(Lelana) you're better off without me, mein herr.

Le cabaret de Bowen était en perte de vitesse, il manquait de publicité, il ne fonctionnait plus aussi bien qu'avant et le maire avait décidé de faire quelque chose. Il avait demandé au journal de la ville d'en faire un article histoire de remémorer ce lieu qu'il affectionnait tant à ses chers habitants, il fallait dire qu'il y avait passé quelques heures en de charmantes compagnie à une époque, on disait même qu'il y avait rencontré sa femme, mais ça restait une légende... On avait demandé à Léo de faire l'article, de mettre le lieu en valeur avec ses photos, il ne devait pas hésiter à mettre les filles en valeur aussi, son chef avait insisté sur ce point et lui avait roulé des yeux avant d'attraper son appareil photo. Il ne connaissait pas bien le cabaret, peut-être y était-il allé une fois, il ne s'en souvenait plus. Le lieu était chaleureux il donnait envie d'y rester des heures, un brin vieillot pour sa génération, c'était d'ailleurs une clientèle de personnes d'une cinquantaine d'années qu'il avait autour de lui. Les filles étaient jolies, il y avait cette chanteuse qui reprenait des standards de jazz et de Cabaret, elle remplissait bien le job, Léo était envoûté par sa voix c'était déjà ça. On ne lui avait pas encore servit son verre, un whisky sec, il travaillait, peut-être qu'il ne devait pas boire, mais ça il s'en moquait bien. Une fois que la chanteuse eut terminé son tour de chant elle quitta la scène et Léo fut surpris de la voir réapparaître face à lui, un verre à la main, le sien, visiblement. Merci. Il la dévisagea, elle avait ce genre de beauté froide et énigmatique qui ne laissait pas indifférent, soit on aimait soit non, lui était... intrigué. En quel honneur ? Demanda-t-il en désignant le verre qu'elle posait sur la table. Elle l'observait également, la blonde avait de la chance, il présentait bien, il était passé chez le coiffeur et le barbier dans la journée, sa sœur et quelques autres personnes de son entourage lui avaient trop cassé les pieds sur son air négligé depuis quelques semaines, lui n'en avait rien à faire, il n'avait plus personne à qui plaire, mais il avait fini par plier sous leurs remarques, surtout celles de sa mère. Le coiffeur s'était raté, il avait coupé toutes ses boucles et il se retrouvait avec les cheveux trop cours, il avait horreur de ça. A sa question le barbu fouilla dans sa poche pour en ressortir sa carte de presse. Je suis ici pour faire un article, votre chef est au courant. Il l'avisa d'un regard appuyé alors qu'elle s'installait face à lui. Charles. C'était son deuxième prénom, celui avec lequel il signait ses clichés, il en usait rarement dans la vie, mais allez savoir pourquoi, ce soir il ne serait pas Léo. Je n'aime pas boire seul, qu'est ce que je vous offre. Sûrement qu'elle ne voudrait pas d'alcool mais au moins elle pourrait l'accompagner.

