(noam) les proscrits ont droit d'amour.

J’avais tellement honte de mon comportement. On dit souvent qu’il faut toucher le fond pour remonter. Mais si on n’en a pas envie. Si on veut juste rester tel qu’on est. On m’avait empêché de le faire mais ça ne m’avait pas empêché que l’on me retrouve. Désormais admise en psychiatrie pour tendances suicidaires. Rien qu’une petite dépression avait dit mon agent en venant me voir. Ça te passera Ruby, tu es forte. Mais si je n’en ai pas envie. Assise dans mon fauteuil, le corps plus fragile et plus maigre que jamais. Je fixai l’horizon sans savoir quoi dire, quoi faire. Je n’avais envoyé qu’un sms. Un seul. A ma meilleure amie pour lui dire que je n’y arrivais plus. Je ne pouvais plus. Peu importe où j’allais, ce que je faisais, elle me suivait partout. Sally me suivait comme une ombre. Je me savais en train de virer sans doute folle. Perdre la tête. J’ai toujours tenté d’être droite. Tu ne coucheras point avec un homme à la va vite. Tu ne te drogueras point. Tu ne feras point du mal à autrui. Et comment m’a-t-on remercié ? Comment m’a-t-on récompensé ? En me volant mes proches, ma patrie et mon passé. J’étais marié à un homme qui ne m’aimait pas. Et la seule personne qui me comprenait, qui finissait mes phrases à peine eussent-elles commencées ? Elle n’était plus. Déjà la mort de Larà, j’en suis ressortie fragilisée. J’ai mis du temps à réapprendre à respirer. Mais Sally était là. Nous l’avions trouvé ensembles. Et là, comme une braise sous la cendre, elle était partie. Me laissant seule. J’ai hurlé pendant des heures pour qu’elle me prenne avec elle. J’ai hurlé à en perdre ma voix. Et voilà maintenant que j’étais alimentée par une perfusion. Car se battre pourquoi faire ? On m’avait autorisé à garder Zéro tandis que mes autres animaux furent confiés à mon agent. Il les avait déjà gardé lors de cette maudite croisière. Mon chien avait la tête posée sur moi, soufflant de tristesse de temps à autre. Il m’arrivait d’avoir des accès de rage et d’arracher la perfusion. De la laisser choir au sol. On te force à vivre, on te maintient en vie. Mais je n’en ai plus envie. Qu’on me laisse m’en aller une bonne fois pour toutes rejoindre les miens.

Aujourd'hui, c'était normalement ton jour de congé mais tu avais été appelé en urgence à l'hôpital. Un corps à ausculter au plus vite car il s'agissait d'une sordide histoire de pédophilie. Dans ce genre de cas, tu ne prends pas longtemps avant de te rendre au travail. Heureusement, Naomi pouvait garder Luce le temps que tu fasses ton travail et rentres à la maison. Rares sont les fois où on t'appelle entre tes heures de travail. Il faut dire que les morts ne sont pas pressés et peuvent attendre, contrairement aux vivants. Bref, tu n'as pas hésité une minute avant de te rendre au laboratoire afin de faire ton travail. Une fois l'autopsie termine, tu profites de ta présence ici pour passer par la cafétéria. Mais pour aller jusque-là, tu dois passer devant le tableau des admissions et un nom en particulier attire ton attention. Ruby. Tu fronces les sourcils en voyant dans quel service elle se trouve. Tu savais assez bien que sa vie était loin d'être facile pour le moment mais tu ne la savais pas à ce point au plus bas. Tu interroges l'infirmière sur son numéro de chambre et te diriges vers celle-ci. En passant, tu prends deux cafés, un pour Ruby et un pour toi. Tu n'es pas certain de ce qu'elle peut avoir dans sa chambre mais tu ne vas pas te gêner pour lui apporter. De toute façon, tu n'as jamais supporté les médecins, ce qui est assez paradoxal avec ton métier mais bon, passons. Bref, une fois devant sa chambre, tu toques légèrement avant d'entrer. Tu remarques Zéro couché sur le lit avant de la voir, elle. Ruby a le visage bien plus fin que de nature et ses poignets semblent aussi petits que ton pouce. Tu fronces les sourcils, inquiet pour ta meilleure amie. « Bah alors, tu préviens pas que t'es en vacances à l'hôpital ? » Dis-tu comme pour détendre l'atmosphère en sentant ta gorge se nouer. « Qu'est-ce qu'il s'est passé, Ruby ? » Demandes-tu, les traits durcis sous l'inquiétude. Tu t'approches de ta meilleure amie, poussant légèrement Zéro pour venir t'asseoir sur le lit.

