you're the angel on the top of my tree, uhuh (jeff)

Je devais plaider coupable là-dessus. En même temps, à force de vivre avec deux filles – et pendant un moment j’étais vraiment le seul mec, quand même, après le départ de Perry -, j’avais évidemment été influencé pour certaines choses. Les séries télévisées étaient une de ces choses là, même si les deux filles se défendraient sans doute en me disant que j’étais celui qui était le plus à fond dans les histoires. Il était vrai qu’en ce qui concernait Pretty Little Liars, elles avaient voulu lâcher à un moment, et j’avais insisté pour regarder jusqu’au bout. Bah, tant qu’à avoir vécu tout ce suspens, aussi bien connaître la fin de l’intrigue, hein. Ils avaient eu le don de nous faire languir et nous envoyer sur de mauvaises pistes pendant quatorze millions de saisons. « Ça va, j’me rattrape en regard Survivor … » Je me raclai la gorge, peu convaincu par ma propre réponse. « C’est bon … sors-moi plus souvent. Ça vaut mieux. » Admis-je en riant. Il était vrai que je pouvais parfois avoir un quotidien assez tranquille, comparativement à certains habitants de cette ville. Mais était-ce vraiment un crime que de vouloir se poser ? J’avais mon lot de drames même s’ils ne me concernaient pas toujours directement, ils m’affectaient, et ça me donnait assez de contenu pour une vie mouvementée. Le chaos créé par le trouble identitaire d’Amélia faisait partie de la liste, au top, même. « Ouais, mais crois-moi, des hauts et des bas comme on en eus … j’veux pas en ravoir. J’veux même pas qu’elle sache qu’on a pu avoir une relation aussi toxique à un moment. Y’a rien de glorieux dans les disputes qu’on a pu avoir. » Je soupirai. Je m’étais souvent emporté contre elle, mais en même temps, elle m’avait à maintes reprises poussé à bout. Elle avait été une vraie girouette, une montagne russe, me reprochant une chose pour me complimenter tout de suite après. J’avais bien failli perdre ma tête, dans cette relation, et la venue d’Amélia me permettait un peu de souffler, aussi, à quelque part. On changea enfin de sujet, je ne voulais pas emmerder Jeff plus longtemps avec mes histoires des plus complexes, qui plus est. Ça n’était pas vraiment l’objectif de la soirée. Enfin, certes, nous voulions prendre des nouvelles l’un de l’autre, mais une nouvelle pareille … c’était plutôt lourd. Parler de fantasmes, par contre, ça c’était plus festif. « J’avoue que le fantasme de la collégienne … c’est difficile à battre. » Avouais-je en hochant la tête, en pleine contemplation de mes propres pensées. La jupe courte, la chemise blanche détachée de quelques boutons de trop, les bas remontant jusqu’aux genoux. Pfiou. Zelda serait plutôt pas mal, là-dedans. Blblblbl, c’est le cas de le dire. « Tu dis ça mais … les femmes aiment bien jouer au docteur, aussi. » Lui dis-je avec assurance. Bon, peut-être pas genre gynécologue, ça avait quelque chose d’un peu louche, mais médecin généraliste qui fait son examen annuel, quoi. « Catwoman ! Miaouuu ! » J’imitais un chat, ouais, pour souligner que j’aimais bien cette idée au côté félin. Je commençais à avoir trop d’effluves d’alcool qui se rendaient jusqu’à mon nez, peut-être. Ou jusque dans mon estomac. En tout cas, tous ces fantasmes, Jeff aurait tout le temps du monde pour les essayer avec Eilynn, si elle acceptait de vivre avec lui. Une autre justification à ajouter à la liste, pour expliquer l’état dans lequel on se retrouverait plus tard ce soir ! « Tu dis toujours ça mais c’est toi qui finis par vomir dans les ruelles. » Ahem, bon, je mélangeais un peu mes souvenirs. Et au rythme où on s’enfilait les shots, aussi rapidement que je sortais de merveilleux noms de cocktails, j’allais sans doute rapidement oublier cette soirée aussi.