Le regard triste. Celui qui ne le quittait plus depuis des semaines, continuellement dans le vague, absent. Il avait de quoi, il n'avait encore une fois pas été épargné avec pertes et fracas. Habituellement lorsqu'un coup dur arrivait Léo faisait tout pour compenser avec une fausse joie de vivre qui donnait le change. Mais il n'avait plus la force, cet enfant qui lui avait donné tant d'espoir et auquel il s'était raccroché avec tant de force, il était juste dévasté par sa mort et ce qui en avait suivi, il aurait dû affronter ce deuil avec Grace et pourtant celui-ci avait simplement fait éclater leur couple comme un cruel retour de bâton. Alors il traînait sa tristesse un peu partout, incapable d'y faire face ou seulement pour quelques heures durant lesquelles il s’enivrait, pour s'en vouloir d'être aussi faible après coup, le chien qui se mordait la queue. Il haussa les sourcils pour seule réponse, que pouvait-il bien dire d'autre de toute façon. Elle parlait d'une façon étrangement posée, lente, comme si chaque mot était susurré, comme pour arriver à le toucher au plus profond, c'était étrange, peut-être qu'elle jouait un rôle dans son travail, celui de la fille mystérieuse. En même temps elle avait tout l'attirail avec ses cheveux d'un blond polaire aussi froid que sa peau et que son regard, avec sa lourde robe noir comme une armure, trop courte pourtant, elle contrastait avec le lieu. Un fantôme... il sourit, pour être une sirène il faudrait que votre voix rende les hommes fous. Mais étrangement il n'en doutait pas vraiment. Si elle voulait jouer un personnage alors lui choisissait le sien, voilà pourquoi il se présenta sous son nom d'artiste, celui qui était noté sur sa carte professionnelle. En même temps il n'abordait jamais son vrai prénom finalement, Léo n'était que le diminutif de Léopold, prénom qu'il haïssait bien qu'il lui vienne de son arrière grand-père maternel, même s'il trahissait ses origines françaises qu'il ne reniait pas. Il ne savait pas bien qui et comment serait ce Charles, il verrait bien. En tout cas la troublante Svetlana sembla ne pas apprécier et elle ne se cacha pas pour lui dire. Deuxième sourire pour notre homme. Il hocha la tête en attrapant son verre pour jouer avec. Appelez-moi comme vous voulez ça sera plus simple. Il n'était pas contrariant. Il ne se priva pas pour observer du coin de l’œil cette main fine qui glissait sous sa robe pour en sortir une flasque, il haussa un sourcil, surpris mais n'alla pas juqu'à demander ce qu'elle contenait. Winter... C'est triste. Et froid. Lui aussi était honnête. Il se redressa sur sa chaise, but une gorgée et reposa son verre. Je ne compte pas vous interviewer, chérie* je suis mauvais pour ça. On m'a engagé pour prendre la température de ce cabaret, pour en donner mon opinion, je ne suis pas un bon journaliste, c'est la photo mon domaine. Il la fixa avec une insistance calculée. C'est dommage, vous auriez fait un parfait model. La flatterie ça marchait, la plupart du temps, mais pas sûr qu'elle se laisse faire. Sans crier gare, la blonde se pencha vers lui pour toucher ses cheveux, Léo eut un geste de recul mais c'était trop tard. Il la regarda en fronçant les sourcils puis se dérida, amusé et dérouté par le comportement de cette fille. On est deux... ça repoussera. Il n'arrivait pas à être totalement à son aise face à elle, pourtant il tentait de garder la face. Vous venez d'où, Svetlana ? Il insistait pour l'appeler par son prénom, parce qu'après tout c'est le premier qu'elle lui avait donné.


*en français

