La parole est d'argent ... et l'argent c'est vachement cooool !

Le fric, c'est chic. Et plus tu as de l'argent, plus tu en veux. Depuis qu'Arthur était devenu courtier, son salaire mensuel frôlait l'équivalent de son salaire annuel lorsqu'il était cuistot. Cette semaine il avait touché plus de dix mille dollars australiens. Son don pour la négociation  avait attiré de gros poissons : des milliardaires qui croyaient dur comme fer qu'ils investissaient envers quelqu'un de confiance. Arthur jouait avec ses talents d'acteur afin de les persuader qu'ils faisaient l'affaire du siècle. Mais il s'agissait plutôt de l'arnaque du siècle. Bien sûr, Arthur éprouvait parfois un peu de scrupule. Puis quand il se voyait dans la glace dans son beau costume Armani, il oubliait ses remords.

Ce mois-ci, il avait acheté une voiture de sport. Une BMW i8. Rouge, flamboyante. Il aimait (ou plutôt il jubilait), voir les regards tournés vers lui. Aujourd'hui Arthur se rendait au centre-ville jusqu'à ce qu'il aperçut la camionnette Imogen. Qui dit Imogen, dit son pote Jake. Ils avaient travaillé ensemble autrefois et depuis une belle amitié est née. Seulement ça faisait un moment qu'ils ne s'étaient pas vus. Arthur se gara et quand il se tourna vers Jake, il vit immédiatement qu'il venait de le choquer.《 Hey! Ça va, frérot? 》 Il se mit à rire. Jake semblait abasourdi. Il faut dire qu'avant ça, Arthur roulait dans une voiture cabossée avec un pare choc et des portes arrières de differentes couleurs. Il portait aussi des jeans troués, non pas pour le style mais parce qu'ils étaient abîmés. C'était l'heure des explications. Il n'avait pas gagné au loto.《 Ah, non, mieux que ça! J'me suis reconverti. T'as devant toi Monsieur Delacroix, courtier financier. 》 annonça-t-il fièrement. Il afficha un sourire très loin d'être modeste et fit mine de replaçer sa cravate.《 Disons que j'ai rendu mon tablier. La cuisine, ça paye pas. 》 dit-il en haussant les épaules. Pourtant il en était passionné, autrefois. Il rêvait même d'ouvrir son propre restaurant. Maintenant qu'il pouvait se l'offrir, il avait enfoui ce rêve dans un placard. Tout ce qu'il désirait à présent c'est encore plus d'argent.

Un frère jumeau, lui? Le monde serait bien embêté avec deux Arty.《 Mais non, t'es un fou! 》 Il rit aux éclats. Il n'avait aucunement l'intention de flamber. Jake, lui, avait sa propre boutique. Peut-être ne roulait-il pas sur l'or, mais au moins il profitait d'une vie normalement aisée. Tandis qu'Arthur, lorsqu'il était cuisinier, ne gagnait que le strict minimum. Pourtant il se donnait toujours à 200% dans son travail. Le retard dans le loyer, les factures impayées, le frigo vide... Tout cela, il le connaissait bien. Déja étant môme, sa mère récoltait que de quoi survivre. Autant dire qu'Arthur connaît bien la pauvreté.

Avant toute chose, il devait raconter à Jake comment sa vie a basculé.《 J'ai pété un plomb, frère. Le gérant du restaurant m'a pris pour un con, ça faisait plusieurs mois qu'il ne me payait pas mes heures sup'. Hé je suis cuisinier pas un pigeon! Je me suis barré. Rien à foutre. Tu me connais moi, je sais faire plein de choses. J'étais à prêt à prendre n'importe quel job. Peintre, garagiste, électricien... Je touche à tout! Et là un chasseur de tête m'a pistonné. En deux semaines, j'avais attrapé deux gros poissons. C'est comme ça que j'ai développé mon portefeuille de clients. 》 jraconta-t-il. Il ne peut s'empêcher d'avoir un énorme sourire aux lèvres. Il se sentait terriblement chanceux. Lui qui n'avait aucun diplôme en poche, il ne s'imaginait pas atteindre un tel objectif professionnel. Selon lui, il n'avait pas de talent particulier. Juste, il choisissait les bons mots, au bon moment. 《 Le truc c'est de leur parler comme à une femme. Faut vendre du rêve. Monsieur, ne vous inquiétez pas. Vous pouvez me faire confiance. Jugez-vous en vous-même à mes pertes car elles sont nulles. C'est une opportunité à saisir! 》 ce discours charmait de nombreux investisseurs. Ils tombaient tous dans le piège. Arthur renvoyait l'image d'un homme d'affaires consciencieux et sympathique.