***

Oh boy. Oh boy. Ça tournait là-dedans. Et je ne m’étais pas encore levé une seule fois de mon tabouret, ce qui voulait dire que lorsque je me mettrais sur mes deux pieds, on allait devoir parier sur si je serais capable de rester en équilibre sans me ramasser la tronche au sol. Avec ma vessie qui menaçait d’exploser en un arc-en-ciel de couleurs d’alcool et de jus, on ne tarderait pas à savoir. Mais avant, Jeff me demanda d’envoyer un texto à Zelda avec mon téléphone. Et comme je n’avais plus toute ma tête, ça me sembla être une merveilleuse idée. « T’peux lui dire, hein ! C’serait pas lui pentir ! » Pentir, mentir, même chose. Je lui tendis mon téléphone mais, avant qu’il ne s’en empare, je serrai un peu plus les doigts pour l’empêcher de le prendre. « MAIS. En échange, je veux le tien. Un genre de … de … garantie. » J’hochai la tête, fier d’avoir dit un mot aussi adulte.
 

Ah ouais ? Des potins à la caserne ? Je m’étais toujours demandé ce que c’était que de travailler dans un environnement majoritairement masculin. De mon côté, c’était tout le contraire, j’étais plutôt entouré de femmes. Disons que dans le milieu de la danse à Bowen, on retrouvait pas mal plus de femmes. Au niveau mondial, il y avait de grands chorégraphes et danseurs hommes, mais je me demandais bien où ils se cachaient tous, avant de passer pro’. Peut-être que j’étais moi-même un candidat – ah, c’est beau rêver ! « Des potins, ah ouais ? Genre ? Vous parlez de vos drames vécus avec vos copines ou vos coups d’un soir ? » Je les imaginais tous, les pompiers, assis autour de la table avec leur café, dans l’attente que l’alarme sonne, à parler ouvertement de leurs problèmes de cœur. Ça me faisait un peu rire, j’avoue, même si en vérité c’était exactement ce que je m’apprêtais à faire avec Jeff en parlant d’Amélia. Comme quoi, y’avait rien de trop étonnant à voir entre deux hommes qui se confient. On passa toutefois à un autre numéro après que j’aie conclus que je ne voulais en aucun cas revenir sur ma relation avec Lilas, en présence d’Amélia. C’était compliqué tout ça, même dans ma tête, mais au moins Jeff me donna raison là-dessus. Ça ne servait à rien de s’enfoncer encore dans le chaos alors que ce n’était même plus la même personne. « Ahhh, non ! Va pas t’imaginer ma Zelda en collégienne, toi ! » J’éclatai de rire. « On est pas encore, euh, comment dire … assez à l’aise ensemble dans la chambre à coucher pour s’adonner à ce genre de mise en scène, tu vois. Peut-être un jour mais là, on reste dans le plus traditionnel, quoi. » Admis-je en baissant un peu le ton de voix, réalisant qu’on parlait peut-être un peu trop fort de nos fantasmes alors que nous n’étions même pas encore torchés. Ça viendrait, ça viendrait. Bien assez vite d’ailleurs.

