the most unlikely duet (emrys)

Depuis son arrivée à Bowen, Adán enchaînait à vive allure les réalisations d’objectifs de sa bucket list. D’une manière plutôt hallucinante, et jamais rien que pour le besoin de cocher les cases. C’était à force de rencontrer les gens qui l’entouraient, les gens qui animaient cette ville, qu’Adán s’embarquait dans des aventures auxquelles bien des gens se montraient partant. Il avait nagé parmi les tortues avec Svetlana, il avait pris une selfie avec une célébrité – nulle autre que Neala Fitzgerald – et avait même passé l’après-midi avec elle, comme bonus. Ça n’était que deux exemples parmi bien d’autres, mais de moments mémorables pour Adán qui s’était rarement senti aussi à l’aise et intégré qu’à Bowen. Il vivait sa vie sans se poser trop de questions mais filait le parfait bonheur, sans jamais s’endormir avec un quelconque regret le soir venu. Une semaine plus tôt, il avait passé quelques minutes sur l’ordinateur de Mathilda pour repérer quelques événements ayant lieu dans le coin de Bowen pour les prochains jours, et c’est à ce moment qu’il avait vu une annonce en ligne pour des cours de langue. Le professeur en question, Emrys Castel-Lewis, offrait un vaste choix d’options de langue. Tout de suite, Adán avait pris le numéro en note, parce que ça avait toujours été une sorte de rêve que d’être polyglotte, peut-être pas comme cet homme qui avait franchement un magnifique curriculum vitae de ce côté-là, mais trois ou quatre langues, pourquoi pas. Il avait déjà l’espagnol et l’anglais et, parmi ces choix, il s’arrêta sur l’italien. Sans doute inconsciemment en raison de sa récente rencontre avec une italienne habitant la ville, Misha. Elle avait beau l’avoir aspergé de spray poivré, elle avait marqué positivement Adán, au final. De quoi influencer sa décision, même sans trop le réaliser. Bref, il avait pris rendez-vous avec le professeur en question, et ce moment était finalement arrivé. Ils avaient opté pour un local à l’université, c’était là où l’ambiance était la plus propice à l’apprentissage. C’était la première fois qu’Adán se rendait sur le campus, et il mit un peu de temps à se retrouver, et avait quelques minutes de retard. Quand il arriva au local en question, il toqua à la porte entrouverte, et faufila le haut de son corps à l’intérieur pour y découvrir un homme environ de son âge. « Bonjour ! Je suis Adán, tu es bien Emrys ? » Dit-il en reculant sa tête pour vérifier à nouveau le numéro de local.

Emrys n’a jamais vraiment eu à se soucier de l’argent. Non pas qu’il roulait sur l’or, mais il gérait assez bien son budget pour avoir des économies de côté et pouvoir vivre une vie en éliminant ce soucis. Seulement voilà, cinq mois aux Malouines sans aucun travail durant cette période, cela crée un creux dans les économies, surtout lorsqu’en plus de ça il y a un enfant à s’occuper. C’est pourquoi, lorsqu’il est revenu à Bowen, le jeune professeur à décider de proposer des cours particuliers afin de pouvoir de nouveau épargner et ne pas se faire de soucis sur sa vie future. Il aime l’enseignement et s’il ne le faisait pas avant c’est parce qu’il travaillait s’arrache pied sur sa thèse et, accessoirement, buvait plus que de raison. A présent il n’a plus ce soucis d’alcool et peut travailler plus raisonnablement sur sa thèse étant donné les avancées qu’il a pu faire au cours des derniers mois.
Ayant de solides bases en langues, et en histoire également puisqu’il s’agit de la matière qu’il enseigne, le jeune homme ne doutait pas que ses propositions puissent intéresser des gens. Il a décidé, en plus des petites annonces papier dans les magasins, d’en proposer en ligne car il sait bien que maintenant tout passe par internet. Il n’est clairement pas fan de ces technologies mais il est bien obligé de s’y conformer. Il proposa donc des cours de diverses langues (français, anglais, russe, italien et allemand, celles qu’il maîtrise le plus mais il est prêt à en proposer d’autres) mais aussi des cours d’histoire (générale ou bien plus spécifiques) et de géographie.
Un homme lui a répondu, souhaitant prendre des cours d’italien. Emrys dût relire quelques livres et regarder quelques films afin de renouer avec cette langue qu’il n’a pas pratiqué depuis un certain temps. Les deux jeunes gens prirent rendez-vous à l’université, lieu qu’Emrys connaît comme sa poche à présent. Arrivé en avance comme à son habitude, il commence à poser les livres sur la table et ouvre un carnet dans lequel il note le fil conducteur du cours. Quelques minutes plus tard, son élève arriva, vérifiant qu’il ne se soit pas trompé de salle. « C’est bien ici. Entre. Je suis effectivement Emrys » dit-il en tentant d’être le plus chaleureux possible. Il lui serre la main avant de lui indiquer une chaise pour qu’il s’assoit.
Une fois les deux jeunes installé, le professeur demanda, afin d’orienter son cours « As-tu déjà des bases en italien ou est-ce un réel début ? Également, y-a-t-il des choses que tu souhaites apprendre plus particulièrement ? »