Au moins Svetlana avait le mérite d’être honnête et directe, ça changeait des personnes en général, de celles qui prenaient des gants, qui n’étaient pas franches. Léo n’avait pas autant d’honnêteté en lui, disons qu’il faisait attention à ce qu’il disait, ayant été élevé dans un univers mondain et faux, il avait appris à prendre des pincettes pour parler aux gens, à utiliser le politiquement correct et même s’il n’était pas non plus menteur, il lui arrivait parfois de détourner la vérité, pour ne pas blesser, pour rester courtois. Une nouvelle fois la jeune femme le déstabilisait donc, dans ses mots, dans sa façon de l’observer comme s’il était un animal qu’elle étudiait, il gardait son regard droit, affrontant le sien à elle, mais intérieurement il se sentait chancelant, méfiant, il n’aimait pas forcément être sondé de la sorte. Elle approuva finalement son prénom, bon gré mal gré il ne savait pas vraiment de toute façon il n’avait pas l’intention d’en donner un nouveau pour lui faire plaisir. Il sourit sur le mon immaculé, doutant de ce qu’elle voulait bien lui dire par là, en tout cas elle était douée pour raconter des histoires. Vous ne pouvez pas mentir mais vous êtes une parfaite conteuse... Il  plissa les yeux en la regardant avec curiosité. Il y a toujours une part de légende dans ce genre d’histoire, de mystère mêlé à la vérité, le tout est de trouver la limite entre les deux. Léo ne la croyait pas totalement, il doutait, n’avait pas envie d’entrer dans son jeu, il n’était pas vraiment d’humeur, si l’idée était de charmer le premier client qu’elle trouvait il ne serait pas son jouet, il était ici pour le travail et ne comptait pas dépenser d’argent pour ses faveurs si tel était le but de sa manœuvre. Et si elle ne voulait pas être prise en photo, lui ne serait pas le docile imbécile en mal d’affection. Pourtant il lisait la franchise dans son regard, dans sa façon de planter ses yeux dans les siens, de manière presque ensorcelante, c’était peut-être ça, le côté sirène, finalement. Il sourit, amusé par sa réponse, elle non plus n’était pas idiote. Oui, je dis ça à toutes les filles, pourquoi m’en priver ? Il la toisait à présent, à moitié sérieux, elle voulait de l’honnêteté, il lui en donnait. Mais ça n’est pas la question. Je ne recherche pas que la beauté. Vous êtes atypique et vous le savez, c’est bien plus intéressant pour moi. Et visiblement vous ne savez pas ce que vous valez, non. Lui voyait une fille à la beauté hors norme peu importait qu’elle ne soit pas grande, que sa peau soit trop blanche, peu importait ses cheveux trop décolorés et sa moue boudeuse qui rendait son visage sombre, elle n’était pas comme les autres et c’était ce qui interpellait le photographe. Tactile, Léo l’était habituellement, il n’avait pas de soucis avec le fait qu’on le touche ni celui de toucher les autres, mais la blonde l’avait juste pris de court en se saisissant de sa chevelure trop courte. Nouveau sourire alors qu’elle lui montrait qu’elle parle également la langue de Molière. Beaucoup de sourires ce soir, des sourires pincés, timides, intrigués, tous minces, tous furtifs, Léo était sur la défensive, il se protégeait, sans savoir de quoi, il ne se montrait pas aussi jovial qu’il l’était à l’accoutumée, ce soir il était froid, distant, presque piquant, peut-être parce qu’il était ici pour le travail, peut-être l’effet Charles, peut-être autre chose. Il observa un instant sa main tendue, avouons qu’il ne s’attendait pas à une visite guidée. Il termina son verre d'un trait et puis attrapa sa main, il n’avait rien à perdre. Vous faites ça à tous les clients sympas ? Ou j’ai droit à un traitement de faveur ? Il la suivait sous les regards curieux des autres clients du cabaret. Je crois que je fais des jaloux.