***
Je m’attendais à ce que Jeff se montre un peu plus réticent, qu’il se braque face à ma demande d’échanger mon téléphone seulement contre le sien. Je ne lâchai pas mon portable tant qu’il ne m’eut pas donné le sien, et ce fut un peu trop facile. Je pense qu’il était juste trop ivre pour réaliser à quel point il était en train de risquer sa relation avec Eilynn, là. Bon, peut-être que moi non plus, je ne réalisais pas trop de quoi était capable Jeff quand on lui faisait un tel cadeau entre ses mains qui allaient n’importe où sur mon clavier. Bordel, ce qu’il devait y avoir des fautes. Tant mieux, comme ça, Zelda n’y verrait que du feu. « Tu vas lui sortir des sonnets, Shakespeare ? » Je savais même pas si Shakespeare était poète, en vrai, ou juste dramaturge. Je savais même pas s’il était dramaturge non plus. Il écrivait des trucs, c’est tout. Et beaucoup de femmes avaient lu ces trucs alors je me disais que c’était la méthode parfaite pour récoler les pussies. Je m’emparai donc finalement du portable de Jeff et l’ouvrit directement sur le nom d’Eilynn. « Ah bah t’étais déjà en train de la texter, coquin, je suis pas assez intéressant ? » Bon, le dernier message remontait à plus de quelques heures déjà mais ça, j’étais pas assez concentré pour le remarquer. J’avais déjà assez de mal à ce que mes yeux résistent à l’intensité de la luminosité de l’écran. Je me reculais pour regarder l’écran, comme un vieillard. J’écoutai d’une oreille ce que racontait Jeff, ce qu’il me dictait plutôt. J’éclatai de rire. « T’es troooop con tu sais ça ? J'espère quand même qu'elle comprendra le message, héhé ... » À mon tour ! Je m’attelai finalement à ma méticuleuse tâche. Je profitai du fait que Jeff choisissait nos prochains cocktails dans le menu pour débuter ma dictée. « Salut … chatonne … Cochon … et … moi … on … est … très … excités … à … l’idée … de … te … voir … sortir … tes … griffes … de … petite … tigresse … est-ce … que … ça … te … dérange … s’il … dort … avec … nous … ce … soir … dans … le … lit ? » Send. J’éclatai de rire. « Jeeeeff, elle va croire que tu lui proposes un ménage à troiiiiis ! » M’exclamais-je en reposant son téléphone et en tapant sur mes cuisses de mes deux mains, complètement hilare.

 

À peu près ça, sans les drames. Donc ça ne laissait que les coups d’un soir et toutes les histoires de cul, si on se fiait à ce que je venais de dire. Ah ! Heureusement qu’Eilynn ne traînait pas trop souvent dans les parages de la caserne, peut-être serait-elle outrée de certains propos tenus par Jeff. En même temps, elle devait s’en douter. De mon côté, avec Zelda, nous n’étions pas encore assez à l’aise pour tenter ces expériences, je n’aurais donc pas eu grand-chose à raconter aux potes pompiers de Jeff mis à part quelques ébats peut-être un peu trop normaux à leurs yeux. Je ne dis pas que c’était nul ou peu excitant, hein, juste que ce n’était pas digne d’un grand fantasme à crier sur tous les toits. Ça viendrait, ça viendrait, on était peut-être juste un peu timides encore dans notre relation. « Ben si tu m’passes ton uniforme de pompier, j’pourrais lui faire une sacrée surprise ! » Je rigolai. Non, en fait, je n’avais pas du tout envie d’enfiler l’uniforme dans lequel Jeff avait sué, et lui n’avait sans doute pas envie de me le passer pour que je débute des préliminaires tout en le portant. Il valait mieux laisser tomber cette idée, et passer à un autre numéro. Les shots, oui, les shots.