Freja venait me voir tous les jours. Eden était revenu aussi. Et j’avais tenu à ce qu’on garde le secret. De toute façon, je n’avais plus de famille à qui en parler. Si ce n’est Emrys et je savais le brun mécontent de mon geste. Je me revoyais debout sur le pont tandis qu’Eden me suppliait de descendre. Je n’ai jamais eu de trippes dans la vie. Je n’ai pas su retenir Larà. Je n’ai pas su empêcher Lorenzo de me quitter et maintenant, j’ai rassemblé le peu de courage que j’avais pour me pencher en avant. Ça avait été si simple. Si Eden n’avait pas été là. On me disait de me battre. On me disait de me ressaisir. Freja voulait me prendre chez elle mais je ne voulais pas la déranger. Ni Perry. Donc j’allais voir le psychiatre tous les jours. Votre sœur serait-elle contente que vous ayez cessé de vous alimenter ? Je n’en sais rien. J’ai l’impression de la voir par moment. J’ai réclamé mon chien. Et comme je suis riche, on me l’a amené. Zéro était tout le temps avec moi. Aujourd’hui n’était pas une journée différente. Je devais recommencer à manger sinon on ne me laisserait pas sortir. Puis, je vis quelqu’un s’approcher pour reconnaitre les traits familiers de Noam. Noam, mon meilleur ami. Le médecin légiste. Ma fascination pour le morbide et son métier, c’est ce qui nous a réuni. Je souris en le voyant. « Je comptais t’envoyer une carte postale, dis-je de ma voix éraillée, mais on ne me laisse pas sortir. » Je caresse doucement Zéro qui se pousse en remuant la queue. Ce chien est tellement facile à vivre. Je baisse la tête, honteuse. « J’ai craqué. J’ai fait une crise plus forte et j’ai… j’ai voulu la rejoindre. Mais un type bien m’a sauvé la vie. » Je souris en constatant les deux cafés qu’il avait dans la main. Il était tellement prévenant. « C’est du café je présume ? » Je me mis à sourire, timidement avant de fixer mon ami. Il a toujours été si prévenant. Ce n’est pas pour rien que je tenais autant à lui.

Si au départ vos conversations se résumaient principalement à ton métier, aujourd'hui, les choses ont bien changé. Aujourd'hui, vous avez créé une vraie complicité avec Ruby et elle est devenue incontestablement ton amie la plus proche. Ta meilleure amie. C'est donc tout naturel que tu sois au courant des épreuves difficiles qu'elle traverse en ce moment. Tu as toujours essayé d'être là au maximum et dans la mesure du possible parce qu'avec une vie de famille, ce n'est pas facile de rencontrer la jeune femme tous les jours. Mais, aux vues de sa présence ici, tu ne peux t'empêcher de penser que tu n'as pas été un si bon meilleur ami que ça. Au contraire, même. Tu souris lorsque Ruby t'explique qu'elle voulait t'envoyer une carte postale mais qu'elle en a pas eu la permission. Cette petite touche d'humour entre vous rend peut-être la situation un peu moins... tragique. Parce que c'est le mot, oui, quand votre meilleure amie se retrouve à l'étage psychiatrique. « Pourquoi tu ne m'as pas appelé ? » Demandes-tu en ne détachant pas ton regard de ta meilleure amie. Tu détestes la voir ici et te sentir complètement impuissant. « Je suis content que ce gars bien soit passé par-là. Bon sang Ruby si tu... » Avais réussi ton coup, aurais-tu dû dire. Mais tu ne dis rien parce que tu ne veux pas rendre ces mots si réels en les prononçant. « Ne le refais plus jamais, promets-le moi. » Implores-tu la jeune femme du regard. Tu ne sais pas si Ruby sera capable d'une telle promesse mais tu oses au moins l'espérer. Finalement, tu lui tends le café que tu as en main, un sourire aux lèvres. « Ouais. J'sais pas si t'as le droit d'en avoir ici mais je m'en fous. » Dis-tu en haussant les épaules. Ce n'est pas parce que tu es médecin légiste ici que tu respectes forcément les règles.

