(loudy) est-ce qu'il y aurait un nom assorti à ses imposants pectoraux ?

Voilà une semaine que je croupissais à l’hôpital. Soit disant je dois me nourrir. Je n’ai pas faim. Je dois leur lire en quelle langue ? Je suis assise comme une gamine dans un fauteuil de la salle de convivialité de l’hôpital. Tout le monde est avec son plateau, chante, scande des trucs et a l’air vachement content. Ce qui est navrant. Je me masse les tempes, mon violon sur les genoux avant de voir que la porte a été laissée ouverte. Je regarde à droite, à gauche. Me barrer. C’est une très bonne idée ! Après, je pourrais reprendre un avion pour La Nouvelle-Orléans où je confierai ce gamin à mon frère et ne plus jamais revenir à Bowen. Mes cheveux roses attachés en queue de cheval, je me glisse à l’extérieur de la salle pour attraper une blouse de médecin au passage. Je pourrais essayer de prendre cinq kilos et tout perde en sortant mais c’était du temps perdu. Mon statut d’anorexique permettait de croire que j’avais juste un peu de rondeurs. Un peu de rondeurs. J’ai l’air d’un mammouth. Un garde me reconnait et je pique alors un sprint envoyant tout bouler sur mon passage. Les chariots, les papiers. Je dois vite me planquer. Au détour d’un couloir, je regarde à droite, à gauche avant de voir un placard. Mais il y a un mec devant. Je penche la tête sur le côté. Salut supermâle ! Bon tant pis. Je fonce dans le gars, ouvre la porte et nous embarque tous les deux à l’intérieur. « TAIS TOI, hurlai-je en mettant ma main sur sa bouche, on me retient ici pour me forcer à manger et je dois me barrer donc tu te tais et je te laisse tranquille, d’ac ?! » Je sautille d’un pied à un autre, ne pouvant poser mon regard sur le gars parce que nous étions dans le noir et que j’avais la grosse flemme d’aller jusqu’à l’interrupteur.

Un simple rendez-vous de routine, ou alors ça n’aurait dû qu’être un simple rendez-vous de routine. Pourtant, dans la vie de Woody, il fallait constamment qu’il y ait des revirements de situations, des événements auxquels il ne s’attendait pas et, rarement, qu’il n’avait pas cherchés. Il faut dire, oui, souvent le monde lui tombait sur la tête parce qu’il avait merdé, qu’il avait fait le con et qu’il ne méritait que ce qui lui arrivait. Cette fois, par contre, Woody n’avait rien cherché du tout, au contraire il venait à peine de sortir de son rendez-vous avec son neurologue, consultait tranquillement ses courriels en lien avec le travail, positionné devant un placard pour le moment clos, inutilisé, au beau milieu d’un couloir. Il s’apprêtait d’ailleurs à reprendre sa route en direction de la sortie quand cet ouragan rose le frappa de plein fouet, un peu comme on plaque au football américain, pour l’embarquer avec elle dans le placard. Honnêtement, ça ne l’aurait même pas étonné de débarquer dans une toute autre dimension, avec cette licorne magique qui se tenait devant lui, dans le noir. Sauf qu’ils étaient bel et bien coincés dans le petit espace, entourés de produits ménagers et de boîtes de masque et de gants en latex. « Qu’est-ce que tu … » Fous. Sauf que ça il n’eut pas le temps de le gueuler, puisqu’elle plaqua sa main sur sa bouche en lui hurlant de se taire. Woody enleva d’un geste brusque cette main qui s’était retrouvée on-ne-sait-où. « C’est toi qui gueules. » Murmura-t-il. Elle lui expliqua qu’on la retenait ici pour la forcer à manger et qu’elle voulait se barrer. Toujours dans la noirceur, sans pouvoir vraiment discerner quoi que ce soit de son interlocutrice, il répondit à voix basse : « Ce n’est pas en t’enfermant dans un placard avec un parfait inconnu qu’tu pourras te barrer. Genre, je comprends pas la logique du geste, et pourquoi j’suis mêlé à ça. » Elle sautillait d’un pied à l’autre, il voyait sa silhouette bouger en plus du bruit que ça faisait, presque sourd. « Parce que tu vas te pisser dessus en plus ? » Demanda-t-il, prêt à mettre la main sur la poignée et s’en aller.