Au même moment où Adán vérifiait le numéro du local au-dessus de ses yeux, le professeur confirma qu’il était bien à la bonne place, qu’il était bien le Emrys de l’annonce à laquelle il avait répondu. Le mexicain afficha un sourire en hochant la tête et pénétra finalement dans la salle. « Ah ! Muy bien ! » Il referma la porte derrière lui, s’avançant vers l’homme pour lui serrer la main. « Enchanté, moi c’est Adán. » Enfin, il avait dû le dire au moment de réserver, même que ça devait être écrit dans leurs échanges, dans sa confirmation, peu importe, mais il préféra quand même se présenter à nouveau. Qui sait, Emrys avait peut-être un tas d’élèves et il ne se rappelait peut-être pas forcément de tous les noms. Il s’en souviendrait, du sien, tôt ou tard … pas le choix, avec Adán. D’autant plus qu’il ne comptait pas baisser les bras de sitôt, il n’était pas ici pour un cours ou deux d’introduction, non, Adán avait des objectifs – plusieurs objectifs de vie et apprendre de nouvelles langues faisait partie de ceux-ci. Il ne ferait pas les choses à moitié, ça n’était pas son genre. Le jeune homme prit place à la chaise indiquée par le professeur, et il croisa une jambe, la cheville posée par-dessus le genou de la jambe opposée. « C’est un réel début. Enfin, je connais bien quelques mots … hum, comment elle a dit déjà … » Adán réfléchit un moment, repensant à ce que Misha s’était écriée avant de l’asperger de spray au poivre, le laissant complètement déboussolé et souffrant sur le trottoir. « Cazzo di merda ? » Il esquissa un sourire avant de rire, il se doutait fortement de ce que le troisième mot signifiait, parce que dans la plupart des langues latines avaient une consonnance similaire pour ce mot. « Disons que j’aimerais apprendre des mots qui sonnent davantage comme des compliments. » Ajouta-t-il avec un sourire qui ne se perdait pas.

Son nom ainsi que sa courte phrase en espagnol, confirma à Emrys que son élève est hispanophone, ou alors c’est un grand criminel qui a changé d’identité et qui a appris parfaitement une nouvelle langue pour ne pas se faire arrêter. Cependant les chances sont plutôt minces pour que ce soit le cas. De toute façon ça ne fait pas peur à l’ancien agent secret, il a encore de bonnes bases en combat et suit un entraînement sportif intensif.
Il se présenta avant de s’asseoir et de lui expliquer ce qu’il attendait de ce cours. Même si le jeune homme n’a jamais vraiment donné de cours de langues, il a déjà donné des cours d’histoire à Nevaeh il y a quelques années et savoir ce qu’elle attendait de lui, lui facilita bien la tâche pour les cours suivants. Cela peut paraître inutile pour certains qui veulent directement rentrer dans le vif du sujet et parler pour voir tout de suite les résultats. Seulement c’est comme tout, il faut bien se préparer avant si on ne veut pas galérer ensuite.
Adán lui explique qu’il connaît bien quelques mots mais à part ça, rien du tout. Emrys s’attendait à ce qu’il lui dise des mots basiques tels que pizza ou pasta mais non, une insulte. Voilà qui est plus original. D’après ses dires, il l’a entendu de la bouche d’une femme. Le professeur en déduit que son cours a peut être un lien avec cette mystérieuse demoiselle, d’autant plus que son élève lui explique ensuite qu’il apprendre des choses qui sonnent comme des compliments. Voudrait-il séduire cette inconnue ? C’est une option qu’envisage Emrys. Il trouve cela d’ailleurs plutôt romantique. « Effectivement cazzo di merda n’est pas le plus beau compliment du monde. » dit-il avec un sourire. « Je vois vers quoi il faut que je me tourne. Mais comme c’est un réel début il faut apprendre les bases avant de se lancer dans de beaux poèmes romantiques. » ajouta-t-il en extrapolant un peu les dire de son élève. « Il faut aussi savoir que cela peut-être très long d’apprendre une nouvelle langue. Je ne veux pas te faire peur, au contraire, mais l’investissement est très important. Il faudra aussi travailler en dehors de ces heures. » il avait un mince sourire aux lèvres pour ne pas décourager le nouveau venu. « Tu te sents prêt ? »