***

« Du Jeff ? Nop’, désolé, JAMAIS ENTENDU. » J’aurais bien voulu lui énumérer un tas de noms de grands auteurs autres que Shakespeare en prenant grand soin de ne jamais mentionner le prénom Jeff parmi ceux-ci, mais à vrai dire, j’avais un peu peur de me couvrir de ridicule en sortant des noms qui soit A. n’existaient pas ou B. appartenaient à une catégorie tout à fait autre que celle des auteurs. Disons que si je n’avais pas une grande culture littéraire même sans alcool, mes facultés étaient davantage amoindries avec toute cette liqueur qui remplaçait mon sang. Je me résignai donc à faire ce que je faisais de mieux : le débile. Ça tombait bien puisque Jeff semblait être sur la même longueur d’ondes que moi ce soir, et on se laissait alors aller à des choix d’activités peu appropriés, par exemple échanger nos téléphones portables et envoyer des textos à la copine de l’autre. Vous vous doutez bien qu’il ne s’agissait pas de sages sms tranquilles et convenables, hein. On était à un tout autre niveau, là, avec tous ces Dirty Santas. En rentrant ce soir, ce serait nous, les vilains Pères Noël. « Nooon. C’toi qui est bourré, t’oublies déjà c’que t’as fait y’a cinq minutes ! » Et pourtant, aucun message texte ne datait de la dernière heure mais ça, je n’allais certainement pas l’admettre quand je m’en rendrais compte. Jeff écrivit le message à Zelda et quand il eut terminé, plutôt que d’attendre comme des cons devant l’écran, j’entrepris d’écrire celui pour Eilynn. Et … send ! « T’en fais paaaas, elle va juste penser que t’essaies d’innover un peu. Du changement, ça permet de pimenter la vie de couple, t’sais ! » Bon, de chaton à chatonne, ce n’était pas le changement du siècle qui enverrait leurs libidos au plafond. C’était plutôt le petit détail qui éveillerait les soupçons de sa copine. Tant pis. Jeff commanda de nouveaux verres en attendant que les filles répondent et, au moment où on redéposait nos tout nouveaux shots vides, mon téléphone s’alluma et vibra un moment sur la table. Environ dix minutes après le texto de Jeff. C’était Zelda qui me disait Je peux faire bien mieux qu’une collégienne sexy, mon chéri …. Et, peu de temps après, une selfie à l’appui. C’était Zelda, en costume de femme de ménage sexy. « Wooooooooooooooh. » Sans doute aurais-je dû cacher cette photo pour que Jeff ne la voit pas, mais trop tard, et j’étais peu subtil à lui brandir l’écran presque en plein visage. « OH-OH-OH ! » Je riais un peu comme un Père-Noël, ça y est. « Je peux t’assurer, mon Jeff, que malgré les apparences de ce costume, Zelda et moi on ne sera plus du tout propres à la fin de cette soirée ! » Erk.

Effectivement, ce n’était pas très difficile de savoir qu’on était en train de boire. Même en ayant une mémoire avec un stockage n’allant pas au-delà de cinq minutes, il suffisait de regarder les verres vides qui s’accumulaient sur notre bout de comptoir pour le comprendre. Et puis, là-dedans, il y avait ceux que le barman avait déjà repris pour les envoyer à la plonge, mais nous avions visiblement un rythme beaucoup trop digne de The Flash pour qu’il puisse keep up. Tant pis, nos verres vides, c’était un peu comme nos trophées de la soirée, de toute façon. Et puis, ça nous permettait de garder le compte et de ne pas trop abuser. Comment ça il était déjà trop tard ? « Tu peux me dire comment on a fait pour passer de discuter juste à envoyer des textos inappropriés à nos copines ? » Encore une fois, la question à cette réponse-là se trouve directement devant nous. Meh. Puis j’envoyai mon texto à Eilynn, justement, message dans lequel je laissais carrément savoir à l’intéressée mais aussi à Jeff, par la même occasion, que j’étais plutôt tenté par un ménage à trois avec eux. Après tout, c’était bien l’intention derrière. Sauf que si elle acceptait, franchement, je me retrouverais dans un beau malaise. Heureusement que Jeff ne semblait pas non plus partant ! « Noooon, t’es malade ! Hm-hm. » Je secouai la tête, comme pour rajouter du poids a mes paroles. « Ce serait un plan pour que je fasse des cauchemars avec des pénis qui me pourchassent jusque dans mon cercueil ! Et en plus si c’est les tiens … » Je fronçai les sourcils. « Enfin, le tien. Multiplié par mille. » Je grimaçai. Il ne fallait pas que je pense à des trucs pareils, sachant que j’étais plutôt visuel. Heureusement que je n’avais jamais vu Jeff nu, et que ça s’arrêtait à mon imagination et non pas à des représentations réelles. Il y avait ensuite Zelda, elle, qui m’offrit de son côté bien mieux que mon imagination. De petits mots pour me rendre impatient, et une photo en prime pour me torturer un peu d’ici à ce que j’arrive à la maison ! Évidemment, Jeff arriva à voir, je n’avais pas vraiment fait en sorte de cacher la photo sexy de ma copine. J’aurais sans doute dû. « Et comment !! » Et comment que j’allais me faire plaisir, oui ! Je me tournai vers Jeff et, en regardant sa main dans les airs, j’alignai la mienne et envoyai le coup. Nos doigts s’effleurèrent à peine, dans un échec monumental. Je passai une main dans mes cheveux, gêné, regardant autour de nous. « Personne a vu, c’est bon. » Et je lui donnai un petit coup de poing sur l’épaule, comme si d’une certaine manière, ça me redonnerait un peu de cette virilité envolée avec notre high five manqué. Je commentai le costume de Zelda, faisant un beau parallèle entre le côté propre du costume mais les choses sales qu’on ferait, me souciant bien peu d’avoir l’air d’un beauf. Eilynn, elle, ne répondait pas, ce qui était tout de suite moins drôle. « Et si elle voulait pu jamais me voir ? Et si elle trouvait que j’étais une mauvaise fréquentation pour toi ? » Demandais-je, tout d’un coup paniqué, regrettant mon texto. « Si j’efface le message sur ton téléphone, ça l’effacera aussi sur le sien tu crois ? » Mouais. « OUUUU, on se rend au casino, on s’infiltre dans le vestiaire des employés, et on vole son téléphone !!! » Casino Royal, les agents 007 et 008 étaient en route. Je m’apprêtais même à me lever.