Si il reverrait un jour la couleur de son argent? Aujourd'hui Arthur s'en moquait. 《 Tu parles! 》 il ricana. Quelle importance? Il était hors de question pour lui de retravailler dans ce restaurant. Au diable son ancien patron et les heures supplémentaires qui lui sont dûes! Son nouveau job lui rapportait bien plus.

Jake n'en revenait pas de ce changement si soudain. 《 Je ne dis pas que je sais tout faire, loin de là. Mais tout s'apprend.》 dit-il optimiste. Depuis qu'il est petit, Arthur est débrouillard. Il n'est pas garagiste mais il saurait  démonter un moteur d'une voiture ou faire une vidange. Il n'était pas peintre mais pouvait poser une toile proprement. Il avait fait pas mal de missions d'intérim et connaissait des gens qui travaillaient dans des secteurs différents. À défaut d'être cultivé, il savait se servir de ses dix doigts. D'ailleurs c'est toujours avec grand plaisir qu'il vient à l'aide de ses amis. 《 Au début on m'a donné un mode opératoire, j'ai pris quelques initiatives... Non franchement je sais pas comment j'en suis arrivé là, je suis très chanceux.》 réalisa-t-il très sincèrement. Le Arthur modeste parlait. 《 Mais c'est clair que ce job a changé ma vie. Je ne veux plus me retrouver derrière les fourneaux à mijoter une ratatouille.》 lança-t-il d'un air dégoûté. Le Arthur vaniteux parlait. Lui qui adorait la cuisine, avait laissé sa passion dans les ordures.

Tout comme Jake, Arthur ne voyait pas son ami en tant que courtier. Jamais il ne lui demanderait de devenir son collaborateur. Pas sûr qu'il sache ou ne veuille baratiner comme il le fait avec les femmes. 《 Pourquoi t'en aurais besoin! T'en a déjà une.》 Il parlait de Callie, la petite amie de Jake. Ce dernier avait trouvé l'amour et il semblait que c'était la bonne puisqu'ils désiraient s'installer ensemble. Selon Arthur, ils formaient le couple le plus adorable et parfait de Bowen. Lui, il n'envisagait rien de sérieux. Il avait tellement la frousse de tomber amoureux qu'il fuyait à la moindre étincelle de sentiment. Et pourtant, avec Tahlia il jouait avec le feu.

Jake n'était pas loin de la vérité. Tout comme il le faisait aux femmes, ils promettaient à ses clients un avenir incertain. Les actions qu'ils proposaient étaient des investissements sans aucune valeur. 《 Non, ouais, non.》 Il hocha la tête et haussa les épaules. 《 C'est le monde des finances. Rien est sûr. L'argent ça vient, ça part, t'sais.》 dit-il vaguement. Il avait envie de changer de sujet. Son regard se porta sur sa belle voiture. Il ne songeait pas à un quelconque remord.

Jake semblait abasourdi par ce changement aussi soudain. 《 Ouais, on peut dire ça! Carrément, oui. 》 confirma Arthur déboussolé, réalisant à peine que les choses se soient déroulées si vite. Il se voit encore aux fourneaux, avec une pression monstre de sortir tous les plats à temps. Avec la peur au ventre de décevoir les clients, il tenait à ce que les plats soient bons. Ces plats étaient bons mais n'étaient pas toujours beaux car il avait un goût de l'esthétique cullinaire assez médiocre. De plus le travail de cuisinier ne payait pas dans un restaurant classique et sans étoile. 《 Tu vis ta journée en décalé, tu dois travailler le samedi, le dimanche, les jours fériés. À côté de ça t'as aucune reconnaissance, aucune compensation. En tout cas moi, mon boss ne m'en montrait pas. 》 renchérit Arthur, qui en avait gros sur la patate. Son nouveau métier lui permettait d'avoir de nombreux avantages puisqu'il était indépendant. Il se confiait à Jake, qui lui avait une situation stable et une vie amoureuse idyllique. Parfois il l'enviait. Quant aux "promesses" qu'il prétendait à ses clients, Arthur prennait les choses avec légèreté.  《 Non! Du tout! T'inquiètes pas pour eux, ils ne sont pas à plaindre. Leurs comptes en banque sont pleins. Ils ont de quoi donner. 》 Personne ne peut dire quel est le bon cheval à miser, se disait-il. Et ce n'est pas comme si il escroquait des foyers aux revenus faibles. Il visait toujours des hommes riches, afin que cela lui en rapporte un maximum d'argent.  《 Sérieux tu trouves? Pourtant je me mets bien! Je mange comme un gros porc avec tous ces dîners d'affaires! 》 rigola-t-il de son franc parler légendaire. Ce n'est pas parce qu'il portait maintenant un costume, qu'il n'avait plus rien d'un voyou des rues.  《 Non mais j'avoue que je me suis mis à courir. 》 ce qu'il ne faisait jamais auparavant. Courir lui permettait de moins fumer. Il essayait d'arrêter toutes substances illicites. Il compensait son manque avec la course, la cigarette et le cigare.