C’est étrange cette sensation de devoir rendre des comptes à des gens. A mes amis. Freja en premier et enfin Noam. Ils occupaient tous les deux une place prépondérante dans ma vie. Ma famille. Comme disait Lilo, elle est brisée et pas très grande mais il y a toujours de la place. Je le laisse venir jusqu’à moi avec un café salvateur. C’est un bel homme Noam. Il a un cœur aussi gros d’un Totoro et je sais que sa fiancée doit être chanceuse d’être auprès de lui. Et puis comme pour achever la gente féminine célibataire, il est bel homme. Comme Freja. Je suis la Duff dans ce trio improvisé. « J… J… je n… n… ne vou… voulais p… p… pas. » Je ne voulais pas le déranger dans sa vie de famille. Avec la fille de sa femme et sa jolie petite-amie. J’étais la chose grisâtre qui trainait dans sa vie. Les larmes commencent à couler lentement le long de mes joues et je peine soudainement à trouver les mots. Personne ne pouvait comprendre. Et dans le fond, je ne voulais pas qu’ils comprennent. Je voulais rester seule dans ma solitude. Sa voix se fait douce, pleine de douleur. Je voudrais lui promettre, je voudrais être capable de lui dire : je te promets de rester en vie. Mais je suis déjà morte. Depuis combien de temps n’ai-je pas ri ? N’ai-je pas souri ? La dernière fois, c’était en présence d’Alfie et ça remonte à l’été. L’automne arrivait à grands pas et je demeurai impassible, triste et seule. J’attrape le café. « On… on… on a… a… a toujours droit à un ca… ca… café. » Je me colle doucement contre lui pour poser ma tête sur son épaule, ma main vacante attrapant la tienne. « Pour… pour… pourquoi t… t… tu restes a… ami avec m… moi Noam ? »

Si Ruby n'est pas capable de t'appeler lorsqu'elle est dans le besoin, alors à quoi servent les amis ? Tu ne veux pas qu'elle doute de ta présence et de ta disponibilité la concernant. Au contraire. Même si tu as une vie de famille à côté, tes amis occupent une grande place dans ton coeur également et Ruby en fait partie, sans aucun doute. « A l'avenir, n'hésite pas. » Ton regard soutient le sien afin que la jeune femme retienne le message. Même si, au fond, tu espères qu'à l'avenir un acte tel que celui-là ne se reproduira jamais. Mais en tant qu'ami, tu te dois d'être là dans les bons comme dans les mauvais moments. Lorsque Ruby ignore ta demande de promesse, tu fronces les sourcils, conscient qu'elle en est encore incapable aujourd'hui. C'est peut-être trop tôt ? Tu n'en sais rien mais tu es bien décidé à la faire promettre qu'elle ne fera pas d'autres tentatives de suicide. Si ce n'est pas là, tout de suite, ce sera plus tard mais ce jour arrivera. Une fois la tête de Ruby contre ton épaule, tu poses la tienne par-dessus, exprimant toute l'affection que tu éprouves pour cette jeune femme. Tu ne t'autorises jamais des moments aussi affectifs avec d'autres femmes que Naomi mais avec Ruby c'est différent. Et Naomi le sait, de toute façon. « Parce que contrairement à ce que tu sembles penser, tu es une jeune femme formidable. Tu es belle, douce et bienveillante. Tu es également généreuse et c'est une qualité plutôt rare de nos jours. J'aurais tort de ne pas être ami avec une personne comme toi. » Dis-tu en soulevant le menton de Ruby afin que son regard se porte sur le tien. Tu veux qu'elle lise toute la sincérité que tu ressens à cet instant précis. Tu veux qu'elle voit qu'elle a de la valeur aux yeux des gens et aux tiens, contrairement à ce qu'elle semble penser.

Ce que les gens pensaient de moi, je le savais. Oh Ruby que tu es gentille, oh Ruby que tu es adorable. Tu es une fille en or, une amie en or. Je me sens comme en ébullition. J’avais tout foiré dans ma vie, il ne me restait que ma vie professionnelle qui décollait. Mais je n’avais plus de famille, je n’avais plus ma sœur. Ma sœur sur qui je me reposai trop souvent. Alors que je suis contre Noam, mon meilleur ami, je me sens devenir une cocotte minute. « Oui Noam, voilà à quoi ça se résume. Sur mon épitaphe on aurait pu lire : ci gît Ruby, elle était gentille et bienveillante. Est-ce qu’être gentille m’a préservé du besoin ? C’est facile pour toi de dire ça, t’as une jolie copine, une fille magnifique et moi, j’ai mon chien. Toi t’as une famille, moi je n’en ai plus. Est-ce que ma gentillesse m’a récompensée ? Que dalle ! » j’en ai les mains qui tremblent tellement, je m’énerve. « Désolée, d’habitude je garde tout en moi mais là, j’en ai plus la force. Tu te rends compte que l’autre jour, un type m’a pris pour elle. J’existe même pas, y’a que Sally, moi je suis l’autre jumelle. La fadasse. » J’attrape mon paquet de cigarettes pour me lever. « Tu sais où on peut fumer une clope ici ? parce que si je l’allume là, j’vais tout faire exploser. »