Encore une fois, j’avais fait fort. La subtilité, la douceur, tout ceci je ne connais pas. J’étais maintenant coincée dans un placard avec un parfait inconnu dans le noir le plus total. « Je ne gueule pas, dis-je quasiment sans articuler, je te dis juste de te taire car je veux me tirer d’ici. » j’avais quasiment chuchoté ses mots, sans en détacher la moindre syllabe avant de me décoller de l’inconnu. Visiblement, le monsieur n’était pas sympathique. Pas du tout. Bon, je ne pouvais pas lui en vouloir, après tout il était coincé dans un placard avec une inconnue aux cheveux roses visiblement cinglée. Je m’en fous de ce qu’il pense ou de ce qu’il dira. « T’étais devant la porte et j’avais besoin de me planquer des vigils. Et pas mon expérience, les gens vont souvent dans les placards pour deux choses : copuler lorsqu’ils sont en service ou… » j’allume la lumière d’un coup avant de le détailler de haut en bas. « Et pour prendre des fournitures. » J’inspecte en sautillant les étagères aux alentours, cherchant une charlotte pour masquer mes cheveux roses et un masque pour mon visage. Histoire de passer pour une interne d’un mètre cinquante ou autres. « Je n’ai pas envie de pisser sombre crétin, je suis hyperactive et enceinte. Maintenant Supermâle t’es invité à te tirer de là. » Je lui adresse un baiser d’adieu en dissimulant mes cheveux sous la charlotte et refermant la blouse. On pourrait juste croire que je suis un peu enrobée. Je fouille dans les poches pour en sortir un portefeuille que j’ouvre avant d’en extraire les billets que je glisse dans ma poche ; une clé de voiture (bien que je n’ai ni le permis, ni de chaussures) et un badge. « Merci à toi Dr Mamour pour la porte de sortie, dis-je avant de balancer le restant des affaires par-dessus mon épaule sans me soucier du mec présent à mes côtés.

Incapable de se laisser répondre sans avoir le dernier mot, incapable de ne pas surenchérir, Woody ajouta : « Tu le dis pas, tu le gueules. » Il voulait juste rectifier la chose, après tout, lui avait tous les droits d’avoir réagi avec surprise mais elle, si son plan était de faire tout ça en douceur, et bien c’était un échec. Il attendit quand même patiemment, debout, presque collé contre elle en raison du peu d’espace de l’endroit. Pourquoi, d’ailleurs ? Pourquoi restait-il là ? Rien ne l’obligeait à obéir aux ordres murmurés de la jeune femme dont il ne voyait même pas le visage. Il n’avait qu’à tourner la poignée, foutre le camp, et mettre cet épisode étrange derrière lui. Il n’en fit rien, préférant encore une fois relever l’illogique de la demoiselle. Elle voulait s’enfuir mais s’enfermait dans un endroit dont la seule issue était la même place d’où elle provenait. Il doutait, Woody, de la santé mentale de son interlocutrice. Si les médecins désiraient la garder ici, il y avait peut-être une raison. Il y avait sans aucun doute une raison. Au beau milieu de la phrase de la patiente, cette dernière ouvrit la lumière qui se trouvait au mur à côté d’elle. Une tête rose comme une boule de gomme se présenta à lui, et il la détailla du regard aussi méticuleusement qu’elle le faisait face à lui. « Et tu crois que les vigils vont laisser faire deux personnes qui vont copuler dans les placards ? J’crois que si t’avais envie de t’faire encore plus remarquer par eux, t’as fait le meilleur move. » Ça, c’était s’ils avaient vu quoi que ce soit. Tout s’était passé tellement vite, même pour Woody qui était pourtant un acteur dans la situation, qu’on pouvait fortement croire que seuls les deux patients en attente à côté du placard avaient remarqué quoi que ce soit. Alors qu’il relevait le fait qu’elle donnait l’impression de vouloir se pisser dessus, miss bonbon lui répondit qu’elle était hyperactive et enceinte, nuance ! « Bon, ben. Bonne chance … » Il la regarda enfiler la charlotte et la blouse, secouant la tête, à la limite de l’exaspération, avant de poser sa main sur la poignée. Elle avait mentionné le fait qu’elle ne mangeait pas, mais avec un bébé en route, ce n’était certainement pas l’attitude à adopter. Alors, en sortant du placard, il regarda autour de lui et lança : « Si vous cherchez la femme enceinte aux cheveux roses, elle est là-dedans ! » Dit-il en pointant derrière lui le placard.

