vieux jours ensemble. Malheureusement, tu ne sais pas si ce sera un jour possible. Du coup, en attendant, tu préfères profiter de chaque seconde passée aux côtés de ton meilleur ami. Et tu veux qu’il en fasse de même parce qu’il le mérite plus que quiconque. Lorsque Woody te confie son amour réciproque, tu fermes les yeux comme soulagée et viens poser ton front contre le sien. Tu profites juste de cet instant parce qu’en quelques années de relation, c’est la première fois que Woody t’ouvre son cœur de cette façon-là. Toi, tu l’avais déjà fait et ça avait failli provoquer ta chute. Ta perte. Heureusement, tu t’étais relevée et tu n’en étais sortie que plus forte. Et surtout plus « fermée » encore qu’auparavant. Il avait fallu qu’Eden s’en mêle et fasse exploser ta carapace en mille morceaux. Mais aujourd’hui, alors que ta carapace s’est reformée, Woody est le seul à avoir la clé.  Après quelques secondes, tes lèvres retrouvent naturellement celles de ton meilleur ami et ta main descend doucement le long de son torse pour trouver son bas ventre.

Elle le connaissait par cœur, Freja, elle connaissait toutes les failles et les faiblesses de Woody, et surtout celles qu’il avait pour elle. Parce que si une personne était en mesure de le rendre vulnérable, ce n’était bien seulement qu’elle, à présent. Elle le connaissait du bout de ses doigts et si ces derniers décidaient de glisser sur son mur de briques jusqu’au point de pression, elle pourrait l’écraser de son poing et envoyer valser toutes les certitudes de Woody dans le vent. « On aurait certainement beaucoup moins de plaisir. » Conclut-il de son sourire amusé qui cachait tellement bien le trouble qui l’habitait depuis l’arrivée de Freja. Et puis, s’il n’y avait pas cette fougue entre eux, cette habitude de se renvoyer sans cesse la balle, de toujours vouloir avoir le dernier mot, sans doute que leur relation aurait évolué différemment. Peut-être ne se parleraient-ils plus aujourd’hui. Peut-être seraient-ils mariés, qui sait. Mais c’était l’option la moins probable. Parce que Woody et Freja avaient su braver vents et marées depuis tout ce temps pour la seule raison qu’ils arrivaient à en éviter les coups fatals en esquivant la réalité qui s’offrait à eux. Ils fuyaient, les autres ou eux-mêmes, en se voilant la face, en se racontant des mensonges pour les bercer la nuit. La vérité était qu’ils savaient depuis fort longtemps que leur relation était bien plus que ce qu’ils se laissaient vivre. « C’est là que tu te trompes. Je sais exactement de quoi demain est fait. Ça n’évoluera peut-être pas de la même manière, pas à la même vitesse, mais tous ces gens atteints de la SP que j’ai rencontrés, à des stades plus avancés, ils représentent ce que je serai un jour ou l’autre, peu importe c’est quand. Je peux craindre le futur parce que je sais de quoi il est fait, justement. » Toujours là pour la contredire, toujours là pour se montrer entêté à l’autre extrémité. Si seulement ils arrivaient à se rejoindre au milieu, une bonne fois pour toute. Braver la distance, chacun simultanément, et ne pas se louper cette fois. Ils avaient déjà laissé trop de chances leur filer d’entre les doigts. « On a toujours pris la vie au jour le jour, toi et moi. Mais il est peut-être temps de se réveiller et de réaliser qu’un matin, tu te réveilleras, et qu’tu seras malheureuse. Il est encore temps de changer de direction, Freja. » Pour lui, ce n’était plus un choix, pour lui, c’était l’issue fatale, la seule et unique possibilité. Mais elle pouvait encore reculer, partir, ne pas l’obliger à s’abandonner à eux alors qu’il avait tellement longtemps lutté contre la cruelle évidence. Mais sa meilleure amie était aussi têtue que lui, il le savait, et contrairement à lui elle avait encore la force d’avoir le dernier mot. Alors il le lui donna. Le dernier mot. La raison. Son amour. Toute sa personne au grand complet, dans tous ses défauts de fabrication. Ils s’aimaient, ce n’était plus des non-dits, ce n’était plus des mots qu’il regretterait de ne jamais lui avoir dit quand il serait prisonnier d’un corps qui ne lui appartenait plus.
Ils s'aimaient.