Moi ? Me poser trop de questions ? C’était bien la première fois qu’on me disait ça. On avait plutôt l’habitude de me comparer à un unicellulaire qui n’a pas assez d’activité cérébrale pour se poser ne serait-ce qu’une seule question. C’est vrai que je n’avais pas la réputation d’être un génie en ville, mais je n’étais pas l’idiot du village non plus, hein. Et puis, il faut avouer que les questions que je me posais en ce moment n’étaient sans doute pas les plus brillantes. Je n’étais pas à l’aube d’une découverte révolutionnaire, non, je n’arrivais juste pas à comprendre comment Jeff et moi avions pu laisser la soirée dégénérer de la sorte. Comment j’avais pu envoyer un tel texto à Eilynn en ne songeant pas une seule seconde qu’elle ne me verrait sans doute plus jamais de la même manière par la suite. La réponse était pourtant bien simple : l’alcool. « C’est Eilynn qui va s’en poser, je crois ! » Répliquais-je malgré tout du tac au tac, avant d’hocher la tête pour ce qui était du cas de Zelda. Elle avait dû bien rire, oui, et puis elle avait de toute façon l’habitude du côté un peu ivre de ma personne. Pas parce que j’étais toujours saoul, hein, juste qu’elle et moi avions souvent pris un coup ensemble. Du coup, mon comportement de ce soir ne serait pas une surprise. Jeff me demanda alors si j’étais sérieux avec cette histoire de texto et de ménage à trois, et je ne tardai pas à secouer la tête et à contredire le tout. « TOI t’arrêtes ! » Lançais-je comme un enfant de cinq ans qui ne fait que renvoyer la même insulte, même si à la base, ça n’était pas une insulte. Jeff avait raison : il fallait que j’arrête de boire. Autrement, contrairement à ce qu’il disait, j’allais m’écrouler sur le lit et devenir une loque humaine pendant que Zelda était à côté de moi … belle, sexy, prête, mouill-ahem. « Ton litre d’eau, est-ce qu’il va agir aussi vite pour que mini-Concho reprenne un peu de force ? Non parce que là, bien franchement, j’pourrais t’mentir et vanter ses prouesses après autant de verres mais … j’crois que je l’ai sonné pour la nuit. » Notre conversation fut rapidement interrompue par un délicieux message de Zelda, accompagné d’une selfie qui ne laissait plus beaucoup de place à l’imagination, à moins de me lancer dans des scénarios dans lesquels j’étais un haut-dirigeant d’une entreprise rentrant dans ma chambre d’hôtel pour y trouver une sublime femme de ménage à la recherche de son plumeau. Sans les plumes. Un high five raté plus tard, je commençai à paniquer un peu en m’imaginant la tête que ferait Eilynn en lisant mon message. Si Jeff avait pu douter de mon sérieux, clairement, elle se ferait des idées quant à mes intentions par rapport à eux deux. Shit. Ma première idée de supprimer le message avant la réception tombait à l’eau, alors je lançai la seconde offense : nous rendre au casino pour subtiliser son téléphone et en effacer le sms. Ce plan semblait plaire à Jeff, qui se leva, et je le suivis prêt à partir, avant d’avoir les mêmes vertiges que lui. « Ouaip’, nop’, finalement, on est bien là où on est … » Je me rassis à mon tour, posant ma main dans ma tête … euh, ma tête sur ma main. Quelque chose comme ça. « De me provoquer ? Dans quel sens ? Elle essaierait quand même pas de me séduire pour voir si je suis sérieux ? J’vous vois déjà venir, tous les deux, à me faire une mauvaise blague ! Genre elle m’entourloupepette en me disant qu’t’attends dans la chambre et que ça va se donner, et là j’arrive et c’est UNE CAMÉRA CACHÉE. » Mais au fond, y’avait à la base aucune raison que je la suive en sachant que Jeff attendait tout nu derrière la porte, alors la question ne se posait même pas. Comme quoi, ouais, l’alcool me faisait vraiment tourner la tête au point où je réfléchissais plus que d’habitude. Mais en moins bien.