Agir sans réfléchir. Je pense que cette expression a dû être inventée pour moi. Tandis que j’entraine ce mec que je ne connais pas dans le placard. Visiblement, ça n’est pas pour lui plaire. Les gens sont tellement rabat-joie. Je hausse les épaules à sa remarque. Visiblement, il aime bien avoir le dernier mot. Je n’entrerai pas dans son jeu, je suis plus du genre à laisser couler. La preuve, je ne porte jamais de chaussures car c’est inconfortable. J’allume la lumière pour le regarder. Pas mal, pas mal. Encore une fois ses paroles me font hausser les épaules. Pauvre débile qui ne comprend rien aux femmes. Je me contente de fouiller dans ma veste pour en sortir pour le portefeuille, des clés de voiture et un stylo. D’accord, inutile, je vide le portefeuille que je jette, inutile, les clés : utile. Même si je n’ai pas le permis. Conduire une voiture ne doit pas être bien sorcier. Puis, je commence à fouiller un peu pour cacher mes cheveux sous la charlotte et mon visage par le masque. Monsieur muscle sortit du placard et j’en profitai qu’il l’ait laissé ouverte pour me faxer à l’extérieur. Sauf que… mais putain, il m’avait vendu. Tandis qu’il clame haut et fort que je suis dans le placard –ou je suis plus d’aileurs- je m’approche de lui par derrière pour lui voler son portefeuille. On ne met jamais ça dans le poche arrière de son jean et ça t’apprendra à me vendre. Je le glisse dans ma poche avant de me mettre en évidence derrière les vigils qui courent pour lui servir un doigt d’honneur. Seulement, je savais qu’il allait dire où j’étais partie. Alors, je fuis pour entrer dans l’ascenseur et cliquer sur le bouton du bas. J’en profite pour fouiller dans ce que je lui ai pris. Woody Rutkowski. A l’évidence ses parents avaient trop bu lorsqu’ils l’ont baptisé. Une ordonnance pour des médicaments, de l’argent –dans ma poche-. L’ascenseur se stoppe et je sors pour balancer le précieux objet dans la première poubelle qui passe avant d’être dehors. « Bande de débiles. » J’ôte la charlotte et le masque ainsi que la blouse. Heureusement en psychiatrie ils nous laissent nos vêtements. Je savais que ça ne serait qu’une question d’heures avant qu’ils ne préviennent Ciàran mais rien à foutre. Un sourire victorieux, je sors les clés volées de ma poche arrière pour aller déverrouiller cette maudite voiture et me tirer d’ici. « Bonne chance pour retrouver ton portefeuille sale con ! »

Alors que Woody dénonçait, sans scrupule, la femme enceinte et anorexique avait qui il venait de vivre la rencontre la plus étrange de l’histoire du monde, cette dernière glissa sa main dans la poche arrière de son jeans. Il n’eut même pas le temps de se retourner qu’il la voyait partir en courant avec son portefeuille qu’elle glissa rapidement dans sa poche. « HEY ! Rends-moi ça ! » Les vigils qui couraient eux aussi derrière la patiente délinquante coupèrent Woody alors qu’il s’apprêtait à se lancer à son tour à la poursuite de la jeune femme. Les portes de l’ascenseur qui venaient de s’ouvrir à elle, se refermèrent également sur elle alors qu’aucun des vigils, ni Woody, n’arrivèrent à temps pour rentrer avec elle. Sans perdre une seconde, il s’élança dans la cage d’escalier afin de les descendre le plus rapidement possible. Il eut tout juste le temps, en passant la porte du rez-de-chaussée, de l’apercevoir jeter son portefeuille dans les poubelles et de s’élancer à l’extérieur de l’hôpital. Il alla rapidement récupérer ses effets personnels, réalisant bien vite qu’elle avait volé les quelques vingt dollars qu’il traînait sur lui. Il sortit à son tour de l’hôpital pour la voir, au volant de sa voiture, sortir en trombe du stationnement en gueulant comme une dingue. « GO FUCK YOURSELF, YOU CRAZY BITCH ! » Lui cria-t-il à son tour. Putain, si elle arrivait à se rendre au bout de sa grossesse, c’était un pauvre enfant qui verrait le jour.

TERMINÉ