Ils se tournaient autour, chacun cherchant visiblement à sonder l’autre. Léo ne savait pas trop pourquoi il jouait ce jeu, il n’était pas ici pour apprendre à connaître cette fille ni aucune autre personne du personnel de ce cabaret, il devait simplement se faire son avis sur le lieu, trouver de quoi remplir son article. C’était le but. Et pourtant. Il se laissait endormir par la voix de cette blonde, par son calme et son ton posé, comme si elle arrivait à le charmer rien que par ce son mélodieux, comme le chant d’une sirène en fait. Pourtant tout dans l’attitude du photographe était froid et distant mais ça n’était qu’une façade. Malgré lui il sentit un frisson le parcourir quand elle lui parla de noyade, bien qu’il ne comprenne pas vraiment ce qu’elle entendait par là, il avait l’impression qu’elle lisait en lui comme dans un livre ouvert et cette sensation le dérangeait beaucoup. Il secoua la tête comme pour décliner son offre puis fixa son verre, presque intimidé l’espace d’une seconde. Vous êtes sans filtre c’est bien ça ? Au moins je sais à quoi m’attendre… Il finit par se ressaisir pour lui parler de la raison de sa présence en ces lieux, dissipant tout malentendu sur un éventuel besoin de chaleur féminine. Mais elle jouait avec ses mots et lui se prenait au jeu, une nouvelle fois, c’était bête, il n’avait aucune intention de la séduire, la jolie chanteuse, peut-être lui soutirer une photo malgré ses réticences, rien de plus. Je crois bien que vous êtes un poème vous toute seule Svetlana. Un léger sourire en coin se dessina sur ses lèvres, il oubliait déjà l’épisode du touché de cheveux. Pourtant il n’arrivait pas à se défaire de ce malaise qui l’emparait à chaque fois qu’elle le fixait de la sorte, à chaque fois qu’elle sondait son âme comme s’il était transparent. Il était incapable de se défaire de ce chagrin qui lui collait au corps et visiblement elle ne semblait voir que ça, il se sentait vulnérable face à elle et cette fragilité l’effrayait, lui qui semblait toujours si fort aux yeux des autres. Il attrapa pourtant sa main, ne trouvant rien de mieux à faire, elle lui proposait une visite guidée, il ne pouvait pas refuser. Sa réaction le fit rire doucement, il n’était pas si grand que ça mais il n’avait pas remarqué qu’elle était si petite. Un géant de sel, certainement, rien de plus. Sa main était froide, comme son regard, mais il n’hésita pas à la suivre pour autant. Lorsqu’elle s’arrêta pour le remettre à sa place, Léo fronça les sourcils, surpris. Vous voulez bien arrêter de me parler de ma noyade prochaine ? Laissez-moi… Mais elle continuait, n’écoutant pas un mot de ce qu’il avait à dire. Le grand garçon lâcha donc sa main, presque agacé par ses compliments qui sonnaient pourtant comme des critiques dans sa bouche. Il passa la main dans ses cheveux trop courts, le visage encore plus fermé. Parce qu’il était bel homme il pensait pouvoir séduire toutes les filles, c’était ainsi qu’elle le voyait ? Il n’avait pas cette prétention. ...Laissez-moi me noyer s’il le faut, je ne suis pas ici pour chercher votre aide. Il n’avait besoin d’aucune aide, personne ne pouvait l'aider Et elle continuait, n’écoutant rien encore une fois, cette main qu’il avait lâché remontait le long de son bras et un nouveau frisson lui parcouru l’échine alors qu’elle déposait ses lèvres froides au coin des siennes. Il ferma les yeux une seconde et déjà elle s’était éloignée de lui. Perdu un instant il la fixa sans la voir et puis se repris. Je ne compte pas coucher avec vous Svetlana, je n’ai pas besoin de venir dans un endroit pareil pour m’endormir auprès d’une femme. Et si j’ai dit quelque chose qui vous y a fait pensé alors nous nous sommes mal compris. D'un geste un peu trop sec il attrapa l’appareil qu’elle lui tendait, trahissant son agacement. Il ne voulait même pas penser qu’elle avait raison sur le fait de chercher à la revoir, pourtant ce baiser, même furtif, le réchauffait comme une douce morsure. Si je vous capture vous ne vous en rendrez pas compte et je ne ferais pas la bêtise de vous en informer. Il la menaçait gentiment même s’il savait qu’il respecterait sa demande, mais il aimait qu’elle doute de lui, il aimait lui donner l’illusion qu’il n’était pas si discipliné.