Je gère, tu gères, nous gérons. Tout allait bien. Mais oui, mon Jeff, mais oui. On pouvait très bien se mentir à nous-mêmes, je n’avais franchement aucun problème avec ça, par contre on aurait un peu plus de mal à le faire croire aux autres. Et je ne parlais pas là que de Zelda ou Eilynn. Je parlais bien des gens qui se trouvaient encore sous l’igloo et qui allaient peut-être vouloir nous foutre dehors si on continuait non seulement à monopoliser ces deux tabourets, mais aussi à parler un peu trop fort et sans nous censurer. Bon, ça va, on n’était pas grossiers non plus, Jeff et moi avions cette classe qui ne s’évanouissait pas pour deux-trois verres de trop. J’allais même sans aucun doute m’évanouir moi-même avant ma classe. Quoique … peut-on vraiment avoir une quelconque classe en étant passed out dans la salle de bains ? Il y avait matière à réflexion … D’ailleurs, si j’étais dans cet état-là à mon retour, on pouvait rapidement faire le calcul que Zelda serait plutôt déçue. Je ne tardai d’ailleurs pas à faire part de mes inquiétudes à Jeff, même si pour ce faire je devais me dévoiler un petit peu trop. « J’en ai pas chez moi, si c’est c’que tu t’demandes … Et je doute pouvoir trouver ça passé minuit, ou whatever l’heure qu’il est maintenant. » La réponse était pourtant si facile à trouver, nous qui avions tous les deux nos téléphones posés devant nous, mais était-ce vraiment important de savoir ? Pas vraiment, au point où nous en étions. Ce point-là était un peu un point de non-retour, et vraiment, littéralement. On ne reviendrait jamais d’ici. Ni Jeff ni moi n’avions été capable de nous lever de notre petit tabouret. Le monde tournait autour et avec les flocons suspendus au ciel, y’avait de quoi flipper un peu en les voyant virevolter. Rester un peu plus longtemps ici, le temps que notre taux d’alcoolémie redescende un peu, ce n’était pas si mal. Si on arrêtait de boire, bien sûr, autrement … on attendrait longtemps. J’avais encore un peu de stock à écouler de mon imagination, de toute façon, concernant les plans diaboliques qu’aurait en tête Eilynn suite à la réception de mon message. « Maaaais, j’veux plus jamais la revoir ta madame ! Elle va jouer avec ma tête, j’vais être tellement confus et j’vais merder, je te jure. J’veux paaaas la recroiser. » Je secouai la tête. Quand Jeff dit qu’on ne s’ennuyait pas tous les deux, je ne captai pas qu’il parlait de lui et de sa blonde. Je pensais qu’il parlait de lui et de moi. J’étais même un petit peu touché de cette belle déclaration. « Awww, c’est tellement vrai ! T’sais Jeff, t’es un peu comme … non en fait, même pas comme, t’es vraiment mon meilleur pote. C’est vrai qu’on s’ennuie jamais, peu importe c’qu’on fait, tout ce qu’on touche devient awesome. C’est encore mieux ça que de transformer les trucs en Skittles, moi j’dis. Et pourtant j’adore les Skittles. »