C'était quitte ou double, si vous n'aviez pas mis un peu de difficultés et d'obstacles dans votre relation ça aurait pu tout anéantir comme vous réussir. Peut-être que vous auriez lâché prise plus vite et plus facilement ? Peut-être pas. Vous ne connaitrez jamais la réponse mais peu importe parce qu'aujourd'hui, vous semblez prêts à vous ouvrir davantage à l'autre. Ou plutôt, à ouvrir votre coeur à l'autre, à vous donner coeur et âme dans une future relation. Parce qu'il est clair que, ton coeur, Woody l'a depuis des années. Il lui a toujours appartenu même lorsque ton corps, lui, appartenait à un autre. Maintenant que vous parvenez enfin à mettre des mots sur vos sentiments, tout te semble évident. Comme si c'était un coup du destin ou comme si c'était le seul et unique avenir qui existe pour toi. « Evidemment, la maladie est là mais tu ne sais pas de quoi demain est fait dans le sens où, des avancées médicales arrivent tous les jours dans tous les domaines. Ce sera peut-être ton tour un jour ou l'autre. » Et tu l'espérais, en tout cas. Parce que tout ce dont tu rêvais, toi, c'était de passer le restant de tes jours dans les bras de ton meilleur ami. Ce ne serait peut-être pas possible mais tu étais prête à espérer des années encore tant que l'issue n'était pas définie. Tu continueras à espérer pour vous deux si c'est nécessaire parce qu'il est évident que Woody, lui, n'espère plus rien. Peut-être sera-t-il en colère en entendant qu'il persiste de l'espoir chez toi mais tu t'en fiches. C'est une façon de te maintenir en vie que d'espérer que Woody sera toujours à tes côtés. « Ça fait des années qu'on change de directions, toi et moi. Des années qu'on navigue ailleurs et pourtant, on finit toujours par se retrouver peu importe la manière. Alors, non, même si je le voulais, ce serait impossible que je me détourne une énième fois de toi. Et puis, je le refuse. Même si la vie ne nous offre que trop peu de temps ensemble, je veux profiter du temps qu'il nous reste. Sans regrets. » Réponds-tu en sentant l'émotion gagner tes yeux. C'est difficile pour toi d'imaginer n'avoir que quelques années dans les bras de Woody. Mais tu es prête à tout pour cet homme, même à mettre de côtés tes peurs et tes doutes concernant sa maladie. Tu veux juste le rendre heureux comme lui te rend heureuse depuis tant d'années. Ça n'a pas toujours été rose entre vous mais ça n'a fait que renforcer votre relation, tu en es persuadée. Aujourd'hui plus que jamais.

Des avancées médicales, Woody n’y croyait plus trop. Il avait suivi pendant de nombreuses années les nouveaux essais, les nouveaux plans de traitement, il lisait des articles à propos des avancées à tous les mois dans les revues scientifiques et médicales. Au final, si les symptômes de la sclérose en plaques pouvaient être ralentis, elle ne pouvait pas être complètement guérie et un jour ou l’autre, elle finissait pas regagner le terrain qu’on lui avait pris. Mais surtout, surtout, ça ne fonctionnait pas sur tout le monde, et malgré les médicaments que Woody prenait, ses jambes continuaient de défaillir, ses muscles perdaient de plus en plus en tonus, et lui en espoir. Toutefois, si ça pouvait consoler Freja que de s’imaginer que tout était encore possible, alors Woody la laisserait se bercer de ces douces illusions qui ne se concrétiseraient que bien trop tard pour lui, pour eux. « Peut-être. » Se contenta-t-il donc de répondre, ne voulant pas le contredire là-dessus, mais ne voulant pas non plus se montrer tout d’un coup comme animé par une vive flamme d’espoir. Elle avait peut-être rallumé son feu du désir, mais Freja ne pouvait pas le sauver complètement de lui-même. Pourtant, son discours eut comme un effet électrifiant dans tout son être, et elle arriva même à l’émouvoir au point où ses yeux s’embuèrent. Sa meilleure amie était une femme véritablement extraordinaire, et si elle parlait de ne pas avoir de regrets, lui en avait de lui avoir si longuement refusé l’accès à son cœur. Elle s’était mise à nue si souvent face à lui, il savait au plus profond de son être tout l’amour qu’elle lui portait et lui n’avait jamais eu le courage de lui montrer à quel point c’était réciproque. Il n’avait même pas été en mesure de lui montrer ne serait-ce que le quart de tout l’amour qu’il lui portait. Jusqu’à aujourd’hui. Il hocha la tête, comme un accord tacite face à tout ce qu’elle venait de lui dire. Il savait, maintenant, qu’ils s’engageaient pour de bon. S’ils avaient attendu aussi longtemps, ce n’était certainement pas pour rebrousser chemin après quelques kilomètres sur la longue route. They were in it for the long run.