《 J'en doute pas une seconde.》 assura-t-il, persuadé que Jake est un bon patron. Par le passé il a été employé, il sait donc à quel point il est important de donner de la reconnaissance à ses salariés. D'autre part, Jake était une personne agréable. Arthur pourrait même dire facile à vivre, lui qui l'a côtoyé professionnellement. Les deux hommes se connaissaient bien. Si bien qu'Arthur savait qu'il avait encore son étiquette de voyou collé au front 《 Mais non, frère! Je les respecte un minimum! 》 rigola-t-il. Si il se comportait au travail comme il se comportait dans la vie privée, il se retrouverait au chômage.  Il n'avait rien d'un Robin des Bois. Il se remplissait ses poches à lui, il n'avait donc aucun mérite Cependant il exerçait son activité en toute légalité.

Arthur a conscience qu'il a beaucoup changé, vestimentairement parlant. Grâce aux bons conseils de Tahlia, il a fait de gros efforts. La copine de Jake, Callie, serait bien surprise de cette métamorphose. 《 Ah ouais au fait, ça va avec Madame? 》lui demanda-t-il sur le fil de la conversation. 《 Viens, on fait un tour vite fait. 》 lui dit-il en lui tendant les clés de sa voiture. Il avait entièrement confiance en Jake. Et quel homme n'apprécie pas conduire les belles voitures de sport? Ils pourront ainsi discuter sur la route. 

Cette information lui a échappé. Jake avait du mal avec ce langage de la rue. Et encore, Arthur contenait certains mots crus, qui surgissaient surtout sous l'impulsion. Mais il n'avait pas d'excuse. Ce n'est pas comme si on l'avait influencé, bien au contraire. Vous savez dans les dessins animés on représente la conscience avec un ange et un démon. Arthur, lui, portait sur ses épaules un démon plus mesquin. Autrefois voyou, aujourd'hui il était un courtier peu soucieux des investissements de ses clients. "Je crois qu'ils seraient choqués. Je ne pourrais pas leur en vouloir. Tu m'as bien regardé? Qui m'aurait donné une chance de réussir dans la vie? Même moi je ne l'aurais pas fait." dit-il d'un ton dédaigneux. Avec le recul, il devait bien admettre qu'il n'inspirait pas confiance aussi bien dans son comportement que dans son style vestimentaire. Son nouveau lui, c'était tout autre chose. On devinait facilement qu'il était un homme d'affaire.

Tout le réussissait. Même le coeur de Tahlia lui semblait enfin accessible. En parlant d'amour, Jake, lui, avait trouvé sa moitié auprès de Callie. Arthur ne serait pas étonné si ces deux-là seront prochainement mariés. La première étape qu'ils venaient de franchir était un emménagement ensemble. "Bien! Félicitations! Eh tu m'appelles si t'as besoin, hein? Repeindre le salon? Déplacer des meubles? T'hésites pas." insista Arthur. Bricoleur dans l'âme, il appréciait le fait de se sentir utile. Secrètement il aimait également l'odeur de la peinture fraiche et du bois scillé. Cependant peut-être que Jake et Callie ont acheté une maison neuve, sans besoin de travaux. En tout cas une aide proposée n'est jamais de trop. D'ailleurs Arthur lui proposa aussi de conduire sa nouvelle voiture. "Sérieux?" lâcha-t-il très surpris de son refus. Avait-il peur de la casser ou quelque chose dans ce genre-là? Arthur avait parfaitement confiance en Jake. Néanmoins il n'insista pas. "Allez en route, mauvaise troupe..." dit-il en mettant ses lunettes de soleil sur son nez.