J’haussai les épaules. « Ça doit bien se vendre sur le marché noir. » Conclus-je. Après tout, on trouvait de tout dans ce marché. D’ailleurs, où était-il, ce marché ? Y avait-il une sombre ruelle à Bowen où un petit marketplace s’organisait à toutes les nuits, avec des petits chapiteaux noirs ? « Pas que j’en ai à ce point besoin, hein. J’vais quand même pas risquer ma vie pour trois-quatre pilules bandantes. » Ni dépenser une petite fortune. J’avais assez dépensé en alcool pour ce soir. Ce serait quand même vachement ironique. Passer autant d’argent dans ce qui ferait en sorte que je n’aurais pas d’érection ce soir, et puis dépenser encore plus pour acheter ce qui me redonnerait ma petite énergie manquante entre les jambes. Ce serait un peu imbécile, et même si j’en avais franchement l’air en ce moment, je ne m’abaisserais pas jusque-là. Par contre, j’étais prêt à me rabaisser totalement pour autre chose, et c’était un peu le cas, là, dans mon délire avec Eilynn qui jouerait aux sorcières de Salem en m’ensorcelant de ses paroles confuses. Je merderais, oui. D’une manière ou d’une autre, et je ne voulais même pas connaître les différentes alternatives. La seule qui m’intéressait, c’était de prendre mon trou et de ne plus jamais reparler de ce message. « Ouais, tu vas gérer ça ? Comment tu vas faire ? » Je ne le croirais pas sur parole tant que je n’avais pas un plan détaillé de comment Jeff s’en occuperait. Je lui faisais confiance, à mon meilleur pote, hein. Juste que … avec tout l’alcool ingurgité, je pense que ni l’un ni l’autre n’en était digne, de cette confiance. « Je te fais une magnifique déclaration d’amitié et toi tu comprends rien ? BOUAAAH. Blblbl. » Heureusement, mon Jeff se rattrapa plutôt bien, en me chantonnant de belles paroles à son tour. « Owiiiii ! La belle idée ! Et comme ça, pas moyen qu’on fasse des conneries en envoyant des trucs cons, parce qu’elles seront là avec nous ! » Ça se trouve, on allait juste en envoyer à d’autres personnes et on ne serait pas plus avancés. Peu importe, l’idée était trop attrayante. Et puis, on n’était pas forcément obligés de boire autant à chaque fois. Même si c’était drôle. Même si je garderais un excellent souvenir de ce soir – ou pas. Les risques d’oubli étaient assez élevés, eux aussi. Meh. « Ta pisse va être chaude ? T’es un volcan ou quoi ? » Dis-je, hilare. « Bon allez big, j’dois pisser aussi. Quand faut y aller, faut y aller. » Sur ce, je me levai, les deux mains bien appuyées sur le comptoir pour me donner de l’élan. Cette fois, je ne me rassis pas, non. Je restai un moment immobile, le temps de laisser mon sang réapprendre à circuler dans un corps debout – lol. « Prêt ? » Demandais-je à Jeff, question de voir où il en était, lui, dans le processus.