Léo n’aurai pas la prétention de cerner Svetlana, il ne la connaissait pas suffisamment, pourtant il avait cette tenace impression qu’elle était le type de personne qui ne se voyait pas à sa juste valeur, pour quelle raison, ça il n’en savait rien, mais celle qui se croyait quelconque se trompait totalement. Des personnes quelconques il en croisait beaucoup, souvent c’était celles qui faisaient le plus de bruit, elle était intrigante, mystérieuse, elle invitait au voyage et à la découverte et elle ne s’en rendait absolument pas compte. Il haussa les épaules nonchalamment, votre côté sirène, certainement ! Il sourit doucement tout en la suivant entre les tables. Ce n’était certainement pas la compassion qui avait poussé la blonde à déposer ses lèvres tout près de celles de Léo, il ne savait pas pour quelle raison elle avait eu ce geste mais ça n’avait rien de charitable. Un instant il eut vraiment l’impression d’être entré dans une maison close et qu’elle cherchait à lui faire des avances, c’est pourquoi il mit les limites rapidement, parce qu’il n’était pas ici pour prendre du bon temps, encore une fois il avait un papier à noircir et rien de plus. Et qui plus est il trouvait l’idée de payer pour du sexe assez glauque. Néanmoins il ne pouvait nier que la chanteuse le rendait curieux et que la douceur de ses lèvres ne l’avait pas laissé de marbre. Il restait un homme en mal d’attention qui goûtait à nouveau aux joies du célibat, du moins, il se servait bien trop souvent de la chaleur de bras féminins pour oublier sa solitude et sa tristesse durant quelques heures, ça ne le rendait pas plus heureux ni moins misérable, mais ça c’était autre chose. Pourtant il gardait ses distances face à cette Svetlana qui le déstabilisait totalement, parce qu’elle lisait en lui, parce que face à elle il se sentait bien trop transparent et vulnérable, certainement qu’il se montra trop froid parce qu’elle sembla comme piquée par sa réaction, alors que Léo était prêt à la suivre pour découvrir les coulisses du lieu, la belle se fit glaciale, son regard sembla lancer des éclaires et puis elle se fit mutique. Il ne put que remarquer ses mains tremblantes juste avant qu’elle ne fasse volte face et s’évapore, purement et simplement, le laissant là, avec son appareil entre les mains et la mine pantoise. Léo resta quelques secondes comme un con à fixer le vide qu’elle avait laissé et puis se ressaisit rapidement, il aurait pu se faufiler dans les coulisses, mais sans Svetlana cette aventure n’avait plus le même goût, alors il essaya de la chercher. Il ne lui fallu pas longtemps pour trouver les loges, le cabaret n’étant pas très grand et puis il vit une porte entrouverte d’où sortait un trait de lumière, il se glissa dans la pièce éclairée où la blonde terminait de se coiffer. Qu’est ce qui vous a vexé au juste ? Que je refuse vos faveurs ? Ou que je ne me livre pas à vous ? Ses mains tremblaient toujours et elle avait du mal à attacher ses nattes. Léo s’approcha alors d’elle, s’empara d’une pince à chignon et l’aida terminer sa coiffure, qu’elle tire la tête ou non. Il avait déjà fait ça plusieurs fois sur des shootings photo. Je ne voulais pas vous froisser... Petite excuse murmurée à mi-mot C’est quoi le problème avec vos mains ? Demanda-t-il alors qu’il se concentrait pour faire tenir la pince puis se recula pour observer la coiffure de loin. Ça devrait tenir, les cheveux relevés ça sublime votre nuque.

Il resta un instant sur le pas de la porte, après tout il entrait dans son intimité, dans son entre, la québécoise pourrait parfaitement l'envoyer promener et il ne pourrait rien faire de plus que de retourner sur ses pas, la queue entre les jambes. Il osa sa question, plutôt directe, mais cette fille l'était bien plus que lui alors il doutait qu'elle ne s'en offusquerait pas, au pire il risquait une pique bien sentie, rien de plus. Sa réponse fut à la hauteur de ce qu'il espérait et il se sentit bête de l'avoir mal jugé sur l'instant, en pensant s'être fait prendre au piège avec une éventuelle prostituée, c'était bien le terme, il n'avait pas pensé un instant qu'elle cherchait réellement à lui apporter de la tendresse, sans attendre aucun somme en retour. Et bien que ce soit étrange, parce qu'elle était sur son lieu de travail tout de même, il lui semblait que la blonde était sincère et surtout réellement touchée par cette insulte. Je vous ai jugé trop vite oui. Il s'était défendu, il l'avait repoussé parce qu'il avait eu peur, de ses gestes et de ses mots, de cette proximité qui l'avait dérangé, ça n'était pas une simple fille rencontrée dans un bar avec laquelle il s'amusait, c'était une fille qui le sondait et semblait trop bien le comprendre. Et bien que ce soit agréable de voir qu'il l'attirait d'une certaine façon, il n'était pas sûr de vouloir glisser vers quelque chose de moins professionnel.