Il n’avait pas trop honte de confier à son professeur les trois seuls mots d’italien qu’il connaissait. Adán n’avait jamais trop de retenue et, de toute façon, s’il était capable de les répéter, c’était parce que quelqu’un le lui avait appris, non ? Enfin, appris, on ne pouvait pas dire que Misha avait vraiment voulu lui apprendre quoi que ce soit. Toutefois, Adán était un peu comme un grand enfant : il imitait. Emrys ne serait donc pas surpris que son élève lui rapporte n’importe quel mot ou expression qu’il avait pu entendre dans son entourage ou sur l’écran. Le professeur ne tarda d’ailleurs pas à relever que cazzo di merda n’était effectivement le meilleur compliment à faire à quelqu’un, et Adán acquiesça dans un rire amusé. « Imagine-toi que c’est ce qu’on m’a crié, dès ma première rencontre avec quelqu’un ! » Lança-t-il, en secouant la tête, malgré tout bien égayé par cette affirmation. Comme s’il aimait presque se faire insulter. Ça dépendait par qui … ! « Oh, de toute façon, je n’ai pas vraiment l’âme d’un poète. Il faudrait que tu l’écrives pour moi et que je le récite par cœur. » Affirma le mexicain en prenant place à côté d’Emrys, prêt à apprendre. « Allons-y pour les bases, c’est comme ça dans tout. » Il haussa les épaules, simplement. On ne pouvait jamais plonger dans quelque chose de nouveau sans en apprendre les méthodes, les pratiques. Son professeur le mis en garde à propos du long processus d’apprentissage d’une nouvelle langue. Adán hocha la tête, il était au courant de ça, et ça ne lui faisait pas peur. « Tu verras, quand j’ai quelque chose en tête, j’m’y mets. J’essaierai d’être un de tes meilleurs élèves. T’en as beaucoup, d’ailleurs ? » Demanda l’immigrant, intéressé à savoir quel était le bassin d’étudiants en italien ici à Bowen. Peut-être se trouverait-il d’autres personnes avec qui pratiquer, à l’extérieur des cours. Comme le disait Emrys, c’était nécessaire. « Je suis absolument, totalement prêt. Empecemos! » Lança-t-il avec enthousiasme, se frottant les mains et se penchant vers l’avant, vers Emrys un peu plus.