Finalement Svetlana sembla ravaler sa rancœur et à nouveau elle posait ce regard si particulier sur Léo, avec son franc parlé qui le dérangeait. Il grimaça quand elle parla d'animal blessé qui mordait pour se défendre, une nouvelle fois elle avait raison mais il ne répondit pas, Léo se confiait facilement, mais ce soir, Charles restait mutique sur sa vie. Préférant lui parler de ses mains qui tremblaient alors qu'il s'emparait de sa chevelure. Il aimait bien les cheveux des femmes, surtout longs, surtout blonds, il avait l'impression de passer la main dans des fils d'or, dans quelque chose de précieux. Evidemment il pensa à Grace et les innombrables fois qu'il avait caressé ses mèches en s'endormant, il soupira furtivement. Peut-être qu'il faudrait consulter un médecin. Il lui jeta un regard dans le miroir, observant ses dents qui venaient mordre sa lèvre nerveusement. Pour quelqu'un de mort je vous trouve bien vivante ! Vous êtes sûrement une sorte d'animal blessé vous aussi... Après tout il n'avait pas le monopole du genre. Il déposa la dernière pince et la laissa juger de la coiffure, il sourit doucement quand elle le remercia et un peu plus lorsqu'elle effleura sa joue, visiblement elle n'était plus fâchée du tout. Je peux vous laisser dormir si vous voulez, confiez-moi le laisser-passer et je me ferais mon idée des lieux. Il doutait qu'elle accepte cette idée et il serait presque déçu qu'elle le fasse, sans elle ça n'avait plus d’intérêt. Ils sortirent de la loge. Vous visitez le zoo de Bowen demain ? Il n'est pas bien grand vous aurez vite fait le tour. Lui même y allait très régulièrement, le zoo était le l'endroit préféré de son fils, surtout l'espace des oiseaux.

Il se sentit encore plus mal lorsque la blonde lâcha, l'air de rien, cette réponse qui en disait long, l'histoire de sa vie. Lui qui avait pourtant horreur que l'on juge sans connaître, lui qui avait si souvent souffert du jugement des autres qui le pensaient seulement bon à suivre les traces de son père et à se vautrer dans le luxe qu'il avait toujours connu, qui le prenaient pour un gosse de riche bien trop gâté qui prenait la photographie et l'aide humanitaire comme un passe temps histoire de ne pas s'ennuyer et de dépenser son argent en se donnant bonne conscience. Comme il avait horreur de ces raccourcis, comme les gens se trompaient. Et lui, d'une certaine façon, venait de faire de même avec Svetlana. Il n'avait que pour seul mérite la capacité de se remettre en question et de savoir reconnaître son erreur de jugement, ça n'était pas si mal, maigre compensation. Il demeura songeur une seconde, elle avait peut-être raison, ne pas savoir et continuer à vivre comme si tout allait bien c'était parfois la meilleure solution. C'est sûr, de ce point de vu là... on peut bien vivre avec des mains qui tremblent j'imagine. Il sourit doucement comme pour lui-même, fixant le vide, il l'enviait presque, de ne rien ressentir, sur le papier ça ne faisait pas rêver, d'être cet arbre mort que la blonde décrivait, mais en pratique, ne pas souffrir par amour, ne pas avoir à se battre pour une cause perdue, vivre au dessus de tout sans se soucier de rien, oui, il l'enviait finalement. Vous ne connaissez pas votre chance, chérie. On est malheureux parce qu'on court après l'impossible et même quand on a déjà souffert on recommence, encore et encore parce qu'on a cet espoir stupide d'un jour finir par être heureux, c'est illusoire, destructeur et épuisant. Trop rares sont ceux qui arrivent vraiment à trouver le bonheur, nous autres, pauvres fous, on se berce de chimères. Il avait le verbe triste qui allait parfaitement avec le masque sombre qu'il portait depuis quelques temps, venant de confirmer sans trop en dire que Svetlana avait vu juste, il se noyait, il était perdu, malheureux, elle avait mille fois raisons mais il ne cherchait pourtant pas à sortir de cette continuelle tristesse et il n'avait pas l'espoir qu'elle puisse l'en faire sortir non plus. Au moins vous ne risquez pas de vous noyer, vous. Il termina avec un petit haussement de sourcil entendu avant de mettre le point final à sa coiffure. Léo, Charles, finit par attraper la main de celle qu'il acceptait comme guide pour lui faire découvrir son univers alors qu'il apprenait qu'elle n'avait pas que cet univers là mais qu'elle travaillait également dans l'ombre, au zoo, pour soigner les félins, il trouva que ce job lui allait bien, à celle qui semblait si bien comprendre les hommes, il ne doutait pas qu'elle aurait cette même empathie pour les animaux et que ceux-là avaient au moins le mérite d'être bien plus dociles que la race humaine quand on savait les prendre, les animaux ne mentaient pas, eux. Léo n'était pas particulièrement proche des bêtes, ils ne l'avaient jamais vraiment attiré ni ému mais il pouvait comprendre qu'on s'y attache. Vous êtes pleine de surprise. Après quelques pas en dehors de la loge ils déambulaient déjà dans les méandres du cabaret. Pourquoi vous travaillez ici alors ? Ça paye les factures ? Avouons que lui n'avait jamais eu besoin d'un vrai travail pour vivre.

Assise derrière ma coiffure, je laisse Charles m'approcher pour lui confier mes cheveux. Je pose doucement mes mains sur les genoux mais elles tremblent toujours. J'ignorai s'il s'agissait d'une manifestation morphologique d'une quelconque émotion ou si j'étais bel et bien souffrante. J'avais rendez-vous avec mon neurologue incessamment sous peu mais en attendant, je voulais saisir l'instant. Je vis comme si je n'avais pas de lendemain et c'est très chouette. Vous devriez faire pareil, c'est revigorant. Je me doute que tout le monde n'a pas la capacité émotionnelle d'une petite cuillère mais ça semblait compliqué les sentiments. Je l'écoute me parler de sa peine de cœur de manière déguisée. Les mains posées sur les genoux, je reste docile sentant les doigts courir dans mes cheveux. Puis lorsqu'il a fini à la fois son monologue et sa coiffure, je me retrouve debout. Lorsqu'il attrape ma main et avant de quitter la pièce, je me retrouve à le coller contre ma coiffeuse. Allez assieds-toi. Je me place entre ses jambes avant de le fixer avec intensité. Ma main libre commence à caresser sa tempe et je prends une profonde inspiration. Je sais que tu t'en fous. Mais pour ce que ça vaut, je suis désolée. T'as l'air d'être un type bien. Et souvent ce sont les types dans ton genre qui souffrent le plus. après si t'as envie, tu peux rester à mes côtés un moment. Soigner le mal, ma main descend lentement pour me poser sur son cœur, par une stérilisation de celui-ci. je ressens rien, tu peux m'enseigner des sentiments et je peux t'aider à ne rien ressentir. j'ai un haussement d'épaules avant de lui sourire. Puis, je retire ma main avant de tirer sur la sienne et le forcer à s'approcher de moi. puis, je me mets à l'embrasser sous le coup d'une impulsion et parce que je le sentais en détresse. D'abord tout en douceur, n'allons pas trop vite. Puis, je me recule avant de l'emmener hors de la pièce ou sinon ça allait encore plus déraper. Exactement pleine de surprises. J'aime les animaux autant que j'aime mon cousin. Enfin, je crois que c'est de l'amour. une fois que nous sommes près des loges des danseuses, je me poste contre le mur pour l'inviter à y aller sans moi. je ne voulais pas être sur les photos. J'aime chanter, tout simplement. Et j'adore l'ambiance des cabarets. Tu vois ça d'un mauvais œil mais si, je m'approche un peu pour passer une main dans ses cheveux, tu apprenais à ouvrir correctement tes yeux, tu verrais que le monde n'est pas aussi fade que tu le crois. Il peut aussi avoir plein de couleurs autre que celle de ton whisky. Va prendre ses nanas en photos, je t'attends ici. Je fouille dans ma poche pour en sortir un chewing-gum que je colle dans ma bouche pour commencer à le mâchouiller.