Emrys n’a pas grand mal à imaginer que quelqu’un puisse être aussi rude lors d’une rencontre. Les gens peuvent parfois se trouver bien impoli, surtout lorsque l’on prend comme base le jeune homme qui a été élevé dans la rigueur et la grande politesse anglaise. Pour lui énormément de gens sont bien impolis, violents ou rudes. Il se souvient de sa rencontre avec Eleanor, bien qu’elle soit rapidement devenue une amie, leurs premiers échanges n’ont pas été bien cordiaux. Il était perdu, ne s’est pas excusé quand il l’a bousculé, ils avaient tous les deux passés une mauvaise journée et ont commencé à se prendre la tête pour presque rien. Heureusement la situation s’est bien vite apaisée et ils sont allés boire un verre afin d’enterrer la hache de guerre.
Le professeur ne compte pas apprendre à Adán lors de ses premières heures de cours comment vilipende ou exprimer son mécontentement de façon trivial. Non, ils vont plutôt s’attaquer aux bases ce qui semble convenir aux deux parties, l’élève comprenant bien qu’avant de pouvoir philosopher en italien il va d’abord devoir apprendre à dire bonjour. Bien décidé à donner le meilleur de lui même, le jeune hispanique aspire à devenir le meilleur élève d’Emrys, lui demandant au passage à combien qu’autres personnes il enseigne l’italien. « Pour l’instant aucun, je viens tout juste de commencer. Mais je devrais bientôt en avoir d’autres mais pas forcément en italien. » puisqu’il propose une diversité de cours assez impressionnantes, il espère ainsi obtenir davantage de réponses même s’il ne pourra pas gérer trop d’élèves en même temps vu son emploi du temps déjà bien chargé.
Maintenant qu’ils ont pu faire connaissance et éclairci les attentes du jeune homme, ils sont prêt à commencer ce premier cours. « Du coup on va commencer par les présentations de base, bonjour, au revoir, merci, etc. » dit-il alors avant de sortir une feuille regroupant les mots qu’ils vont voir. « Cette feuille regroupe tous les mots, phrases ou expressions que nous allons apprendre aujourd’hui comme ça tu pourras les travailler chez toi pour le cours suivant. De l’autre côté il y a quelques petits exercices aussi pour t’entraîner. » explique-t-il avec un mince sourire. Il est nerveux, davantage habitué à parler d’histoire devant un amphi d’étudiant que d’apprendre une langue à une salle vide exceptée une personne venue pour un cours particulier. Tout cela est bien différent, il espère que ça se passera bien. « On va commencer par l’alphabet et quelques bases de prononciation. » ajouta-t-il avant de commencer à répéter lentement l’alphabet pour qu’Adán puisse répéter les lettres après lui.

Adán, de son côté, était un bon vivant, en parfaite harmonie avec lui-même et les autres. On ne le retrouverait alors que très rarement en colère, et encore moins en pleine séance d’insultes. Il fallait chercher à le mettre hors de lui pour y parvenir, et la patience serait de mise pour ceux qui s’y risqueraient. Disons que le mexicain ne voyait pas l’intérêt de passer ses nerfs sur les autres, surtout quand on ne lui avait rien fait ou rien demandé. Misha avait certes été prise par surprise par son attitude, après tout Adán avait effectivement donné l’impression de l’avoir prise en filature - et ce n’était pas qu’une impression, au fond, mais il n’y avait rien eu de menaçant dans son geste. Ça ne justifiait donc sans doute pas le poivre de cayenne pris en plein visage, en plus de cette pluie d’insultes. Adán ne s’en était toutefois pas fâché, bien au contraire. Une fois la douleur passée, c’était oublié. Eux aussi avaient enterré la hache de guerre, tout comme Emrys avait pu le faire dans ses propres expériences, même s’ils n’en parlèrent ni l’un ni l’autre. Le jeune hispanique prit finalement place à côté de son professeur, les épaules bien redressées, comme l’élève exemplaire qu’il s’apprêtait à devenir. « Alors pour le moment je suis privilégié ! » Déclara le mexicain en apprenant qu’il était son seul élève, pour le moment. Toutes langues confondues. « Si tu as d’autres personnes qui s’intéressent à l’italien, t’as plutôt en tête de poursuivre des cours en privé, ou tu feras des groupes ? » Demanda le jeune homme, intéressé. L’idée d’être un peu plus nombreux et de pouvoir pratiquer à l’aide de discussions thématiques en petits groupes n’était pas si bête que ça, après tout. Le cours débuta alors, quand ils eurent tous les deux donné leur feu vert. Adán hochait la tête à chaque mot de base qu’énonçait Emrys. Il posa ses yeux sur la feuille avec intérêt et curiosité dans le regard. Il s’était penché un peu plus vers le jeune homme, question de voir les mots dans un meilleur angle. Peu lui importait la proximité. Il répéta l’alphabet après chaque lettre que disait Emrys. Par la suite, ayant mémorisé assez rapidement, il tenta de la reproduire par lui-même, sans que l’homme ne lui donne la bonne tonalité ou la bonne prononciation tout juste avant. « Ça va, je n’ai pas trop massacré les lettres ? » Demanda-t-il avec un sourire gêné. Au moins, Adán avait un assez bel accent exotique peu importe la langue qu’il essayait de parler.